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Vous figurez-vous qu’il puisse croire en Dieu ?

C’est un homme très fier, comme vous l’avez dit vous-même  et beaucoup d’hommes très fiers aiment croire en Dieu, surtout ceux qui méprisent un peu les hommes. Beaucoup d’hommes forts éprouvent une espèce de besoin naturel de trouver quelqu’un ou quelque chose à adorer. L’homme fort a parfois beaucoup de peine à supporter sa force. […] Oh la cause en est claire : ils choisissent Dieu, pour ne pas adorer les hommes, naturellement sans se rendre compte eux-mêmes de ce qui se passe en eux. Adorer Dieu n’a rien de vexant. Voilà comment se recrutent les croyants les plus passionnés, ou plus exactement ceux qui désirent passionnément croire ; mais ils prennent leur désir pour la foi. Et ce sont ceux-là aussi qui, sur la fin, perdent le plus souvent leurs illusions.

Dostoïevski, L’adolescent, trad. Pierre Pascal, Folio, p. 63

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Le lien suggéré dans ce texte entre besoin d’adorer et peine à supporter sa force mériterait évidemment des éclaircissements. N’est ce pas une forme de faiblesse que d’avoir de la peine à supporter sa force ? Faut-il alors supposer que celui qui atteint le degré supérieur de la force n’a plus de peine à supporter celle-ci et est libéré du désir d’adorer? A moins que, pour être libéré d’un pareil désir, il faille soi-même être un dieu?

Quoi qu’il en soit l’idée d’une foi qui ne serait pas l’expression d’un désir de consolation (et donc de la faiblesse) est intéressante. J’ai mentionné naguère un texte de Canetti qui évoque cette idée sous une forme un peu différente : il suggère qu’on pourrait se tourner vers Dieu, non pas pour avoir quelqu’un à adorer, mais pour avoir quelqu’un à remercier. Le besoin de remercier s’articule peut être plus clairement que le désir d’adoration aux notions de force et de faiblesse : car celui qui ressent le besoin de remercier n’est certes pas en position de faiblesse comme celui qui implore le secours, mais il a conscience des limites de sa force, il sait que certains des biens dont il jouit, il ne dépendait pas que de lui de les obtenir.

L’affirmation finale est également assez mystérieuse, pourquoi celui dont la foi est animée par le désir d’adorer serait -il plus facilement désillusionné que celui qu’anime le désir de consolation ? On conçoit qu’un homme finisse par se désespérer par l’absence de réponse à ses appels au secours, mais en quoi Dieu se soustrait-il à notre besoin d’adoration ?