• À propos

Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

Pater Taciturnus

Archives de Tag: foi

Comment se défendre d’une accusation d’apostasie ?

25 mercredi Août 2021

Posted by patertaciturnus in Perplexités et ratiocinations

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

apostasie, Blaise Pascal, foi, Mohammed ben Abdelwahhab

Cet article est une mise au propre d’idées qui me sont venues au cours d’une discussion avec un fidèle lecteur, mais, selon la formule convenue,  je suis responsable de toutes les sottises qu’il est susceptible de contenir car je m’y aventure, une fois de plus, à parler d’un sujet que je ne maîtrise pas. La première de ces sottises est peut être de traiter avec une certaine désinvolture d’un sujet grave tant pour ceux qui pensent que l’apostasie implique la damnation éternelle que pour ceux pour lesquels l’accusation d’apostasie signifie la menace de perdre leur seule vie : la vie terrestre.

Cette mise au point préalable étant faite, rentrons dans le vif du sujet :

Vous êtes accusé d’apostasie et – pour des raisons qui ne nous occuperons pas ici – vous ne souhaitez pas assumer être un apostat. Quelles stratégies de défense s’offrent à vous ?

1) Vous pouvez contester avoir tenu les propos ou accomplis les actes tenus pour apostat

2) Vous pouvez reconnaître avoir le tenu les propos (ou accompli les actes) incriminés mais contester qu’ils aient valeur d’apostasie

Cette stratégie peut elle-même être mise en œuvre de deux manières très différentes

a) vous soutenez que les propos ou les actes en question ne constituent pas un reniement de la foi qu’on vous accuse d’abjurer car ils sont parfaitement compatibles avec elle

On devine que la difficulté dépendra ici des critères d’apostasie retenus par les autorités de la religion considérée. Quels sont les propos ou les actes considérés comme ayant valeur d’apostasie ? Ces débats qui se déroulent dans la sphère religieuse impliquent des prises de position sur d’intéressantes questions de philosophie de la croyance. On peut envisager d’échelonner les différentes positions sur le sujet entre deux extrêmes :

  • la conception la plus restrictive de l’apostasie : ne vaut comme apostasie que la négation explicite et non ambiguë des articles de foi de la religion considérée (je laisse de côté la question de savoir comment ceux-ci sont identifiés dans la communauté des fidèles).
  • la conception la plus extensive de l’apostasie : vaut comme apostasie toute transgression d’une règle que les dogmes couvrent de leur autorité

La conception la plus restrictive a pour conséquence, me semble-t-il, que seul celui qui assume d’être apostat peut être  condamné pour apostasie. La conception la plus extensive a pour conséquence que tout pécheur est un apostat (au moins le temps de son péché ?) ce qui n’est sûrement pas ce que voudront soutenir ceux qui tiennent à faire de l’apostasie la plus grave des transgressions religieuses. Pour illustrer ce que peut être une conception extensive de l’apostasie qui ne va pas jusqu’à cette extrémité, on peut prendre l’exemple des Dix annulatifs de l’Islam selon Mohamed ben Abdelwahhab (le fondateur du Wahhabisme).

Si les critères d’apostasie étaient limités aux deux premiers annulatifs on aurait une conception restrictive de l’apostasie (je ne dis pas la plus restrictive, car il me semble qu’il est concevable que quelqu’un soit jugé coupable d’association ou d’admettre des intermédiaires quoi qu’il nie le faire). Il me semble intéressant de jeter un œil aux ressorts de l’extension des critères d’apostasie au delà de ce noyau.

On notera d’abord que sans rallier lui même le polythéisme, un musulman peut être considéré comme apostat (selon la doctrine d’Abdelwahhab) en vertu de son attitude envers les polythéistes  (refuser de les condamner, douter qu’ils soient coupables, voire les défendre cf. 3e et 8e annulatif). Dans la définition de l’apostasie, à l’attitude directe de rejet d’un article de foi, est donc adjoint un ensemble d’attitudes envers ceux qui rejettent cet article de foi. J’attire l’attention de mes lecteurs sur le fait que ce mécanisme d’extension de la faute est courant en dehors de la question de l’apostasie et de la sphère religieuse. 

De même, il y a extension de l’attitude envers l’article de foi à l’attitude envers le messager qui l’a communiqué  : se moquer du prophète vaut apostasie (6e annulatif).

Le ressort des 4e et 9e annulatifs est d’un autres genre : l’extension de la culpabilité va cette fois de la négation de la vérité du message à la relativisation de sa portée.

Le 5e annulatif présuppose que la foi est affaire de cœur (thèse pascalienne !) : quand bien même vous professeriez en parole les articles de foi et accompliriez les actes prescrits, si cela vous inspire de la répulsion, vous rejetez la foi.

Enfin le 10e annulatif est intéressant car il pose la question de la limite avec la conception de l’apostasie que j’ai appelé « la plus extensive » : s’il est exclu de parler d’apostasie au moindre manquement, quand peut on considérer que la religion est suffisamment peu pratiquée pour que cela vaille apostasie. Je présume qu’il y a là une grosse marge d’interprétation. J’ignore s’il y a des transpositions juridiques des Dix annulatifs, mais si tel est le cas, j’imagine que la jurisprudence subséquente est passionnante.

Examinons maintenant la seconde sous-stratégie pour se dépêtrer d’une accusation d’apostasie en niant non les propos/ les actes incriminés, mais leur qualification.

b) vous soutenez que les propos ou les actes en question ne constituent pas un reniement parce que vous n’avez jamais juré ce qu’on vous reproche d’abjurer

Cela revient à dire quelque chose du genre suivant.

« Ou j’ai bien dit / fait cela.

Oui, cela équivaut à un rejet de la foi pastafarienne

Mais non, je ne suis pas un apostat du pastafarisme, car figurez-vous que je n’ai jamais été pastafarien »

Cette stratégie n’a évidemment d’intérêt que si l’apostat s’expose à des tourments plus graves que le simple impie qui n’a jamais professé la vraie foi. On peut indiquer au moins un exemple historique de mise en œuvre de ce genre de stratégie :

« Les musulmans refusant leur doctrine [celle des Azraqites] étaient pourchassés et mis à mort alors que les chrétiens et les juifs n’étaient pas inquiétés et considérés comme simples dimmi (protégés).

Plus de cinquante ans après la naissance de la secte, Wasil ibn `Ata, le fondateur de l’école mu`tazilite n’eut la vie sauve, lors d’une rencontre avec les Azariqa, que parce qu’il affirma ne pas être musulman. »

Djaffar Mohamed-Sahnoun, Les chi’ites: contribution à l’étude de l’histoire du chi’isme des origines

Ce qui est intéressant avec ce type de défense c’est qu’elle contraint l’accusateur à prouver tout autre chose que ce qu’il s’attendait à devoir prouver  : il devra en effet établir que l’accusé a été auparavant suffisamment attaché à la vraie foi pour pouvoir en être apostat. Là encore tout dépend des critères d’appartenance à la communauté retenu par les autorités de la religion considérée.  Mais on peut reprendre l’exemple du 10e annulatif d’Abdelwahab pour illustrer la difficulté : pour que « ne pas apprendre la religion » vaille apostasie encore faut il l’avoir suffisamment apprise.

On pourrait écrire une fiction mettant en scène un accusé d’apostasie mettant en œuvre cette stratégie de défense de manière particulièrement retorse. Lorsque ses accusateurs feraient valoir une multitude de témoins assurant l’avoir vu réciter les articles de foi et mettre en pratique les prescriptions avant de rejeter sa foi, il répondrait qu’en fait il n’a jamais cru, qu’il a toujours fait semblant. Peut-être, objectera-t-on, une telle argumentation se retournerait-elle contre lui, cette conduite simulatrice pouvant être tout aussi coupable que l’apostasie qu’on lui reproche. Mais notre accusé ferait valoir que cette simulation était bien intentionnée ; lecteur de Pascal, il mimait les formes extérieures de la foi dans l’espoir d’accéder à celle-ci. Malheureusement, parce qu’il était trop conscient de ce qu’il essayait de se faire croire quelque chose qu’il ne croyait pas, cette entreprise échoua. Mais, ferait-il valoir sans un succès temporaire, cet aveu final d’échec ne saurait valoir apostasie.

Foi de l’homme fort

21 samedi Août 2021

Posted by patertaciturnus in Lectures, Perplexités et ratiocinations

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

adoration, Dostoievski, Elias Canetti, foi

— Vous figurez-vous qu’il puisse croire en Dieu ?

— C’est un homme très fier, comme vous l’avez dit vous-même  et beaucoup d’hommes très fiers aiment croire en Dieu, surtout ceux qui méprisent un peu les hommes. Beaucoup d’hommes forts éprouvent une espèce de besoin naturel de trouver quelqu’un ou quelque chose à adorer. L’homme fort a parfois beaucoup de peine à supporter sa force. […] Oh la cause en est claire : ils choisissent Dieu, pour ne pas adorer les hommes, naturellement sans se rendre compte eux-mêmes de ce qui se passe en eux. Adorer Dieu n’a rien de vexant. Voilà comment se recrutent les croyants les plus passionnés, ou plus exactement ceux qui désirent passionnément croire ; mais ils prennent leur désir pour la foi. Et ce sont ceux-là aussi qui, sur la fin, perdent le plus souvent leurs illusions.

Dostoïevski, L’adolescent, trad. Pierre Pascal, Folio, p. 63

*

Le lien suggéré dans ce texte entre besoin d’adorer et peine à supporter sa force mériterait évidemment des éclaircissements. N’est ce pas une forme de faiblesse que d’avoir de la peine à supporter sa force ? Faut-il alors supposer que celui qui atteint le degré supérieur de la force n’a plus de peine à supporter celle-ci et est libéré du désir d’adorer? A moins que, pour être libéré d’un pareil désir, il faille soi-même être un dieu?

Quoi qu’il en soit l’idée d’une foi qui ne serait pas l’expression d’un désir de consolation (et donc de la faiblesse) est intéressante. J’ai mentionné naguère un texte de Canetti qui évoque cette idée sous une forme un peu différente : il suggère qu’on pourrait se tourner vers Dieu, non pas pour avoir quelqu’un à adorer, mais pour avoir quelqu’un à remercier. Le besoin de remercier s’articule peut être plus clairement que le désir d’adoration aux notions de force et de faiblesse : car celui qui ressent le besoin de remercier n’est certes pas en position de faiblesse comme celui qui implore le secours, mais il a conscience des limites de sa force, il sait que certains des biens dont il jouit, il ne dépendait pas que de lui de les obtenir.

L’affirmation finale est également assez mystérieuse, pourquoi celui dont la foi est animée par le désir d’adorer serait -il plus facilement désillusionné que celui qu’anime le désir de consolation ? On conçoit qu’un homme finisse par se désespérer par l’absence de réponse à ses appels au secours, mais en quoi Dieu se soustrait-il à notre besoin d’adoration ?

 

Le mystère du prêtre

13 dimanche Déc 2020

Posted by patertaciturnus in Lectures

≈ 1 Commentaire

Étiquettes

croyance, foi, Paul Valéry, prêtre, religion

Pour Bloyt, l’homme qui cherchait des prêtres

« Il y a un mystère du prêtre aux yeux de l’indifférent en matière de religion. Le problème existe, précisément lié à l’existence de ces observateurs extérieurs à la religion. L’incrédule intelligent lient nécessairement le prêtre pour une énigme, pour un monstre, mi-homme, mi-ange, dont il s’étonne, dont il sourit, dont il s’inquiète assez souvent. Il se demande : Comment peut-on être prêtre? […]

Le problème du prêtre, — c’est-à-dire du croyant professionnel, — n’est qu’un cas particulier du problème de la croyance. La sincérité ou l’intelligence du croyant est toujours incertaine aux yeux de l’incroyant; et la réciproque est parfois vraie. Il est presque inconcevable à l’incrédule qu’un homme instruit, calmement attentif, capable de s’abstraire de ses désirs ou de ses craintes imprécises (ou qui ne leur attribue de signification qu’individuelle, organique et presque morbide), capable aussi de s’entretenir avec soi-même, et de bien séparer les domaines et les valeurs, ne rejette pas aux fables tous ces récits de bizarres événements immémoriaux ou improbables qui sont essentiels à l’autorité de toute religion, ne s’avise de la fragilité des preuves et des raisonnements sur quoi les dogmes se fondent, ne s’étonne jusqu’à la négation, en constatant que des révélations, des avis d’importance littéralement infinie pour l’homme, lui soient offerts comme des énigmes dangereuses à la manière du Sphinx, avec de si faibles garanties et dans des formes si éloignées de celles qu’il a coutume d’exiger des choses vraies. Rien de plus difficile à attribuer sans réserves à quelqu’un de pareil à nous. Il n’y a point de doute que la foi existe; mais on se demande avec quoi elle coexiste dans ceux chez qui elle existe. Un incrédule y voit une singularité, quoique contagieuse, estime qu’un croyant d’esprit distingué ou supérieur, un homme comme Faraday, chef de la secte des Sandemaniens, ou Pasteur, porte véritablement deux hommes en lui.

La difficulté est plus grave encore quand il s’agit de la continuité de la foi et de son action permanente. L’incrédule ne consent pas facilement que la foi sincère puisse coexister avec une conduite non irréprochable, pas plus qu’il ne conçoit qu’elle se puisse accorder avec la rigueur et la lucidité de l’esprit. Si donc il observe dans un croyant des fautes ou des vices, il sera toujours tenté d’en conclure que la foi de ce pécheur est pure simulation. le péché du croyant tente en quelque sorte l’incroyant . C’est là une manière de piège que la « psychologie » de l’un tend à la psychologie de l’autre. »

Paul Valéry, Stendhal, in Variétés II, Gallimard Folio essais, p 220 – 222

 

Résoudre le problème en le supposant résolu

16 samedi Nov 2019

Posted by patertaciturnus in Lectures

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

art de vivre, Cesare Pavese, foi

« Au fond, le secret de la vie, c’est de faire comme si nous avions ce qui nous manque le plus douloureusement. Le précepte chrétien est là tout entier. Se convaincre que tout est créé pour le bien, que la fraternité humaine existe et si ce n’est pas vrai qu’importe? Le réconfort de cette vision consiste dans le fait d’y croire, non dans celui qu’elle soit réelle. Parce que si j’y crois, si toit, si lui, si eux y croient, elle deviendra vraie. »  »

Cesare Pavese, Le métier de vivre, 3 février 1941

99 contre 1

12 vendredi Mai 2017

Posted by patertaciturnus in Lectures

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

foi, John Stuart Mill

« Une personne qui a une croyance est un pouvoir social équivalent  à quatre-vingt dix-neuf autres personnes qui n’ont que des intérêts. »

John Stuart Mill, Considérations sur le gouvernement représentatif
trad. Bozzo-Rey, Cléro, Wrobel, Hermann, p. 69

La foi selon K

28 vendredi Oct 2016

Posted by patertaciturnus in Lectures

≈ 2 Commentaires

Étiquettes

Dazaï Osamu, Dieu, foi, justice, Nietzsche

« J’avais peur, même de Dieu. Je ne croyais pas que Dieu nous aime, je ne croyais qu’à ses châtiments. La foi. Je me figurais qu’avoir la foi c’était simplement croire qu’il fallait se présenter devant le tribunal de Dieu pour être jugé. Je croyais à l’enfer, mais j’avais beau faire, je ne croyais pas au ciel. »

Dazaï Osamu, La déchéance d’un homme

*

« Si Dieu avait voulu devenir un objet d’amour, il aurait dû commencer par renoncer à rendre la justice : – un juge, et même un juge clément, n’est pas un objet d’amour. »

Nietzsche, Le gai savoir §. 140

Qualité de l’homme de peu de foi

21 lundi Sep 2015

Posted by patertaciturnus in Aphorisme du jour

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

Elias Canetti, foi

« L’homme méfiant est le seul capable de mesurer pleinement le bonheur que procure la foi. »

Elias Canetti, Notes de Hampstead, p. 46

*

Est-ce le cas particulier d’une règle générale qui énoncerait que c’est celui qui manque d’une chose qui est le pus capable de mesurer pleinement le bonheur qu’elle procure ? Pourtant une telle règle risque bien d’être fausse, car celui qui manque d’une chose risque fort d’idéaliser cette chose. Pourquoi la foi échapperait-elle à ce danger ?

Intelligence avec l’ennemi

06 mardi Jan 2015

Posted by patertaciturnus in Food for thought

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

athéisme, Dostoievski, foi, Simone Weil

« Un athéisme complet occupe l’avant-dernier échelon du point culminant de la foi parfaite. (Le franchira-t-il ou non ? c’est une autre question.) Tandis que l’indifférent n’a aucune foi, sinon la mauvaise crainte, et encore s’il est un homme sensible. »

Dostoievski, La confession de stavroguine

*

 » Il y a deux athéismes dont l’un est une purification de la notion de Dieu.
Peut-être que tout ce qui est mal a un autre aspect qui est une purification au cours du progrès vers le bien et un troisième qui est le bien supérieur.

[…]

Entre deux hommes qui n’ont pas l’expérience de Dieu, celui qui le nie en est peut-être le plus près.
Le faux Dieu qui ressemble en tout au vrai, excepté qu’on ne le touche pas, empêche à jamais d’accéder au vrai. Croire en un Dieu qui ressemble en tout au vrai, excepté qu’il n’existe pas, car on ne se trouve pas au point où Dieu existe.

[…]

La religion en tant que source de consolation est un obstacle à la véritable foi : en ce sens l’athéisme est une purification. Je dois être athée avec la partie de moi-même qui n’est pas faite pour Dieu. Parmi les hommes chez qui la partie surnaturelle d’eux-mêmes n’est pas éveillée, les athées ont raison et les croyants ont tort. »

Simone Weil, La pesanteur et la grâce

La foi, la science, le doute

05 dimanche Oct 2014

Posted by patertaciturnus in Perplexités et ratiocinations, Pessoa est grand

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

doute, Fernando Pessoa, foi, science

« On me tend la foi comme un paquet bien ficelé sur un plateau tombé de nulle part. On voudrait que je l’accepte mais sans l’ouvrir. On me tend la science comme un couteau sur un plat, pour ouvrir les pages d’un livre dont toutes les pages sont blanches. On me tend le doute comme de la poussière au fond d’une boîte, mais pourquoi m’apporter cette boîte, qui ne contient que de la poussière. »

Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité [87], p. 116

 *

Une fois encore, j’apprécie l’art qu’a Pessoa de présenter la réalité sous un jour déprimant : le procédé consiste ici à suggérer par des images qu’aucune des trois possibilités qui nous sont offertes n’est satisfaisante. Pour changer, au lieu de rester dans la fascination pour cette manière de présenter les choses je vais essayer de réfléchir à la manière de lui résister.

Les images utilisées par Pessoa présentent chaque possibilité comme insatisfaisante en elle-même; or on pourrait faire valoir que chaque possibilité n’apparaît décevante que par contraste avec une autre, et plus précisément avec une image idéalisée d’une autre.

Le défenseur de la foi, par exemple, pourrait faire valoir qu’accepter un paquet sans l’ouvrir n’est décevant que pour celui qui croit à la possibilité qu’on lui offre un paquet qu’il pourrait ouvrir avant de choisir de l’accepter. On reconnaît ici l’argument avec lequel Bouveresse rompt des lances dans Peut-on ne pas croire? : l’idée qu’en dernier ressort nous serions condamnés à adhérer à des croyances qu’il n’est pas en notre pouvoir de justifier, et qu’il ne nous resterait qu’à accepter un destin auquel il est impossible de résister. Ce qui complique la tâche des défenseurs de ce type de position c’est qu’en fait il n’y a pas un seul paquet impossible à ouvrir qui nous soit proposé, il y en a plusieurs entre lesquels il faut choisir, et à supposer qu’il faille accepter un de ces paquets, tout le problème est de choisir lequel s’il est impossible de jeter un œil à l’intérieur (la même difficulté affecte d’ailleurs l’argument du pari de Pascal).

Pour ce qui est du défenseur de la science il pourrait contester que les pages du livre que son couteau permet d’ouvrir soient effectivement blanches. Il pourrait faire valoir qu’elles n’apparaissent telles que par comparaison avec des pages plus contrastées … c’est-à-dire que la science ne serait décevante qu’aux yeux de ceux qui demeurent dans ce que Bouveresse nomme la nostalgie de la croyance.

Le même type d’argument pourrait être utilisé pour réhabiliter la troisième possibilité : le doute n’est décevant qu’au regard d’une certitude possible, comme généralement ce qu’on a ne nous déçoit qu’au regard de ce qu’on pense qu’on aurait pu avoir.

Archives

  • janvier 2023 (10)
  • décembre 2022 (6)
  • novembre 2022 (7)
  • octobre 2022 (6)
  • septembre 2022 (15)
  • août 2022 (24)
  • juillet 2022 (28)
  • juin 2022 (19)
  • mai 2022 (20)
  • avril 2022 (23)
  • mars 2022 (27)
  • février 2022 (29)
  • janvier 2022 (31)
  • décembre 2021 (25)
  • novembre 2021 (21)
  • octobre 2021 (26)
  • septembre 2021 (30)
  • août 2021 (24)
  • juillet 2021 (28)
  • juin 2021 (24)
  • mai 2021 (31)
  • avril 2021 (16)
  • mars 2021 (7)
  • février 2021 (6)
  • janvier 2021 (13)
  • décembre 2020 (11)
  • novembre 2020 (3)
  • octobre 2020 (3)
  • septembre 2020 (9)
  • août 2020 (18)
  • juillet 2020 (16)
  • juin 2020 (8)
  • mai 2020 (20)
  • avril 2020 (8)
  • mars 2020 (11)
  • février 2020 (18)
  • janvier 2020 (26)
  • décembre 2019 (21)
  • novembre 2019 (25)
  • octobre 2019 (26)
  • septembre 2019 (31)
  • août 2019 (27)
  • juillet 2019 (23)
  • juin 2019 (22)
  • mai 2019 (22)
  • avril 2019 (27)
  • mars 2019 (27)
  • février 2019 (24)
  • janvier 2019 (32)
  • décembre 2018 (13)
  • novembre 2018 (9)
  • octobre 2018 (12)
  • septembre 2018 (9)
  • août 2018 (13)
  • juillet 2018 (9)
  • juin 2018 (8)
  • mai 2018 (21)
  • avril 2018 (25)
  • mars 2018 (26)
  • février 2018 (22)
  • janvier 2018 (27)
  • décembre 2017 (24)
  • novembre 2017 (16)
  • octobre 2017 (19)
  • septembre 2017 (18)
  • août 2017 (21)
  • juillet 2017 (18)
  • juin 2017 (21)
  • mai 2017 (14)
  • avril 2017 (22)
  • mars 2017 (30)
  • février 2017 (12)
  • janvier 2017 (13)
  • décembre 2016 (14)
  • novembre 2016 (15)
  • octobre 2016 (22)
  • septembre 2016 (16)
  • août 2016 (24)
  • juillet 2016 (19)
  • juin 2016 (16)
  • mai 2016 (20)
  • avril 2016 (10)
  • mars 2016 (30)
  • février 2016 (28)
  • janvier 2016 (32)
  • décembre 2015 (27)
  • novembre 2015 (28)
  • octobre 2015 (31)
  • septembre 2015 (30)
  • août 2015 (33)
  • juillet 2015 (32)
  • juin 2015 (33)
  • mai 2015 (34)
  • avril 2015 (31)
  • mars 2015 (35)
  • février 2015 (32)
  • janvier 2015 (33)
  • décembre 2014 (37)
  • novembre 2014 (33)
  • octobre 2014 (33)
  • septembre 2014 (33)
  • août 2014 (33)
  • juillet 2014 (33)
  • juin 2014 (35)
  • mai 2014 (35)
  • avril 2014 (35)
  • mars 2014 (35)
  • février 2014 (30)
  • janvier 2014 (40)

Catégories

  • 7e art
  • Célébrations
  • Choses vues ou entendues
    • confession
    • Mon métier ma passion
  • Divers vers
  • Fantaisie
    • devinette
    • Philémon et Anatole
    • Taciturnus toujours au top
    • Tentatives de dialogues
  • Food for thought
    • Aphorisme du jour
    • Pessoa est grand
  • Insatiable quête de savoir
    • Il suffirait de quelques liens
  • Lectures
  • Mysticismes
  • Non classé
  • Paroles et musiques
    • Au chant de l'alouette
    • Berceuse du mardi
    • Bienvenue aux visiteurs
  • Père castor
  • Perplexités et ratiocinations
  • SIWOTI or elsewhere

Tags

Abel Bonnard alouette amitié amour art Auguste Comte Benjamin Fondane Bertrand Russell bonheur Cesare Pavese correspondance culture Dieu Djalâl ad-Dîn Rûmî Dostoievski Edmond Jabès Elias Canetti Emily Dickinson enseigner et apprendre esthétique Fernando Pessoa Friedrich von Schiller féminisme Gabriel Yacoub Goethe Hegel Hugo von Hofmannstahl humiliation Hâfez de Chiraz Ito Naga Jean-Jacques Rousseau Joseph Joubert Karen Blixen Karl Kraus Kierkegaard Kobayashi Issa Lichtenberg lune Malek Haddad Marina Tsvetaieva Marshall Sahlins mort Mário de Sá-Carneiro Nietzsche Nâzım Hikmet Omar Khayyâm Paul Eluard Paul Valéry perfection et imperfection Philippe Jaccottet philosophie Pier Paolo Pasolini Pierre Reverdy poésie profondeur racisme Ramón Gómez de la Serna Reiner Kunze religion rêve Simone Weil solitude souffrance Stefan George stoïcisme stupidité travail universalisme Urabe Kenkô utilitarisme vertu vie vérité Witold Gombrowicz éthique et esthétique

Créez un site Web ou un blog gratuitement sur WordPress.com.

Confidentialité & Cookies : Ce site utilise des cookies. En continuant à utiliser ce site, vous acceptez leur utilisation.
Pour en savoir davantage, y compris comment contrôler les cookies, voir : Politique relative aux cookies
  • Suivre Abonné∙e
    • Pater Taciturnus
    • Rejoignez 67 autres abonnés
    • Vous disposez déjà dʼun compte WordPress ? Connectez-vous maintenant.
    • Pater Taciturnus
    • Personnaliser
    • Suivre Abonné∙e
    • S’inscrire
    • Connexion
    • Signaler ce contenu
    • Voir le site dans le Lecteur
    • Gérer les abonnements
    • Réduire cette barre
 

Chargement des commentaires…