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Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

Pater Taciturnus

Archives Mensuelles: juillet 2021

Mystique pour babouin

31 samedi Juil 2021

Posted by patertaciturnus in Divers vers

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Max Jacob

Connaissez vous Maître Eckart ?

Paul Petit

Connaissez vous le grand Albert ?
Joachim ? Amaury de Bène ?
à Thöss, Margareta Ebner
de Christ enceinte en chair humaine ?

Connaissez vous Henri Suso ?
Ruysbrock surnommé l’Admirable ?
et Joseph de Cupertino
qui volait comme un dirigeable ?

Et les sermons de Jean Tauler ?
et le jeune homme des Sept Nonnes
qu’on soigna comme une amazone
débarquant des Ciels-univers ?

Connaissez vous Jacob Boehm
et la signatura rerum?
Et Paracelse l’archidoxe,
le précurseur des rayons X ?

On connaît bien peu ceux qu’on aime
mais je les comprend assez bien
étant tous ces gens là moi même
qui ne suis pourtant qu’un babouin.

Max Jacob, Derniers poèmes

En marge de Bonnard

30 vendredi Juil 2021

Posted by patertaciturnus in Lectures

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Abel Bonnard, amitié, amour, friendzone, hommes et femmes, jalousie, sexisme

Abel Bonnard - Centre Pompidou

Un élément étonnant du  Savoir aimer d’Abel Bonnard c’est que son analyse de l’amour est complètement hétérocentrée (il n’envisage l’amour que comme relation d’un homme et d’une femme) alors que lui-même était notoirement homosexuel (il dissimulait tellement peu son homosexualité, qu’à l’époque où il était ministre de l’éducation du régime de Vichy  il était surnommé « gestapette »). Quelle vérité objective attendre d’un discours qu’on ne peut même pas créditer d’authenticité subjective ? Peut-être est-il possible de discerner des références cachées à ses amours homosexuelles dans le texte mais je ne dois pas maîtriser suffisamment cet art de lire entre les lignes.

Bonnard traite de la relation entre homme et femme avec la grille de lecture hiérarchique et essentialiste dont j’ai déjà parlé plusieurs fois. Ainsi du paragraphe ci-dessous qui distingue deux types de relation homme/femme selon qu’on se situe dans le registre des amours médiocres ou des amours suprêmes :

« Si ce petit livre a trouvé quelques lecteurs attentifs, l’un d’eux aura peut-être remarqué que, dans sa première partie [consacrée aux amours médiocres], il est surtout parlé des liaisons amoureuses en fonction du personnage masculin, au lieu qu’ici l’on fait le contraire ; c’est qu’en effet il dépend d’un homme qui sait vivre de gouverner les amours médiocres où il se trouve engagé, mais les amours supérieures appartiennent aux femmes qui s’y manifestent. Une femme ordinaire est un instrument dont il faut jouer, mais une femme souveraine est une musicienne qu’on écoute ; tandis que l’homme qui lui est uni se borne à jouir de leur bonheur commun, parce que son œuvre est ailleurs, elle crée et entretient ce bonheur, parce que son œuvre est là. »

Le paternalisme envers les femmes  se manifeste nettement dans la section consacrée à la jalousie : Bonnard y explique qu’il est mauvais d’être jaloux (la jalousie contrevient à l’idéal de magnanimité qui sous-tend le propos de Bonnard) mais qu’il faut savoir feindre la jalousie pour faire plaisir aux femmes.

« Mais alors même qu’un homme se sent fort peu disposé à ce sentiment, il convient qu’il s’en donne parfois les airs. Paraître jaloux de celle qu’on aime est un hommage qu’on lui doit et que la politesse de l’amour impose. Si gênées que les femmes puissent être par les persécutions des jaloux, il faut que ces vexations soient poussées bien loin pour les excé­der, et elles ont pour cette manie une secrète indulgence, parce qu’elles y voient la preuve du prix qu’on leur donne ; il leur paraît très juste qu’un homme perde la tête à la seule idée qu’elles pour­raient détourner de lui la moindre de leurs faveurs et leur satisfaction serait complète, si la jalousie qu’elles nous inspirent était un supplice pour nous, sans être un ennui pour elles. Il faut se souvenir qu’il est dans leur nature enfantine de tout désirer à la fois ; celle qui s’enorgueillit d’être aimée comme aucune autre veut encore l’être comme toutes et fière d’être enveloppée des sentiments les plus délicats, elle prétend exciter de même ceux où se marque la violence des amours vulgaires. Aussi doit-on se souvenir de faire de temps en temps le jaloux, deux ou trois fois par mois, par exemple : comme ce sentiment paraîtra toujours très naturel à celle à qui on le manifeste, on n’aura pas besoin de feintes savantes pour la persuader qu’on l’éprouve. »

L'amitié - Bonnard Abel - 1938 | eBay

Sans prétendre épuiser le sujet du sexisme de Bonnard, il convient aussi de mentionner le chapitre qu’il consacre aux femmes dans son ouvrage sur l’amitié. Bonnard recourt à un procédé qui rappelle un peu celui auquel recours Socrate dans l’Hippias majeur  : il rapporte les propos d’un ami auquel il tente – plutôt vainement – d’apporter la contradiction. Cet ami soutient une thèse radicale ; les femmes ne sont pas capables d’amitié authentiques car elles ne sont pas faites pour ce sentiment (elles sont faites pour l’amour, évidemment). L’ami mystérieux conteste d’abord l’authenticité de l’amitié entre femmes :

« Les femmes qui se croient amies sont des complices ou des victimes ensemble. Ou bien elles se font part de leurs intrigues et de leurs plaisirs et s’y aident mutuellement. Ou bien, également maltraitées par le sort et meurtries par la grossièreté des hommes, elles se blottissent l’une contre l’autre, se choient, se donnent de petits noms, mais il y a dans leurs sentiments quelque chose d’excessif qui en dénonce l’inanité. »

Abel Bonnard, L’amitié, FeniXX réédition numérique, p. 72

puis il conteste la possibilité d’une authentique amitié entre homme et femme. Les arguments sur ce sujet rebattu ne sont pas d’une folle originalité mais cela donne lieu à d’amusantes descriptions de ce qu’on n’appelait pas encore friendzone :

« Considérez d’autre part que rien n’est si utile aux femmes que d’avoir à leurs ordres, sous le nom d’amis, des hommes qui leur sont à la fois commodes et indifférents, qui leur rendent mille services, qui débrouillent pour elles toutes les difficultés pratiques et qu’on paye avec des sourires dont rien de positif ne suit jamais la douceur. Mais venons au principal : ces amitiés caressent l’amour-propre de ceux qui les forment, non seulement des femmes, mais même des hommes. Oui, mon cher, il y a des hommes à la fois si modestes et si vains qu’ils sont flattés d’être les amis des femmes, de se montrer avec elles, de pendre à leur présence comme des breloques : avouez qu’on ne saurait être fat à meilleur marché. Ils endossent la veste grisâtre du confident avec le même orgueil que si c’était l’habit galonné du jeune premier et se pavanent sous cette triste livrée. Quant aux femmes, c’est à très juste titre qu’elles s’enorgueillissent d’avoir beaucoup d’hommes autour d’elles. Ces amis qu’elles rassemblent prouvent à la fois le pouvoir de leurs charmes et la fermeté de leur vertu, car vous n’ignorez pas qu’elles les présentent comme autant d’amoureux domptés, désarmés, aplatis, et réduits à servir sans manifester aucune exigence. […] Ainsi leurs amis servent à leur gloire. Mais ils ont une utilité plus profonde encore. Les femmes ont besoin d’en être entourées pour garder confiance en elles et pour essayer innocemment sur eux les moyens qu’elles exerceront dans l’amour. […]

Voici un soupirant fastidieux, qui ne leur plaît en rien, auxquelles elles sont bien décidées à ne jamais rien accorder. Croyez-vous qu’elles vont le laisser-aller ? Que non ! Elles le conserveront dans la chambre froide de l’amitié. […]

Les femmes estiment leurs amis, cela va de soi. Comment n’apprécierions-nous pas ceux qui nous admirent ? Comment ne trouverions-nous pas qu’ils ont le goût excellent ? En louant les qualités de leur esprit, nous relevons d’autant la valeur du suffrage qu’ils nous donnent. mais qu’au fond d’elles-mêmes, dans les régions sincères et primitives de l’instinct, elles puissent faire vraiment cas de leurs amis, c’est ce que je ne crois pas : elles resteront  toujours surprises et comme déçues de voir qu’ils se contentent de ce qu’elles leur donnent.  Car si les femmes méprisent ostensiblement les hommes qui, dans leurs rapports avec elles, ne pensent qu’au physique, j’ai bien peur qu’elles ne méprisent secrètement ceux qui n’y pensent pas. […] Je crois même […] que ce qui plaît le plus à certaines, dans ces amitiés, c’est la victoire qu’elles remportent sur l’homme et l’humiliation qu’elles lui infligent. […]

Les amis des femmes ressemblent à ces vieux officiers de l’ancien régime à qui les plus longs services ne valaient jamais que des grades subalternes et qui se voyaient toujours supplantés par des colonels qu’improvisait la faveur. Ces hommes assidus et discrets sont nécessaires aux femmes pour leur donner des preuves permanentes de leur pouvoir et les empêcher de douter d’elles. Mais, entourées de leurs soins, de leurs égards et de leurs respects, elles rêvent à toute autre chose : une femme attend, parmi ses amis, un homme qui ne sera pas comme eux. »

ibid. p. 79 – 82

Aliénation artistique

28 mercredi Juil 2021

Posted by patertaciturnus in Lectures

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aliénation, art, Goethe

« Lorsque nous examinons de près la destinée de l’artiste, et même celle de l’artisan, nous reconnaissons qu’il n’est pas permis à l’homme de s’approprier un objet quelconque, pas même celui qui semble lui appartenir de droit, puisqu’il émane de lui. Ses œuvres l’abandonnent comme l’oiseau abandonne le nid où il est éclos.

Sous ce rapport la destinée de l’Architecte est la plus cruelle de toutes. Il consacre une partie de son existence et toutes les ressources de son génie à construire et à décorer un édifice ; mais dès qu’il est achevé, il en est banni. C’est à lui que les rois doivent la magnificence et la pompe imposante des salles de leurs palais ; et, cependant, ils ne lui permettent pas de jouir de l’effet merveilleux de son œuvre. Dans les temples, une limite infranchissable l’exile du sanctuaire dont la beauté imposante est son ouvrage, et il lui est défendu de monter les marches qu’il a posées, de même que l’orfèvre ne peut adorer que de loin l’ostensoir qu’il a fabriqué de ses mains. En remettant aux riches la clef d’un palais terminé, il leur donne à jamais la jouissance exclusive de tout ce qu’il a pu inventer pour rendre la vie de tous les jours commode, agréable et brillante. L’art ne doit-il pas s’éloigner de l’artiste, puisque ses œuvres ne réagissent plus sur lui, et se détachent de lui comme la fille richement dotée se détache du père à qui elle doit cette dot ? Ces réflexions nous expliquent pourquoi l’art avait plus de puissance, lorsqu’il était presque entièrement consacré au public, c’est-à-dire, aux choses qui continuent à appartenir à l’artiste, parce qu’elles appartiennent à tout le monde. »

Goethe, Les affinités électives, IIe partie, chap. 3

Ne partez pas en vacances ! (4)

27 mardi Juil 2021

Posted by patertaciturnus in Lectures

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anthropologie, ethnocentrisme, Gérard Lenclud, voyage, voyageur

Vous êtes convaincus que vos voyages vous permettront de vous libérer de vos préjugés ?

Quelle naïveté !

Que ces considérations d’un anthropologue sur les récits de voyage servent donc à vous déniaiser  :

« En premier lieu, chacun admet que les voyageurs, ceux dont on ne soupçonne pas a priori la bonne foi et dont on concède qu’ils n’ont pas raconté dans le seul but de se rendre intéressants, ne sauraient avoir vu, ce qui s’appelle vu, comme ils étaient, les êtres et les peuples qu’ils ont observés et décrits. On pense ici à ces êtres dont l’humanité était reconnue, évidemment pas à ces créatures museau de chien, à dents de loup, exhibant sur la poitrine des yeux et une bouche ou encore à cette nation d’hermaphrodites dont l’existence supposée captiva un moment les Européens. Au demeurant, Charles Darwin n’observa-t-il pas en Patagonie les hommes ayant l’écume aux lèvres sitôt qu’ils se mettaient à parler ? Or les marins ne souffraient pas de troubles oculaires, ni les naturalistes ; les missionnaires et les aventuriers n’avaient pas de déficiences auditives. Rétines et tympans, à moins d’être détraqués, sont des organes qui ne se trompent pas. Le miroir physiologique reflète ; il va de soi qu’il n’ajoute pas une queue à les humains ni des flots d’écume à une bouche. Force est donc le considérer que ces voyageurs se sont « trompés ». Nous n’en boutons pas une seconde ; nous le savons de source aussi sûre qu’il est possible bien que d’origine non sensorielle. C’est pour­quoi, lisant leurs récits, nous procédons à un décodage, ainsi que s’y emploie un lecteur de L’Humanité lisant des pages du Figaro, quoique selon une critique des sources moins automatisée. En d’autres termes, nous corrigeons leurs erreurs ; nous les expliquons ; nous rétablissons d’autorité, la nôtre, la référence des phrases de es voyageurs en traçant le portrait que nous estimons être le bon les êtres auxquels elles s’appliquent. Mieux même, nous opérons un classement parmi ces récits, mettant certains de leurs auteurs plus haut que d’autres au nom de la véridicité.

Si les voyageurs ont vu des choses qu’ils ne peuvent avoir vues, ‘est donc qu’ils n’étaient pas purement empiriques ; ils avaient derrière leurs yeux des formes de connaissance qui conditionnaient les produits de leur vision. Un « vrai de signification » contaminait déjà leur « vrai d’expérience ». Le sociologue Célestin Bouglé n’aurait perçu là nul mystère, qui remarquait que l’intelligence humaine est ainsi faite qu’elle ne peut guère constater sans essayer de comprendre. […]

Passons rapidement sur un point qui est pourtant fondamental : rien ne tombe sous les sens, fussent-ils ceux d’un naturaliste. L’obser­vation requiert l’attention, donc l’éveil de l’intérêt ; et l’attention ne naît pas au seul contact du monde. Bernard Lewis en fait la démonstration en se penchant sur ce que virent de l’Europe les voyageurs en provenance des pays d’Islam, c’est-à-dire à peu près rien (à nos yeux, s’entend). La seule chose qui les étonne, et qui donc retient leur attention, est l’étonnement qu’eux-mêmes suscitent sur leur passage. Ces voyageurs n’éprouvent aucune curiosité à l’égard de ce qui s’offre à leur regard. Ils ne mettent donc aucune ardeur à observer et, faute de ressentir de l’intérêt, ne songent même pas, à l’instar, des voyageurs européens du XVIIe siècle, à se rendre intéressants au travers de leurs écrits. C’est qu’au musulman, écrit Lewis, l’Europe paraît décidément bien terne, sans relief ni couleurs, à la différence de la Chine, de l’Inde ou de l’Afrique, ces contrées pour lui vraiment exotiques. Rien n’attire ici son regard. Il n’a évidemment pas l’idée de se dire que, peut-être, il y a des choses à voir qu’il ne voit pas ; ce qu’on ne voit pas, on ne sait pas qu’on ne le voit pas. L’œil de l’Ottoman, par exemple, se contente de vérifier, comme machinalement, l’exactitude des stéréotypes formant l’essentiel de sa grille cognitive. L’Anglais n’a pas de religion ni le Français d’âme ; le Russe est pervers et l’Allemand impitoyable ; le Hongrois se déplace comme un Tatar : il se lave avec de l’eau et non point avec son urine comme l’Autrichien. Jorge Luis Borges faisait remarquer que l’histoire des temps passés est davantage habitée par des archétypes que par des individualités ; il peut en être de même du spectacle offert par le présent lorsque l’œil en prend une vision cavalière (et même, parfois, attentive).

Il faudra attendre le XIXe siècle pour que cela change et qu’en Orient, si tant est que l’Orient ne soit pas une invention des orien­talistes, l’Europe intéresse. L’orientalisme était depuis longtemps une institution sur le vieux continent et l’Orient, jugé passionnant, était parcouru, observé, raconté, discuté et, peut-être, dit-on cou­ramment aujourd’hui, construit de toutes pièces…

Gérard Lenclud, L’universalisme ou le pari de la raison, p. 71 – 74

Giunta vaga biltà

25 dimanche Juil 2021

Posted by patertaciturnus in Non classé

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Peut-on être un bon ami sans avoir d’ami ?

24 samedi Juil 2021

Posted by patertaciturnus in Perplexités et ratiocinations

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Abel Bonnard, amitié, Fernando Pessoa, Jean-Paul Sartre

« Un ami est un compagnon de noblesse. Il nous aide à atteindre la plus haute expression de notre nature, comme nous l’aidons à parvenir au même but. C’est le drame et la beauté de ces sentiments que nous ne pourrons rencontrer de véritables amis qu’à la hauteur où nous risquons de devenir seuls, et l’on ne saurait, en effet, donner une plus forte idée des jouissances héroïques de l’amitié qu’en disant qu’elles consistent à respirer à deux l’air sublime de la solitude. »

Abel Bonnard, L’amitié

Nous avons déjà rencontré  chez Pétrarque cette idée apparemment paradoxale que l’amitié consiste à jouir à deux de la solitude.  On pourrait se demander si soutenir que la véritable amitié est une relation à deux et que la « bande de potes » est une forme dégradée de l’amitié ne revient pas à aligner l’amitié sur l’amour. Mais ce n’est pas cette possible implication du propos de Bonnard que je souhaite examiner aujourd’hui. Ce qui m’occupera, c’est cet autre paradoxe du propos de Bonnard que rechercher la véritable amitié c’est s’exposer à la solitude.  On comprend aisément que c’est là une conséquence de l’aristocratisme de la conception que Bonnard se fait de l’amitié : c’est parce que la véritable amitié est chose rare qu’on s’expose à la solitude en en refusant les contrefaçons. Mais que penser d’une conception si exigeante de l’amitié qu’elle nous condamnerait à ne pas avoir d’amis ? Confronté à cette même déconnexion entre « savoir être ami » et « avoir des amis », Bernardo Soares (l’hétéronyme de Pessoa dans le Livre de l’intranquillité) est ainsi conduit à se demander si sa conception de l’amitié n’est pas un mirage.

« J’ai possédé un certain talent pour l’amitié, mais je n’ai jamais eu  d’amis, soit qu’ils m’aient déçus, soit que ma conception de l’amitié ait été une erreur de mes rêves. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l’intranquillité, §.319

Si la conception bonnardienne de l’amitié peut être un leurre, on peut aussi envisager quelle fonctionne sur le mode de la consolation : je n’ai pas d’amis certes, mais c’est parce que moi je ne veux que de vrais amis. Je vaux mieux que ce que j’ai. Il vaut la peine de rappeler la critique qu’adresse Sartre à ce type de consolation (c’est peut-être plus l’essentialisme du propos de Bonnard qui serait en jeu que son aristocratisme).

« D’après ceci, nous pouvons comprendre pourquoi notre doctrine [l’existentialisme] fait horreur à un certain nombre de gens. Car souvent ils n’ont qu’une seule manière de supporter leur misère, c’est de penser : “Les circonstances ont été contre moi, je valais beaucoup mieux que ce que j’ai été ; bien sûr, je n’ai pas eu de grand amour, ou de grande amitié, mais c’est parce que je n’ai pas rencontré un homme ou une femme qui en fussent dignes, je n’ai pas écrit de très bons livres, c’est parce que je n’ai pas eu de loisirs pour le faire; je n’ai pas eu d’enfants à qui me dévouer, c’est parce que je n’ai pas trouvé l’homme avec lequel j’aurais pu faire ma vie. Sont restées donc, chez moi, inemployées et entièrement viables, une foule de dispositions, d’inclinations, de possibilités qui me donnent une valeur que la simple série de mes actes ne permet pas d’inférer.” Or, en réalité, pour l’existentialiste, il n’y a pas d’amour autre que celui qui se construit, il n’y a pas de possibilité d’amour autre que celle qui se manifeste dans un amour; il n’y a pas de génie autre que celui qui s’exprime dans des œuvres d’art : le génie de Proust c’est la totalité des œuvres de Proust; le génie de Racine c’est la série de ses tragédies, en dehors de cela il n’y a rien; pourquoi attribuer à Racine la possibilité d’écrire une nouvelle tragédie, puisque précisément il ne l’a pas écrite? Un homme s’engage dans sa vie, dessine sa figure, et en dehors de cette figure il n’y a rien. Évidemment, cette pensée peut paraître dure à quelqu’un qui n’a pas réussi sa vie. Mais d’autre part, elle dispose les gens à comprendre que seule compte la réalité, que les rêves, les attentes, les espoirs permettent seulement de définir un homme comme rêve déçu, comme espoirs avortés, comme attentes inutiles; c’est-à-dire que ça les définit en négatif et non en positif; cependant quand on dit, cela n’implique pas que l’artiste sera jugé uniquement d’après ses œuvres d’art; mille autres choses contribuent également à le définir. Ce que nous voulons dire, c’est qu’un homme n’est rien d’autre qu’une série d’entreprises, qu’il est la somme, I’organisation, I’ensemble des relations qui constituent ces entreprises. »

Jean-paul Sartre, L’exitentialisme est un humanisme

Duo d’amour

23 vendredi Juil 2021

Posted by patertaciturnus in Lectures

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amour, bonheur, Paul Valéry

DUO D’AMOUR
— Que fais-tu là ? Ton expression est assez douloureuse, et ton regard semble chercher tout autre chose que ce qui est et que moi-même.
— Je travaille à me sentir heureux.

Paul Valéry, Mauvaises pensées

Du lard ou du cochon ?

22 jeudi Juil 2021

Posted by patertaciturnus in devinette

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hostilité, humanisme

Une trouvaille récente dans une boite à livre me donne l’occasion d’une petite devinette. Si vous deviez déterminer l’auteur du texte ci-dessous, quel nom proposeriez vous ? Répondez sans tricher puis allez découvrir la réponse avec votre moteur de recherche favori.

« L’hostis peut être anéanti, mais l’hostilité, en tant que sphère, ne peut être réduite à rien. L’humaniste impérial, celui qui se flatte que «rien de ce qui est humain ne lui est étranger», nous rappelle seulement quels efforts lui furent nécessaires pour se rendre à ce point étranger à lui-même. »

Ne partez pas en vacances ! (3)

22 jeudi Juil 2021

Posted by patertaciturnus in 7e art

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Eric Rohmer

– Aujourd’hui mademoiselle, 90% des fléaux du monde moderne nous viennent de la folie de déplacement des hommes et des marchandises !

L’arbre, le maire et la médiathèque

Partage

21 mercredi Juil 2021

Posted by patertaciturnus in Aphorisme du jour, Divers vers

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incommunicabilité, René Char

On ne partage pas ses gouffres avec autrui, seulement ses chaises.

René Char, Tous partis, in Fenêtres dormantes et portes sur le toit

*

Soit, mais par cet aphorisme, Char nous partage-t-il un de ses gouffres ou l’une de ses chaises ? Cet aphorisme, on l’aura compris, s’expose au même paradoxe que toutes les tentatives de communiquer à autrui le sentiment de l’incommunicabilité entre les êtres.

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