Une trouvaille récente dans une boite à livre me donne l’occasion d’une petite devinette. Si vous deviez déterminer l’auteur du texte ci-dessous, quel nom proposeriez vous ? Répondez sans tricher puis allez découvrir la réponse avec votre moteur de recherche favori.
« L’hostis peut être anéanti, mais l’hostilité, en tant que sphère, ne peut être réduite à rien. L’humaniste impérial, celui qui se flatte que «rien de ce qui est humain ne lui est étranger», nous rappelle seulement quels efforts lui furent nécessaires pour se rendre à ce point étranger à lui-même. »
Ceci n’est ni un indice, ni de la propagande électorale
Les devinettes que je propose n’ont pas grand succès en raison de mon nombre restreint de lecteurs, mais je ne me résigne pas pour autant.
Quel est l’auteur du vigoureux plaidoyer ci-dessous en faveur de l’idée qu’un bon gouvernement doit s’attacher à entretenir la vertu des citoyens ?
« Si nous nous interrogeons sur les causes et les conditions d’un bon gouvernement dans tous les sens du terme, du plus modeste au plus élevé, nous voyons que la cause ou condition principale, celle qui transcende toutes les autres, réside dans les qualités des êtres humains qui composent la société sur laquelle s’exerce le gouvernement.
Nous pouvons prendre, en premier exemple, la façon dont la Justice est rendue. Cet exemple est d’autant plus approprié qu’il n’existe aucune autre affaire publique où la simple machinerie, les règles et les dispositifs guidant le détail des opérations aient une importance aussi vitale. Pourtant, mêmes ces éléments ne sont pas aussi fondamentaux que les qualités des agents humains employés. Quelle peut bien être l’efficacité des règles de procédure pour garantir la réalisation des fins de la justice si la condition morale du peuple est telle que les témoins mentent la plupart du temps et que les juges et leurs subordonnés acceptent des pots-de-vin ? En outre, comment les institutions peuvent-elles fournir une bonne administration locale si l’indifférence est telle qu’il est impossible d’inciter les personnes honnêtes et compétentes à se mettre au service de la communauté et que les responsabilités échoient à ceux qui ne les prennent en charge que pour défendre un intérêt privé ? A quoi cela sert-il d’avoir un système représentatif aussi largement populaire que possible si les électeurs ne se soucient aucunement de choisir le meilleur député mais se contentent de choisir celui qui va consacrer le plus d’argent à se faire élire? Comment une assemblée représentative peut-elle œuvrer pour le bien si ses membres peuvent être achetés ou si leur tempérament nerveux, non corrigé par la discipline publique ou le sang-froid individuel, les rend incapables de délibérer calmement et qu’ils en viennent aux mains ou qu’ils se tirent dessus à coups de carabine dans l’enceinte du Parlement? De plus, comment un gouvernement, ou n’importe quelle affaire commune, peut-il être dirigé convenablement quand le peuple est tellement envieux que, si l’un de ses membres semble proche de réussir dans un domaine, ceux qui sont censés coopérer avec lui se liguent tacitement pour le faire échouer? Quand la disposition générale du peuple fait que chacun ne prend en compte que ses intérêts égoïstes et ne pense pas à la part qu’il a à l’intérêt général ou n’y prête aucune attention, alors un bon gouvernement est impossible. »
Deux choses remplissent mon esprit d’admiration et de crainte : les citations en grec de Vladimir Jankélévitch et les descriptions définies d’Auguste Comte. Une de ces dernières dernières me donnera l’occasion de proposer à mes lecteurs une devinette : quelle est la langue qu’évoque Comte à la fin du paragraphe ci-dessous ? Autrement dit, quelle est la langue qui a vocation à devenir la langue commune de tous les fidèles de la religion de l’Humanité (c’est-à-dire la religion qui doit, selon Comte, remplacer le culte de Dieu, quand la science se sera définitivement substitué au mode de penser théologique) ?
« Cet aperçu de la constitution sacerdotale [de la religion de l’Humanité] resterait incomplet si je n’indiquais la solution spontanée d’une grave difficulté, relative à l’extension nécessaire de la religion positive aux diverses parties de la planète humaine. Une langue commune devient, en effet, la condition naturelle de cette universalité, comme l’explique le quatrième chapitre du tome deuxième. Son institution préoccupa les principaux penseurs, depuis que la révolution occidentale suscita des aspirations décisives à la régénération finale. Mais l’esprit métaphysique fit méconnaître la spontanéité d’une telle construction, qui, nécessairement fondée sur l’élaboration populaire, ne peut résulter que de l’adoption unanime d’une langue existante. Entre les idiomes de l’Occident, cette universalité doit appartenir à celui que la poésie et la musique ont le mieux cultivé, quand les modifications convenables l’auront assez systématisé. Résulté du perfectionnement spontané de la langue propre aux meilleurs précurseurs de la sociabilité finale, il est le plus apte à lier dignement l’avenir au passé. Formé par la population la plus pacifique et la plus esthétique, seule pure de toute colonisation, il trouvera moins d’obstacles qu’aucun autre à la libre adoption que le sacerdoce positif devra lui procurer partout, en le consacrant au culte de l’humanité. »
Auguste Comte, Système de politique positive, Tome IV, chapitre I
Si cette devinette est trop facile pour vous, vous pouvez passer au niveau supérieur en essayant de deviner de quoi parle Hegel dans le texte cité à la fin de cet article.
« L’analyse grammaticale ! Mauvais souvenirs d’enfance. De mon temps, on en faisait beaucoup, et c’était très ennuyeux parce que chaque mot exigeait plusieurs lignes d’écriture où les mêmes formules se répétaient sans cesse avec une désespérante monotonie. Mais ces formules étaient abstraites et ne disaient rien à l’esprit des enfants. Je crois que la plupart des élèves des classes primaires finissent par y réussir, mais en se servant de règles empiriques ; pour eux, par exemple, le mot qui est avant le verbe, c’est le sujet, celui qui est après, c’est le régime direct, mais ils ne se rendent pas compte des véritables rapports que ces mots expriment. Il n’en est pas de même avec le thème et la version ; de semblables artifices ne sont plus de mise, l’élève doit remplacer les mots les uns par les autres, et mettre ces mots au cas convenable, ce qui l’oblige à réfléchir sur leurs rapports mutuels. Ce ne sont plus d’ailleurs des formules abstraites qu’il manie, mais des mots dont chacun a sa physionomie propre, et qui sont encore un peu vivants. Pesez quel profit on tire d’un thème d’une page, et estimez d’autre part combien de feuille de papier il aurait fallu noircir si l’on avait voulu faire l’analyse grammaticale du texte de ce même thème. Cela permet de comparer le rendement des deux méthodes. C’est donc la pratique du thème et de la version qui nous apprendra à comprendre véritablement le sens des phrases et nous rendra par là aptes à nous en servir dans les raisonnements. […]
Avec les langues anciennes, à cause de la richesse de leurs flexions, des inversions fréquentes qui bouleversent l’ordre des mots, cet exercice est tout particulièrement profitable. D’ailleurs, […]depuis quelque temps on enseigne les langues modernes en proscrivant le thème et la version ; c’est ce que l’on appelle la méthode directe, et elle parait justifiée par d’assez grands avantages. Quoi qu’il en soit, depuis qu’elle est universellement pratiquée les langues modernes ne peuvent plus jouer le même rôle que les langues mortes au point de vue qui nous occupe. Et cela montre combien il serait absurde de vouloir appliquer la méthode directe au latin ; on n’apprend pas le latin pour parler le latin, comme si on avait à demander son chemin à un contemporain de Cicéron dans un carrefour de Suburre ; on apprend le latin pour l’avoir appris, parce qu’on ne peut l’apprendre sans se plier à une gymnastique utile, dont je viens de chercher à expliquer l’un des avantages. Le jour où l’on apprendra le latin par la méthode directe, il deviendra superflu de l’apprendre.
[…]
Mais ce n’est pas là le plus important. C’est au contact des lettres antiques que nous apprenons le mieux à nous détourner de ce qui n’a qu’un intérêt contingent et particulier, à ne nous intéresser qu’à ce qui est général, à aspirer toujours à quelque idéal. Ceux qui y ont goûté deviennent incapables de borner leur horizon ; la vie extérieure ne leur parle que de leurs intérêts d’un jour, mais ils ne l’écoutent qu’à moitié, ils ont hâte qu’on leur fasse voir autre chose, ils emportent partout la nostalgie d’une patrie plus haute… »
Ah, ces littéraires, que ne seraient ils pas prêts à raconter comme fadaises pour défendre leurs marottes… Heureusement que les praticiens des sciences dures sont là pour nous ramener à la raison :
« Car, si une littérature doit servir à faire connaître une civilisation, la connaissance de la langue dans laquelle cette littérature est écrite peut encore être utile, mais n’est plus nécessaire. Il est bon de posséder cette langue, parce qu’on peut ainsi approcher de plus près les idées que l’on veut atteindre; mais, du moment où il ne s’agit plus essentiellement d’en faire goûter la valeur esthétique, une traduction peut, dans une large mesure, et surtout pour cette première initiation générale du collège, tenir lieu du texte. C’est ainsi qu’on peut concevoir que l’enseignement secondaire atteigne une des fins principales qu’il a toujours poursuivies, sans imposer pour autant l’étude des deux langues anciennes. Une étude des civilisations et des littératures de l’Antiquité ainsi comprise produira à peu près les mêmes effets que si la langue grecque et la langue latine étaient enseignées.
[…]
Mais, si c’est grâce au langage que la distinction et l’organisation logique se sont introduites dans l’esprit, l’étude des langues est évidemment le meilleur moyen d’habituer l’enfant à distinguer et à organiser logiquement les idées. C’est en le faisant réfléchir sur les mots et les sens, et sur les formes grammaticales, qu’on peut le mieux l’exercer à voir clair dans sa pensée, c’est-à-dire à en apercevoir les parties et les rapports. Et c’est là, en effet, le grand service qu’ont rendu ces exercices de langue qui tiennent encore tant de place dans nos classes. Il n’est pas douteux que, sous ce rapport, les langues anciennes présentent des avantages particuliers. Précisément parce que les peuples anciens sont loin de nous, dans le temps, ils avaient une manière d’analyser leur pensée très différente de la nôtre, et c’est cette différence même qui faisait du latin et du grec un stimulant exceptionnellement efficace à cette forme spéciale de réflexion. […] Ce n’est pas pourtant que le latin et le grec soient irremplaçables. On peut trouver à ces exercices classiques d’utiles substituts. Quoi qu’on en ait dit, je ne crois pas qu’il faille trop compter pour cela sur les langues vivantes ; d’abord pour les raisons que je viens d’indiquer, savoir la parenté de ces langues avec la nôtre. Et puis parce que l’emploi de la méthode directe rejette au second plan la version et le thème et, par définition, en quelque sorte, exclut presque les exercices de transposition. Mais ce qui serait possible, c’est d’instituer délibérément des exercices méthodiques et répétés de vocabulaire. Pourquoi ne pas dresser l’enfant à se rendre perpétuellement compte du sens des mots qu’il emploie ? Il faudrait, en quelque sorte, l’amener à définir à chaque âge les termes de son vocabulaire, l’inciter sans cesse, par tous les moyens, a prendre conscience de ses idées. Ces exercices, d’ailleurs, gagneraient à ne pas se faire au hasard ; les mots sur lesquels on appellerait son attention pourraient être groupés rationnellement, suivant leurs rapports étymologiques, ou suivant leurs rapports de sens, suivant les cas. Car il faut employer toutes les combinaisons. Toute une discipline, dont je me borne à indiquer le principe, est à instituer en vue de ce but même, dont on pourrait atteindre les meilleurs fruits, si elle était appliquée avec suite et méthode. »
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Mes chers lecteurs, je vous laisse jouer aux devinettes pour identifier les auteurs de ces textes. Faites vos hypothèses puis consultez saint Google pour obtenir la réponse.
Petite devinette : quand et par qui a été écrit le texte ci-dessous?
« Mais les pièces de théâtre étant devenues une marchandise comme une autre, ils [les auteurs] disent , et c’est bien vrai, que les acteurs ne les leur achèteront que si elles sont fabriquées au goût du jour. Aussi le poète fait-il de son mieux pour répondre aux exigences de celui qui le paie. »