En contrepoint de l’extrait du salon de 1767 que je citais dimanche denier, je vous propose un autre texte de Diderot qui invoque, de nouveau, les fesses et les tétons de la Vierge. L’hétérogénéité esthétique du christianisme et du paganisme qu’établissait le deuxième extrait cité la semaine dernière est ici présupposée. Le propos de Diderot est ici d’affirmer la supériorité esthétique du paganisme qui permet de lier spiritualité et sensualité.
« Si notre religion n’était pas une triste et plate métaphysique ; si nos peintres et nos statuaires étaient des hommes à comparer aux peintres et aux statuaires anciens (j’entends les bons ; car vraisemblablement ils en ont eu de mauvais, et plus que nous, comme l’Italie est le lieu où l’on fait le plus de bonne et de mauvaise musique) ; si nos prêtres n’étaient pas de stupides bigots ; si cet abominable christianisme ne s’était pas établi par le meurtre et par le sang ; si les joies de notre paradis ne se réduisaient pas à une impertinente vision béatifique de je ne sais quoi, qu’on ne comprend ni n’entend ; si notre enfer offrait autre chose que des gouffres de feux, des démons hideux et gothiques, des hurlements et des grincements de dents ; si nos tableaux pouvaient être autre chose que des scènes d’atrocité, un écorché, un pendu, un rôti, un grillé, une dégoûtante boucherie ; si tous nos saints et nos saintes n’étaient pas voilés jusqu’au bout du nez, si nos idées de pudeur et de modestie n’avaient proscrit la vue des bras, des cuisses, des tétons, des épaules, toute nudité ; si l’esprit de mortification n’avait flétri ces tétons, amolli ces cuisses, décharné ces bras, déchiré ces épaules ; si nos artistes n’étaient pas enchaînés et nos poètes contenus par les mots effrayants de sacrilège et de profanation ; si la vierge Marie avait été la mère du plaisir, ou bien, mère de Dieu, si c’eût été ses beaux yeux, ses beaux tétons, ses belles fesses, qui eussent attiré l’Esprit–Saint sur elle, et que cela fût écrit dans le livre de son histoire ; si l’ange Gabriel y était vanté par ses belles épaules ; si la Madeleine avait eu quelque aventure galante avec le Christ ; si, aux noces de Cana, le Christ entre deux vins, un peu non–conformiste, eût parcouru la gorge d’une des filles de noce et les fesses de saint Jean, incertain s’il resterait fidèle ou non à l’apôtre au menton ombragé d’un duvet léger : vous verriez ce qu’il en serait de nos peintres, de nos poètes et de nos statuaires ; de quel ton nous parlerions de ces charmes, qui joueraient un si grand et si merveilleux rôle dans l’histoire de notre religion et de notre Dieu ; et de quel œil nous regarderions la beauté à laquelle nous devrions la naissance, l’incarnation du Sauveur, et la grâce de notre rédemption.
Nous nous servons cependant encore des expressions de charmes divins, de beauté divine : mais, sans quelque reste de paganisme, que l’habitude avec les anciens poètes entretient dans nos cerveaux poétiques, cela serait froid et vide de sens. »
Denis Diderot, Essai sur la peinture