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« La vie des adultes est stupide. L’unique exception à mes yeux, dans ce puits de bêtise, c’étaient les hommes qui méprisaient à la fois les chiffres sur les billets de banque, le fait de prendre la main des femmes qui ont les yeux comme des prunes mouillées, et l’alcool — autrement dit, les ascètes de leur propre manie, qui sautent du lit à quatre heures du matin pour observer les oiseaux ou qui courent dans les prés, avec un filet à papillons. L’aventure d’un professeur d’entomologie, que j’avais lue quelque part, me fit extraordinairement plaisir. Il devait se marier et la jeune promise, en robe de mariée, tambourinait nerveusement avec ses doigts, car l’heure avait sonné où il fallait se rendre à la cérémonie, et le jeune marié ne venait pas. Un quart d’heure, une demi-heure. Enfin, on se lança à sa recherche. On le découvrit en haut d’un arbre. En habit, il écartait bizarrement les jambes et, dans cette position inconfortable, il s’efforçait de recouvrir, avec son chapeau haut-de-forme, une variété rare de hanneton. La demoiselle, au milieu des cris, des pleurs, en se pressant dans les bras de sa maman, rompit ; le héros, digne (je le pense aujourd’hui encore) du plus grand respect, resta vieux garçon ; il ne trahit pas notre communauté de cœurs ardents. J’étais persuadé que l’intérêt que les hommes portent aux femmes est très suspect et rappelle l’ivrognerie. Si le spectacle d’un homme ivre provoque le dégoût, pourquoi l’homme qui abandonne les affaires importantes, par exemple l’étude des atlas de sciences naturelles, pour se transformer soudain en singe et faire des mines idiotes à une oie qui ne connaît rien aux noms latins des animaux et des plantes, ne mériterait-il pas notre mépris ? »
Czeslaw Milosz, L’immoralité de l’art, p. 52 – 53
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