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31 jeudi Oct 2019
Posted Fantaisie, Paroles et musiques
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30 mercredi Oct 2019
Posted Divers vers
in« Warum ist Wahrheit fern und weit?
Birgt sich hinab in tiefste Gründe? »
Niemand versteht zur rechten Zeit!
Wenn man zur rechten Zeit verstünde.
So wäre Wahrheit nah und breit
Und wäre lieblich und gelinde.
Goethe, West-östlicher Diwan
*
« Pourquoi la vérité est-elle si lointaine?
Et se cache-t-elle dans les plus profonds abîmes? »
Personne ne comprend au bon moment.
Si l’on comprenait au bon moment,
La vérité s’étalerait largement et toute proche
Et serait aimable et douce.
trad. H. Lichtenberger
28 lundi Oct 2019
Posted Lectures
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« Les autres, du reste, sont de deux espèces. Les uns, gardiens de l’ordre : « dans vos poèmes – ce que vous voulez, seulement conduisez-vous bien dans la vie » ; les seconds (les esthètes) : « Tout ce que vous voulez dans la vie – seulement écrivez de bons poèmes. »
Marina Tsvétaïeva, brouillon d’une lettre à Ehrenbourg du 3 juin 1922, cité dans Vivre dans le feu, p. 219art
27 dimanche Oct 2019
Posted Divers vers
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Alles habend alles wissend seufzen sie:
« Karges leben! drang und hunger überall!
Fülle fehlt! »
Speicher weiss ich über jedem haus
Voll von korn das fliegt und neu sich häuft –
Keiner nimmt …
Keller unter jedem hof wo siegt
Und im sand verströmt der edelwein –
Keiner trinkt …
Tonnen puren golds verstreut im staub:
Volk in lumpen streift es mit dem saum –
Keiner sieht.
Stefan George, Der Stern des Bundes
Ils ont tout possédé, tout su mais ils soupirent :
« Jours indigents ! Partout le besoin et la soif!
Nulle abondance! »
Je connais des greniers sous chacun de vos toits
Plein de blé qui s’envole et de nouveau s’entasse –
Nul ne prend …
Et sous chaque demeure un cellier où s’épanche
Un vin fort dont le flot se tarit dans le sable
Nul ne boit …
Et des tonnes d’or pur dans la poussière
Qu’une foule en haillon frôle de ses manteaux
Nul ne voit.
Stefan George, L’étoile de l’alliance
trad. Maurice Boucher
25 vendredi Oct 2019
Posted Lectures
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Aujourd’hui, petit florilège de citations de La condition de l’homme moderne d’Hannah Arendt, en guise de réponse à la question : se libérer du travail, d’accord, mais pour quoi faire ?
« L’important n’est pas que, pour la première fois dans l’Histoire, les travailleurs soient admis en pleine égalité de droits dans le domaine public : c’est que nous ayons presque réussi à niveler toutes les activités humaines pour les réduire au même dénominateur qui est de pourvoir aux nécessités de la vie et de produire l’abondance. Quoique nous fassions nous sommes censés le faire pour « gagner notre vie » ; tel est le verdict de la société, et le nombre de gens, des professionnels en particulier, qui pourraient protester a diminué très rapidement. La seule exception que consente la société concerne l’artiste qui, à proprement parler, est le dernier « ouvrier » dans une société du travail. La même tendance à rabaisser toutes les activités sérieuses au statut du gagne-pain se manifeste dans les plus récentes théories du travail, qui, presque unanimement, définissent le travail comme le contraire du jeu. En conséquence, toutes les activités sérieuses quels qu’en soient les résultats, reçoivent le nom de travail et toute activité qui n’est nécessaire ni à la vie de l’individu ni au processus vital de la société est rangée parmi les amusements.
Dans ces théories qui, en répercutant au niveau théorique l’opinion courante d’une société de travail, la durcissent et la conduisent à ses extrêmes, il ne reste même plus l' »œuvre » de l’artiste : elle se dissout dans le jeu, elle perd son sens pour le monde. On a le sentiment que l’amusement de l’artiste remplit la même fonction dans le processus vital de travail de la société que le tennis ou les passe-temps dans la vie de l’individu. L’émancipation du travail n’a pas abouti à son égalité avec les autres activités de la vita activa, mais à sa prédominance à peu près incontestée. Au point de vue du « gagne-pain » toute activité qui n’est pas liée au travail devient un « passe temps ». »
Hannah Arendt, La condition de l’homme moderne, 176 -178, Calmann-Lévy, 1983,
« Il va sans dire que ces loisirs tels qu’on les conçoit aujourd’hui ne sont pas du tout la skholè antique, qui n’était pas un phénomène de consommation, étalée ou non, et ne résultait pas d’un « temps libre » pris sur le travail, puisqu’il s’agissait au contraire d’une « abstention » consciente de toutes les activités liées à l’existence, activité de consommation tout autant qu’activité de travail. La pierre de touche de cette skholè, par opposition à l’idéal moderne des loisirs, est la frugalité bien connue, souvent décrite, de la vie des Grecs à l’époque classique. »
ibid. p. 182
« L’évolution de ces dernières années, en particulier les perspectives qu’ouvrirait le progrès de l’ « automatisation », font que l’on peut se demander si l’utopie d’hier ne sera pas la réalité de demain, et si un jour l’effort de consommation ne sera pas tout ce qui restera des labeurs et des peines inhérents au cycle biologique dont le moteur enchaîne la vie humaine. […] Une consommation sans peine ne changerait rien au caractère dévorant de la vie biologique, elle ne ferait que l’accentuer : finalement une humanité totalement « libérée » des entraves de l’effort et du labeur serait libre de « consommer » le monde entier et de reproduire chaque jour tout ce qu’elle voudrait consommer. »
ibid. p.181 – 182
« L’espoir qui inspira Marx et l’élite des divers mouvements ouvriers — le temps libre délivrant un jour les hommes de la nécessité et rendant productif l’animal laborans — repose sur l’illusion d’une philosophie mécaniste qui assume que la force de travail, comme toute autre énergie, ne se perd jamais, de sorte que si elle n’est pas dépensée, épuisée dans les corvées de la vie, elle nourrira automatiquement des activités « plus hautes». Le modèle de cette espérance chez Marx était sans aucun doute l’Athènes de Périclès qui, dans l’avenir, grâce à la productivité immensément accrue du travail humain, n’aurait pas besoin d’esclaves et deviendrait réalité pour tous les hommes. Cent ans après Marx, nous voyons l’erreur de ce raisonnement: les loisirs de l’animal laborans ne sont consacrés qu’à la consommation, et plus on lui laisse de temps, plus ses appétits deviennent exigeants, insatiables. Ces appétits peuvent devenir plus raffinés, de sorte que la consommation ne se borne plus aux nécessités mais se concentre au contraire sur le superflu: cela ne change pas le caractère de cette société, mais implique la menace qu’éventuellement aucun objet du monde ne sera à l’abri de la consommation, de l’anéantissement par la consommation.
ibid. p.184
« C’est l’avènement de l’automatisation qui, en quelques décennies, probablement videra les usines et libérera l’humanité de son fardeau le plus ancien et le plus naturel, le fardeau du travail, l’asservissement à la nécessité. Là, encore, c’est un aspect fondamental de la condition humaine qui est en jeu, mais la révolte, le désir d’être délivré des peines du labeur, ne sont pas modernes, ils sont aussi vieux que l’histoire. Le fait même d’être affranchi du travail n’est pas nouveau non plus ; il comptait jadis parmi les privilèges les plus solidement établis de la minorité. À cet égard, il semblerait qu’on s’est simplement servi du progrès scientifique et technique pour accomplir ce dont toutes les époques avaient rêvé sans jamais pouvoir y parvenir.
Cela n’est vrai toutefois qu’en apparence. L’époque moderne s’accompagne de la glorification théorique du travail et elle arrive en fait à transformer la société tout entière en une société de travailleurs. Le souhait se réalise donc, comme dans les contes de fées, au moment où il ne peut que mystifier. C’est une société de travailleurs que l’on va délivrer des chaînes du travail, et cette société ne sait plus rien des activités plus hautes et plus enrichissantes pour lesquelles il vaudrait la peine de gagner cette liberté. Dans cette société qui est égalitaire, car c’est ainsi que le travail fait vivre ensemble les hommes, il ne reste plus de classe, plus d’aristocratie politique ou spirituelle, qui puisse provoquer une restauration des autres facultés de l’homme. Même les présidents, les rois, les premiers ministres voient dans leurs fonctions des emplois nécessaires à la vie de la société, et parmi les intellectuels il ne reste que quelques solitaires pour considérer ce qu’ils font comme des œuvres et non comme des moyens de gagner leur vie. Ce que nous avons devant nous, c’est la perspective d’une société de travailleurs sans travail, c’est-à-dire privés de la seule activité qui leur reste. On ne peut rien imaginer de pire. »
ibid. p.37 – 38
25 vendredi Oct 2019
Posted Divers vers
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Non, l’amour n’est pas mort en ce cœur et ces yeux et cette bouche
qui proclamait ses funérailles commencées.
Écoutez, j’en ai assez du pittoresque et des couleurs et du charme.
J’aime l’amour, sa tendresse et sa cruauté.
Mon amour n’a qu’un seul nom, qu’une seule forme.
Tout passe. Des bouches se collent à cette bouche.
Mon amour n’a qu’un nom, qu’une seule forme.
Et si quelque jour tu t’en souviens
Ô toi, forme et nom de mon amour,
Un jour sur la mer entre l’Amérique et l’Europe,
À l’heure où le rayon final du soleil se réverbère sur la surface ondulée des vagues,
ou bien une nuit d’orage sous un arbre dans la campagne,
ou dans une rapide automobile,
Un matin de printemps boulevard Malesherbes,
Un jour de pluie,
À l’aube avant de te coucher,
Dis-toi, je l’ordonne à ton fantôme familier, que je fus seul à t’aimer davantage
et qu’il est dommage que tu ne l’aies pas connu.
Dis-toi qu’il ne faut pas regretter les choses : Ronsard avant moi
et Baudelaire ont chanté le regret des vieilles et des mortes
qui méprisèrent le plus pur amour.
Toi quand tu seras morte
Tu seras belle et toujours désirable.
Je serai mort déjà, enclos tout entier en ton corps immortel, en ton image étonnante
présente à jamais parmi les merveilles perpétuelles de la vie et de l’éternité,
mais si je vis
Ta voix et son accent, ton regard et ses rayons,
L’odeur de toi et celle de tes cheveux et beaucoup d’autres choses encore vivront en moi,
Et moi qui ne suis ni Ronsard ni Baudelaire,
Moi qui suis Robert Desnos et qui pour t’avoir connue et aimée,
Les vaux bien ;
Moi qui suis Robert Desnos, pour t’aimer
Et qui ne veux pas attacher d’autre réputation à ma mémoire sur la terre méprisable.
Robert Desnos, A la mystérieuse
23 mercredi Oct 2019
Posted Divers vers
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Petit florilège de vers tirés de Travailler fatigue de Cesare Pavese.
« […] Le stelle son vive,
ma non valgono queste ciliege, che mangio da solo. »
Mania di solitudine
« […] Les étoiles sont vivantes
mais elles ne valent pas ces cerises que je mange solitaire. »
Manie de solitude
*
« […] Ti ride negli occhi
la stranezza di un cielo che non è il tuo. »
Notturno
« […] Dans tes yeux rit
l’étrangeté d’un ciel qui ne t’appartient pas »
Nocturne
*
« […] La magra bambina che fui
si è svegliata da un pianto durato per anni:
ora è come quel pianto non fosse mai stato. »
Agonia
« […] L’enfant maigre que j’étais
s’est éveillé de pleurs qui ont duré des années :
Maintenant c’est comme si jamais ils n’avaient existé. »
Agonie
*
« Ogni cosa nel giorno s’increspa al pensiero
che la strada sia vuota, se non per lei. »
Paesaggio VII
« Chaque chose à la lumière du jour se voile à l’idée
que la rue, si ce n’est sa présence, est déserte. »
Paysage VII
*
« Quell’ignota straniera, che nuotava di notte
sola e nuda, nel buio quando muta la luna,
è scomparsa una notte e non torna mai piú.
Donne appasionate
« L’étrangère inconnue qui la nuit nageait seule,
toute nue dans le noir, au changement de lune,
une nuit a disparu et ne reviendra plus. »
Femmes passionnées
*
« È una gioia passare per strada, godendo
un ricordo del corpo, ma tutto diffuso d’intorno. »
Dopo
« C’est une joie de marcher dans la rue, en jouissant
d’un souvenir du corps, mais qui flotte alentour. »
Après
*
« Sono giovani i morti nel vivace ricordo. »
La vecchia ubriaca
« Les morts sont jeunes dans l’ardent souvenir. »
La vieille ivrogne
*
« […] Ogni viso contiene
come un frutto maturo un sapore andato. »
Paesaggio VIII
« […] Chaque visage enferme
pareil à un fruit mûr une saveur passée. »
Paysage VIII
*
» […] Dormire
per la strada dimostra fiducia nel mondo. »
Rivolta
« C’est faire confiance au monde que dormir dans la rue. »
Révolte
*
« Fin che queste colline saranno di terra,
i villani dovranno zapparle. […] »
Legna verde
« Tant que les collines seront faites de terre,
les paysans devront les piocher […] »
Bois vert
*
« Val la pena aver fame o esser stato tradito
dalla bocca piú dolce, pur di uscire a quel cielo
ritrovando al respiro i ricordi piú lievi. »
Paesaggio
« ça vaut la peine d’avoir été trahi par la plus douce bouche
ou bien d’être affamé, si l’on sort sous ce ciel
et qu’on retrouve en respirant les plus frêles souvenir. »
Paysage VI
22 mardi Oct 2019
Posted Berceuse du mardi
in
21 lundi Oct 2019
Posted Divers vers
inDas Leben ist ein Gänsespiel:
Je mehr man vorwärts gehet,
Je früher kommt man an das Ziel,
Wo niemand gerne stehet.
Man sagt, die Gänse wären dumm,
O, glaubt mir nicht den Leuten:
Denn eine sieht einmal sich ’rum,
Mich rückwärts zu bedeuten.
Ganz anders ist’s in dieser Welt,
Wo alles vorwärts drücket:
Wenn einer stolpert oder fällt,
Keine Seele rückwärts blicket.
Johann Wolfgang von Goethe, West-östlicher Diwan
*
La vie est un jeu de l’oie :
Plus on avance vite
Et plus tôt on est arrivé à un terme
Où nul ne reste volontiers planté.
Les oies, dit-on, seraient stupides ;
Oh! n’en croyez pas les gens;
Car l’oie parfois se retourne
Pour me signifier de reculer.
Il en va tout autrement dans ce monde,
Où chacun pousse en avant ;
Si quelqu’un trébuche ou tombe,
Pas une âme ne regarde en arrière.
trad. Henri Lichtenberger
20 dimanche Oct 2019
Posted Lectures
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« Louis de Bonald (1754-1840) est, selon Léon Brunschvicg, l’inventeur du « dogmatisme sociologique du XIXe siècle », c’est-à-dire de la thèse de la transcendance de la société par rapport à l’individu, ce que les adversaires de l’école de Durkheim appelleront le « sociologisme ». Une philosophie du langage est le fondement de cette théorie : « le langage est nécessaire, dans ce sens que la société humaine n’a pu exister sans le langage, pas plus que l’homme hors de la société[1]».
Selon Bonald, « l’être pensant s’explique par l’être parlant[2]». Le fait premier, constitutif, de l’humanité ne saurait se trouver dans l’individu, « ce fait est, ou me paraît être le don primitif et nécessaire du langage fait au genre humain. » (op. cit., p. 86)
De cette philosophie du langage découle une philosophie politique de la subordination de la raison à la tradition (Bonald a été l’un des principaux critiques de la Révolution française et le maître à penser du légitimisme tout au long du XIXe siècle). La raison en tant que capacité des individus ne peut opérer qu’en s’appuyant sur des vérités collectivement héritées à travers le langage et la révélation religieuse. Le « rationalisme » des Lumières et la Révolution française tournent le dos à cette condition nécessaire de la raison. Avec la Révolution, l’homme en tant que « simple individu »
aspire à détrôner la raison universelle pour faire régner à sa place la raison particulière, cette raison qu’il doit toute entière à la société, puisqu’elle lui a donné dans le langage, dont elle lui a transmis la connaissance, le moyen de toute opération intellectuelle, et le miroir, comme dit Leibnitz, dans lequel il aperçoit ses propres pensées. (op. cit., p. 111)
L’homme de 1789 « ressemble à celui qui voudrait s’enlever sans prendre au dehors aucun point d’appui, ou qui s’efforcerait de voir son œil sans miroir, et de connaître son tact en lui-même et sans l’appliquer à un corps[3]. » Selon Brunschvicg,
la solution sociologique donnée au problème de l’origine du langage implique la solution sociologique de l’origine de la pensée. Il n’y a point d’idée innée sans expression acquise. (…) Le primat du langage sur la raison confère à la thèse constitutive du sociologisme toute l’ampleur et toute la netteté que lui reconnaîtront plus tard Auguste Comte et Durkheim[4].
L’être pensant s’explique par l’être parlant : par conséquent, la raison n’est pas le propre de l’individu autonome, puisqu’elle ne peut opérer sans le médium de langage, c’est-à-dire du collectif, de quelque chose dont l’individu hérite sans l’avoir créé sur son propre fonds. Comment concilier l’autonomie de la raison avec l’hétéronomie du langage : ce problème mérite le nom de problème de Bonald. En effet, si Bonald l’a résolu d’avance par le traditionalisme catholique et la théorie du don du langage par Dieu, il a bel et bien posé un problème qui sera repris par la sociologie naissante et qui hante la critique du sujet au XIXe et au XXe siècles : nous n’avons pas le langage, c’est le langage qui nous a, nous devons donc abandonner ou réviser notre idéal de l’autonomie. Si le langage est constitutif de la pensée, de la réflexivité propre à l’homme, alors le sujet individuel est destitué de son autonomie, penser par soi-même ne peut être qu’une illusion, la conscience dont nous faisons un commencement n’est que le produit de la société.
Le problème de Bonald constitue une structure profonde des sciences de l’homme : le conflit entre primat du langage et primat de la raison est un dilemme inévitable, qui organise la pensée positive de l’homme. D’un côté en effet, les sciences de l’homme sont des sciences de l’action, qui doivent raisonner à partir de l’individu, de ses motifs, de l’autre, elles sont irrésistiblement portées à soumettre le jugement de l’individu aux déterminations du collectif.
On aura reconnu ici le clivage entre l’individualisme et le holisme. Karl Popper, le principal théoricien contemporain de l’individualisme méthodologique avait bien vu le problème, lorsqu’il dénonçait le « bourbier de la philosophie du langage ». La tradition individualiste méthodologique se défie en effet de l’importance excessive accordée au langage, parce qu’elle a besoin que la rationalité soit indépendante du langage, pour a) être toute entière dans l’individu et b) pouvoir être traitée objectivement, c’est-à-dire d’une façon idéalement universelle, « compréhensible par des Chinois » disait Max Weber, et non pas relativisée selon le contexte culturel ou le « schème conceptuel ». La question des rapports entre la pensée et le langage décide de la place du langage dans la définition de l’esprit d’un agent. La rationalité peut-elle être définie indépendamment du langage, ou bien est-elle dépendante de l’usage du langage ? Le problème du langage et de la raison n’est pas une question empirique qui pourrait être résolue par une science du comportement humain, qui dirait, par observations et hypothèses, ce que sont la raison et le langage humains, et si la rationalité est indépendante ou non du langage en vigueur dans une communauté donnée, mais une question conceptuelle, relevant de ce que ‘Wittgenstein appelait la clarification philosophique. »
Philippe de Lara, L’expérience du langage – Wittgenstein philosophe de la subjectivité, Ellipses 2005, p. 11- 13
[1] Théorie du pouvoir politique et religieux (1796), p. 170, cité par Léon Brunschvicg, Le progrès de la conscience dans la philosophie occidentale, II, Paris, 1927, p. 511-534.
[2] Recherches philosophiques sur les premiers objets des connaissances morales, p. 49.
[3] Discours préliminaire de La législation primitive, 1829, p. 97.
[4] Le progrès de la conscience…, op. cit., p. 519-520.