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Il m’a créé d’abord par contrainte ;
La vie n’a augmenté que ma surprise.
Je suis parti malgré moi sans avoir su
Quel était le but de ma venue, de mon séjour, de mon départ !
Omar Khayyâm, Robâiyât
trad Rezvanian : 50
31 mercredi Jan 2018
Posted Divers vers
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Il m’a créé d’abord par contrainte ;
La vie n’a augmenté que ma surprise.
Je suis parti malgré moi sans avoir su
Quel était le but de ma venue, de mon séjour, de mon départ !
Omar Khayyâm, Robâiyât
trad Rezvanian : 50
30 mardi Jan 2018
Posted Lectures
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« S’attribuer le pouvoir de commander aux autres et de régenter impunément leurs opinions va constamment de pair avec ce parti-pris et avec la corruption de ses propres jugements. Comment peut-il en être autrement ? Est prêt à abuser de la croyance des autres celui qui a déjà abusé de la sienne. Peut-on raisonnablement attendre qu’il utilise arguments et persuasion dans ses rapports à autrui, s’il n’y a pas habitué son propre entendement dans ses rapports à lui-même, s’il fait violence à ses propres facultés, tyrannise son propre esprit, usurpe la prérogative propre à la vérité seule, qui est de commander l’assentiment par sa seule autorité, c’est-à -dire proportionnellement à la garantie qu’elle offre. »
John Locke, Essai sur l’entendement humain, IV, 19
trad. J-M. Vienne, Vrin
29 lundi Jan 2018
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amour, égoïsme et altruisme, Dieu, Michel Berger, Simone Weil, solitude
Au cours de son explication de la conception kierkegaardienne de l’amour pour Dieu, André Vergez propose en note un intéressant rapprochement avec Simone Weil.
« A chaque instant, notre existence est un amour de Dieu pour nous. Mais Dieu ne peut aimer que soi-même. Son amour pour nous est amour pour soi à travers nous. Ainsi, lui qui donne l’être aime en nous le consentement à ne pas être. »
Simone Weil, L’attente de Dieu, Plon 1948, p.36
J’y trouve la confirmation de ce que j’avais suggéré lors du 2e épisode de la série Aime ton juge ! : que la conception d’un amour pour l’autre culminant dans l’accusation de soi voire abolition de soi fait système avec une conception « égoïste » ou « jalouse » de l’amour de l’autre pour nous. Cela me ramène aussi au thème du narcissisme divin que j’avais évoqué à l’automne dernier.
Comment peut-on souhaiter abolir son ego pour permettre à l’autre d’être dans la pure affirmation du sien ? La chanson de Berger nous apporte peut-être la réponse :
« Et même l’enfer c’est pas grand chose
A côté d’être seule sur Terre »
28 dimanche Jan 2018
L’adaptation à l’univers numérique c’est aussi une question de modification physique :
« Certains se souviennent peut-être des frayeurs millénaristes qui inquiétèrent beaucoup de nos contemporains lors du passage à l’an 2000. Celles-ci ne tenaient qu’à cette fichue habitude de compter sur nos dix doigts, ce qui a imposé la numération en base dix. Convenons-en, à l’époque moderne, dans la société numérique, cela n’a plus de sens : hommes ou machines, archaïsme ou progrès, il faut choisir ! Et si l’on veut vraiment entrer dans la modernité, bannissons de telles conventions imprégnées d’un anthropomorphisme désuet !
Pour expurger tous ces résidus, un remède radical, simple et peu coûteux existe. Il est de mon devoir de vous l’indiquer, même s’il apparaîtra incongru aux yeux de certains : on devrait, à la naissance, couper les neuf doigts superfétatoires, pour que tous apprennent, dès le plus jeune âge, à compter en base 2 avec le doigt restant. Plié, tendu, plié, tendu, plié, plié… 0,1,0,1,0,0, rien de plus facile. Et quoi de plus propice à l’avènement d’une vraie civilisation numérique dépouillé de tous ces inutiles oripeaux anthropomorphiques ! Qui plus est, on en profiterait pour instituer un rituel baptismal laïque qui serait du meilleur effet. Je vous vois hésiter. Vous reculez ? Pourtant, la modernité est à ce prix, sachez-le ! »
Jean-Gabriel Ganascia, Intelligence artificielle; vers une domination programmée
ed. Le cavalier bleu, 2017
Accessoirement l’adoption de cette mesure donnerait une raison décisive de dire « digital » plutôt que « numérique ».
27 samedi Jan 2018
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alouette, Joseph Haydn, Olivier Messiaen, Ralph Vaughan Williams
On a vu la semaine dernière que l’alouette était présente dans l’œuvre de Haydn à travers l’arrangement d’un chant gallois Codiad yr ehedydd (L’envol de l’alouette), nous verrons cette semaine qu’elle a aussi donné son nom au Quatuor à corde Op.64 n°5 du compositeur autrichien. Les quatuors de Haydn n’ont pas reçu aussi systématiquement des surnoms que ses symphonies. Celui qui nous occupe semble devoir son nom à une évocation des trilles de l’alouette par le premier violon dans le premier mouvement.
*
Le Catalogue d’oiseaux d’Olivier Messiaen fait place à deux espèces d’alouettes :
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Nous en terminerons pour aujourd’hui avec l’alouette en écoutant The lark ascending du compositeur britannique Ralph Vaughan Williams. Cette « romance pastorale pour orchestre » est inspirée par le poème éponyme de George Meredith.
27 samedi Jan 2018
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André Vergez suggère que la biographie de Kierkegaard donne la clé de sa conception de l’amour pour Dieu culminant dans l’accusation de soi. En dépit de mon peu d’inclination pour le biographisme (la conception de Kierkegaard est de toute façon compréhensible par des personnes qui n’ont pas eu la même enfance que lui), je trouve cette interprétation éclairante en ce qu’elle fait ressortir ce que la conception kierkegaardienne peut avoir de « pathologique » (elle semble relever de la réduction de dissonance cognitive ou cognitvo-affective).
« Si nous regardons de très près les textes, nous voyons fort clairement qu’ici encore Kierkegaard transpose sa propre situation psychologique à l’égard de son père. La terrible éducation paternelle qui, « par amour mal compris, mais par amour pourtant », a fait le malheur de Kierkegaard, est la clef de sa conception de l’existence. Kierkegaard enfant, gravement mutilé dans le développement de sa sensualité et de son affectivité, ne peut pas accepter que le pire bien-aimé ait tort. « Si tu ne pouvais conclure autre chose que le tort de l’être aimé, cette certitude t’inquiéterait ; tu voudrais être toi-même le fautif ; tu chercherais en sa faveur une excuse, faute de laquelle tu n’aurais de repos que dans la pensée d’avoir été toi-même injuste. » Pourrais-tu trouver le repos dans le sentiment que tu es une victime innocente ? « Oh non, si tu l’aimes cette pensée ne t’apporterait que de l’angoisse, tu rechercherais toute apparence de justification en sa faveur. » Abraham en face de Dieu, c’est Kierkegaard en face de son père. Abraham — pour exécuter l’ordre du Seigneur — envisage de « faire semblant d’être devenu criminel… son œil sauvage, ses mèches vénérables dressées en furie sur sa tête », car ainsi Isaac ne sera pas tenté de maudire Dieu lui-même et l’implorera au contraire comme son unique secours, et l’innocence de Dieu sera préservée à ses yeux. « Expliquer cette énigme, dit Kierkegaard, c’est expliquer ma vie. » L’enfant généreux, anéanti par une éducation brutalement culpabilisante, ne veut pas que ses parents aient tort : « par amour pour ses parents, afin que leur maladresse ne pût les écraser par sa reine, il chercherait à tenir aussi longtemps que possible ». Il faut que je sois coupable, il faut que le parent-juge ait toujours raison : Ce raisonnement qui est celui de Kierkegaard enfant, et qu’il transpose plus tard dans sa conception de la créature devant Dieu, est d’ailleurs profondément contradictoire. L’enfant renonce littéralement à exister : il renonce à sa spontanéité, à ses désirs qu’il sacrifie sur l’autel de la tyrannie paternelle ; mais s’il fait cela, c’est d’une certaine façon pour exister encore, parce que l’amour pour le parent-juge est la condition indispensable — payable n’importe quel prix — d’une existence possible. »
André Vergez, Faute et liberté
ed. Les Belles Lettres 1969, p. 396 – 397
25 jeudi Jan 2018
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J’ai fait quelques recherches complémentaires sur le texte de Kierkegaard que j’ai commencé à commenter ici.
L’idée que que l’amour pour Dieu s’accomplit dans l’accusation de soi face à Dieu peut sembler paradoxal dans le cadre même de la perspective religieuse chrétienne, puisqu’on présente généralement le Dieu d’amour comme une figure plus élevée que le Dieu juge (de même que le commandement d’aimer son prochain comme soi-même constituerait l’Aufhebung de la loi et des prophètes). André Vergez fait à ce sujet des observations que je trouve éclairantes :
« Certes Kierkegaard n’ignore pas la conversion paulienne de la Loi à l’amour. Mais loin de l’interpréter (ainsi que Spinoza et Nietzsche) comme le passage de la transcendance à l’immanence, comme le passage de la servitude légaliste à la liberté de délivrance (la « liberté chrétienne », la « liberté des enfants de Dieu »), il y voit le passage d’une transcendance à une autre. On pourrait dire que pour Kierkegaard l’amour tout comme la Loi, fait abonder le péché : « La loi fait de l’homme un pécheur, mais l’amour un plus grand pêcheur. »
Pour comprendre ce point, il faut expliquer comment la transcendance de l’Amour créateur condamne l’homme au péché plus radicalement, mais dans le même sens que la transcendance de la Loi le condamne à la faute. La faute n’est sans doute pas inévitable […] toutefois l’extrême probabilité de la faute est déjà inscrite dans le rapport entre l’ordre moral et la nature sensuelle de la créature, rapport qui se manifeste par l’angoisse, source de défaillance et d’effondrement. Être soi-même, suivre sa nature, c’est déjà, sur le plan moral, être coupable. Sur le plan religieux, c’est la situation existentielle même de la créature, s’affirmant, posant sa propre existence, qui représente une culpabilité originaire, ontologique. Être soi-même, c’est perdre Dieu, se vouloir soi-même, c’est nier Dieu. « Il n’y a qu’un seul vrai rapport au christianisme : se haïr soi-même en aimant Dieu ; toute affirmation de soi est coulpe ». La sphère du religieux tend à s’identifier à la conscience de la faute totale en l’individu particulier devant Dieu. […] La conscience du péché est bien, il est vrai, le signe de sa rédemption, mais c’est parce que l’aveu par la créature de sa culpabilité totale est, en quelque sorte, le dévalorisation radicale de sa propre existence qui fait valoir l’existence de Dieu. Nous sommes ici tout près des systèmes gnostiques pour lesquels le péché de la créature se confond avec sa venue au monde, pour lesquels le chute ne se distingue pas de la création. […] Nous devenons chrétiens lorsque nous nous voyons péchant nécessairement. Il est vrai que l’amour du chrétien pour Dieu le rachète. Mais cet amour n’abolit pas comme chez Spinoza toute distance entre l’homme et Dieu. Il le souligne au contraire puisque « aimer Dieu, c’est se haïr », puisque être racheté, c’est se renoncer. L’amour pour Dieu « n’a qu’une seule expression dans la langue, le repentir ». Il s’agit ici d’un repentir littéralement ontologique. Le pécheur kierkegaardien se repent moins de ses actes que de son être. Il a tort d’exister. « Nous avons toujours tort devant Dieu ». La transcendance de la loi me mutilait, la transcendance de l’amour m’anéantit. »
André Vergez, Faute et liberté
ed. Les Belles Lettres 1969, p. 396 – 397
21 dimanche Jan 2018
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amour, culpabilité, Djalâl ad-Dîn Rûmî, Kierkegaard, Nietzsche
On a vu mardi dernier de quelle étrange façon Kierkegaard résout le problème que Nietzsche devait formuler en ces termes :
« Si Dieu avait voulu devenir un objet d’amour, il aurait dû commencer par renoncer à rendre la justice : – un juge, et même un juge clément, n’est pas un objet d’amour. »
Nietzsche, Le gai savoir §. 140
Peut-être vaudrait il mieux dire que ce qui était un problème pour Nietzsche n’en était pas un pour Kierkegaard. Alors que Nietzsche se demande comment on peut aimer son juge, même clément ; Kierkegaard semble considérer que l’amour se réalise dans le sentiment d’avoir tort face à l’autre. Pour le penseur danois, il ne faudrait pas dire qu’on aime Dieu bien qu‘il nous juge, il faudrait plutôt dire qu’on en fait notre juge – un juge devant lequel on ne peut que plaider coupable – parce qu’on l’aime. On notera que dans cette perspective la miséricorde de Dieu apparaît comme un motif d’amour second. On peut aussi souligner que l’option kierkegaardienne va « plus loin » que celle que j’avais évoquée à propos d’un texte de Rûmî : chez Rûmî l’amour d’Adam le retenait seulement de se défendre et d’accuser son juge (qui est aussi celui qui l’a laissé fauter), chez Kierkegaard l’amour va jusqu’à nous porter à nous accuser nous-mêmes.
Cette idée que l’amour s’accomplit dans l’accusation de soi se comprend indépendamment du contexte théologique, d’ailleurs Kierkegaard l’introduit à partir de l’amour pour un être humain. Mais c’est une idée bien particulière de l’amour qui nous ferait dire : « si je t’aime vraiment, je dois penser que tout est de ma faute » ; on peut l’opposer à la conception selon laquelle l’amour se réalise dans la jalousie (ici, c’est par amour que je te demande de te justifier). La première peut nous paraître plus « pure » et altruiste que la seconde mais elle n’est peut être pas moins pathologique ( ce qui apparaît quand elle est formulée en 2e personne : « si tu m’aimes, tu dois t’accuser … ») ; on peut d’ailleurs concevoir que les deux fassent système : celui qui aime-en-s’accusant cherchant un jaloux et le jaloux ayant besoin d’un coupable pathologique pour exercer pleinement son emprise.
20 samedi Jan 2018
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Continuons notre tour d’horizon (commencé ici et continué là) des chansons dont le titre fait référence à l’alouette.
En cherchant une chanson en gaélique à ajouter à ma collection je tombe sur Uiseag Bheag Ruaidh. C’est semble-t-il une version en gaélique écossais de la berceuse de l’île de Man (donc en gaélique mannois) Ushag veg ruy dont j’avais parlé ici mais dont les traductions que j’avais trouvées à l’époque ne mentionnaient pas l’alouette (la traduction anglaise courante est Little red bird). En jonglant entre les langues de Wikipedia j’obtiens la confirmation que « Uiseag » est bien le nom gaélique écossais de l’alouette tandis que le gaélique mannois « Ushag » désigne l’ensemble des oiseaux. Je laisse chacun décider en son âme et conscience si cette chanson mérite de figurer dans mon inventaire.
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Il existe également un air irlandais intitulé An Fuiseógín Dearg plus souvent désigné sous son titre anglais Little red lark [1].
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Pour rester dans le domaine celtique je peux également vous proposer deux chansons en gallois. Commençons par Codiad yr ehedydd (L’envol de l’alouette) dont vous pourrez apprécier une version accompagnée à la harpe …
… à moins que vous ne préfériez les marches militaires.
Codiad yr ehedydd fait partie des airs gallois dont Haydn a donné un arrangement.
Nous en terminerons pour aujourd’hui avec Marwnad yr Ehedydd (Elégie pour l’alouette). Les paroles (dont une traduction en anglais est disponible ici) ne parlent pas de l’animal nommé alouette, celui-ci joue ici le rôle de symbole : la chanson est supposée faire référence à Owain Glyndŵr un héros national gallois qui se révolta contre les anglais au tournant du XVe siècle.
Marwnad-yr-ehedydd
Mi a glywais fod yr hedydd
Wedi marw ar y mynydd
Pe gwyddwn i mai gwir y geirie
Awn â gyrr o wŷr ag arfe
I gyrchu corff yr hedydd adre.
Mi a glywais fod yr hebog
Eto’n fynych uwch y fawnog,
A bod ei galon a’i adenydd
Wrth fynd heibio i gorff yr hedydd
Yn curo’n llwfr fel calon llofrudd.
Mi a glywais fod cornchwiglan
Yn ei ddychryn i ffwrdd o’r siglan,
Ac na chaiff, er dianc rhagddi,
Wedi ei rhusio o dan y drysi,
Ond aderyn y bwn i’w boeni.
Mi a glywais gan y wennol
Fod y tylwyth teg yn `morol
Am arch i’r hedydd bach o risial
Ac am amdo o’r pren afal,
Piti fâi dwyn pob petal.
Cans er dod â byddin arfog,
Ac er codi braw ar yr hebog,
Ac er grisial ac er bloda,
Er yr holl dylwyth teg a’u donia,
Ni ddaw cân yr hedydd adra.
[1] Les mots anglais lark et skylark sont tous deux traduits en français par alouette. Sur le wikipedia anglophone, l’article Lark traite de la famille des alaudidés tandis qu’en tapant Skylark on est renvoyé au genre alauda appartenant à la famille susnommée.
20 samedi Jan 2018
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Que m’importe si chacun médit sur mon compte
Ou si l’on multiplie par cent un défaut que je n’ai pas
Je suis un miroir : quiconque me regarde
Y trouve tout le bien et tout le mal qu’il me présente
Omar Khayyâm, Robâiyât
trad. Rezvanian : 528
*
Je me propose de comparer brièvement la manière dont opère ici la métaphore du miroir avec la manière dont elle est mobilisée dans deux textes d’auteurs persans que j’ai précédemment cités.
D’une part on pourrait ainsi mettre « en miroir » ce quatrain attribué à Khayyâm avec ce texte dans lequel Rûmî nous explique que ce sont nos propres défauts que nous voyons en autrui. Dans le premier cas je suis un miroir pour autrui et ses médisances révèlent ses défauts, dans le second, autrui est un miroir pour moi et mes médisances révèlent mes défauts. On a donc affaire à deux déclinaisons symétriques d’un même principe : chacun est un miroir pour l’autre. Mais il y a une autre manière (plus originale ?) de mobiliser la métaphore du miroir pour traiter le thème de la médisance qui nous est proposée par ce quatrain de Djamâl d’Ispahan : s’il ne faut pas médire ce n’est plus parce que celui dont on médit est un miroir, mais pour être soi-même un bon miroir.