• À propos

Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

Pater Taciturnus

Archives Mensuelles: avril 2014

Fantastique légumier

30 mercredi Avr 2014

Posted by patertaciturnus in Fantaisie

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

kitsch, Leguman, navets, Urabe Kenkô

Les heures oisives du moine Kenkô ne contiennent pas seulement des témoignages instructifs sur le raffinement de la culture du japon médiéval ou des considérations d’une profonde sagesse, elles recèlent aussi des histoires improbables (comme on dit aujourd’hui avec un anglicisme qui n’est plus lui même improbable) comme celle qui suit.

LXVIII

Il y avait, dans la province de Tsukushi, quelqu’un dont le nom m’échappe et qui était comme un Préfet de police. Il tenait les navets pour une merveilleuse panacée ; il en mangeait deux grillés, chaque matin, depuis des années. Un jour que, profitant de ce qu’il n’y avait personne à la résidence, des ennemis avaient attaqué et donnaient l’assaut de toute part, voici que deux guerriers firent soudain irruption et, luttant sans regarder au péril de leur vie, les rejetèrent tous en déroute. Absolument stupéfait : « Messieurs, » leur demanda-t-il, « on n’a point l’honneur de vous voir ici d’habitude ; qui êtes vous donc pour combattre ainsi? » « Ceux à qui, vous faites confiance depuis des années en les mangeant chaque matin : des navets, pour vous servir ». Et, là dessus, de disparaître. Telle est la vertu d’une profonde foi.

Heureusement que la dernière phrase nous ramène à un enseignement spirituel! Je vous laisse d’ailleurs  le soin de proposer la nouvelle formulation du proverbe « la foi déplace les montagnes »  que doit vous inspirer cette édifiante histoire.

Je vous recommande également le chapitre suivant (LXIX) qui exploite, lui aussi, la veine trop méconnue du fantastique légumier en mettant en scène la conversation entre les petits pois qui cuisent dans la casserole et les cosses de ces mêmes pois qui alimentent le feu qui les cuit.

*

Enfin, ce blog manquerait à sa tâche s’il n’opérait pas un rapprochement avec un des fleurons du kitsch  télévisuel français des années 80.

Aux lecteurs trop jeunes pour avoir connu la période de diffusion de ces « œuvres » et aux visiteurs de contrées éloignées  qui ont afflué ces derniers temps sur ce blog, je suggère, s’ils veulent en savoir plus, de jeter un œil à cet article de blog  (si vous n’êtes pas découragé par la publicité qui pourrit ce blog, vous pousserez peut-être la curiosité jusqu’à chercher les articles consacrés par son auteur à l’analyse de plusieurs épisodes des aventures du héros à tête de citrouille).

Population des cimetières

29 mardi Avr 2014

Posted by patertaciturnus in Aphorisme du jour

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

cimetière, Ramón Gómez de la Serna, rira bien qui rira le dernier

Les cimetières sont peuplés de gens qui « ont ri les derniers ».

Ramón Gómez de la Serna, Greguerías
Editions Cent pages, p.112

*

Est-ce que ce sont les mêmes que les « gens indispensables » qui peuplent les mêmes lieux?

Dénominateur commun

28 lundi Avr 2014

Posted by patertaciturnus in Food for thought

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

élitisme, je suis snob, Paul Valéry

« Songez à ce qu’il faut pour plaire à 3 millions de personnes.

Paradoxe, il en faut moins que pour plaire à 100.

Je n’écris / n’écrirais / pas pour des gens qui ne peuvent pas me donner une quantité de temps et qualité d’attention comparables à ceux que je leur donne. »

Paul Valéry, Ego scriptor
Poésie/Gallimard, p. 176

Sagesse de l’Ami

27 dimanche Avr 2014

Posted by patertaciturnus in Aphorisme du jour, Divers vers, Mysticismes

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

culture de l'excuse, L'Ami et l'Aimé, Raymond Lulle

183. – Digues, foll : ¿ per què scuses los colpables ? –
Respòs : – Per ço que no sia semblant als acusants los innocents e.ls colpables. –

*

183. « Dis, fol, pourquoi excuses-tu les coupables ? »
Il répondit : « pour ne pas ressembler à ceux qui accusent les innocents et les coupables »

Raymond Lulle, Livre de l’Ami et de l’Aimé
traduction : P. Gifreu

Raffinement et météorologie

26 samedi Avr 2014

Posted by patertaciturnus in Fantaisie, Food for thought

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

météorologie, raffinement, Urabe Kenkô

 

« Un matin que venait de tomber une fort jolie neige, comme une affaire m’obligeait d’écrire une lettre à quelqu’un, et que je n’y avais soufflé mot de l’événement, la réponse m’arriva : « D’un brutal qui ne daigne point consacrer une ligne à ce qu’il éprouve devant cette neige, comment complaire à la requête? Décidément votre cœur me fait peine! » N’est-ce pas là un mot charmant? Cette personne, aujourd’hui n’est plus ; aussi ne saurais-je oublier même un si menu trait »

Urabe Kenkô, Les heures oisives, XXXI

*

Il est vrai que les commentaires météorologiques ont, aujourd’hui encore, un rôle important dans les relations sociales : c’est par excellence le sujet de conversation qui permet d’éviter les silences gênants. Mais on conviendra que nous ne nous livrons pas aux mêmes assauts de subtilité autour de ce thème.

Corrélation

25 vendredi Avr 2014

Posted by patertaciturnus in Insatiable quête de savoir

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

amitié, élégance

Une des rares personnes que je connaisse qui réussit « l’exploit » de faire moins d’effort que moi en matière d’habillement semble également parvenir à avoir encore moins d’amis que moi. Cet échantillon très représentatif suffit à me faire soupçonner une corrélation entre « ne pas avoir d’amis »  et « s’habiller comme un sac ». On peut imaginer qu’un même facteur conditionne les deux caractéristiques, par exemple le manque d’attention à ce que pensent les autres (ce qui expliquerait qu’il n’y ait pas une grande fraternité des « mal fringués »).

Tendresses

24 jeudi Avr 2014

Posted by patertaciturnus in Aphorisme du jour, Paroles et musiques

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

Joseph Joubert, Otis Redding, tendresse

« Cette tendresse qui sans cesse se satisfait, et celle qui se modère et se réprime. La première s’épuise par ses propres contentements, la seconde se nourrit et s’accroît par ses privations mêmes. »

Joseph Joubert, 12 novembre, Carnets I, p. 431

*

Je ne sais pas si Joubert a raison, mais, même si c’était le cas, cela ne m’empêcherait pas d’apprécier le spectacle d’une expression de tendresse sans modération :

N’y a-t-il que les imbéciles …? (3)

23 mercredi Avr 2014

Posted by patertaciturnus in Perplexités et ratiocinations

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

art d'avoir toujours raison, Arthur Schopenhauer, dialogue, mauvaise foi, vérité

Il serait dommage de vous priver du paragraphe de L’art d’avoir toujours raison qui suit ceux que j’ai cité hier.

« Machiavel prescrit au prince d’utiliser chaque instant de faiblesse de son voisin pour l’attaquer : sans cela, l’autre peut tirer parti de la faiblesse de ce prince. Si la bonne foi régnait, la chose aurait une autre allure ; mais comme on n’a pas à s’y attendre, il ne faut pas la pratiquer, puisqu’aussi bien elle est mal récompensée; – il en va de même dans la controverse: si je donne raison à mon adversaire dès qu’il me semble avoir raison, il n’est guère probable qu’il en fera autant si la situation s’inverse : il agira bien plutôt per nefas : donc, il faut que je lui rende la monnaie de sa pièce. Il est facile de dire qu’on ne doit chercher que la vérité, sans préjugé en faveur de sa thèse ; mais il n’est pas permis de préjuger que l’adversaire en fera autant : donc il faut l’éviter. En outre, si je voulais dès qu’il me semble avoir raison renoncer à ma proposition, alors que je l’avais auparavant médité avec soin, il pourrait facilement arriver que, séduit par une impression passagère, je renonce à la vérité pour adopter l’erreur. »

Si la fin du paragraphe (après « En outre … ») réintroduit le type de justification de la discussion de mauvaise foi déjà évoqué hier, le début du paragraphe propose une justification d’un autre genre : j’ai le droit d’argumenter de mauvaise foi parce que je présume que l’autre ne se privera pas de le faire.  La référence à Machiavel est ici tout à fait opportune, car l’argumentation de Schopenhauer concorde parfaitement avec celle de ce passage du Prince [chap. XV] :

« Celui qui laisse ce qui se fait pour ce qui se devrait faire, apprend plutôt à se détruire qu’à se préserver : car un homme qui en toute occasion voudrait faire profession d’homme de bien, il ne peut éviter d’être détruit parmi tant de gens qui ne sont pas bons. »

La position de Machiavel reprise par Schopenhauer consiste à dire que je n’ai pas à m’interdire de faire à autrui ce que je ne veux pas qu’il me fasse si j’ai des raisons de penser que lui même ne s’interdira pas de me faire ce qu’il ne voudrait pas que je lui fasse. Cet argument est potentiellement dévastateur pour la morale, reste à s’assurer de ses limites de validité.

Cet argument suppose une situation de type « dilemme du prisonnier ». Il est ainsi exposé à une difficulté bien connue : les autres peuvent faire exactement le même raisonnement et justifier leur propre comportement non-coopératif par la probabilité d’un comportement non-coopératif de notre part que nous même justifions par le fait que … etc. Le risque de cercle vicieux de la défiance et de la mauvaise foi en matière de discussion est d’ailleurs signalé par Socrate dans un passage du Gorgias qui précède celui que j’ai cité dimanche :

« Sont ils en désaccord sur un point et l’un prétend-t-il que l’autre parle avec peu de justesse ou de clarté, ils se fâchent et s’imaginent que c’est par envie qu’on les contredit et qu’on leur cherche chicane, au lieu de chercher la solution du problème à débattre. »

Le problème est alors de sortir du cercle vicieux par lequel chacun s’autorise à être de mauvaise foi parce qu’il est convaincu que c’est l’autre qui a commencé. Comment enclencher une dynamique de confiance réciproque?

Lorsque Schopenhauer  fait valoir que

« si je donne raison à mon adversaire dès qu’il me semble avoir raison, il n’est guère probable qu’il en fera autant si la situation s’inverse« 

on est tenté de répondre que la probabilité que le comportement de l’autre soit ou non coopératif n’est pas indépendante de mon propre comportement. Si je fais le choix de la mauvaise foi je peux m’attendre à ce que  cela renforce la probabilité que l’autre fasse preuve de mauvaise foi, inversement, si je fais le choix de la bonne foi, je peux espérer que cela augmente la probabilité que l’autre  fasse également preuve de bonne foi. Évidemment, je n’ai pas la garantie que l’autre sera de bonne foi et celui qui prend l’initiative de rompre le cercle vicieux de la mauvaise foi cours un risque. Pour savoir s’il vaut la peine de le courir il faut, bien sûr, apprécier ce qu’on perd en discutant de bonne foi face à quelqu’un de mauvaise foi.

C’est le moment de souligner que l’argumentation de Schopenhauer sur laquelle je ratiocine aujourd’hui présuppose l’idée (évoquée hier) que nous devons parfois choisir entre les intérêts de notre vanité et ceux de la vérité. En revanche, si on fait notre le principe socratique selon lequel  :

« il y a plus à gagner à être réfuté [qu’à réfuter], parce qu’il est bien plus avantageux d’être soi-même délivré du plus grand des maux que d’en délivrer autrui. »

le problème se pose de toute autre manière et la mauvaise foi supposée de l’autre n’est plus un argument justifiant que nous fassions nous-même preuve de mauvaise foi. Si je cherche par dessus tout à y voir plus clair, et si au regard de cet objectif avoir le dernier mot n’a aucune importance, la mauvaise foi de l’autre ne fait pas immédiatement obstacle à ma recherche, comme elle le ferait si, moi aussi, je ne cherchais qu’à avoir le dernier mot. On serait tenté de dire que, dans ce cas, la mauvaise foi de l’autre est son problème et plus le mien. A la limite, on en viendrait à défendre la discussion avec une bonne foi unilatérale comme certains défendent un libre-échange unilatéral avec des pays protectionnistes ; l’idée étant, dans les deux cas, qu’il n’y a pas lieu de rendre à l’autre la monnaie de sa pièce, que nous n’avons pas à imiter l’autre s’il se trompe sur ses réels intérêts :

« Even if your trading partner dumps rocks into his harbor to obstruct arriving cargo ships, you do not make yourself better off by dumping rocks into your own harbor. »

(adage attribué à l’économiste Joan Robinson)

En fait, poursuivre la discussion avec un bonne foi unilatérale n’est peut-être pas la meilleure solution face à un interlocuteur de mauvaise foi, même pour quelqu’un qui chercherait par dessus tout la vérité et qui serait indifférent au fait de ne pas avoir le dernier mot. Revenons à l’intermède du Gorgias consacré à l’art de la discussion. Socrate y demande à son interlocuteur (Gorgias) s’il partage sa propre conception des objectifs de la discussion (chercher la vérité et non à avoir le dernier mot, accepter d’être réfuté et ne pas seulement chercher à réfuter l’autre) ; il considère que s’il y a accord sur les objectifs de la discussion il vaut la peine de la poursuivre, en revanche s’il y a désaccord sur l’objectif de la discussion mieux vaut y mettre fin. Face à un interlocuteur de mauvaise foi il ne s’agirait ni de continuer de bonne foi, ni de continuer en devenant soi-même de mauvaise foi, mais de cesser la discussion.

Si on adopte l’échelle de valeur socratique énoncée plus haut, il est évidemment exclu de continuer la discussion en basculant en « mode mauvaise foi ». Mais pourquoi mettre fin à la discussion plutôt que de la continuer de bonne foi ? Qu’a-t-on à perdre en continuant de bonne foi? Ce qu’il s’agit d’éviter de perdre en mettant fin à la discussion, ce n’est pas la joute verbale  (d’ailleurs en abandonnant la discussion on laisse à l’autre la possibilité de proclamer son triomphe), c’est notre temps. Le problème avec celui qui discute de mauvaise foi ce n’est pas que ses arguments sont forcément sans valeur, mais plutôt que ses stratégies ne seront pas constructives du point de vue de l’éclaircissement de la question. Il faudrait distinguer le cas des bons arguments qui méritent toujours d’être discutés de celui des des personnes qui les présentent qui ne méritent pas toujours qu’on les discute avec elles.

*

Tout ça pour ça, dira-t-on. Certes, mais j’écris pour tirer mes propres idées au clair, pas pour instruire qui que ce soit.  Mais il est vrai que tout ce jus de cerveau tiédasse, apparaît finalement vain quand on pressent que le vrai problème est ailleurs. La difficulté qui mérite nos efforts, réside peut-être moins dans la mauvaise foi « ouverte » que dans les illusions que chacun se fait sur sa propre bonne foi.   Ce sera pour une autre fois.

Bienvenue à nos aimables visiteurs

23 mercredi Avr 2014

Posted by patertaciturnus in Bienvenue aux visiteurs, Paroles et musiques

≈ 4 Commentaires

Étiquettes

bienvenue, gamelan, visiteurs

Les statistiques de WordPress m’apprennent qu’il y aurait eu une connexion à ce blog depuis l’Indonésie hier (il y avait déjà eu une connexion signalée depuis la Malaisie la semaine dernière).  Il n’y a aucune indication quant à la voie par laquelle ces « visiteurs » seraient arrivés ici. Je ne me fait aucune illusion quant au fait qu’un véritable être humain résidant dans ces contrées aurait atterri ici intéressé par un quelconque contenu de ces lieux.

Je saisis quand même l’occasion pour partager mon goût (superficiel car très peu informé) pour le gamelan.

*

Un truc qui me déçoit avec les statistiques de WordPress, c’est que, contrairement à ce que j’espérais, les « termes de recherche » (le contenu des requêtes sur les moteurs de recherche ayant conduit ici) sont majoritairement inconnus (dans une proportion de plus de neuf sur dix pour l’instant) J’en ignore la raison, mais j’espère bien l’apprendre. J’espère en outre que, moi aussi, je pourrais un jour m’amuser des gens qui arrivent sur mon blog en cherchant du sexe ou des trucs tordus.

Mise à jour le 28 /05 /14

L’explication est simple : Google généralise le HTTPS sur son moteur de recherche au nom, paraît-il, de la protection des données personnelles de ses utilisateurs. Je dois donc faire une croix sur cette occasion d’amusement.

L’énigme « autoréférentielle » du jour : le détenteur du blog où j’ai trouvé l’explication devinera-t-il la requête qui m’ amené jusqu’à lui?

N’y a-t-il que les imbéciles… ? (2)

22 mardi Avr 2014

Posted by patertaciturnus in Food for thought, Perplexités et ratiocinations

≈ 7 Commentaires

Étiquettes

amour de la vérité, art d'avoir toujours raison, Arthur Schopenhauer, dialogue, Karl Popper, mauvaise foi, vérité

Il me semble que les considérations de dimanche dernier sur l’amour de soi et la recherche de la vérité peuvent avantageusement être complétées par quelques extraits de l’indispensable Art d’avoir toujours raison [1] de Schopenhauer. Dans l’introduction de l’ouvrage, Schopenhauer commence par définir son objet  :

« La dialectique éristique est l’art de mener un débat de manière à avoir toujours raison, donc quels qu’en soient les moyens (per fas et nefas) . »

Par « art d’avoir toujours raison » il faut donc entendre art d’avoir le dernier mot dans la discussion, qu’on ait objectivement raison ou tort.  Schopenhauer explique ensuite la raison d’être de cet art.

« […] Si nous étions fondamentalement honnêtes, alors tout débat partirait simplement du principe qu’il faut rechercher la vérité, sans se préoccuper de savoir si elle se conforme à l’opinion que nous avions initialement formulée, ou à celle de l’autre : la question n’aurait aucune espèce d’importance, ou du moins serait tout à fait secondaire. Mais en l’occurrence, c’est primordial. Notre vanité innée, particulièrement susceptible en matière de facultés intellectuelles, n’accepte pas que notre raisonnement se révèle faux, et celui de l’adversaire recevable. Pour ce faire, chacun devrait tâcher de ne rien émettre que des jugements justes, et donc de réfléchir avant de parler. Mais chez la plupart des hommes, la vanité va de pair avec un goût pour la palabre et une mauvaise foi tout aussi innée : ils parlent sans avoir eu le temps de réfléchir, et même s’ils constatent par la suite que ce qu’ils affirment est faux et qu’ils ont tort, ils s’efforcent de laisser paraître le contraire. Leur intérêt pour la vérité, qui la plupart du temps constitue pourtant l’unique motif qui les pousse à défendre la thèse qu’ils pensent vraie, s’efface alors complètement devant les intérêts de leur vanité : le vrai doit paraître faux, et le faux vrai. »

 

A première vue la position de Schopenhauer est semblable à celle qu’exprimait l’aphorisme de Joubert cité dimanche :

« Ceux qui ne se rétractent jamais s’aiment plus que la vérité »

Schopenhauer soutient en effet que lorsqu’une personne cherche seulement à avoir le dernier mot c’est que son intérêt pour la vérité – dont il ne nie pas le rôle de motivation initiale – se trouve débordé par sa vanité. On notera que Schopenhauer envisage ici un cas où l’individu continue à défendre sa thèse en pressentant qu’elle est vraisemblablement fausse. Il faudrait aussi envisager les cas (peut-être plus fréquents) où la vanité va jusqu’à empêcher l’individu de faire preuve de cette lucidité.

Mais ce qui m’intéresse ici, c’est que Schopenhauer ne s’en tient pas à la dénonciation de la vanité : il va exposer une forme de justification relative de cette tendance à faire preuve de mauvaise foi dans la discussion [2].

« Il existe toutefois une excuse à cette mauvaise foi qui nous conduit à camper sur une position qui nous paraît pourtant erronée : souvent, nous sommes d’abord fermement convaincus de la vérité de ce que nous affirmons, mais voilà que l’argument adverse semble la faire vaciller ; et si nous renonçons alors, nous découvrons souvent après coup que nous avions bien raison. Notre preuve était erronée ; mais il existait une preuve recevable pour étayer notre thèse : l’argument providentiel ne nous était pas venu à l’esprit en temps voulu. Ainsi se forme en nous la maxime selon laquelle nous continuons à débattre d’un contre-argument quand bien même il nous paraîtrait juste et pertinent, croyant que sa validité n’est qu’illusoire, et qu’au cours du débat nous viendra un argument permettant de le contrer ou d’entériner notre vérité d’une façon ou d’une autre. Aussi sommes-nous sinon contraints, du moins incités à la mauvaise foi dans le débat, de telle sorte que les faiblesses de notre entendement se trouvent soutenues par la nature corruptrice de notre volonté, et vice versa. Si bien qu’en règle générale, on ne se battra pas pour défendre la vérité, mais pour défendre sa propre thèse, comme s’il s’agissait de son bien le plus précieux ; et pour ce faire, tous les moyens sont bons, puisque comme nous venons de le montrer, il est parfois impossible de faire autrement. »

Ainsi l’entêtement à soutenir une thèse en dépit de la force des arguments adverses, qui semble faire prévaloir un autre intérêt sur celui de la vérité, serait-il relativement justifié par sa contribution indirecte au triomphe de la vérité. On trouve un argument assez semblable chez Karl Popper en faveur de l’entêtement des « illuminés ».

 « Une certaine dose de dogmatisme et d’entêtement est nécessaire dans le travail scientifique, si nous ne voulons pas laisser se perdre des idées brillantes, mais dont nous ne voyons pas immédiatement comment les traiter ni comment les modifier.
La méthode critique de la science laisse une place, attribue une fonction même aux marginaux et aux illuminés. Il m’est arrivé d’écrire que nos universités ne devraient pas se proposer de former des savants ou des scientifiques, mais se contenter d’un objectif plus modeste et plus libéral, la formation d’hommes capables de distinguer entre un charlatan et un savant ou un scientifique. L. E. J. Brouwer eut tôt fait de me remettre sur la bonne voie, en me faisant remarquer que même cette formule n’était pas assez libérale […] Il ajouta qu’il y avait de la place dans les sciences même pour un charlatan, et rejeta à juste titre tout ce qui pouvait sembler venir à l’appui de ce genre de distinction. »

Le réalisme et la science

Le texte de Popper ouvre bien sûr à un autre problème  : si les scientifiques n’ont pas à être « épistémiquement vertueux » au niveau individuel (ils ont le droit d’être entêtés voire de mauvaise foi) c’est dans le fonctionnement des institutions scientifiques que doit se trouver la « vertu » qui permettra de faire servir les vices (épistémiques) individuels au bien collectif (le progrès de la science).

[1] J’utilise la traduction d’Hélène Florea de l’édition Librio.

[2] La justification de cette conduite tient aussi lieu de justification de la publication d’un tel « art d’avoir toujours raison ». Mais la publication d’un tel ouvrage peut aussi être justifiée sur une autre base : on peut faire valoir qu’en rendant public de tels procédés on ne contribue pas tant à diffuser des mauvaises conduites qu’à diffuser les moyens de les reconnaître et de les neutraliser.

← Articles Précédents

Archives

  • mars 2023 (7)
  • janvier 2023 (10)
  • décembre 2022 (6)
  • novembre 2022 (7)
  • octobre 2022 (6)
  • septembre 2022 (15)
  • août 2022 (24)
  • juillet 2022 (28)
  • juin 2022 (19)
  • mai 2022 (20)
  • avril 2022 (23)
  • mars 2022 (27)
  • février 2022 (29)
  • janvier 2022 (31)
  • décembre 2021 (25)
  • novembre 2021 (21)
  • octobre 2021 (26)
  • septembre 2021 (30)
  • août 2021 (24)
  • juillet 2021 (28)
  • juin 2021 (24)
  • mai 2021 (31)
  • avril 2021 (16)
  • mars 2021 (7)
  • février 2021 (6)
  • janvier 2021 (13)
  • décembre 2020 (11)
  • novembre 2020 (3)
  • octobre 2020 (3)
  • septembre 2020 (9)
  • août 2020 (18)
  • juillet 2020 (16)
  • juin 2020 (8)
  • mai 2020 (20)
  • avril 2020 (8)
  • mars 2020 (11)
  • février 2020 (18)
  • janvier 2020 (26)
  • décembre 2019 (21)
  • novembre 2019 (25)
  • octobre 2019 (26)
  • septembre 2019 (31)
  • août 2019 (27)
  • juillet 2019 (23)
  • juin 2019 (22)
  • mai 2019 (22)
  • avril 2019 (27)
  • mars 2019 (27)
  • février 2019 (24)
  • janvier 2019 (32)
  • décembre 2018 (13)
  • novembre 2018 (9)
  • octobre 2018 (12)
  • septembre 2018 (9)
  • août 2018 (13)
  • juillet 2018 (9)
  • juin 2018 (8)
  • mai 2018 (21)
  • avril 2018 (25)
  • mars 2018 (26)
  • février 2018 (22)
  • janvier 2018 (27)
  • décembre 2017 (24)
  • novembre 2017 (16)
  • octobre 2017 (19)
  • septembre 2017 (18)
  • août 2017 (21)
  • juillet 2017 (18)
  • juin 2017 (21)
  • mai 2017 (14)
  • avril 2017 (22)
  • mars 2017 (30)
  • février 2017 (12)
  • janvier 2017 (13)
  • décembre 2016 (14)
  • novembre 2016 (15)
  • octobre 2016 (22)
  • septembre 2016 (16)
  • août 2016 (24)
  • juillet 2016 (19)
  • juin 2016 (16)
  • mai 2016 (20)
  • avril 2016 (10)
  • mars 2016 (30)
  • février 2016 (28)
  • janvier 2016 (32)
  • décembre 2015 (27)
  • novembre 2015 (28)
  • octobre 2015 (31)
  • septembre 2015 (30)
  • août 2015 (33)
  • juillet 2015 (32)
  • juin 2015 (33)
  • mai 2015 (34)
  • avril 2015 (31)
  • mars 2015 (35)
  • février 2015 (32)
  • janvier 2015 (33)
  • décembre 2014 (37)
  • novembre 2014 (33)
  • octobre 2014 (33)
  • septembre 2014 (33)
  • août 2014 (33)
  • juillet 2014 (33)
  • juin 2014 (35)
  • mai 2014 (35)
  • avril 2014 (35)
  • mars 2014 (35)
  • février 2014 (30)
  • janvier 2014 (40)

Catégories

  • 7e art
  • Célébrations
  • Choses vues ou entendues
    • confession
    • Mon métier ma passion
  • Divers vers
  • Fantaisie
    • devinette
    • Philémon et Anatole
    • Taciturnus toujours au top
    • Tentatives de dialogues
  • Food for thought
    • Aphorisme du jour
    • Pessoa est grand
  • Insatiable quête de savoir
    • Il suffirait de quelques liens
  • Lectures
  • Mysticismes
  • Non classé
  • Paroles et musiques
    • Au chant de l'alouette
    • Berceuse du mardi
    • Bienvenue aux visiteurs
  • Père castor
  • Perplexités et ratiocinations
  • SIWOTI or elsewhere

Tags

Abel Bonnard alouette amitié amour art Auguste Comte Benjamin Fondane Bertrand Russell bonheur Cesare Pavese correspondance culture Dieu Djalâl ad-Dîn Rûmî Dostoievski Edmond Jabès Elias Canetti Emily Dickinson enseigner et apprendre esthétique Fernando Pessoa Friedrich von Schiller féminisme Gabriel Yacoub Goethe Hegel Hugo von Hofmannstahl humiliation Hâfez de Chiraz Ito Naga Jean-Jacques Rousseau Joseph Joubert Karen Blixen Karl Kraus Kierkegaard Kobayashi Issa Lichtenberg lune Malek Haddad Marina Tsvetaieva Marshall Sahlins mort Mário de Sá-Carneiro Nietzsche Nâzım Hikmet Omar Khayyâm Paul Eluard Paul Valéry perfection et imperfection Philippe Jaccottet philosophie Pier Paolo Pasolini Pierre Reverdy poésie profondeur racisme Ramón Gómez de la Serna Reiner Kunze religion rêve Simone Weil solitude souffrance Stefan George stoïcisme stupidité travail universalisme Urabe Kenkô utilitarisme vertu vie vérité Witold Gombrowicz éthique et esthétique

Créez un site Web ou un blog gratuitement sur WordPress.com.

Confidentialité & Cookies : Ce site utilise des cookies. En continuant à utiliser ce site, vous acceptez leur utilisation.
Pour en savoir davantage, y compris comment contrôler les cookies, voir : Politique relative aux cookies
  • Suivre Abonné∙e
    • Pater Taciturnus
    • Rejoignez 67 autres abonné∙e∙s
    • Vous disposez déjà dʼun compte WordPress ? Connectez-vous maintenant.
    • Pater Taciturnus
    • Personnaliser
    • Suivre Abonné∙e
    • S’inscrire
    • Connexion
    • Signaler ce contenu
    • Voir le site dans le Lecteur
    • Gérer les abonnements
    • Réduire cette barre