« Il vient une époque où l’on se rend compte que tout ce que nous faisons deviendra en son temps souvenir. C’est la maturité. Pour y arriver, il faut justement avoir déjà des souvenirs. »
Cesare Pavese, Le métier de vivre, 1er octobre 1944
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Pouvons nous transposer cette observation à l’échelle de de l’histoire collective et considérer que c’est un signe que l’humanité a atteint une forme de maturité quand les hommes ont commencé à accomplir des actions pour qu’elles restent dans l’histoire ? Ce serait là une manière de définir le passage de la préhistoire à l’histoire.
Puissé-je être sacrifié à celui qui me paraît digne : Se jeter aux pieds d’un tel homme me serait chose facile. Veux-tu savoir ce qu’est le vrai enfer? C’est la compagnie des hommes indignes dans le monde.
Omar Khayyâm, Robâiyât
trad. Rezvanian : 434
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« Car la question est en effet celle-ci : comment ta vie, qui est vie individuelle, acquiert-elle la plus haute valeur, la plus profonde signification ? Comment est-elle le moins gaspillée ? Ce n’est sûrement que dans la mesure où tu vis au profit de l’exemplaire le plus rare et le plus précieux et non au profit du plus grand nombre, c’est-à-dire de ceux qui, pris isolément, sont les exemplaires de la moindre valeur. Et l’état d’esprit qu’il faut justement implanter et cultiver chez un jeune homme, c’est qu’il se comprenne somme toute lui-même comme une œuvre manquée de la nature, mais en même temps comme un témoignage des intentions les plus grandes et les plus merveilleuses de cette artiste : elle a échoué, devrait-il se dire ; mais je veux honorer sa grande intention en me mettant à son service, afin qu’une autre fois elle réussisse mieux. »
NIETZSCHE, IIIe considération inactuelle, §. 6, Gallimard Folio, p. 59
« Dans un ouvrage presque contemporain de celui de Pocock, mais largement antérieur aux lectures « républicanistes » de Machiavel pratiquées aujourd’hui en France par les disciples de ce dernier, Lefort avait en effet attribué à l’auteur des Discours sur Tite-Live le mérite d’avoir le premier fait surgir cette dimension constitutive de la modernité démocratique qui réside dans la reconnaissance de la « division originaire du social » [1]. Puisque l’occasion m’est ainsi donnée de saluer au passage cette étude désormais méconnue, j’en profite pour rappeler que, dans le débat intellectuel français des années 1970, le contexte d’une telle lecture de Machiavel était celui de la lutte antitotalitaire, pour laquelle il s’agissait alors d’élaborer un appareillage conceptuel ; ainsi l’idée directrice de cette relecture consistait-elle à inviter à penser qu’en démocratie, la « division originaire du social » s’oppose à la façon dont les États totalitaires procèdent au contraire à l’homogénéisation draconienne de la société, en supprimant en elle toute la diversité. Le contexte a aujourd’hui changé, et la plupart des lectures de Machiavel, inspirées par Pocock ou par Skinner, sont désormais animées par le souci de chercher dans son œuvre, non plus une alternative à l’État totalitaire, mais une alternative à l’État démocratico-libéral. Le Machiavel du début des années 1970 était démocrate, celui d’aujourd’hui est républicain. Je ne suis pas certain que ce changement de contexte ne conduise pas à laisser de côté, chez Machiavel, une dimension de sa réflexion qui fait précisément que sa contribution à la formation de la conscience républicaine est plus complexe, plus riche aussi, qu’on ne le croit parfois en insistant trop exclusivement sur la réactivation du thème de la vertu. »
[1] Cette thèse s’appuie en particulier sur des formules du Discours sur la Première Décade de Tite-Live: « Rome n’arriva à cette perfection que par les dissentiments du sénat et du peuple. […] Je soutiens à ceux qui condamnent les querelles du sénat et du peuple qu’ils condamnent ce qui fut le principe de la liberté ».
Dévorés de peur, assaillis de doute, l’esprit tourmenté et les yeux pleins d’horreur, nous nous évertuons à chercher ce que nous pourrions faire pour écarter de nous le danger inéluctable dont l’imminence nous terrifie. Pourtant, nous nous trompons, ce n’est pas lui sur le chemin ; les renseignements étaient faux (ou nous les avons mal entendus, ou mal compris). Une autre catastrophe, que nous n’avions pas imaginée, fond subitement sur nous tel l’éclair et à l’improviste – trop tard, maintenant – nous emporte.
Le saviez-vous ? Shakespeare himself a écrit une chanson mentionnant l’alouette. Cette chanson est interprétée par des musiciens à la troisième scène du deuxième acte de Cymbeline, une pièce plutôt méconnue du dramaturge anglais.
HARK, hark! the lark at heaven’s gate sings, And Phœbus ’gins arise, His steeds to water at those springs On chaliced flowers that lies; And winking Mary-buds begin To ope their golden eyes; With everything that pretty bin, My lady sweet, arise; Arise, arise!
Une mise en musique de ce texte est attribuée au compositeur et luthiste Robert Johnson qui collabora avec Shakespeare dans le cadre de la compagnie The king’s men.
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Le texte de Shakespeare a connu diverses mises en musique. Toutes ne sont pas accessibles sur notre plateforme de vidéos bien aimée, mais nous pouvons quand même découvrir celle de Thomas Chilcot, compositeur britannique du XVIIIe (dont j’ignorais jusqu’ici l’existence).
Impossible de négliger le célèbre des compositeurs qui aient mis en musique la chanson de Shakespeare, il faut donc dire quelques mots d’Horch, horch die Lerch (D 889), un des quelques six cents lieder composés par Schubert. Ceux que les controverses autour de la traduction de Shakespeare utilisée par Schubert et des variantes textuelles afférentes sont susceptibles d’intéresser pourront étancher leur soif de savoir dans ce très riche article consacré à ce lied. Je réserve pour une autre occasion les efforts d’originalité : l’interprétation que je vous propose est de l’inévitable Drietrich Fischer-Dieskau.
peut-être vaut-il la peine de signaler qu’il existe diverses versions dans lesquelles c’est le texte original de Shakespeare qui est chanté sur la musique de Schubert.
On peut également indiquer que Liszt a donné un arrangement pour piano seul du lied de Schubert qui nous occupe.
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On en terminera pour aujourd’hui avec une reprise du texte de Shakespeare dans un genre fort différent ; je vous propose en effet de découvrir les soundies des Deep River Boys. Quésaco ? Commençons par la forme : les soundies, sont des petits films musicaux qui étaient projeté sur des sortes de juke-box dans les années 40. Les soundies sont les précurseurs des scopitones qu’on présente parfois comme les ancêtres des clips. Quant aux Deep River Boys, il s’agit d’un groupe de gospel créé au milieu des années 30. Ceux qui voudraient en savoir plus préféreront au bref article de Wikipedia qui leur est consacré, ce riche article d’un site consacré à la filmographie du jazz. Celui-ci nous apprend que le soundies Hark, hark , the lark (ci-dessous) est sorti le 8 décembre 1941 … soit le lendemain de l’attaque de Pearl Harbor. Il nous apprend surtout que la variation sur la chanson de Shakespeare qui donne non titre au morceau est intégrée à une autre chanson L’il liza.
Les nuits sans celui qu’on aime — et les nuits Avec celui qu’on n’aime pas, et les grandes étoiles Au-dessus de la tête en feu et les mains Qui se tendent vers Celui — Qui n’est pas — qui ne sera jamais, Qui ne peut être — et celui qui le doit… Et l’enfant qui pleure le héros Et le héros qui pleure l’enfant, Et les grandes montagnes de pierre Sur la poitrine de celui qui doit — en bas…
Je sais tout ce qui fut, tout ce qui sera, Je connais ce mystère sourd-muet Que dans la langue menteuse et noire Des humains — on appelle la vie.
« Quand on se reporte à cette époque, on constate qu’il existait toutes sortes de marxistes. Certains, comme Horiki, se donnaient le nom de marxistes par un modernisme de gloriole. D’autres, comme moi, s’attachaient au marxisme simplement pour un parfum d’illégalité qui leur plaisait. Si les partisans convaincus de la vérité marxiste avaient découvert ce qu’il y avait au fond de ces catégories, ils eussent été fous de rage à l’égard de Horiki et de moi-même et ils nous auraient probablement expulsés du parti comme des traîtres. Mais ni moi ni Horiki ne fûmes chassés. En particulier, dans ce monde de l’illégalité plus que dans le monde des messieurs corrects de la légalité, on pouvait boire joyeusement à la santé du parti; en ma qualité d’adepte à l’avenir plein de promesses, je fus chargé d’une foule de missions que l’on décorait du nom d’affaires secrètes d’une manière si exagérée que j’avais envie de pouffer de rire. Je n’en refusai aucune. Je les acceptai toutes avec indifférence. Suspecté par les « dogues » (c’est ainsi que les adeptes appelaient les policiers), je fus soupçonné, interrogé ; je ne commis pas de maladresses. Je souris ; je les fis rire et, de ces affaires dangereuses ainsi que les adeptes les appelaient, je me débarrassai avec habileté. C’est que le groupe qui animait ce mouvement gonflait à plaisir l’importance de ces affaires ; il allait jusqu’à imiter sottement des histoires de détectives ; il agissait avec d’extrêmes précautions; pourtant, à ma grande surprise, ma tâche était quelque chose d’insignifiant, mais ils s’efforçaient d’en faire mousser les dangers. A cette époque mon sentiment était le suivant : il m’était indifférent d’être arrêté comme membre du parti et même de passer ma vie en prison. Ayant peur de la « vie réelle » des humains, je me demandais si je ne serais pas plus heureux dans une cellule que dans l’enfer d’un lit où je gémissais au cours des nuits d’insomnie. »
Dazaï Osamu, La déchéance d’un homme
trad. G. Renondeau, Gallimard, p. 66 – 67
La déchéance d’un homme est un roman largement autobiographique. Dazaï Osamu a effectivement été membre du Parti communiste japonais au début des années 30, époque où ce parti était interdit et réprimé.
Doglądam umocnień. Tracę kontakt z nierzeczywistością, mówię : nie wiem, nie znam, nie oglądam, nie słucham. Jeszcze gazety. Nigdy nic nie zrobiłem dla torturowanych. Jakże zazdroszczę tym, co nie wierzą w Oświęcim. W piętnaście lat po Hitlerze świat podbił rock’n’roll ! Simone Weil miała moje lata, kiedy się zagłodziła.
Historię, biologię, nauki « ścisłe » — wszystko ułożyliśmy sobie tak, żeby usprawiedliwiało. Orgazm, « mała śmierć ». A przyjemność duża. Uśmiech pohańbiena na twarzy kobiety, uśmiech oprawcy na twarzy chłopca lub odwrotnie. — Czy warto rozdrapywać rany ? — A co, zagoiły się ? Odkąd pamiętam, chciałem wydać tom wierszy pod tytułem « Nie ». Więc się umacniam. Tu poprawię zapałkę, tam dołożę cierń.
Jacek Podsiadło, Wychwyt Grahama
Nietzsche : c’est une ignominie que d’être heureux !
Je surveille les fortifications. Je perds le contact avec l’irréalité,
je dis : je ne sais pas, je ne connais pas, je ne regarde pas, je n’écoute pas.
Puis les journaux. Je n’ai jamais rien fait pour les torturés.
Comme j’envie ceux qui ne croient pas à Auschwitz.
Quinze ans après Hitler, le rock’n’roll conquit le monde !
Simone Weil avait mon âge quant elle jeûna à mort.
Histoire, biologie, sciences « exactes » — nous avons tout arrangé
de façon à justifier. L’orgasme, « petite mort », mais grande jouissance.
Sourire de déshonneur sur le visage de la femme, sourire de bourreau sur le visage du garçon, ou inversement.
— Faut-il rouvrir les plaies — Pourquoi, elles sont déjà cicatrisées ?
Aussi loin que je me souvienne, j’ai voulu éditer un recueil de poèmes sous le titre « Non ».
Je me fortifie donc. Ici, je rectifie une allumette, là j’ajoute une épine.
trad.Jacques Burko
in 3 poètes polonais, Editions du murmure, 2009
(également connue sous le titre Le marchand de velours)
Mon père m’y marie avec un marchand de velours Mon père m’y marie avec un marchand de velours Le premier jour de mes noces Ils m’ont joué un vilain tour O gué lon la Vive la roulette gue lon la Vive la roulete
Le premier jour de mes noces, ils m’ont joué un vilain tour Le premier jour de mes noces ils m’ont joué un vilain tour Je ne fus pas si tôt couchée que l’alouette chanta le jour O gué lon la Vive la roulette o gué lon la Vive la roulette
Disait en son langage, lève toi car il est jour Disait en son langage, lève toi car il est jour Faut il donc qu’une jeune mariée s’y lève avant Le petit jour O gué lon la Vive la roulette o gué lon la Vive la roulette
Faut-il qu’une jeune mariée sy lève avant le petit tour Faut-il qu’une jeune mariée sy lève avant le petit tour Y’a du monde à la boutique qui veut marchander le velours O gué lon la Vive la roulette o gué lon la Vive la roulette
Le diable emporte la boutique et les marchands de velour Le diable emporte la boutique et les marchands de velour Les blancs chevaux de chez mon père ils sont bien mieux Soignés que moé O gué lon la Vive la roulette o gué lon la vive la roulette
Ils ont du foin d’l’avoine un coup d’étrille chaque jours Ils ont du foin ed’l’avoine un coup d’étrille chaque jours Et moi qui suis jeune mariée, faut m’y lever Avant le jour O gué lon la Vive la roulette o gué lon la Vive la roulette
D’un côté, Il nous dote de passions que l’on peut prendre pour autant d’invites. De l’autre côté, Il nous défend de donner libre cours à nos désirs. Nous sommes incapables de faire notre choix entre l’invite et la défense : C’est comme si on nous disait : « Retournez la coupe pleine, mais gardez-vous d’en renverser la substance! »