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Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

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Archives de Tag: Auguste Comte

L’antispéciste inattendu

06 dimanche Oct 2019

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antispécisme, Auguste Comte, culture, domination, langage

« Tous les vrais naturalistes, et surtout Georges Leroy, ont d’ailleurs reconnu que ce langage volontaire et perfectible se développe aussi chez les autres animaux supérieurs. Chaque espèce y institue, suivant son organisation et sa situation, sa langue naturelle , toujours intelligible essentiellement pour les rares plus élevées, et même comprise aussi par les êtres moins éminents, quant aux degrés communs de vitalité. Un tel langage se perfectionne graduellement d’après l’essor successif des impulsions intérieures et des influences extérieures qui déterminèrent sa formation. Il ne paraît immobile chez les animaux que faute d’un examen assez approfondi. Toutefois, en tant que toujours subordonné à la socialité correspondante, il comporte nécessairement les mêmes limites naturelles, et subit aussi de semblables entraves artificielles. Or, j’ai assez expliqué, dans le premier volume de ce traité, l’irrésistible fatalité qui borne à notre seule espèce la plénitude du développement social. L’essor spontané des autres sociétés animales se trouvant donc arrêté bientôt par la prépondérance humaine, il en doit être ainsi de leurs propres langues. Chacune d’elles a presque toujours atteint maintenant, et souvent depuis longtemps, l’extension compatible avec l’ensemble des obstacles qui dominent l’espèce correspondante. Mais, puisque notre suprématie constitue ordinairement la plus puissante de ces entraves, on conçoit que, en la supposant supprimée ou même assez suspendue , un progrès appréciable ne tarderait pas à démentir cette immobilité chimérique des langues et des sociétés animales. »

Auguste Comte, Système de politique positive, Tome II, chapitre IV, p. 224

L’entendement est mâle et la raison est femelle

30 lundi Oct 2017

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Auguste Comte, care, dualisme, féminin, masculin, Tom Regan

« En raison de diverses forces culturelles, soutiennent les féministes de l’éthique du care, les hommes ont tendance à penser de certaines manières, et les femmes autrement. Tout d’abord, les hommes (contrairement aux femmes) ont tendance à penser en des termes dualistes et hiérarchiques. Les hommes inclinent, par exemple, à considérer que la raison va à l’encontre de l’émotion (dualisme), mais aussi que la raison lui est supérieure (hiérarchie). Ce même motif émerge dans le cas de l’objectivité et de la subjectivité, de l’impartialité et de la partialité, de la justice et du care, de la culture et de la nature, de l’individualisme et du communautarisme. Dans chacun de ces cas et dans bien d’autres, le monde tend à être ciselé par les hommes en des termes dualistes, et, dans chacun de ces cas, l’un des deux termes est classé comme supérieur, comme ayant une plus grande importance ou valeur que son opposé.
Ce que ces théoricien(ne)s ont l’habitude d’appeler « esprit mâle » se caractérise donc par des classements dualistes et hiérarchiques, dont le résumé pourrait se lire de la façon suivante : les hommes ont tendance à croire que la raison, l’objectivité, l’impartialité, la justice, la culture et l’individualisme ont une plus grande importance ou valeur que l’émotion, la subjectivité, la partialité, le care, la nature et la communauté. Plus encore, les hommes ont tendance à penser qu’ils sont caractérisés par les termes supérieurs de chacun de ces dualismes, et les femmes par les termes inférieurs. Ainsi les femmes sont-elles supposées (par les hommes) être moins rationnelles et plus émotives, moins objectives et plus subjectives, etc. »

Tom Regan, Les droits des animaux, Préface p.64 -65

N’ayant qu’une connaissance de seconde main de l’éthique du care j’avais compris que Gilligan s’efforçait de revaloriser des pratiques dépréciées parce que considérées comme féminines, mais je n’avais pas perçu la dimension essentialiste que Regan semble ici attribuer à ce courant de philosophie morale.

Il me semble qu’on peut concéder sans difficulté deux points

  1. les dualismes hiérarchiques jouent un rôle important dans l’histoire de la philosophie
  2. certains de ces dualismes ont été plus ou moins fortement associés au dualisme masculin/féminin

En revanche  il me semble plus difficile de concéder

3. les dualismes hiérarchiques relèvent d’un mode de pensée typiquement masculin

On peut faire valoir d’abord un argument historique : il semble en effet que si les dualismes hiérarchiques sont aussi anciens que la philosophie, le procédé d’inversion de la hiérarchie et les tentatives de dépassement des dualismes les ont suivi de peu, ils ne semblent, en tous cas, pas avoir attendu la féminisation du corps des philosophes. On peut , de surcroit, jouer la bonne vieille carte Joker « contradiction performative ». Il semble en effet que  valoriser une attitude féminine de dépassement des dualismes contre une propension masculine au dualisme hiérarchique, serait justement reconduire le genre de dualisme qu’on prétend dépasser sous la forme d’un dualisme du dualisme et du non-dualisme.

Si Regan évoque les théories du care dans la préface de son ouvrage c’est que la notion de droit sur laquelle il fait fond relève de l’esprit mâle aux yeux de théoriciennes du care (du moins de celles qui l’ont critiqué : Deborah Slicer et Joséphine Donovan).

« Avec pour toile de fond logique ce qui précède, la dénonciation des droits des individus exprimée par les féministes de l’éthique du care est intelligible. L’idée de « droits de l’individu », croient ces auteurs, est un produit de l’esprit mâle. Pourquoi ? Parce qu’elle se développe à partir d’une conception du monde qui accorde une plus grande valeur à la séparation de l’individu (les droits appartiennent aux individus, après tout) par opposition aux relations familiales et communautaires. De plus, les théories qui affirment les droits des individus accordent une plus grande importance à l’évaluation des choix moraux en termes de considérations impartiales — telles que le droit à un traitement respectueux — qu’à des évaluations basées sur notre responsabilité à nourrir et poursuivre des relations interpersonnelles profondes – telles que les relations parents-enfants. La signification morale de ces dernières relations est dénigrée par l’esprit mâle ; nourrir est la « tâche des femmes » et cette activité est par conséquent de moindre importance que les actes ou les politiques qui honorent les « droits » universels, égaux, inaliénables « des individus ». Contre un tel jugement, les féministes de l’éthique du care célèbrent les qualités (émotion, subjectivité et éthique du care, par exemple) traditionnellement associées à ce qui est féminin. »

ibid. p. 65 -66

Il pourrait être intéressant de confronter cette critique de la notion de droit vue comme masculiniste (à défaut d’être à proprement parler patriarcale) aux critiques d’Auguste Comte qui voit dans le langage des droits un héritage de l’âge théologique :

« Le positivisme ne reconnaît à personne d’autre droit que celui de toujours faire son devoir. En termes plus corrects, notre religion impose à tous l’obligation d’aider chacun à remplir sa propre fonction. La notion de droit doit disparaître du domaine politique, comme la notion de cause du domaine philosophique. Car toutes deux se rapportent à des volontés indiscutables. Ainsi, les droits quelconques supposent nécessairement une source surnaturelle, qui peut seule les soustraire à la discussion humaine. Quand ils furent concentrés chez les chefs, ils comportèrent une véritable efficacité sociale, comme garanties normales d’une indispensable obéissance, tant que dura le régime préliminaire, fondé sur le théologisme et la guerre. Mais depuis que la décadence du monothéisme les dispersa parmi les gouvernés, au nom, plus ou moins distinct, du même principe divin, ils sont devenus autant anarchiques d’un côté que rétrogrades de l’autre. Dès lors, ils n’aboutissent, des deux parts, qu’à prolonger la confusion révolutionnaire ; en sorte qu’ils doivent entièrement disparaître, du commun accord des hommes honnêtes et sensés d’un parti quelconque.
Le positivisme n’admet jamais que des devoirs, chez tous envers tous. Car son point de vue toujours social ne peut comporter aucune notion de droit, constamment fondée sur l’individualité. Nous naissons chargés d’obligations de toute espèce, envers nos prédécesseurs, nos successeurs et nos contemporains. Elles ne font ensuite que se développer ou s’accumuler avant que nous puissions rendre aucun service. Sur quel fondement humain pourrait donc s’asseoir l’idée de droit, qui supposerait raisonnablement une efficacité préalable ? Quels que puissent être nos efforts, la plus longue vie bien employée ne nous permettra jamais de rendre qu’une portion imperceptible de ce que nous avons reçu. Ce ne serait pourtant qu’après une restitution complète que nous serions dignement autorisés à réclamer la réciprocité des nouveaux services. Tout droit humain est donc absurde autant qu’immoral. Puisqu’il n’existe plus de droits divins, cette notion doit s’effacer complètement, comme purement relative au régime préliminaire et directement incompatible avec l’état final, qui n’admet que des devoirs, d’après des fonctions. »

Auguste Comte, Catéchisme positiviste, Dixième Entretien
éd. GF, pp. 237-238

J’ignore si le langage des devoirs est plus recevable aux yeux des théoriciennes du care que celui des droits. On peut considérer que Comte cherche à dépasser le dualisme de la raison et de l’émotion, mais ce n’est pas un penseur qui répugne à la hiérarchie, et si on peut le qualifier de féministe, c’est un féministe bien paradoxal.

Europe steampunk (2)

20 jeudi Avr 2017

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Auguste Comte, Europe, narcissisme national, universalisme

Revenons une nouvelle fois à l’Europe telle que la conçoit Auguste Comte pour examiner sa conception hiérarchique des relations entre les nations européennes. Aujourd’hui je m’attacherai spécialement à la place de la France dans l’Europe comtienne. Sans surprise, la France se voit reconnaître  une place prépondérante puisqu’elle a le privilège d’être le lieu d’émergence du positivisme qui est l’idéologie qui va fédérer l’Europe puis l’humanité. La France a ainsi vocation à jouer le rôle de guide pour les autres nations. Mais cette prépondérance française ne tient pas simplement à un hasard qui aurait fait naître Auguste Comte en France plutôt qu’ailleurs. Qu’il revienne à un Français (lui-même) de systématiser la doctrine positiviste, ce n’est pas, aux yeux de Comte, un hasard mais l’aboutissement naturel du processus historique.

La France (allégorie).

Avant 1848 (date à laquelle Comte écrit son Discours sur l’ensemble du positivisme) , la Révolution Française avait déjà consacré la France dans rôle d’avant-garde de l’universel :

Dans sa signification négative, le principe républicain résume définitivement la première partie de la révolution, en interdisant tout retour d’une royauté qui, depuis la seconde moitié du règne de Louis XIV, ralliait naturellement toutes les tendances rétrogrades. Par son interprétation positive, il commence directement la régénération finale, en proclamant la subordination fondamentale de la politique à la morale, d’après la consécration permanente de toutes les forces quelconques au service de la communauté. […] En ce sens, la population française, digne avant-garde de la grande famille occidentale, vient, au fond, d’ouvrir déjà l’ère normale. Car, elle a proclamé, sans aucune intervention théologique, le vrai principe social, surgi d’abord, au moyen âge, sous l’inspiration catholique, mais ne pouvant prévaloir que d’après une meilleure philosophie et dans un milieu mieux préparé. La république française tend donc à consacrer directement la doctrine fondamentale du positivisme, quant à l’universelle prépondérance du sentiment sur la raison et sur l’activité.

Discours sur l’ensemble du positivisme,
Système de politique positive, Tome I,  p. 70 – 71

La Révolution française illustre un autre élément important de la conception de Comte : l’idée que celui qui a accédé le premier à la vérité n’a pas à imposer sa direction aux autres par la force, mais que sa prépondérance sera naturellement reconnue. Comme on l’a vu à une autre occasion, la nécessité du recours à la contrainte est conçue comme  ce qui distingue le faux universalisme du vrai et, de surcroît, le recours à la contrainte signifierait ici une confusion de l’initiative spirituelle avec une domination temporelle [1]. Ainsi, pour Comte, l’élan initial de sympathie pour la Révolution dans les autres pays européens dit la vérité de l’universalisme dont est porteur la France ; en revanche, les guerres de la révolution et de l’Empire (Napoléon n’étant pas pour lui « l’esprit du monde sur son cheval » mais plutôt un des super-vilains de l’histoire universelle) ne constituent que des « rétrogradations » temporaires.

« Cependant l’initiative de la grande crise se trouvait nécessairement réservée à la population française, mieux préparée qu’aucune autre branche occidentale, soit quant à l’extinction radicale du régime ancien, soit par l’élaboration élémentaire du nouveau système. Mais les actives sympathies qu’excita dans tout l’Occident le début de notre révolution, indiquèrent que nos frères occidentaux nous accordaient seulement le périlleux honneur de commencer une régénération commune à toute l’élite de l’humanité, comme le proclama, même au milieu de la guerre défensive, notre grande assemblée républicaine. Les aberrations militaires qui ensuite caractérisèrent chez nous la principale phase de la réaction rétrograde durent sans doute suspendre des deux parts le sentiment habituel de cette solidarité nécessaire. Toutefois, il était si enraciné partout, d’après l’ensemble des antécédents modernes, que la paix lui rendit bientôt une nouvelle activité, malgré les efforts continus des divers partis intéressés à perpétuer cette division exceptionnelle. L’uniforme décadence des diverses convictions théologiques facilita beaucoup cette tendance naturelle, en dissipant la principale source des dissentiments antérieurs. Pendant la dernière phase de la rétrogradation, et surtout durant la longue halte qui lui succéda chaque élément occidental s’efforça plus ou moins de suivre une marche révolutionnaire équivalente à celle du centre français. Notre dernière transformation politique ne peut que fortifier encore cette commune disposition, qui pourtant ne saurait aussitôt produire des modifications analogues chez des populations moins préparées. Chacun sent d’ailleurs qu’une telle uniformité d’agitation intérieure tend de plus en plus à consolider la paix qui en favorisa la propagation. Malgré l’absence de liens systématiques équivalents à ceux du moyen âge, le commun ascendant des véritables mœurs modernes, à la fois pacifiques et rationnelles, a déjà réalisé, entre tous les éléments occidentaux, une confraternité spontanée jusqu’alors impossible, et qui ne permet plus d’envisager nulle part la régénération finale comme purement nationale. »

ibid p. 80 -81

Mais par delà la Révolution française, Comte fonde la vocation universelle de la France qui justifie sa prépondérance en Europe sur sa position géographique centrale. Ainsi, bien qu’il arrive à l’universel de faire quelques escapades hors de nos frontières (par exemple en Allemagne lors de la Réforme) il a vocation à séjourner durablement en France.

« Depuis la chute de la domination romaine, la France a toujours constitué le centre nécessaire, non moins social que géographique, de ce noyau de l’Humanité, surtout à partir de Charlemagne. La seule opération capitale que l’Occident ait jamais accomplie de concert s’exécuta évidemment sous l’impulsion française, dans les mémorables expéditions qui caractérisèrent la principale phase du moyen âge. A la vérité, quand la décomposition commune du régime catholique et féodal commença à devenir systématique, le centre de l’ébranlement occidental se trouva déplacé pendant deux siècles. La métaphysique négative surgit d’abord en Allemagne; ensuite sa première application temporelle se réalisa en Hollande et en Angleterre par deux révolutions caractéristiques, qui, quoique incomplètes en vertu d’une insuffisante préparation mentale, servirent de prélude à la grande crise finale. Mais, après ce double préambule nécessaire, qui manifesta la vraie destination sociale des dogmes critiques, leur entière coordination et leur propagation décisive s’accomplirent en France, où revint le principal siège de la commune élaboration politique et morale. La prépondérance ainsi acquise à l’initiative française, et qui maintenant se consolidera de plus en plus, n’est donc, au fond qu’un retour spontané à l’économie normale de l’Occident, longtemps altérée par des besoins exceptionnels. On ne peut prévoir de nouveaux déplacements du centre de mouvement social que dans un avenir trop éloigné pour devoir nous occuper ; ils ne pourront provenir, en effet que d’une large extension de la civilisation principale hors des limites occidentales, comme je l’indiquerai à la lin de ce discours. »

ibid. p. 82 – 83

La fin de cet extrait qui évoque une délocalisation du centre spirituel du positivisme (le Comité positiviste est initialement censé siéger à Paris) est éclairée par un commentaire d’Henri Gouhier :

« A mesure que Comte vieillissait, il s’enfermait de plus en plus dans la logique de son rêve , à la fois l’un des plus irréels et des plus lucides que philosophe ait jamais conçu. L’Humanité, dans laquelle il vit déjà, et qui s’égale dans sa pensée aux limites de la terre, ne saurait avoir indéfiniment pour capitale une ville aussi purement occidentale que la présente capitale de la France. Comte en prévoit donc le futur transfert de paris à Constantinople. »

Henri Gouhier, Les métamorphoses de la cité de Dieu, Vrin p. 258

Cette variation sur le thème de la translatio studiorum (le rapprochement est fait par Gouhier) nous renvoie à un problème sur lequel j’aurai l’occasion de revenir, à savoir que le positivisme qui doit servir de ciment aux nations européennes n’a pas pour vocation à rester cantonné à l’Europe mais à s’étendre à l’Humanité. La question est au fond celle-ci : une entité politique locale peut elle se fonder uniquement sur une idéologie globale ?

[1] On l’aura compris la France de Comte, comme celle de Mélenchon, est un phare qui a vocation à éclairer l’Europe et l’Humanité, mais dans l’Europe de Comte, la France ne s’abaisserait pas à menacer d’un plan B.

Europe steampunk

25 samedi Mar 2017

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Auguste Comte, Europe, rétrofuturisme, Union Européenne

On fête aujourd’hui les  60 ans du traité de Rome, alors que l’idéal européen est plutôt mal en point. C’est l’occasion ou jamais de retourner « aux sources » et c’est pour moi un excellent prétexte pour reparler d’Auguste Comte. Examinons aujourd’hui comment il envisageait l’instauration de ce qu’il appelait la République occidentale ?  Le Discours sur l’ensemble du positivisme publié en juillet 1848 donne quelques indications à ce sujet.

L’Europe en 1848

Comme on l’a vu en examinant la question de la langue universelle, l’unité des peuples européens n’est pas d’abord pour Comte affaire de commerce mais d’idéologie : le facteur décisif c’est l’adhésion commune au positivisme et à sa religion de l’humanité. Le processus d’unification ne commence donc pas par une CECA mais par un Comité positif occidental dont Comte détermine ainsi la composition :

« L’immense élaboration régénératrice pourra s’accomplir activement, d’après une liberté philosophique désormais inaltérable. Pour y mieux procéder, il importera que son essor soit assisté par l’Association, à la fois philosophique et politique, que le dernier volume de mon ouvrage fondamental annonça, en 1842, sous le titre caractéristique de Comité positif occidental. Siégeant surtout à Paris, il se compose, dans son noyau primitif, de huit Français, sept Anglais, six Allemands, cinq Italiens, et quatre Espagnols. Ce nombre initial suffit pour que tous les éléments principaux de chaque population occidentale s’y trouvent représentés. Ainsi, sa partie germanique admettrait un Hollandais, un Prussien, un Suédois, un Danois, un Bavarois, et un Autrichien. De même, le Piémont, la Lombardie, la Toscane, l’État Romain, et le pays Napolitain, y fourniraient les organes de l’Italie. Enfin, la Catalogne, la Castille, l’Andalousie, et le Portugal, y caractériseraient assez la population ibérique. »

Discours sur l’ensemble du positivisme,
Système de politique positive, Tome I, p. 384

Comte qualifie ce comité « concile permanent de la nouvelle Eglise », son œuvre est donc celle d’un pouvoir spirituel qui reste distinct des pouvoirs temporels nationaux :

« Pendant que les divers gouvernements nationaux maintiendront partout l’ordre matériel, ces libres précurseurs du régime final présideront à l’élaboration occidentale qui dissipera graduellement l’interrègne spirituel, seul obstacle essentiel à la régénération sociale. Ils devront donc seconder le développement et la propagation du positivisme, ainsi que son application croissante, par tous les moyens honorables dont ils pourront disposer. Outre l’enseignement, oral et écrit, populaire et philosophique, ils s’efforceront surtout d’inaugurer autant que possible le culte final de l’Humanité, déjà susceptible d’ébauche immédiate, au moins quant au système de commémoration. »

ibid. p. 385

Cependant l’influence morale de ce Comité positif occidental doit se concrétiser par des réalisations dans l’ordre temporel. Comte mentionne en premier lieu une marine commune. Comte serait-il l’inventeur de Frontex ? Les précisions qu’il apporte sur les missions de cette marine nous indiquent qu’il ne s’agit pas seulement de garde-côtes  (Sans compter que la « police des mers » ne consistait pas encore  à l’époque à intercepter les migrants ; je présume que Comte avait plutôt en tête la lutte contre la piraterie et les trafics illégaux).

« Telle serait surtout l’institution d’une marine occidentale, noblement destinée, soit à l’universelle police des mers, soit aux explorations théoriques ou pratiques. »

ibid. p. 386

A la suite de cette marine commune, Comte mentionne une monnaie commune. Il n’en détermine pas le nom mais il tient à en fixer la composition et l’aspect :

 » [Une seconde mesure] consisterait à faire sanctionner, par les divers pouvoirs temporels, la monnaie commune destinée à faciliter, dans tout l’Occident, les transactions industrielles. Trois sphères, pesant chacune cinquante grammes, respectivement formées d’or, d’argent, et de platine, offriraient assez de variété pour une semblable destination. Le grand cercle parallèle à la petite base plate y reproduirait la devise fondamentale. A son pôle, figurerait l’immortel Charlemagne, comme fondateur historique de la république occidentale, dont le nom entourerait cette vénérable image. Une telle mémoire, également chère à tout l’Occident, fournirait, dans l’ancienne langue commune, la dénomination usuelle de la monnaie universelle. »

ibid. p. 386

Au vu de cette description, la monnaie commune ne semble pas destinée à servir dans les transactions quotidiennes (combien de baguettes de pain peut-on acheter avec une boule de 50 g d’or, d’argent ou de platine ?). La manière dont Comte s’attarde sur l’aspect et la symbolique de cette monnaie commune appelle deux remarques : 1° on peut s’étonner qu’il nous parle de quelque chose d’accessoire et qu’il ne dise rien de quelque chose d’essentiel à nos yeux aujourd’hui : qu’en est-il des institutions financières liées à cette monnaie commune ? la Banque centrale de la République Occidentale est elle indépendante ? 2° il est tentant d’invoquer les problèmes psychiatriques d’Auguste Comte pour rendre compte de sa prétention à déterminer l’avenir sur des points aussi mineurs qui devraient relever de la négociation entre les dirigeants des états européens (mais dans l’Europe uchronique de Comte les négociations entre européens n’ont vraisemblablement pas l’aspect que nous leur connaissons).

En troisième lieu, Comte mentionne une institution en lien plus direct avec la fonction spirituelle du Comité positif occidental :

« J’y dois pourtant signaler la libre fondation d’un collège occidental propre à constituer le noyau systématique d’une véritable classe contemplative. Destinés au sacerdoce final, ces nouveaux philosophes devraient surtout se recruter parmi les prolétaires, sans toutefois exclure aucune vocation réelle. Ils introduiraient l’enseignement septénaire du positivisme dans toutes les localités disposées à l’accueillir. En outre, ils fourniraient de libres missionnaires qui prêcheraient partout la doctrine universelle, même hors des limites occidentales, suivant la marche indiquée ci – dessous. Un tel office serait beaucoup secondé par les voyages habituels des prolétaires positivistes. »

ibid. p. 386 -387

Je vous laisse juger si les actuels étudiants Erasmus constituent le noyau d’une classe contemplative !

La dernière institution commune mentionnée par Auguste Comte est le drapeau de la République occidentale (on verra en fait qu’il y en a deux) dont il détermine la description comme il l’avait fait pour la monnaie :

« Outre ces diverses mesures spéciales, je dois ici indiquer davantage une institution générale, également relative au régime normal et à la transition finale. Elle concerne le drapeau systématique, à la fois occidental et national, dont la nécessité se fait déjà sentir instinctivement, pour remplacer partout des emblèmes rétrogrades sans adopter aucune bannière anarchique. La transition organique ne serait pas dignement inaugurée si, dès son début, on n’y voyait point prévaloir les couleurs et les devises propres à l’état définitif.

Pour déterminer le drapeau politique, il faut d’abord concevoir la bannière religieuse. Tendue en tableau, elle représentera, sur sa face blanche, le symbole de l’Humanité, personnifiée par une femme de trente ans, tenant son fils entre ses bras. L’autre face contiendra la formule sacrée des positivistes : L‘Amour pour principe, l’Ordre pour base, et le Progrès pour but, sur un fond vert, couleur naturelle de l’espérance, propre aux emblèmes de l’avenir.

Cette même couleur convient seule au drapeau politique commun à tout l’Occident. Devant flotter en pavillon, il ne comporte aucune peinture, alors remplacée par la statuette de l’Humanité, au sommet de son axe. La formule fondamentale s’y décompose, sur les deux faces vertes, dans les deux devises qui caractérisent le positivisme : l’une politique et scientifique, Ordre et Progrès; l’autre morale et esthétique, Vivre pour autrui. »

ibid. p. 387

Je n’ai trouvé aucune image du drapeau positiviste, mais j’ai trouvé ici la représentation de l’Humanité qui se trouve derrière l’autel de la Chapelle de l’Humanité à Paris.

L’Union européenne n’a pas retenu les propositions d’Auguste Comte, mais il pourrait se consoler en constatant qu’il existe bien aujourd’hui un drapeau positiviste : celui du Brésil qui arbore la devise chère à auguste Comte : « ordem e progresso ».

La République occidentale ne doit pas construire selon Comte sur l’effacement de la diversité des nations européennes c’est pourquoi il propose des déclinaisons nationales du drapeau commun :

« De ce drapeau occidental, on déduit aisément celui qui distinguera chaque nationalité, en y ajoutant une simple bordure, aux couleurs actuelles de la population correspondante. En France, où doit surgir l’initiative décisive d’une telle innovation, cette bordure offrirait donc nos trois couleurs, dans l’ordre maintenant usité, mais avec prépondérance du milieu blanc, pour honorer notre ancien drapeau. L’uniformité et la variété se trouvant ainsi combinées heureusement, la nouvelle occidentalité annoncerait dignement son aptitude nécessaire à respecter scrupuleusement jusqu’aux moindres nationalités, dont chacune conserverait ses emblèmes propres sans altérer le symbole commun. »

ibid. p. 388

On peut s’étonner que ce ne soit pas la langue dans laquelle est formulée la devise qui serve à exprimer la diversité nationale au sein de la République occidentale. On notera d’ailleurs que Comte ne dit rien de la langue utilisée sur le drapeau alors qu’il précisait que sur la monnaie c’est le latin qui serait utilisé. On doit ici tenir compte du fait qu’en 1848 Comte n’a pas encore déterminé quelle langue a vocation à être la langue commune des peuples unis par le positivisme. Comme on l’a vu, ce n’est qu’en 1854 dans le IVe tome du Système de politique positive qu’il prend position sur ce point.

Flag_of_Brazil.svg

Flag_of_Saudi_Arabia.svg

Recette du drapeau politique de la République occidentale : prenez le drapeau de l’Arabie saoudite, supprimez l’épée, remplacez la devise par celle du drapeau brésilien.

Dans quelle langue rendrons-nous un culte à l’humanité ? (5)

17 vendredi Mar 2017

Posted by patertaciturnus in Lectures

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Auguste Comte, langue universelle

Voici venu le moment de révéler la solution de l’énigme

« Quand la langue de Dante et d’Arioste sera devenue d’abord sacrée, puis universelle, elle aura graduellement acquis toutes les qualités complémentaires qui lui permettront de fournir un digne organe aux perfectionnements poétiques réservés à la maturité du génie humain. Outre ces efforts exceptionnels, propres aux meilleurs types du sacerdoce, elle dirigera , chez tous les admirateurs du Grand-Être , l’expression habituelle des émotions privées et publiques. Son aptitude musicale instituera spontanément une transition normale entre l’art fondamental et le principal de ses compléments spéciaux, que l’éducation positive rendra partout familier, afin de perfectionner l’ensemble du culte. »

Auguste Comte, Système de politique positive, Tome IV, chapitre I, p.96 – 97

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Pourquoi Auguste compte

15 mercredi Mar 2017

Posted by patertaciturnus in Fantaisie, Lectures

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Auguste Comte, langage, philosophie

Auguste Comte critique du langage privé ?

« Rien ne caractérise mieux l’impuissance nécessaire des métaphysiciens pour se placer au vrai point de vue philosophique que les vaines tentatives par lesquelles ils se sont efforcés de représenter comme essentiellement individuelle une institution aussi pleinement sociale que celle du langage. On s’afflige de voir ce fallacieux régime fasciner un aussi bon esprit que Hobbes jusqu’à supposer, contre l’évidence, que l’usage personnel des signes pour seconder la pensée dut précéder et préparer leur emploi dans les communications mutuelles. En examinant d’abord l’influence du langage sur notre existence individuelle, on conçoit donc que je ne saurais aucunement rétablir ici ce point de vue fantastique, irrévocablement écarté par la philosophie positive. »

Système de politique positive, Tome II, chapitre IV, p. 237

Auguste Comte philosophe du langage ordinaire  ?

« Enfin , la providence collective qui construit et maintient le langage humain l’applique aussi pour corriger, autant que possible, les aberrations d’un génie théorique resté jusqu’ici radicalement inférieur à l’instinct pratique. Obligés de s’entendre avec le public , les plus rêveurs se trouvent poussés à se comprendre eux-mêmes. La vraie logique universelle , si profondément empreinte dans toute langue usuelle , signale et restreint les divagations d’une philosophie fantastique , et celles aussi d’une vaine science. Dispensé de systématiser les notions qu’il formule , le langage consacre spontanément toutes les vérités constatées, quelque opposées qu’elles soient aux préjugés théoriques. »

ibid. p. 259

Dans quelle langue rendrons-nous un culte à l’humanité ? (4)

14 mardi Mar 2017

Posted by patertaciturnus in Lectures

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Auguste Comte, Europe, langue universelle

Pour nous rendre digne d’accueillir la révélation de la solution de l’énigme poursuivons notre initiation à la doctrine positiviste. Aujourd’hui nous examinerons comment Auguste Comte concevait la transition vers l’adoption d’une langue commune. Une indication intéressante apparaît au détour de la présentation de l’éducation positiviste:

« Sous le premier aspect, cet âge [les sept années qui précèdent la puberté] sera donc consacré à la culture familière de nos principales langues occidentales, sans lesquelles la poésie moderne ne saurait être assez appréciée. Outre leur destination esthétique, ces exercices comportent une haute efficacité morale, pour dissiper les préventions nationales, afin d’occidentaliser nos mœurs positivistes. La saine philosophie impose à chaque population l’obligation sociale de connaître toutes les langues limitrophes. Selon ce principe incontestable, la France se trouve forcée, d’après sa position centrale, qui lui procure d’ailleurs tant d’avantages, d’étudier à la fois les quatre autres idiomes occidentaux. Quand toutes les affinités naturelles des cinq populations avancées seront complétées par l’universelle pratique d’une telle règle, une commune langue occidentale ne tardera pas à surgir spontanément, sans aucune assistance des utopies métaphysiques sur l’unité absolue du langage humain. »

Système de politique positive, Tome I
Discours sur l’ensemble du positivisme, Troisième partie

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Je me contenterai de deux remarques :

1° On peut s’amuser  du décalage entre la réputation des Français en matière de maîtrise des langues étrangères et la vocation particulière que leur assignait Auguste Comte en la matière.

2° Si l’éducation positiviste forme des populations polyglottes dans chaque pays, en quoi est-il encore nécessaire qu’il y ait UNE langue commune ?

Dans quelle langue rendrons-nous un culte à l’humanité ? (3)

12 dimanche Mar 2017

Posted by patertaciturnus in Lectures, Perplexités et ratiocinations

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Auguste Comte, langue universelle, religion, universalisme

Nous avons vu il y a deux jours selon quels critères est déterminée la langue qui a vocation, selon Comte, à devenir universelle, mais une question préalable n’a pas encore été examinée : pourquoi faudrait-il qu’il y ait une langue universelle ? Sur ce point, examinons ce que dit l’extrait que j’ai cité mercredi dernier :

Une langue commune devient, en effet, la condition naturelle de cette universalité [de la religion positiviste], comme l’explique le quatrième chapitre du tome deuxième.

Le passage auquel Comte nous renvoie est, me semble-t-il, celui-ci :

Instrument universel de nos communications mutuelles, le langage doit toujours suivre la même marche qu’elles. Sa destinée se règle donc sur celle de la société humaine, dont j’ai déjà caractérisé l’évolution nécessaire. Comme elle, il doit d’abord subir une longue initiation, où son caractère reste essentiellement partiel, pour tendre ensuite vers une active universalité, à mesure que nos relations se consolident et se développent. Ainsi, l’unité constitue l’état final du langage, aussi nécessairement que celui de la civilisation et de la religion, auxquelles il adhère intimement. Un système de communication mentale et morale ne saurait demeurer toujours une source de séparation collective, si les opinions et les mœurs deviennent suffisamment conformes. Mais, une philosophie qui réduisait nos langues à fournir la base générale de la logique individuelle ne pouvait jamais apercevoir leur unité finale.

Surgi de la vie domestique, comme chez tous les autres animaux, le langage humain varie d’abord d’une famille à l’autre, sans jamais cesser d’offrir le type commun propre à notre espèce. Toujours sa propagation reste aussi bornée que son extension. Quand l’état social commence à se développer, le régime correspondant ne comporte que des coalitions partielles, dont les liens intérieurs sont inséparables des antipathies extérieures. Car, la foi théologique et l’activité militaire ne combinent quelques familles qu’en les isolant des autres. L’ensemble des hommes ne peut pas s’accorder davantage sur des croyances chimériques que d’après un but hostile. Or, le langage doit suivre la même marche que la communauté d’opinions et de mœurs qu’il suppose et développe. Une anomalie peu durable le répandrait seule au delà de l’association correspondante, sinon temporelle, du moins spirituelle. Même alors, il pousserait spontanément à réunir les populations respectives. Au milieu des luttes les plus acharnées, l’homme éprouva toujours une répugnance involontaire à détruire l’ennemi qui lui demandait merci dans sa propre langue. Toutes ces notions, dont je dois seulement indiquer ici le principe, se trouveront convenablement expliquées et vérifiées en dynamique sociale.

C’est ensuite au dernier volume de ce traité qu’il faut réserver aussi l’appréciation directe de l’unité finale vers laquelle je viens de signaler la tendance nécessaire du langage humain. Quelque vaines que dussent être les utopies conçues à cet égard, d’après une « philosophie absolue et individuelle, leur essor croissant pendant les trois derniers siècles, chez des penseurs même éminents, indique confusément, comme dans les autres rêves analogues, ce prochain avènement. Il était, sans doute, absurde d’espérer la langue universelle en laissant prévaloir des croyances divergentes et des mœurs hostiles. Mais il serait autant contradictoire de concevoir toutes les populations humaines unies par une foi positive dirigeant une activité pacifique, et parlant ou écrivant des langues toujours différentes. Je dois encore moins déterminer ici l’époque d’une telle harmonie que sa constitution. Néanmoins, en renvoyant à mon quatrième volume cette double appréciation, il fallait maintenant compléter la théorie statique de la langue humaine, en faisant surgir, de sa vraie nature générale, son unité définitive.

Système de politique positive, Tome II, chapitre IV, p. 260 – 262

L’adoption d’une langue commune apparaît ainsi comme le couronnement (et non comme le préalable) d’un processus général d’unification qui ne consiste pas seulement dans la constitution d’un système d’interdépendance des intérêts des différents peuples mais dans une véritables homogénéisation idéologique et morale. Ainsi s’explique une thèse qui peut paraître étonnante : que l’adoption d’une langue commune soit présentée comme répondant non pas aux nécessités pratiques du commerce (comme on pourrait s’y attendre) mais à la nécessité du culte positiviste de l’humanité.

Deux éléments de la position de Comte mériteraient une discussion plus précise  : d’une part l’idée que l’adoption d’une même langue serait impossible si les idées et les mœurs restent différentes :

(1) « Il était, sans doute, absurde d’espérer la langue universelle en laissant prévaloir des croyances divergentes et des mœurs hostiles. »

d’autre part (et réciproquement) l’idée qu’une communauté de foi et de mœurs implique l’adoption d’une même langue :

(2) « Mais il serait autant contradictoire de concevoir toutes les populations humaines unies par une foi positive dirigeant une activité pacifique, et parlant ou écrivant des langues toujours différentes. »

A la thèse (1) il est tentant d’objecter les multiples exemples de divergences religieuses et morales au sein de populations parlant la même langue. Mais l’objection manque peut-être sa cible, car la question n’est pas exactement de savoir (a) si des groupes de foi et de mœurs divergentes peuvent avoir la même langue mais de savoir (b) s’ils  peuvent adopter une même langue (qui ne serait pas déjà commune) alors que leurs fois et leurs mœurs s’opposent. Il est en effet concevable de répondre positivement à (a) et négativement à (b) en soutenant qu’une divergence de mœurs ou de religion peut bien apparaître au sein d’une population jusque là homogène sans remettre en question la communauté de langue mais que des populations hétérogènes tant au niveau linguistique que morale religieux ne pourraient pas dépasser la différence linguistique sans dépasser aussi (et d’abord) leurs divergences morales. A cela  on objectera  les cas où des colonisateurs ont diffusé leur langue chez les colonisés sans remettre en question leur religion (les Anglais en Inde, les Français en Algérie). Il faudrait alors rappeler que  pour Comte il est essentiel que la langue qui deviendra universelle soit spontanément adoptée et non imposée par la force.

Pour discuter la thèse (2) il peut être intéressant d’examiner le cas du latin dans l’Église catholique. Les traditionalistes qui se sont opposés à l’abandon du latin dans la liturgie étaient peut-être des comtiens qui s’ignoraient (inversement il est bien connu que Comte tenait le positivisme pour la relève du catholicisme) puisqu’ils considéraient, contre les réformateurs de Vatican II, que l’abandon de la langue commune signifiait un renoncement à la catholicité (c’est-à-dire à l’universalité). Cet exemple me semble intéressant pour signaler une difficulté qu’a à affronter la position de Comte  : si c’est pour un culte universel qu’il faut une langue universelle, comment éviter que cette langue ne soit maîtrisée que par les clercs et  restent étrangère aux fidèles ? Peut-être les nécessités profanes du commerce seraient elles finalement un ressort plus efficace pour atteindre une universalité effective.

Dans quelle langue rendrons-nous un culte à l’humanité ? (2)

10 vendredi Mar 2017

Posted by patertaciturnus in Lectures

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Auguste Comte, Condorcet, langue universelle

Avant d’apporter la réponse à la devinette proposée avant-hier, jetons un œil aux raisons invoquées par Comte pour déterminer la langue qui a vocation à devenir universelle. Comte tranche d’abord la question de savoir si cette langue doit être une des langues naturelles existantes ou s’il faut créer une langue artificielle à cette fin :

Son institution [celle d’une langue commune aux différents peuples] préoccupa les principaux penseurs, depuis que la révolution occidentale suscita des aspirations décisives à la régénération finale. Mais l’esprit métaphysique fit méconnaître la spontanéité d’une telle construction, qui, nécessairement fondée sur l’élaboration populaire, ne peut résulter que de l’adoption unanime d’une langue existante.

Système de politique positive, Tome IV, chapitre I, p.75

La position prise ici par Comte Comte n’a rien de surprenant quand on sait que pour réfuter l’individualisme il fait valoir l’impossibilité pour un individu de construire seul une langue :

« Celui qui se croirait indépendant des autres, dans ses affections, ses pensées, ou ses actes, ne pourrait même formuler un tel blasphème sans une contradiction immédiate, puisque son langage ne lui appartient pas. La plus haute intelligence est incapable isolément de construire la moindre langue, qui exige toujours la coopération populaire de plusieurs générations. »

Système de politique positive, Tome I,
Discours préliminaire sur l’ensemble du positivisme, IVe partie, p. 221

« Faute de pouvoir s’élever au seul point de vue qui soit vraiment universel, la philosophie théologico-métaphysique méconnut toujours la nature profondément sociale du langage humain. Il est, en lui-même, tellement relatif à la sociabilité que les impressions purement personnelles ne peuvent jamais s’y formuler convenablement, comme le prouve l’expérience journalière envers les maladies. Sa moindre élaboration suppose toujours une influence collective, où le concours des générations devient bientôt non moins indispensable que celui des individus. Les plus grands efforts des génies les plus systématiques ne sauraient parvenir à construire personnellement aucune langue réelle. C’est pourquoi la plus sociale de toutes les institutions humaines place nécessairement dans une contradiction sans issue tous les penseurs arriérés qui s’efforcent aujourd’hui de retenir la philosophie au point de vue individuel. En effet, ils ne peuvent jamais exposer leurs sophistiques blasphèmes que d’après une série de formules toujours due à une longue coopération sociale. »

Système de politique positive, Tome II, chapitre IV, p.220

Si la langue commune des « peuples civilisés » ne peut pas être une langue artificielle, ce n’est pas seulement parce qu’elle ne peut être l’œuvre d’un individu seul mais aussi parce qu’elle doit « lier dignement l’avenir au passé ». On peut  relever que l’idée d’une historicité essentielle du langage donne lieu au même type d’argument (fondé sur la contradiction performative) que ceux que l’on vient de voir fondés sur l’idée de sa nature fondamentalement sociale.

« … le communiste ou socialiste ; qui rejette aveuglément la continuité humaine, prêche ses utopies anarchiques d’après des formules construites par l’ensemble des générations antérieures. »

Système de politique positive, Tome II, chapitre IV, p. 256

On peut discerner cependant une difficulté dans le fait que l’avenir commun ne serait lié qu’au passé particulier du peuple dont la langue est empruntée par les autres. On pourrait justement invoquer l’exigence d’un lien avec le passé comme un obstacle à l’adoption d’une langue commune.

S’il est entendu que la langue universelle sera une des langues existantes, le problème est alors de savoir laquelle. On peut d’abord noter que ce qui importe pour Comte ce sont les qualités intrinsèques de la langue qui la rendent apte à cette universalisation.

« cette universalité doit appartenir à celui que la poésie et la musique ont le mieux cultivé »

Système de politique positive, Tome IV, chapitre I, p.75

Il est frappant que Comte ne fasse pas intervenir de considérations extrinsèques tels que le nombre de locuteurs de la langue et leur répartition à la surface du globe au moment où il écrit. Il peut paraître bien « métaphysique » et peu « positif » de se demander quelle langue mérite le plus de devenir commune et d’écarter l’hypothèse que les atouts extrinsèques/ immérités d’une langue jouent un rôle prépondérant dans sa diffusion.  A cet égard, une remarque de Comte est particulièrement frappante  :

Formé par la population la plus pacifique et la plus esthétique, seule pure de toute colonisation, il trouvera moins d’obstacles qu’aucun autre à la libre adoption que le sacerdoce positif devra lui procurer partout, en le consacrant au culte de l’humanité. »

Système de politique positive, Tome IV, chapitre I, p.75

On ne peut que s’étonner que Comte soutienne que la langue universelle sera celle d’une population « pure de toute colonisation » (comprenons pure de visées colonisatrices) lorsqu’on constate que les langues européennes les plus parlées dans le monde aujourd’hui doivent justement leur prépondérance aux empires coloniaux qui ont contribué à leur diffusion. Pourtant on comprend l’argument de Comte : pour lui la langue commune devra être librement adoptée par tous les peuples « civilisés »et elle ne saurait être imposée. Il me semble que Comte transpose ici à la langue le genre de considérations que Condorcet (dont il fait l’éloge par ailleurs) développait à propos des idées. En effet, il apparaît dans le dernier chapitre de l’Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain que ce qui distingue les idées authentiquement universelles (celle des Lumières pour Condorcet) du faux universalisme théologique c’est que les premières seront librement adoptées alors que le second impliquait nécessairement le recours à la contrainte faute d’être suffisamment fondé en raison pour convaincre :

« Parcourez l’histoire de nos entreprises, de nos établissements en Afrique ou en Asie ; vous verrez nos monopoles de commerce, nos trahisons, notre mépris sanguinaire pour les hommes d’une autre couleur ou d’une autre croyance ; l’insolence de nos usurpations ; l’extravagant prosélytisme ou les intrigues de nos prêtres, détruire ce sentiment de respect et de bienveillance que la supériorité de nos lumières et les avantages de notre commerce avaient d’abord obtenu. Mais l’instant approche sans doute où, cessant de ne leur montrer que des corrupteurs et des tyrans, nous deviendrons pour eux des instruments utiles, ou de généreux libérateurs. […]

Alors les Européens, se bornant à un commerce libre, trop éclairés sur leurs propres droits pour se jouer de ceux des autres peuples, respecteront cette indépendance, qu’ils ont jusqu’ici violée avec tant d’audace. […] A ces moines, qui ne portaient chez ces peuples que de honteuses superstitions, et qui les révoltaient en les menaçant d’une domination nouvelle, on verra succéder des hommes occupés de répandre, parmi ces nations, les vérités utiles à leur bonheur, de les éclairer sur leurs intérêts comme sur leurs droits. Le zèle pour la vérité est aussi une passion, et il doit porter ses efforts vers les contrées éloignées, lorsqu’il ne verra plus autour de lui de préjugés grossiers à combattre, d’erreurs honteuses à dissiper.

Ces vastes pays lui offriront ici des peuples nombreux, qui semblent n’attendre, pour se civiliser, que d’en recevoir de nous les moyens, et de trouver des frères dans les Européens, pour devenir leurs amis et leurs disciples…

CONDORCET, Esquisse d’un tableau historique des progrès de l’esprit humain

On peut tout autant s’étonner du type de qualités de la langue que Comte considère comme déterminantes : pourquoi l’universalité devrait elle appartenir à la langue « que la poésie et la musique ont le mieux cultivée » plutôt qu’à la langue dont la construction serait la plus rationnelle ou que la science aurait le mieux cultivée. Le positivisme ne se veut-il pas pourtant la philosophie de l’âge de la science ? En fait, c’est la philosophie du langage de Comte qui nous permet de comprendre le primat qu’il accorde ici à la poésie et à la musique sur la rationalité. La langue qui sera universelle est selon lui celle qui cultive le mieux les qualités qui sont à l’origine du langage, celles qui réalise le mieux l’essence profonde du langage  :

« Nos facultés quelconques d’expression sont toujours d’origine esthétique, puisque nous n’exprimons qu’après avoir fortement éprouvé. Aussi concernent-elles davantage, surtout au début, les sentiments que les pensées, vu l’énergie supérieure des premiers, principaux stimulants de toute manifestation. Même dans nos langues les plus élaborées, où l’intelligence a tant empiété sur l’affection, sous l’impulsion des besoins publics, on peut encore constater chaque jour cette source nécessaire, en appréciant la partie musicale du moindre discours. Qu’on examine soigneusement les intonations mêlées à la plus sèche exposition mathématique, on ne tardera pas à sentir qu’elles Tiennent du cœur et non de l’esprit, au point qu’on y peut discerner le caractère moral de l’orateur le moins spontané. La biologie explique aisément cette loi, en rappelant que la réaction musculaire, vocale ou mimique, d’où résulte l’expression, est surtout commandée par la partie affective du cerveau, sa partie spéculative étant trop inerte pour provoquer des contractions qui ne lui semblent pas indispensables. C’est pourquoi la sociologie conçoit le fond de chaque langue comme recueillant ce qu’il y a de spontané et d’universel dans l’évolution esthétique de l’humanité, pour satisfaire aux besoins communs de manifestation. Des arts spéciaux exploitent d’abord ce domaine, public, et ensuite l’agrandissent. Mais l’opération ne change pas de nature, soit qu’elle émane de l’instinct populaire ou d’un organe particulier. Le résultat dépend toujours davantage du sentiment que de la raison, même aujourd’hui, dans la plupart des cas, malgré la moderne insurrection de l’esprit contre le cœur. Ainsi, la parole dérive du chant, et l’écriture du dessin, parce que nous exprimons d’abord ce qui nous affecte le plus. »

Système de politique positive, Tome I,
Discours préliminaire sur l’ensemble du positivisme, Ve partie, p. 290

Il est à noter qu’aux yeux de Comte le fait de mettre  l’accent sur l’office scientifique du langage au détriment de son origine esthétique est caractéristique d’une approche métaphysique :

« Son office dans la conception scientifique fut même conçu avec une exagération très vicieuse sous le régime métaphysique, par des penseurs qui , presque toujours livrés au vague et à la fluctuation , devaient surtout aux signes l’apparente fixité de leurs idées. Outre qu’ils méconnurent essentiellement la combinaison directe des notions réelles, ils négligèrent entièrement la réaction logique des sentiments , et même celle des images. Toute leur attention resta donc bornée au moins puissant des trois auxiliaires généraux de nos méditations , en attachant beaucoup trop de prix à la disponibilité qui le caractérise. Quoique les études scientifiques aient souvent conduit à constater partiellement ces aberrations ontologiques , l’esprit positif ne put acquérir assez de généralité pour construire à cet égard une meilleure théorie, jusqu’à ce que la fondation de la sociologie eut constitué le seul point de vue convenable. Car, c’est surtout en rapportant le langage à sa destination sociale qu’on peut concevoir sainement sa principale efficacité théorique. »

Système de politique positive, Tome II, chapitre IV, p. 248

Dans quelle langue rendrons-nous un culte à l’humanité ?

08 mercredi Mar 2017

Posted by patertaciturnus in devinette, Lectures

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Auguste Comte, langue universelle

Deux choses remplissent mon esprit d’admiration et de crainte : les citations en grec de Vladimir Jankélévitch et les descriptions définies d’Auguste Comte. Une de ces dernières dernières me donnera l’occasion de proposer à mes lecteurs une devinette : quelle est la langue qu’évoque Comte à la fin du paragraphe ci-dessous ? Autrement dit, quelle est la langue qui a vocation à devenir la langue commune de tous les fidèles de la religion de l’Humanité (c’est-à-dire la religion qui doit, selon Comte, remplacer le culte de Dieu, quand la science se sera définitivement substitué au mode de penser théologique) ?

« Cet aperçu de la constitution sacerdotale [de la religion de l’Humanité] resterait incomplet si je n’indiquais la solution spontanée d’une grave difficulté, relative à l’extension nécessaire de la religion positive aux diverses parties de la planète humaine. Une langue commune devient, en effet, la condition naturelle de cette universalité, comme l’explique le quatrième chapitre du tome deuxième. Son institution préoccupa les principaux penseurs, depuis que la révolution occidentale suscita des aspirations décisives à la régénération finale. Mais l’esprit métaphysique fit méconnaître la spontanéité d’une telle construction, qui, nécessairement fondée sur l’élaboration populaire, ne peut résulter que de l’adoption unanime d’une langue existante. Entre les idiomes de l’Occident, cette universalité doit appartenir à celui que la poésie et la musique ont le mieux cultivé, quand les modifications convenables l’auront assez systématisé. Résulté du perfectionnement spontané de la langue propre aux meilleurs précurseurs de la sociabilité finale, il est le plus apte à lier dignement l’avenir au passé. Formé par la population la plus pacifique et la plus esthétique, seule pure de toute colonisation, il trouvera moins d’obstacles qu’aucun autre à la libre adoption que le sacerdoce positif devra lui procurer partout, en le consacrant au culte de l’humanité. »

Auguste Comte, Système de politique positive, Tome IV, chapitre I

Si cette devinette est trop facile pour vous, vous pouvez passer au niveau supérieur en essayant de deviner de quoi parle Hegel dans le texte cité à la fin de cet article.

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