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Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

Pater Taciturnus

Archives de Tag: enseigner et apprendre

Quand l’acteur est bon public

02 samedi Avr 2022

Posted by patertaciturnus in confession, Mon métier ma passion

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autorité, enseigner et apprendre, rôle

Aujourd’hui je vais essayer d’approfondir l’exercice d’introspection professionnel amorcé samedi dernier. Pourquoi suis-je si (trop) bon public pour les élèves plaisantins, même quand leurs fantaisies perturbent le déroulement de mes cours?

1ere explication envisageable : je fais preuve d’une indulgence coupable envers eux car je me reconnais en eux. Cette explication est très certainement fausse. Je ne prétend évidemment pas avoir été un élève toujours parfaitement attentif, mais il est bien certain que je n’étais pas du tout de genre à chercher à perturber les cours ou à susciter l’hilarité de mes camarades. Si je devais m’identifier à des élèves ce serait plutôt à ceux qui attendent de moi plus de sévérité envers les amuseurs, or ce n’est pas ce qui se produit spontanément.

2e explication possible : je suis bon public envers les amuseurs parce que je m’ennuie dans mes propres cours et que je n’attends qu’un prétexte pour m’en laisser distraire. Formulée aussi abruptement, cette explication me paraît également fausse.  En effet, je me reconnais volontiers dans cette figure professorale, raillée quelque part par Bourdieu, [1] capable de s’enflammer à sa énième visite guidée d’un monument de la philosophie. Peut-être est-ce que je prends mes désirs pour des réalités (me croire vu comme j’aimerais l’être), mais il me semble que les élèves me perçoivent comme « à fond [de]dans » ce que je raconte.  Là encore, je ne cherche pas à me poser en modèle, car je ne sais que trop bien qu’il ne suffit pas d’être passionné pour être passionnant. Je crois d’ailleurs que la question que j’essaye d’éclaircir tient en partie au revers de la médaille de mon fonctionnement pédagogique « à l’enthousiasme ». Tout se passe comme si j’étais disposé, lorsque mon enthousiasme ne se révèle pas communicatif, à laisser d’autres artistes « faire le show ». Peut être que je deviens bon public quand je ne me sens pas assez bon acteur. Le problème serait moins que je m’ennuie dans mes propres cours que le fait que je me sente fautif lorsque j’ai l’impression d’ennuyer les autres. Il y a une deuxième contrepartie de mon fonctionnement à l’enthousiasme qui vaut la peine d’être mentionnée, c’est que lorsque la mayonnaise ne prend pas, je répugne à basculer en mode autoritaire. Je pars du principe que ce pour quoi j’exprime vivement mon intérêt devrait susciter l’intérêt, mais lorsque ce n’est pas le cas je ne suis pas à l’aise dans le mode impérieux du « je veux donc vous devez ». Une autre manière de présenter les choses serait de dire que je prends tout à fait au sérieux mon rôle de « passeur » mais que j’ai plus de mal à me prendre complètement au sérieux dans mon rôle d’autorité. Le rôle du passeur je ne demande qu’à m’y fondre complètement ; il a d’ailleurs eu plus d’une fois le pouvoir  de me remettre sur pied alors que j’avais le moral au plus bas avant d’entrer en classe. Pour ce qui est du rôle d’autorité, j’ai peut être trop conscience de le jouer pour m’y identifier complètement et pour ne pas laisser paraître aux élèves que je ne suis pas à fond dans ce rôle comme je le suis dans le premier. Cela d’ailleurs n’est pas valable uniquement dans le domaine professionnel, car ma cadette m’a plusieurs fois fait remarquer que je lui donnais l’impression d’être sur le point d’éclater de rire en même temps que je la réprimandais.

[1] Il me semblait que c’était dans L’esquisse d’une auto-analyse mais je n’ai pas retrouvé le passage.

Énergie pédagogique

18 dimanche Juil 2021

Posted by patertaciturnus in Mon métier ma passion

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dynamisme, enseigner et apprendre, Raymond Geuss

Je me plais à penser que je suis un professeur dynamique. Les retours que j’ai de la part de mes élèves semblent m’y autoriser, qu’ils comptent mes pas en cours, me demandent si je bois du Red Bull avant d’entrer en classe, ou simplement me prient de m’asseoir pour canaliser mon énergie …

Je crains cependant de faire pâle figure à côté de monsieur Raymond Geuss.

Raymond Geuss avait 67 ans au moment où cette vidéo a été réalisée … voilà qui me rassure face à la perspective du report de l’âge de la retraite.

Add.

J’ai découvert Raymond Geuss grâce à une note de bas de page de Science, vérité, démocratie de Philip Kitcher qui recommande The idea of a critical theory (le premier livre de Geuss) pour aborder la « littérature souvent opaque » autour de la théorie critique.

 

 

Bordélisation

07 vendredi Avr 2017

Posted by patertaciturnus in Lectures

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bordel, Cesare Pavese, enseigner et apprendre

« Une classe d’élèves prend de l’ascendant sur un professeur par d’imperceptibles paliers, que le professeur tolère par générosité sachant que c’est sa présence et non ses rappels à l’ordre qui doivent imposer le silence. Mais peu à peu le brouhaha devient général et le professeur doit intervenir et rappeler quelqu’un à l’ordre. La classe comprend que le professeur n’est pas invulnérable, que quelqu’un a parlé, que chacun peut être ce quelqu’un. D’autres rappels à l’ordre suivent, qui habituent au rappel à l’ordre. Comme ils ne peuvent pas tous être frappés, il se forme un état de chahut toléré qui excuse chaque élève en particulier. Le professeur rappelle maintenant à l’ordre avec une plus grande violence et en conséquence — d’autant plus — les bruits deviennent plus malicieux, plus intentionnels, étant donné que le professeur répugne par générosité ou ne réussit pas à trouver des sanctions terribles. Le chahut devient donc un état endémique de distraction, d’épanchement, de guerre, maintenant que l’on connaît les limites des réactions du professeur. Sa simple présence ne suffit plus à imposer le silence, il faut le rappel à l’ordre et le rappel à l’ordre a laissé voir sa précarité. »

Cesare Pavese, Le métier de vivre, 17 novembre 1938

Le maître Lemaître

28 mardi Mar 2017

Posted by patertaciturnus in Lectures, Mon métier ma passion

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Big Bang pédagogique, enseignant-chercheur, enseigner et apprendre, Georges Lemaître, improvisation

Le chanoine et physicien belge Georges Lemaître est considéré comme un des fondateurs de la théorie du Big Bang. Ses pratiques d’enseignant (on verra que le terme de méthode n’est peut-être pas très approprié) n’ont pas la notoriété de ses découvertes de chercheur mais elles ne manqueront pas d’inspirer des lecteurs en quête de disruption Big Bang pédagogique.

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« Quel genre de professeur était Georges Lemaître ? Tous les avis concordent pour dire que le style pédagogique de Lemaître était assez perturbant pour les étudiants, et ce pour deux raisons. D’abord et avant tout parce qu’il ne procédait que très rarement de manière linéaire et systématique. Ensuite parce que la matière n’était pas toujours adaptée à l’auditoire qu’il avait devant lui.

Nous avons vu que Lemaître est moins attiré, dans ses recherches, par la systématisation, la synthèse que par la résolution de problèmes, d’énigmes ou par l’ex­périmentation numérique sur des situations « où il se passe quelque chose». Dans ses cours, il suit ce penchant de son intelligence. Il commence par exposer un problème qu’il tire éventuellement d’un livre qu’il a sous les yeux. Il se lance alors dans la résolution de ce problème par une méthode d’essais et d’erreurs où l’étudiant le voit jongler avec des formules qui ne donnent pas toujours le résultat escompté. Cela provoque de temps à autre une petite saute d’humeur du chanoine, qui quitte la salle de cours en renvoyant la solution exacte au cours prochain ou à un ouvrage de référence, ou encore des temps meilleurs où la technologie des machines sera plus avancée!
Ce genre de pédagogie est lié au fait que le cosmologiste ne passe pas beaucoup de temps à préparer ses cours. Ses cahiers de retraite montrent qu’il avait du mal à dompter le jaillissement incessant de sa pensée et à se discipliner dans le domaine des cours.
[…]

Les examens de Lemaître sont à l’image de son enseignement : originaux. Georges Lemaître a toujours été très clément aux examens. Il sait que son type d’enseignement ne lui permet pas de soumettre les étudiants à des tests trop sévères. Il propose d’ailleurs à l’étudiant de s’évaluer lui-même avant de commencer l’examen. Suivant l’auto-évaluation de l’étudiant, qui fixe la borne supérieure des points qu’il peut obtenir il lui donne une question plus ou moins facile. Il lui arrive aussi de donner les questions d’examens et de partir pendant plus d’une heure en laissant les étudiants seuls. À d’autres moments, il distribue des notes sans faire passer l’examen, mais seulement pour se faire pardonner d’être en retard. En effet, il lui arriva un jour de juillet d’oublier qu’il avait examen l’après-midi. Il revint du restaurant Majestic assez tard et, voyant une file d’étudiants devant son bureau, il prit conscience de son oubli. Il lança alors d’une voix forte: «13 pour tout le monde! » Les étudiants se retirèrent contents, surtout ceux qui n’avaient pas étudié ou compris le cours du chanoine… »

Pour la science, Les génies de la science, n°30 avril 2007

Pédagogie du bourreau

26 samedi Nov 2016

Posted by patertaciturnus in Aphorisme du jour, Lectures

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Cesare Pavese, douleur, enseigner et apprendre

« Si seule la douleur peut vous éduquer, je demande pourquoi il est philosophiquement interdit de s’acharner contre son prochain, ce qui reviendrait à lui donner la meilleure éducation qui soit. »

Cesare Pavese, Le métier de vivre, 1938

coffret-bdsm

Dès la rentrée prochaine, les ESPE distribueront ce nouveau kit pédagogique aux professeurs stagiaires .

Pour les nouveaux lecteurs, on rappellera que l’usage pédagogique de la souffrance a été évoquée à de multiples reprises sur ce blog ( voir ici, là, là et là) ce qui peut jeter un doute sur l’équilibre de son auteur.

La réplique qui brûlait les lèvres …

20 dimanche Nov 2016

Posted by patertaciturnus in Mon métier ma passion

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enseigner et apprendre

… mais qui n’est pas sortie.

– Je ne comprends pas les collègues qui se plaignent de perdre des heures de cours à cause des voyages et sorties scolaires. Les gamins apprennent tellement plus dans ces occasions que dans les cours classiques !
– C’est de tes cours que tu parles, là ?

Onfray professeur

09 jeudi Juin 2016

Posted by patertaciturnus in Mon métier ma passion, SIWOTI or elsewhere

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enseigner et apprendre, Michel Onfray, philosophie, vice épistémique

Hier, au moment de partager la conférence de Michael Sandel qui m’avait favorablement impressionné, je n’ai pas résisté à la tentation de faire un parallèle avec Michel Onfray. Je dois reconnaître que le procédé n’est pas vraiment à mon honneur puisque je désapprouve, quand je l’observe chez les autres, l’emploi de l’Onfray-bashing (ou de n’importe quel « philosophe-médiatique-bashing ») comme moyen de prendre une pose avantageuse à peu de frais. Ceux qui croient donner des signes de leur initiation à la « vraie philosophie » en tapant sur les faux-philosophes-médiatiques mais qui vont se pâmer devant des bullshitters radicaux comme Badiou ou Žižek, sont, au mieux, des demi-habiles (il faudrait pouvoir parler de quart ou de dixième d’habiles …). Quant à ceux qui ont consacré des livres entiers au « démontage » d’Onfray, il suscitent ma perplexité  : pourquoi consacrer autant de temps et d’énergie à un imposteur, si ce n ‘est – ainsi que le suggère habituellement leur cible – pour essayer de bénéficier de sa notoriété ?

Bref, pour que ma référence à Onfray ne soit pas qu’une astuce facile, j’aimerais m’expliquer sur ce que j’avais en tête à ce sujet. Je ne me risquerai pas à parler du Michel Onfray philosophe-écrivain car je n’ai fait que survoler des passages de ses ouvrages, je ne parlerai que du Michel Onfray professeur, dont les cours à l’Université populaire de Caen, permettent de remplir la grille des programmes d’été de France Culture.  Les deux aspects ne sont pas sans lien, comme on va le voir, mais je préfère ne me prononcer que sur celui que je connais suffisamment.  Il se trouve, que la première critique que j’ai à adresser à Onfray-professeur, recoupe une critique que j’ai souvent entendu adresser au philosophe-écrivain-Onfray, je veux parler du reproche de « facilité ». Une part de cette facilité tient d’ailleurs au type d’approche philosophique qu’il revendique (les défauts du professeur seraient alors le reflet de ceux du philosophe) : le biographisme encourage ainsi une lecture des auteurs « par le petit bout de la lorgnette » en réduisant leurs thèses à l’expression de leurs choix existentiels. Dans sa contre-histoire de la philosophie Michel Onfray passe en revue des opinions de philosophes en distribuant bons et mauvais points (au risque, d’ailleurs, que les critiques adressées à l’un ne soient guère cohérentes avec les critiques adressées à un autre lors d’un cours précédent). Cette approche centrée sur les thèses réduites à des opinions contraste singulièrement avec une approche centrée sur les problèmes et soucieuse des arguments permettant de départager les thèses qui s’opposent. Onfray ne fait pas vivre les problèmes parce qu’avec lui on sait toujours-déjà qui sont les gentils et les méchants. Quel besoin alors de s’intéresser aux arguments des uns et des autres? On le voit, la manière d’enseigner la philosophie, tient ici à une certaine conception de la philosophie, dont on aura compris que je ne la partage pas. Mais le problème n’est pas seulement qu’il donne, selon moi, une fausse idée de la philosophie, c’est aussi, et surtout, qu’il donne le mauvais exemple, qu’il encourage des mauvaises habitudes intellectuelles  en expédiant des thèses à coup d’anecdotes biographiques, en piétinant le principe de charité ou en négligeant les objections qui pourraient lui être adressées.  Il me paraît important de noter que l’approche d’Onfray ne rend pas ses cours plus « vivants » que ceux de philosophes plus rigoureux ou reconnus par l’institution universitaire. La conférence de Sandel que je mentionnais hier me paraît plus stimulante que tout ce que j’ai pu entendre chez Onfray , et on trouve dans l »Université française dont il médit de temps à autres, des gens qui le surpassent, non seulement en rigueur, mais aussi en tant que showmen (je pense par exemple à Francis Wolff). En effet, un chose qui m’avait étonné, la première fois que j’ai entendu la Contre-histoire de la philosophie d’Onfray sur France-Culture, c’est la platitude de sa forme d’enseignement. La raison de ma surprise, c’était le contraste entre la réalité de sa manière d’enseigner, que je découvrais, et les poses de rebelle pédagogique que reflétaient son Antimanuel de philosophie ou les propos sur l’enseignement de la philosophie qu’il avait tenu lors de sa démission de l’Education Nationale.   Dans ses cours à l’Université Populaire, Michel Onfray nous raconte les philosophes à coups de formules comme « Machin nous informe que … » ou « Bidule nous fait savoir que … ». J’ai du mal à croire qu’Onfray ait procédé de cette manière lorsqu’il était professeur dans l’enseignement technologique. Un professeur qui enseignerait ainsi en classe terminale, face à un public qui, à la différence de celui de l’Université Populaire de  Caen, n’est pas acquis d’avance, aurait, je le crains, bien du mal à garder l’attention de ses élèves.

Le retour du Jésuite

27 dimanche Mar 2016

Posted by patertaciturnus in Lectures

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émulation, Compagnie de Jésus, compétition, Emile Durkheim, enseigner et apprendre, ilôts bonifiés

Ceux de mes lecteurs qui ont des enfants au collège – à moins qu’ils n’y enseignent – ont peut-être entendu parlé du dispositif des îlots bonifiés.

J’emprunte une description de ce dispositif aux Cahiers pédagogiques qui, à leur habitude, s’enthousiasment pour tout ce qui s’écarte du méchant-cours-magistral-impositif-frontal :

« Il s’agit en effet de faire travailler les élèves en groupes ou « îlots » constitués de tables autour desquelles s’assemblent les élèves par affinité, librement. Ces équipes, « îlots » ou « tables », ont la possibilité permanente au cours du jeu de gagner (ou de perdre) des « points bonus » lesquels « bonifient » ainsi leurs notes finales et les rendent donc meilleures. […] Le premier objectif du travail de groupe est de rendre les élèves actifs et interactifs, en classe, en sortant de façon volontariste de la pédagogie impositive et frontale au cours de laquelle trop souvent seuls quelques élèves suivent et « participent » pendant que le maître fait l’essentiel du travail d’exposition et de « monstration » du savoir… Et tous les bénéfices qu’apporte le travail de groupe pour les apprentissages et pour la gestion de la classe se retrouvent intégralement dans la méthode que Marie Rivoire a élaborée pour sa discipline d’abord et pour les autres ensuite, tant il est vrai qu’elle a fait déjà autour d’elle de nombreux adeptes enthousiastes. […] Marie Rivoire donne, au tout début de son ouvrage, les clefs de fonctionnement de sa méthode. Voyons-les rapidement :

• Les élèves se placent librement et par affinité, à quatre ou cinq autour d’un « îlot ». Le professeur conserve le droit de réguler par la suite la composition de ces groupes.

• La « table » va travailler pour gagner le plus rapidement possible un maximum de points. Plus le travail fourni est de qualité et effectif, plus on comptabilise de points

• Chaque table part de zéro et accumule de points bonus, pour le travail et l’attitude, qu’elle inscrit en couleur sur une fiche.

• Avant tout échange dans le groupe, chaque élève assis à la table effectue individuellement le travail demandé.

• Chaque îlot détient une ardoise sur laquelle les élèves, à tour de rôle, notent la participation des membres du groupe au travail collectif. Il faut une barre pour chaque élève pour que le groupe valide un point bonus. Le refus de participer est sanctionné individuellement d’une marque rouge.

• Une table qui ne participe pas ou qui perturbe les autres îlots, peut être sanctionnée d’une marque rouge collective qui fait perdre un point bonus.

• La table qui arrive à 20 points bonus met fin à la partie de toutes les tables. On comptabilise points bonus et marques rouges et la note, attribuée à tous les membres de l’équipe, est inscrite et coefficientée dans le carnet de notes. Les élèves sont ainsi récompensés immédiatement pour les efforts fournis.

Je suis bien incapable d’apprécier l’efficacité du dispositif, mais je tiens à signaler qu’on peut aller encore plus loin dans l’utilisation de l’émulation entre groupes comme carburant pédagogique. C’est ce dont témoigne la description que donne Durkheim du dispositif en vigueur dans les Collèges Jésuites du XVIIe :

« Mais, pour entraîner les élèves à un travail formel intense, mais assez vide de matière, il ne suffisait pas de les entourer, de les envelopper de près avec une sollici­tude vigilante ; il ne suffisait pas d’être toujours attentif à les contenir et à les soute­nir, il fallait aussi les stimuler. L’aiguillon dont se servaient les Jésuites, c’était exclu­si­ve­ment l’émulation. Non seulement ils furent les premiers à organiser dans les collèges le système de l’émulation, mais ils le portèrent d’emblée à un degré de développement qu’il ne devait plus revoir.

Aujourd’hui, bien que, dans nos classes, ce système tienne encore une place considérable, cependant il ne fonctionne plus d’une manière ininterrompue. On peut dire que, chez les Jésuites, il n’y avait pas de moment où il chômât. Toute la classe était organisée dans ce but. Les élèves étaient divisés en deux camps, les Romains d’une part et les Carthaginois de l’autre, qui vivaient, pour ainsi dire, sur le pied de guerre, s’efforçant de se devancer mutuellement. Chaque camp avait ses dignitaires. En tête du camp, il y avait un imperator, appelé aussi dictateur ou consul, puis venaient un préteur, un tribun et des sénateurs. Ces dignités, naturellement enviées et disputées, étaient attribuées à la suite d’un concours qui se renouvelait chaque mois. D’un autre côté, chaque camp était divisé en décuries, comprenant chacune dix élèves, et commandée par un chef nommé décurion et pris parmi les dignitaires dont nous venons de parler. Ces décuries ne se recrutaient pas indifféremment. Il y avait entre elles une hiérarchie. Les premières comprenaient les meilleurs élèves, les dernières les écoliers les plus faibles et les moins laborieux. Et ainsi, de même que le camp dans son ensemble s’opposait au camp adverse, dans chaque camp chaque décurie avait dans l’autre sa rivale immédiate, de force sensiblement égale. Enfin, les individus eux-mêmes étaient appariés, et chaque soldat d’une décurie avait son émule dans la décurie correspondante. Ainsi le travail scolaire impliquait une sorte de corps à corps perpétuel. Le camp défiait le camp, la décurie était en lutte avec la décurie, et les émules se surveillaient, se corrigeaient et se reprenaient mutuellement. A l’occa­sion, le maître ne devait pas craindre de mettre aux prises des élèves de force inégale. Par exemple, on faisait corriger le devoir d’un élève plus fort par un élève moins fort afin, dit le P. Jouvency, « que ceux qui ont fait des fautes en soient plus honteux et plus mortifiés ». Même chacun peut livrer bataille à un élève d’une décurie supérieure et, vainqueur, il prend sa place.

Il est intéressant de remarquer que ces diverses dignités n’étaient pas seulement des titres honorifiques, mais des fonctions actives ; et c’était d’ailleurs ce qui en faisait le prix. Le décurion avait des pouvoirs étendus. Placé en face de sa décurie, il était chargé d’exiger le silence et l’attention de ses dix écoliers, de constater les absences, de faire réciter les leçons, de s’assurer si les devoirs étaient terminés et faits avec soin. Les consuls exerçaient sur les décurions de leur camp la même autorité que ceux-ci sur leurs décuries. Chacun était ainsi tenu en haleine. Jamais l’idée que la classe est une petite société organisée n’a été réalisée aussi systématiquement. C’est une cité dont chaque élève est fonctionnaire. C’est, d’ailleurs, grâce à ce partage du travail entre le maître et les élèves qu’un professeur pouvait diriger sans trop de difficulté des classes qui atteignaient parfois deux cents et trois cents élèves. »

Emile Durkheim, L’évolution pédagogique en France, IIe partie, Chapitre VII

 

Mater et magistra

17 jeudi Mar 2016

Posted by patertaciturnus in Tentatives de dialogues

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enseigner et apprendre

– Je crois qu’il vaut mieux m’avoir comme prof que comme parent.
– Qu’est-ce qui te fait dire ça ?
– eh bien, je suis infiniment plus patient avec mes élèves qu’avec mes enfants.
– mouaif… j’ai l’impression que tous les collègues qui ont des gosses pourraient dire la même chose, non ? ça en dit moins sur toi que sur la difficulté relative de chacun des rôles.

Art de démotiver (2)

31 lundi Août 2015

Posted by patertaciturnus in Fantaisie

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enseigner et apprendre, vanité des vanités

Petit rappel à tous les professeurs qui faisaient aujourd’hui leur pré-rentrée.

Dans ces moments où il vous semble que vous intéressez vos élèves, n’oubliez pas que leur satisfaction aurait été plus grande encore si on leur avait annoncé votre absence.

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