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Aujourd’hui je vais essayer d’approfondir l’exercice d’introspection professionnel amorcé samedi dernier. Pourquoi suis-je si (trop) bon public pour les élèves plaisantins, même quand leurs fantaisies perturbent le déroulement de mes cours?
1ere explication envisageable : je fais preuve d’une indulgence coupable envers eux car je me reconnais en eux. Cette explication est très certainement fausse. Je ne prétend évidemment pas avoir été un élève toujours parfaitement attentif, mais il est bien certain que je n’étais pas du tout de genre à chercher à perturber les cours ou à susciter l’hilarité de mes camarades. Si je devais m’identifier à des élèves ce serait plutôt à ceux qui attendent de moi plus de sévérité envers les amuseurs, or ce n’est pas ce qui se produit spontanément.
2e explication possible : je suis bon public envers les amuseurs parce que je m’ennuie dans mes propres cours et que je n’attends qu’un prétexte pour m’en laisser distraire. Formulée aussi abruptement, cette explication me paraît également fausse. En effet, je me reconnais volontiers dans cette figure professorale, raillée quelque part par Bourdieu, [1] capable de s’enflammer à sa énième visite guidée d’un monument de la philosophie. Peut-être est-ce que je prends mes désirs pour des réalités (me croire vu comme j’aimerais l’être), mais il me semble que les élèves me perçoivent comme « à fond [de]dans » ce que je raconte. Là encore, je ne cherche pas à me poser en modèle, car je ne sais que trop bien qu’il ne suffit pas d’être passionné pour être passionnant. Je crois d’ailleurs que la question que j’essaye d’éclaircir tient en partie au revers de la médaille de mon fonctionnement pédagogique « à l’enthousiasme ». Tout se passe comme si j’étais disposé, lorsque mon enthousiasme ne se révèle pas communicatif, à laisser d’autres artistes « faire le show ». Peut être que je deviens bon public quand je ne me sens pas assez bon acteur. Le problème serait moins que je m’ennuie dans mes propres cours que le fait que je me sente fautif lorsque j’ai l’impression d’ennuyer les autres. Il y a une deuxième contrepartie de mon fonctionnement à l’enthousiasme qui vaut la peine d’être mentionnée, c’est que lorsque la mayonnaise ne prend pas, je répugne à basculer en mode autoritaire. Je pars du principe que ce pour quoi j’exprime vivement mon intérêt devrait susciter l’intérêt, mais lorsque ce n’est pas le cas je ne suis pas à l’aise dans le mode impérieux du « je veux donc vous devez ». Une autre manière de présenter les choses serait de dire que je prends tout à fait au sérieux mon rôle de « passeur » mais que j’ai plus de mal à me prendre complètement au sérieux dans mon rôle d’autorité. Le rôle du passeur je ne demande qu’à m’y fondre complètement ; il a d’ailleurs eu plus d’une fois le pouvoir de me remettre sur pied alors que j’avais le moral au plus bas avant d’entrer en classe. Pour ce qui est du rôle d’autorité, j’ai peut être trop conscience de le jouer pour m’y identifier complètement et pour ne pas laisser paraître aux élèves que je ne suis pas à fond dans ce rôle comme je le suis dans le premier. Cela d’ailleurs n’est pas valable uniquement dans le domaine professionnel, car ma cadette m’a plusieurs fois fait remarquer que je lui donnais l’impression d’être sur le point d’éclater de rire en même temps que je la réprimandais.
[1] Il me semblait que c’était dans L’esquisse d’une auto-analyse mais je n’ai pas retrouvé le passage.