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Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

Pater Taciturnus

Archives de Tag: Dieu

Avec qui jouer à cache-cache ?

08 mardi Fév 2022

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Dieu, Jacek Podsiadło

Deus absconditus vs Girls just want to have fun

*

Ostatecznie
udało się nam udowodnić sobie,
że nie jesteśmy stworzeni do życia,
lecz w życiu
zakopani.
Jak dzieci
długo szukajace ukrytego Przyjaciela
i wołające z rezygnacją : wychodź, wychodź!
spostrzegliśmy poniewczasie, że żaden Bóg
nie bawi się z nami
w chowanego.
Ale my
możemy się nadal bawić
odnajdując siebie.
Dziewczynki, które urodzą nasze żony,
na pewno będą domagać się
zabawy.

Jacek Podsiadło

100 tysięcy za wiersz! Poeta spod Ostrowca dostał nagrodę Szymborskiej  (WIDEO) | Echo Dnia Świętokrzyskie

Finalement
nous sommes parvenus à le prouver
nous ne somme pas faits pour la vie
nous sommes ensevelis
dans la vie.
Comme des enfants
qui ont longuement cherché leur Ami caché
et qui l’implorent d’abandonner : sors ! sors !
nous avons compris tardivement qu’aucun Dieu
ne joue à cache-cache avec nous.
Mais nous
nous pouvons continuer à jouer
à nous trouver les uns les autres.
Les filles dont naîtront nos femmes
demanderont sûrement à s’amuser.

adaptation : K. Padami

L’horreur dans le ciel nocturne

20 lundi Sep 2021

Posted by patertaciturnus in Divers vers

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Dieu, horreur, Idea Vilariño

Que horror
si hubiera dios
y si esas dos estrellas
pequeñas parpadeantes y gemelas
fueran los dos ojitos
mezquinos
acechantes
malevolos
de dios.

Idea Vilariño, Última Antología

*

Quelle horreur
si dieu existait
et si ces deux étoiles
minuscules et jumelles qui scintillent
étaient les deux petits yeux
méchants
impassibles
malfaisants
de dieu.

trad. Eric Sarner

Version de la Chute (2)

11 dimanche Mar 2018

Posted by patertaciturnus in Fantaisie, Lectures

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Chute, Dieu, Karen Blixen, légitimisme, orléanisme

Petit retour sur les spéculations théologiques développées par les personnages du premier des Sept contes gothiques de Karen Blixen, où l’on découvrira que trois quarts de siècle avant que Badiou n’invente le « pétainisme transcendantal », l’écrivaine danoise avait conçu un « orléanisme transcendant ».

Les personnages qui prennent la parole sont ceux des deux passages que j’avais précédemment cités : le cardinal Hamilcar von Sehestedt et Mlle Malin Nat-og-Dag. Les considérations finales du cardinal sur le charlatanisme divin font d’ailleurs écho à ses précédentes considérations sur le sens divin de la mascarade (même si ces nouvelles élucubrations ne sont, par ailleurs, pas vraiment « raccord », avec les précédentes). On peut préciser également que ce discours comme le précédent reçoit un éclairage rétrospectif  lors du dénouement de l’intrigue.

« Eminence, dit-elle, croyez-vous au péché originel ? »

Après un moment de réflexion, le Cardinal se pencha en avant, coudes sur ses genoux, et repoussa légèrement le bandeau qu’il avait sur le front.

« C’est un mystère sur lequel j’ai beaucoup médité » dit-il d’une voix changée, plus épaisse, mais aussi plus énergique qu’avant, comme si, dans ce simple mouvement, il avait rejeté dix années de son âge.

« Et je suis heureux d’avoir l’occasion d’en parler cette nuit. Je suis convaincu, déclara-t-il, qu’une chute s’est produite, mais je ne pense pas que ce soit l’homme qui est tombé. Je crois qu’il s’est produit une chute dans la sphère divine et que nous servons main­tenant une dynastie céleste inférieure. »

Mlle Malin s’attendait à une argumentation subtile, mais ces mots lui causèrent un tel choc qu’elle se bou­cha les oreilles.

« Mais c’est terrible, dit-elle, ce sont des mots terri­bles à l’oreille d’une légitimiste!

— Et croyez-vous qu’ils soient sans amertume dans la bouche d’un légitimiste ? demanda solennellement le Cardinal. Je les ai retenus pendant soixante-dix ans, mais vous me questionnez, madame, et, si la vérité doit sortir, ce lieu et cette nuit sont bien choisis. A une époque inconnue de nous, un terrible bouleversement a eu lieu dans le ciel, comparable à la Révolution fran­çaise et à ses suites sur la terre. Comme la France de nos jours, notre monde actuel est dans les mains de Louis-Philippe.

« Les traditions du Roi-Soleil et du Grand Siècle, continua-t-il, vivent encore. Mais quiconque possède le sens de la grandeur ne peut croire que le dieu qui a créé les étoiles, les océans, le désert, Homère et la girafe est le même qui vient de créer le Roi des Belges et qui soutient l’Ecole poétique de Souabe, ainsi que les concepts moraux de l’époque. Parlons-en sérieusement.
Nous servons un Louis-Philippe céleste, un dieu humain, de la même manière, le roi de France est un monarque bourgeois. »
Pâle et bouche bée, Mlle Malin le regardait.
Il reprit :
« Nous qui, de naissance, sommes les féaux héréditaires des grandes charges de la cour et qui possédons le cérémonial du grand Roi, nous avons toujours des devoirs envers le roi légitime, quel que soit notre jugement personnel sur lui. Nous devons entretenir sa gloire, car le peuple ne doit jamais douter de la grandeur de son monarque ni soupçonner quelque faiblesse chez lui. Et c’est vous et moi qui sommes responsables de la foi du peuple. Incapable de garder un secret, le barbier du roi Midas chuchota aux roseaux que son roi avait des oreilles d’âne. Mais nous, Votre grâce, sommes-nous des barbiers ? Ah ! par Dieu, non!
N’avons-nous pas fait de notre mieux? demanda fièrement Malin.
– Oui, nous avons fait de notre mieux. Si vous regardez autour de vous, partout vous verrez les exploits que des fidèles vassaux du roi, anonymes et inconnus, ont accomplis en son honneur.  […]

« Et pourtant, continua-t-il gravement, la fin est pro­che. J’entends chanter les coqs. Louis-Philippe ne peut pas se maintenir, et Roland lui-même verserait en vain son sang pour sa cause. Il a toutes les vertus d’un bon bourgeois et aucun des vices d’un grand seigneur. Il n’exige que le rang de premier citoyen de son royaume et il ne réclame aucun privilège qui ne soit dû à sa fidélité à la morale bourgeoise. Quand on en arrive là, les jours de la royauté sont comptés. Je vous prédis, Votre Grâce, que le bon roi de France ne tiendra pas plus de treize ans. Le Bon Dieu, que lui et sa bourgeoisie adorent, a toutes les vertus d’un brave homme et n’exige aucune supériorité divine qu’en raison de ses mérites. Nous ne nous attendons pas davantage à une attitude morale de la part de notre Dieu que nous ne pensons à tenir notre grand Roi pour responsable de la loi pénale. Le dieu humain doit partager le sort du roi bourgeois. J’ai été élevé moi-même parmi des êtres humains dans la foi d’un dieu humain, ce qui m’était intolérable. Ah ! quelle révélation, quel soulagement pour le cœur, quand, dans les nuits mexicaines, je sentais les grandes traditions s’éveiller et témoigner d’un dieu qui n’a cure de nos Dix Commandements ! Ainsi, Votre Grâce, nous mourons pour une cause perdue.

– Pour recevoir notre récompense au Paradis, répondit-elle. — Ah! Dieu vous en garde, Votre Grâce ! Pas du tout. Vous et moi nous n’y entrerons jamais. Regardez les gens que le roi Louis-Philippe décore aujourd’hui, élève au rang de pairs de France et nomme aux postes les plus élevés. Ce ne sont tous que des bourgeois; aucun nom de la vieille aristocratie n’apparaît sur la liste. Ni vous ni moi ne parviendrions à jouir des faveurs du seigneur aujourd’hui. Nous l’irritons même un peu, et il n’est pas loin de nous le montrer lorsqu’il s’adresse à nous. La vieille noblesse, dont les manières et grands noms rappellent les traditions du grand Monarque, doit nécessairement gêner un peu le roi Louis-Philippe.

— Alors, ni vous ni moi n’avons espoir d’aller au ciel ? demanda-t-elle fièrement.

— Mais vous soucieriez-vous encore d’y entrer, si on vous permettait d’y jeter d’abord un coup d’oeil? dit le vieux Cardinal. Ce doit être le rendez-vous de la bourgeoisie. Et je suis convaincu qu’il n’y a jamais eu de grands artistes qui ne soient aussi un peu charlatans. Il en va de même pour un vrai roi et un vrai Dieu. On doit avoir un grain de charlatanisme pour réussir à la cour, au théâtre ou au Paradis. Le tonnerre et la foudre, la nouvelle lune, un rossignol, une jeune fille, ce sont là des effets du charlatanisme divin, comme la Galerie des Glaces à Versailles en est un sur la terre. Mais Louis-Philippe n’a pas une goutte de charlatanisme dans le sang, il est foncièrement sincère. On peut sans doute en dire autant du Paradis, de nos jours. Vous et moi, Votre Grâce, n’avons pas été dressés à nous contenter d’un bien-être vulgaire, mais l’enfer pourra répondre aux exigences de notre éducation. »

Karen Blixen, Le raz de marée de Norderney, in Sept contes gothiques, p. 78 – 82

L’insaisissable

06 mardi Mar 2018

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Dieu, Marina Tsvetaieva

Oh, vous ne l’attacherez pas
À vos pesanteurs et marques !
Lui, comme un souple gymnaste,
Par le trou d’une serrure …

Par les ponts qui s’écartent,
Et les volées de migrateurs,
Par les pilots télégraphiques
Dieu s’en va ! Il nous quitte !

Oh, vous ne lui apprendrez pas
À rester, fixé au destin !
Dans le marais stagnant des sentiments
Il est une blanche débâcle.

Oh, vous ne le rattraperez pas !
Dieu ne fleurit pas en bégonia
Dans un support domestique
Sur le rebord de la fenêtre !

Tous sous les toits voûtés
Attendaient l’appel et l’architecte,
Poètes et astronautes –
Tous perdaient espoir.

Car il est mouvement et élan,
Et le livre de la voute céleste
Tout entier : depuis A jusqu’à Z –
N’est que la trace de son manteau !

Marina Tsvetaïeva

Mascarade divine

06 mardi Fév 2018

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amour de la vérité, Dieu, mascarade

Ayant décidé un peu par hasard de me lancer dans la lectures de Sept contes gothiques – ouvrage que je possède depuis plus de vingt ans et dont je n’avais jamais dépassé la première page – c’est avec grand plaisir que je découvre que Karen Blixen place dans la bouche des personnages du Raz de marée de Norderney des propos qui répondent à mon goût pour les spéculations théologiques débridées.

Après Jonathan Maersk hier, la parole est aujourd’hui à Mlle Malin Nat-og-Dag une vieille demoiselle « légèrement toquée »

« — Eh bien, dit-elle, d’où peut venir l’idée que c’est la vérité que le Seigneur exige de nous? C’est une étrange pensée. Hélas! cette vérité, le Seigneur la connaît d’avance, et jusqu’à en bâiller d’ennui sans doute. La vérité est destinée aux tailleurs et aux cordonniers. Je pense au contraire que Dieu a un faible pour la mascarade. Ne nous avez-vous pas appris vous-même que nos épreuves ne sont que des bénédictions déguisées ? C’est vrai, Votre Eminence, c’est tout à fait vrai. J’en ai fait parfois moi-même l’expérience à minuit, quand le masque tombe. D’ailleurs, il est incontestable que le déguisement est exécuté de main de maître. Le Seigneur lui-même — avec votre permission — me semble s’être livré à une très audacieuse mascarade quand il s’est fait chair et a séjourné parmi les hommes. Et très sincèrement, aux Noces de Cana, si j’avais été l’hôtesse j’aurais très mal pris son tour de passe-passe, je vous l’assure, Eminence. En fait, après avoir invité le brillant fils du charpentier et l’avoir traité avec mon meilleur vin, vin, au moment où cela lui chante, le voilà qui transforme l’eau de mon propre puits en un vin encore meilleur! — et encore la pauvre femme ignorait-elle tout ce dont il était capable, étant le Dieu tout-puissant.

« De tous les monarques dont j’ai entendu parler, continua-t-elle, c’est à mon avis le calife Haroun, de Bagdad, qui en esprit et en vérité s’approche le plus de Dieu; or, comme vous le savez, il aimait à se déguiser. Ah ! si j’avais vécu alors, je serais entrée dans son jeu, même si j’avais dû tomber sur cent mendiants, avant de trouver le chef des croyants sous la robe d’un gueux. Lorsque, autrefois, j’ai été bien près du rôle de déesse, la dernière chose que je réclamais de mes adorateurs, c’était la vérité. « Inventez, inventez, leur disais-je. Ayez « un peu d’imagination, écartez de moi la vérité. » La vôtre arrive à temps, Eminence, et c’est la fin du jeu.»

Dieu que cette fille prend des risques, amoureuse d’un égoïste

29 lundi Jan 2018

Posted by patertaciturnus in Lectures, Perplexités et ratiocinations

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amour, égoïsme et altruisme, Dieu, Michel Berger, Simone Weil, solitude

Au cours de son explication de la conception kierkegaardienne de l’amour pour Dieu, André Vergez propose en note un intéressant rapprochement avec Simone Weil.

« A chaque instant, notre existence est un amour de Dieu pour nous. Mais Dieu ne peut aimer que soi-même. Son amour pour nous est amour pour soi à travers nous. Ainsi, lui qui donne l’être aime en nous le consentement à ne pas être. »

Simone Weil, L’attente de Dieu, Plon 1948, p.36

J’y trouve la confirmation de ce que j’avais suggéré lors du 2e épisode de la série Aime ton juge ! : que la conception d’un amour pour l’autre culminant dans l’accusation de soi voire abolition de soi fait système avec une conception « égoïste » ou « jalouse » de l’amour de l’autre pour nous. Cela me ramène aussi au thème du narcissisme divin que j’avais évoqué à l’automne dernier.

Comment peut-on souhaiter abolir son ego pour permettre à l’autre d’être dans la pure affirmation du sien  ? La chanson de Berger nous apporte peut-être la réponse :

« Et même l’enfer c’est pas grand chose
A côté d’être seule sur Terre »

 

Aime ton juge !

16 mardi Jan 2018

Posted by patertaciturnus in Lectures

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amour, Dieu, Kierkegaard, théologie

A deux reprises j’ai évoqué le problème de l’unité du Dieu juge et du Dieu objet d’amour. Je viens de tomber sur un texte de Kierkegaard qui pourrait aider à comprendre comment l’amour peut susciter le juge.

« Pourquoi as-tu désiré avoir tort envers un être humain ? Parce que tu aimais ; pourquoi y as-tu trouvé de l’édification ? Parce que tu aimais. Plus ton amour a été fort, moins aussi tu as eu le temps d’examiner si tu avais raison ou non ; le seul et unique désir de ton amour, c’était d’avoir toi-même tort constamment. De même dans ton rapport avec Dieu. Tu l’aimais ; aussi ton âme ne pouvait-elle trouver de repos ni de joie que dans le sentiment d’avoir toi-même toujours tort. Tu n’en es pas venu à cet aveu en partant des embarras de la pensée ; tu n’y étais pas obligé, car lorsque tu es dans l’amour, tu es aussi dans la liberté. Quand donc la pensée ta donné l’assurance qu’il en était bien ainsi, qu’il te fallait toujours avoir tort, ou qu’il fallait toujours que Dieu eût raison, et qu’il ne pouvait en être autrement, cette assurance t’est venue après coup ; et si tu en es venu à la certitude d’avoir tort, ce n’est pas en partant de la connaissance que Dieu avait raison ; mais, partant de l’unique et suprême désir, inspiré par l’amour, qu’il te fallait toujours avoir tort, tu en es venu à connaître que Dieu avait toujours raison. Mais ce désir est caractéristique de l’amour et relève ainsi de la liberté ; et tu n’étais alors nullement obligé de reconnaître que tu avais tort. Tu n’as donc pas acquis la certitude d’avoir toujours eu tort par le raisonnement ; cette certitude tenait à l’édification que tu trouvais dans ton désir d’avoir tort.

Søren Kierkegaard, L’alternative (OC, IV, 312-313)
« L’édification apportée par la pensée qu’envers Dieu nous avons toujours tort »
cité par B. Sève dans La question philosophique de l’existence de Dieu

Insondable psychologie divine

14 samedi Oct 2017

Posted by patertaciturnus in Aphorisme du jour, Fantaisie

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Cesare Pavese, culte, Dieu, pour être heureux vivons cachés

« Comment Dieu peut-il exiger les longues humiliations de la prière, les interminables répétitions du culte? Ne préfères-tu pas, toi, par instinct, une rapide pensée de reconnaissance, un coup d’œil qui t’attache ton bénéficiaire, et est-ce que tu ne détestes pas les plaintives expressions de reconnaissance ? Tu n’es pas Dieu, et cependant … »

Cesare Pavese, Le métier de vivre, 12 avril 1944

Quand bien même on accorderait à Malebranche qu’ « en Dieu […] tout autre amour que l’amour-propre serait déréglé », on peut s’étonner avec Pavese que Dieu ne soit pas incommodé par les supplications, les actions de grâce et autres actes de contrition qui lui sont adressés. A moins que  l’écrivain piémontais n’ait, sans le savoir, percé le secret du Dieu caché : à l’instar de nos célébrités, peut-être que Dieu se cache pour préserver sa tranquillité des adorateurs importuns.

Dieu rit-il de se voir si beau en notre miroir ?

26 mardi Sep 2017

Posted by patertaciturnus in Perplexités et ratiocinations

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Dieu, Djalâl ad-Dîn Rûmî, Malebranche, narcissisme, théologie

La moindre des choses est bien de révéler la signification de la parabole que j’ai cité hier en manière de plaisanterie. A ceux qui ne l’auraient pas saisie immédiatement, elle est expliquée par le paragraphe qui suit :

« Qu’y a-t-il que le Dieu Très Haut ne possède pas et dont Il ait besoin? Devant le Très Haut, il faut apporter un cœur lumineux, afin qu’Il se voit en lui. »

Djalâl ad-Dîn Rûmî, Le Livre du dedans
trad. Vitray-Meyerovitch, Actes Sud, Babel, p.234

Évidemment il serait théologiquement problématique d’affirmer que Dieu a besoin du miroir que nous sommes pour se contempler lui même. De ce point de vue il est intéressant de rapprocher le texte de Rûmî d’un passage du Neuvième des Entretiens sur la métaphysique de Malebranche. Le théologien oratorien ne craint pas de porter le narcissisme divin à son paroxysme[1] : le Dieu de Malebranche à l’instar de Jean Schulteiss pourrait nous chanter « C’est moi que j’aime à travers vous » [2]. Mais comme il rappelle en même temps que Dieu n’a pas besoin de nous pour s’aimer lui-même, ni de notre témoignage pour s’assurer de ses perfections qualités et de celles de son œuvre, Malebranche est conduit à dédoubler la gloire de Dieu.

THÉODORE. – Mais comment Dieu peut-il vouloir que nous soyons, lui qui n’a nul besoin de nous ? Comment un être à qui rien ne manque, qui se suffit pleinement à lui-même, peut-il vouloir quelque chose ? Voilà ce qui fait la difficulté.

ARISTE. — Il me semble qu’il est facile de la lever; car il n’y a qu’à dire que Dieu n’a pas créé le monde pour lui, mais pour nous.

THÉODORE. — Mais nous y pour qui nous a-t-il créés ?

ARISTE. — Pour lui-même.

THÉODORE. — La difficulté revient ; car Dieu n’a nul besoin de nous.

ARISTE. — Disons donc, Théodore, que Dieu ne nous a faits que par pure bonté, par pure charité pour nous-mêmes.

THÉODORE. — Ne disons pas cela, Ariste, du moins sans l’expliquer : car il me paraît évident que l’Être infiniment parfait s’aime infiniment, s’aime nécessairement ; que sa volonté n’est que l’amour qu’il se porte à lui-même et à ses divines perfections ; que le mouvement de son amour ne peut, comme en nous, lui venir d’ailleurs, ni par conséquent le porter ailleurs; qu’étant uniquement le principe de son action il faut qu’il en soit la fin ; qu’en Dieu, en un mot, tout autre amour que l’amour-propre serait déréglé, ou contraire à l’ordre immuable qu’il renferme et qui est la loi inviolable des volontés divines. Nous pouvons dire que Dieu nous a faits  pure bonté, en ce sens qu’il nous a faits sans avoir besoin de nous. Mais il nous a faits pour lui ; car Dieu ne peut vouloir que par sa volonté, et sa volonté n’est que l’amour qu’il se porte à lui-même.

[…]

ARISTE. — Quoi, Théodore, Dieu a fait l’univers pour sa gloire ! Vous approuvez cette pensée si humaine, et si indigne de l’Être infiniment parfait !

[…]

THÉODORE – Premièrement, Dieu pense à un ouvrage qui par son excellence et par sa beauté exprime des qualités qu’il aime invinciblement, et qu’il est bien aise de posséder. Mais cela néanmoins ne lui suffit pas pour prendre le dessein de le produire, parce qu’un monde fini, un monde profane n’ayant encore rien de divin, il ne peut avoir de rapport à son action qui est divine. Que fait-il ? Il le rend divin par l’union d’une personne divine. Et par là il le relève infiniment, et reçoit de lui, à cause principalement de la Divinité qu’il lui communique, cette première gloire qui se rapporte avec celle de cet architecte qui a construit une maison qui lui fait honneur, parce qu’elle exprime des qualités qu’il se glorifie de posséder. Dieu reçoit, dis-je, celte première gloire réchauffée, pour ainsi dire, d’un éclat infini. Néanmoins Dieu ne tire que de lui-même la gloire qu’il reçoit de la sanctification de son Église, ou de cette maison spirituelle dont nous sommes les pierres vivantes sanctifiées par Jésus-Christ.

‘ Cet architecte reçoit encore une seconde gloire des spectateurs et des admirateurs de son édifice ; et c’est peut-être dans la vue de cette espèce de gloire qu’il s’est efforcé de le faire le plus magnifique et le plus superbe qu’il a pu. Aussi est-ce dans la vue du culte que notre souverain prêtre devait établir en l’honneur de la Divinité, que Dieu s’est résolu de se faire un temple dans lequel il fût éternellement glorifié. Oui, Ariste, viles et méprisables créatures que nous sommes, nous rendons par notre divin chef, et nous rendrons éternellement à Dieu des honneurs divins, des honneurs dignes de la majesté divine, des honneurs que Dieu reçoit et qu’il recevra toujours avec plaisir.

[…]

Il peut aimer les hommes, mais il ne le peut qu’à cause du rapport qu’ils ont avec lui. Il trouve dans la beauté que renferme l’archétype de son ouvrage un motif de l’exécuter ; mais c’est que cette beauté lui fait honneur, parce qu’elle exprime des qualités dont il se glorifie et qu’il est bien aise de posséder. Ainsi, l’amour que Dieu nous porte n’est point intéressé en ce sens, qu’il ait quelque besoin de nous ; mais il l’est en ce sens, qu’il ne nous aime que pour l’amour qu’il se porte à lui-même et à ses divines perfections, que nous exprimons par notre nature (c’est la première gloire que tous les êtres rendent nécessairement à leur auteur) et que nous adorons par des jugements et des mouvements qui lui sont dus. C’est la seconde gloire que nous donnons à Dieu par notre souverain prêtre Notre-Seigneur Jésus-Christ. »

 

[1] Cet article pourrait enrichir la série « la théologie au risque du DSM » puisque le trouble de la personnalité narcissique a effectivement sa place dans le DSM.

[2] Je ne croyais pas citer un jour ici cette chanson que j’ai toujours trouvée répugnante, raison pour laquelle je me contente d’un lien.

La théologie au risque du DSM

16 mercredi Août 2017

Posted by patertaciturnus in Lectures

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Cesare Pavese, Dieu, masochisme, théologie

« Comme Dieu pouvait créer une liberté qui ne permît pas le mal (cf. l’état des bienheureux libres et certains de ne pas pécher), il en résulte que c’est lui qui a voulu le mal. Mais le mal l’offense. C’est donc un cas banal de masochisme. »

Cesare Pavese, Le métier de vivre, 13 mai 1938

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