Bref rappel des faits pour ceux qui ont un peu oublié le point de départ de l’enquête.
(pour les très hypothétiques nouveaux lecteurs mieux vaut aller lire l’article original).

Saurez-vous identifier les arbres en fleur ci-dessus?
Au commencement était la quatrième de couverture de mon exemplaire des Notes de chevets de Sei Shônagon :
« Avec l’auteur du Roman de Genji, Noble Dame Murasaki, Sei Shônagon est une des plus illustres parmi les grands écrivains féminins du Japon. Si l’auteur du Roman de Genji est constamment comparée, dans son pays, à la fleur du prunier, immaculée, blanche, un peu froide, Sei Shônagon, est égalée à la fleur rose, plus émouvante du cerisier. »
Le souci d’en apprendre un peu plus sur cette analogie entre les deux auteures écrivaines femmes de lettre japonaises et les deux fleurs d’arbre me conduit à tomber sur un article d’un blog de fan de la période Heian qui présente l’analogie de manière inversée :
Reserved and contemplative as she was, Murasaki is thought of as similar to a cherry blossom, a traditional symbol of purity, while the gregarious, slightly more promiscuous Sei is likened to a vibrant red plum blossom.
Alors qui est la fleur de cerisier, qui est la fleur de prunier de Sei Shônagon et de Murasaki Shikibu?
L’accord se fait sur la personnalité des deux nobles dames de la cour, il se fait aussi sur la couleur de la fleur qui leur est associée : la plus réservée Murasaki est associée à une fleur blanche, la moins sage Sei Shônagon est associée à une fleur rose. Mais la botanique ne nous aide pas à y voir plus clair puisqu’il y a – aujourd’hui du moins – des fleurs blanches et des fleurs roses aussi bien chez les pruniers que chez les cerisiers.
Quoi de neuf?
Pour ne rien arranger j’ai trouvé une source concordant avec la première et une autre concordant avec la seconde.
Ce que dit André Beaujard le traducteur des Notes de chevets chez Gallimard a été déjà été dit par Kuni Matsuo et Emile Steinilber-Oberlin qui traduisirent des extraits des Notes de chevet dans les années vingt :
« Les japonais comparent volontiers Mouraçaki Shikibou à la fleur du prunier, parfaitement blanche et immaculée et Sei Shonagon, à la fleur du cerisier, d’une teinte rosée, plus séduisante, plus amusante – moins pure, ceci à raison, sans doute, de la liberté de sa conduite et de ses propos. »
source : Valerie Henitiuk « Prefacing gender : framing Sei Shônagon for a western audience » in Translating Women p. 242 [merci Google Books!]
Le risque c’est que le nouveau traducteur ait simplement repris ses prédécesseurs et qu’il n’y ait pas deux sources indépendantes et concordantes, mais une seule.
La source qui semblait a priori moins sérieuse : l’obscur blogueur, reçoit un renfort de poids d’une thèse : Genre, gender and genalogy in the late 12th century mongatari [oui, encore du gender!] par Robert Omar Khan. Cette thèse que vous trouverez en pdf. sur le net, si la lecture de mon article vous communique l’irrépressible envie de la lire, a l’immense intérêt de citer (p. 34) une source japonaise : Omachi Keigetsu qui, a la page 1711 de son ouvrage Nihon bunshôshi publié en 1907 [l’ouvrage n’est pas encore disponible sur le net, je sais que vous êtes déçus …], établit un parallèle entre la succession des différentes époques de l’histoire littéraire japonaise et la succession des saisons. Je grasse le passage où il évoque nos auteurs et les fleurs qui leur sont associées.
« The archaic period is winter. The norito, senmyô, and the Kojiki are the dense woods of pine and oak deep in the snow. The early Helan Taketori Monogatari, Ise Monogatari, and Tosa Nikki are the budding of the first plum blossoms in early spring. The period of the women writers, Murasaki and Sei Shônagon, is the season of genial spring breezes when masses of flowers are in full bloom. If Murasaki Shikibu is the cherry blossom, then Sei Shônagon is the red flowering plum. Izumi Shikibu is the peach blossom. The rise of wakankonkôbun in the Kamakura period is the fresh verdure of early summer. The Muromachi perïod is like high summer festooned with crape myrtle and lilies. Coming to the Edo period with the sudden appearance of so many and various great writers, it is an autumnal landscape 0f the moors with their seven flowers, the huis with their yellow and scarlet leaves. The ripening of kanbun is that of the chrysanthemums and orchids made native to Japan. And the revival of wabun, that is to say gikobun, is the reflorescence of the cherry blossom. »
Comme vous l’aurez remarqué l’auteur se contente d’associer une fleur à chacune de nos femmes de lettres, sans fonder cette association sur des considérations psychologiques, mais surtout il fait intervenir une troisième personne Izumi Shikibu, poétesse contemporaine des deux autres, à laquelle il associe la fleur de pêcher.

Izumi Shikibu, par Kikuchi Yōsai
La perspective d’avoir à élargir mes recherches littéraires et botaniques (qu’est-ce qui distingue la fleur de pêcher de celles du cerisier et de celle du prunier?) émousse je l’avoue mon enthousiasme pour cette question, d’autant que je commence vraiment à croire que pour tirer ces histoires au clair il faudrait que j’apprenne le japonais. Si vous lisez le japonais, si vous connaissez quelqu’un qui le lit, voire quelqu’un qui connaît quelqu’un … je vous lance un appel à l’aide pour achever cette quête absolument dénuée d’importance.
*
Petit exercice
Combien pouvez vous citer d’écrivain en France ou en Europe, contemporains (entre 970 et 1030 environ)de nos deux trois poétesses japonaises?
Réponse à la devinette de la première image
Il s’agissait de pêchers.
C’était trop facile.