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Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

Pater Taciturnus

Archives de Tag: Simone Weil

Natures méfiantes envers la nature

02 samedi Juil 2022

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Augustin, Czeslaw Milosz, Simone Weil, William Blake

Czeslaw-Milosz_2

« Ce qui importe, c’est qu’il existe, incontestablement, un tempérament manichéen, doué pour souffrir les tourments de son amour-propre blessé, mais capable en même temps de porter sur eux un jugement sévère ; il n’est pas exclu, par ailleurs, que ce tempérament n’éprouve un certain soulagement à étendre le principe du mal à l’existence en général, et il a certainement contribué, plus que les influences de l’Inde et de la Perse, à faire naître — et durer — au sein du christianisme, un certain type d’hérésies. Cela ne signifie pas, toutefois, qu’on comptait au nombre des hérétiques tous les individus dotés d’un tel tempérament : saint Augustin était le même homme lorsqu’il appartenait à l’Église manichéenne et, plus tard, lorsqu’il se soumit à l’orthodoxie chrétienne. Le trait commun à tous ces gens est leur méfiance envers la Nature, la nature humaine et le monde physique. En les mettant en avant, je me laisse tout simplement guider par l’expérience, car j’ai découvert successivement des écrivains qui présentaient de nombreux points communs. Ainsi : saint Augustin (les Confessions); Pascal (il est difficile de soupçonner les jansénistes de complaisance à l’égard de la Nature) ; Simone Weil (manifestement proche, dans beaucoup de ses pensées, des cathares ou des albigeois) ; William Blake (qualifié par certains, non sans raison, de gnostique) ; Léon Chestov (dont toute la philosophie repose sur une protestation contre les Lois de la Nature —bien que lui restât hostile à la gnose). J’use ici de raccourcis, non autorisés peut-être, mais tu voudras bien, lecteur, me les pardonner, car je crains de tomber dans l’érudition. »

Czeslaw Milosz, L’immoralité de l’art, p. 22

Le retour de l’éthicisme

07 samedi Mar 2020

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éthique et esthétique, Iris Murdoch, Simone Weil

Comme on l’a vu naguère, « l’éthicisme est la thèse selon laquelle l’évaluation éthique des attitudes manifestées par des œuvres d’art est un aspect légitime de leur évaluation esthétique ». Je découvre une belle profession de foi éthiciste dans un texte de la philosophe et romancière Iris Murdoch.

« L’un des principaux mérites de la psycholo­gie morale que je défends est de ne pas opposer l’art et la morale, mais d’y voir deux aspects d’un seul et même combat. La thèse existentialiste-béhavioriste ne pouvait pas rendre compte de l’art de façon satisfaisante : elle en faisait une activité quasi ludique, gratuite, accomplie comme une «fin en soi » (slo­gan familier à Kant comme au groupe de Bloomsbury), une sorte d’effet secondaire de notre défaillance à être rationnels de  part en part. Cette caractérisation de l’art est évidemment inac­ceptable. Par un de ces mouvements importants de retour de la théorie philosophique vers la considération de choses simples et dont nous sommes certains, il nous faut revenir à ce que nous savons de l’art authentique, de l’éclaircissement moral qu’il contient et de l’accomplissement moral qu’il incarne. Le bien et le beau ne peuvent pas être mis en opposition car ils relèvent en grande partie de la même structure. Quand Platon dit que la beauté est la seule réalité spirituelle à laquelle nous portons par nature un amour immédiat, il traite le beau comme un chapitre d’introduction au bien. De sorte que les situations esthétiques constituent moins des analogies de la morale que des expériences intrinsèquement morales. Au fond, la vertu est la même chez l’artiste et chez l’homme de bien en ce qu’elle est atten­tion non égocentrique portée à la nature: quelque chose qui est facile à nommer mais très difficile à accomplir. Les artistes qui ont réfléchi sur leur art ont fréquemment formulé cette idée (c’est  par exemple le cas d’un éloge de Cézanne par Rilke où celui-ci parle d’ « oeuvre anonyme tout ardente d’amour». Lettre à Clara Rilke du 13 Octobre 1907).

Iris Murdoch, L’idée de perfection
in La souveraineté de bien, trad C. Pichevin, ed. L’éclat

Il me paraît intéressant de signaler qu’Iris Murdoch reconnaît l’influence de Simone Weil et de son concept d’attention sur l’élaboration de sa pensée morale, puisqu’on a eu l’occasion d’observer l’éthicisme de l’inspiratrice d’Iris Murdoch.

L’éthicisme est-il un monothéisme ?

18 jeudi Avr 2019

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éthique et esthétique, Simone Weil

Comme on l’a vu mardi, « l’éthicisme est la thèse selon laquelle l’évaluation éthique des attitudes manifestées par des œuvres d’art est un aspect légitime de leur évaluation esthétique ». Il s’agit donc d’une remise en question de l’idée d’une autonomie de l’esthétique par rapport à l’éthique. Si on élargit le débat aux valeurs cognitives, la question est donc de savoir si les trois registres de valeurs, esthétique, moral et cognitif – le beau, le bon, le vrai – sont autonomes ou s’ils convergent ? Si les conflits de valeur irréductibles constituent selon une formule fameuse de Max Weber, une « guerre des dieux », l’affirmation d’une convergence des valeurs par delà leur autonomie apparente, représenterait elle nostalgie monothéiste?

 » La foi est avant tout la certitude que le bien est un. Croire qu’il y a plusieurs biens distincts et mutuellement indépendants, comme vérité, beauté, moralité, c’est cela qui constitue le péché de polythéisme, et non pas laisser l’imagination jouer avec Apollon et Diane. »

Simone Weil, L’enracinement

*

Il y a un autre passage dans l’Enracinement où la convergence de l’appréciation esthétique et de l’appréciation éthique se trouve affirmée sur un cas particulier.

« L’Arioste n’a pas rougi de dire à son maître le duc d’Este, au cours de son poème, quelque chose qui revient à ceci : Je suis en votre pouvoir pendant ma vie, et il dépend de vous que je sois riche ou pauvre. Mais votre nom est en mon pouvoir dans l’avenir, et il dépend de moi que dans trois cents ans on dise de vous du bien, du mal, ou rien. Nous avons intérêt à nous entendre. Donnez-moi la faveur et la richesse et je ferai votre éloge. Virgile avait bien trop le sens des convenances pour exposer publiquement un marché de cette nature. Mais en fait, c’est exactement le marché qui a eu lieu entre Auguste et lui. Ses vers sont souvent délicieux à lire, mais malgré cela, pour lui et ses pareils, il faudrait trouver un autre nom que celui de poète. La poésie ne se vend pas. Dieu serait injuste si l’Énéide, ayant été composée dans ces conditions, valait l’Iliade. Mais Dieu est juste, et l’Énéide est infiniment loin de cette égalité. »

ibid.

On retrouve ici la position que nous avions observée chez Joubert, Simone Weil ne nie pas toute qualité esthétique aux œuvres réalisées pour flatter le pouvoir (les vers de Virgile sont « souvent délicieux à lire ») mais elle considère qu’elles ne peuvent qu’être inférieures à des œuvres moralement plus pures, et que ce serait un scandale que ce ne soit pas le cas (« Dieu serait injuste »). Je me contenterai de trois rapides commentaires sur ce texte :

  1. Par la formule « dieu serait injuste si … » Simone Weil exprime de manière originale et particulièrement frappante, un rejet qui est beaucoup plus courant que ce qu’on pourrait croire. Pensons à tous ceux pour qui l’art commercial ne peut être qu’une forme inférieur d’art (un vulgaire divertissement), pensons aussi à tous ceux qui aujourd’hui sont prêts à déboulonner les classiques de leur piédestal au nom des traces de culture oppressive qu’ils y trouvent.
  2. La formulation « Dieu serait injuste si … » est intéressante parce qu’elle témoigne du fait que c’est en tant que scandale moral, que l’hypothèse d’une indépendance radicale de l’esthétique envers la morale est rejetée. Si l’on veut, c’est l’éthique qui exige de dire son mot dans l’esthétique.
  3. On devine aussi avec cet exemple quelle peut être la riposte argumentative des défenseurs de l’autonomie de l’esthétique : « Mademoiselle Weil, êtes vous sûre que ce n’est pas en raison de vos préventions à l’encontre de Virgile que vous jugez si mal son Enéide ? ». Et si l’éthicisme n’était qu’une rationalisation d’un effet de halo ?

 

 

Simone Weil ou Hans Scholl ?

23 jeudi Août 2018

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châtiment, La Rose Blanche, nazisme, Simone Weil

« Nous savons que le pouvoir national-socialiste doit être détruit par les armes ; mais le renouveau de cet esprit allemand si dégénéré, nous l’escomptons d’abord de l’intérieur. Ce réveil doit précéder l’exacte reconnaissance de toutes les fautes dont s’est chargé notre peuple ; il doit également précéder le combat contre Hitler et ses innombrables acolytes, membres du parti, et autres traîtres. Aucune peine sur terre, si grande soit-elle, ne pourra être prononcée contre Hitler et ses partisans. Une fois la guerre finie, il faudra, par souci de l’avenir, châtier durement les coupables pour ôter à quiconque l’envie de recommencer jamais une pareille aventure.

N’oubliez pas non plus les petits salopards de ce régime, souvenez-vous de leurs noms, que pas un d’entre eux n’échappe ! Qu’ils n’aillent pas, au dernier moment, retourner leur veste, et faire comme si rien ne s’était produit. »

IVe Tract de la Rose Blanche
rédigé par Hans Scholl et Alexander Schmorell en juin juillet 1942

*

« On parle de châtier Hitler. Mais on ne peut pas le châtier. Il désirait une seule chose et il l’a : c’est d’être dans l’histoire. Qu’on le tue, qu’on le torture, qu’on l’enferme, qu’on l’humilie, l’histoire sera toujours là pour protéger son âme contre toute atteinte de la souffrance et de la mort. Ce qu’on lui infligera, ce sera inévitablement de la mort historique, de la souffrance historique ; de l’histoire. […] Quoi qu’on inflige à Hitler, cela ne l’empêchera pas de se sentir un être grandiose. Surtout cela n’empêchera pas, dans vingt, cinquante, cent ou deux cents ans, un petit garçon rêveur et solitaire, allemand ou non, de penser qu’Hitler a été un être grandiose, a eu de bout en bout un destin grandiose, et de désirer de toute son âme un destin semblable. En ce cas, malheur à ses contemporains.

Le seul châtiment capable de punir Hitler et de détourner de son exemple les petits garçons assoiffés de grandeur des siècles à venir, c’est une transformation si totale du sens de la grandeur qu’il en soit exclu.

C’est une chimère, due à l’aveuglement des haines nationales, que de croire qu’on puisse exclure Hitler de la grandeur sans une transformation totale, parmi les hommes d’aujourd’hui, de la conception et du sens de la grandeur. Et pour contribuer à cette transformation, il faut l’avoir accomplie en soi-même. Chacun peut en cet instant même commencer le châtiment d’Hitler dans l’intérieur de sa propre âme, en modifiant la distribution du sentiment de la grandeur. C’est loin d’être facile, car une pression sociale aussi lourde et enveloppante que celle de l’atmosphère s’y oppose. Il faut, pour y parvenir, s’exclure spirituellement de la société. »

[…]

« Pour avoir le droit de punir les coupables, il faudrait d’abord nous purifier de leur crime, contenu sous toutes sortes de déguisements dans notre propre âme. Mais si nous réussissons cette opération, une fois qu’elle sera accomplie nous n’aurons plus aucun désir de punir, et si nous croyons être obligés de le faire, nous le ferons le moins possible et avec une extrême douleur. »

Simone Weil, L’enracinement (1943)

Fortification

19 lundi Fév 2018

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bonheur, Jacek Podsiadło, Nietzsche, Simone Weil

Nietzsche : hańbą jest być szczęśliwym !

Doglądam umocnień. Tracę kontakt z nierzeczywistością,
mówię : nie wiem, nie znam, nie oglądam, nie słucham.
Jeszcze gazety. Nigdy nic nie zrobiłem dla torturowanych.
Jakże zazdroszczę tym, co nie wierzą w Oświęcim.
W piętnaście lat po Hitlerze świat podbił rock’n’roll !
Simone Weil miała moje lata, kiedy się zagłodziła.

Historię, biologię, nauki « ścisłe » — wszystko ułożyliśmy sobie tak,
żeby usprawiedliwiało. Orgazm, « mała śmierć ». A przyjemność duża.
Uśmiech pohańbiena na twarzy kobiety, uśmiech oprawcy na twarzy chłopca lub odwrotnie.
— Czy warto rozdrapywać rany ? — A co, zagoiły się ?
Odkąd pamiętam, chciałem wydać tom wierszy pod tytułem « Nie ».
Więc się umacniam. Tu poprawię zapałkę, tam dołożę cierń.

Jacek Podsiadło, Wychwyt Grahama

https://esensja.pl/obrazki/okladkiks/292512_wychwyt-grahama_200.jpg

Nietzsche : c’est une ignominie que d’être heureux !

Je surveille les fortifications. Je perds le contact avec l’irréalité,
je dis : je ne sais pas, je ne connais pas, je ne regarde pas, je n’écoute pas.
Puis les journaux. Je n’ai jamais rien fait pour les torturés.
Comme j’envie ceux qui ne croient pas à Auschwitz.
Quinze ans après Hitler, le rock’n’roll conquit le monde !
Simone Weil avait mon âge quant elle jeûna à mort.

Histoire, biologie, sciences « exactes » — nous avons tout arrangé
de façon à justifier. L’orgasme, « petite mort », mais grande jouissance.
Sourire de déshonneur sur le visage de la femme, sourire de bourreau sur le visage du garçon, ou inversement.
— Faut-il rouvrir les plaies — Pourquoi, elles sont déjà cicatrisées ?
Aussi loin que je me souvienne, j’ai voulu éditer un recueil de poèmes sous le titre « Non ».
Je me fortifie donc. Ici, je rectifie une allumette, là j’ajoute une épine.

trad.Jacques Burko
in 3 poètes polonais, Editions du murmure, 2009

Dieu que cette fille prend des risques, amoureuse d’un égoïste

29 lundi Jan 2018

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amour, égoïsme et altruisme, Dieu, Michel Berger, Simone Weil, solitude

Au cours de son explication de la conception kierkegaardienne de l’amour pour Dieu, André Vergez propose en note un intéressant rapprochement avec Simone Weil.

« A chaque instant, notre existence est un amour de Dieu pour nous. Mais Dieu ne peut aimer que soi-même. Son amour pour nous est amour pour soi à travers nous. Ainsi, lui qui donne l’être aime en nous le consentement à ne pas être. »

Simone Weil, L’attente de Dieu, Plon 1948, p.36

J’y trouve la confirmation de ce que j’avais suggéré lors du 2e épisode de la série Aime ton juge ! : que la conception d’un amour pour l’autre culminant dans l’accusation de soi voire abolition de soi fait système avec une conception « égoïste » ou « jalouse » de l’amour de l’autre pour nous. Cela me ramène aussi au thème du narcissisme divin que j’avais évoqué à l’automne dernier.

Comment peut-on souhaiter abolir son ego pour permettre à l’autre d’être dans la pure affirmation du sien  ? La chanson de Berger nous apporte peut-être la réponse :

« Et même l’enfer c’est pas grand chose
A côté d’être seule sur Terre »

 

Patriotisme

27 vendredi Nov 2015

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patriotisme, Simone Weil, universalisme

« La France se sent mal à l’aise dans son patriotisme, et cela bien qu’elle-même, au XVIIIe siècle, ait inventé le patriotisme moderne. Il ne faut pas croire que ce qu’on a nommé la vocation universelle de la France rende la conciliation entre le patriotisme et les valeurs universelles plus facile aux Français qu’à d’autres. C’est le contraire qui est vrai. La difficulté est plus grande pour les Français, parce qu’ils ne peuvent pas complètement réussir, ni à supprimer le second terme de la contradiction, ni à séparer les deux termes par une cloison étanche. Ils trouvent la contradiction à l’intérieur de leur patriotisme même. […]

Il est facile de dire, comme Lamartine : « Ma patrie est partout où rayonne la France… La vérité, c’est mon pays. » Malheureusement, cela n’aurait un sens que si France et vérité étaient des mots équivalents. Il est arrivé, il arrive, il arrivera que la France mente et soit injuste ; car la France n’est pas Dieu, il s’en faut de beaucoup.  […]

La vocation universelle de la France ne peut pas, à moins de mensonge, être évoquée avec une fierté sans mélange. Si l’on ment, on la trahit dans les mots mêmes par lesquels on l’évoque ; si l’on se souvient de la vérité, la honte doit toujours se mêler à la fierté, car il y a eu quelque chose de gênant dans tous les exemples historiques qu’on peut en fournir. Au XIIIe siècle, la France a été un foyer pour toute la chrétienté. Mais c’est au début même de ce siècle qu’elle avait détruit pour toujours, au sud de la Loire, une civilisation naissante qui brillait déjà d’un grand éclat ; et c’est au cours de cette opération militaire, en liaison avec elle, qu’a été établie pour la première fois l’Inquisition. C’est là une souillure qui compte. Le XIIIe siècle est celui où le gothique s’est substitué au roman, la musique polyphonique au chant grégorien, et, en théologie, les constructions tirées d’Aristote à l’inspiration platonicienne ; dès lors on peut douter que l’influence française en ce siècle ait correspondu à un progrès. Au XVIIe siècle, la France a de nouveau rayonné sur l’Europe. Mais le prestige militaire lié à ce rayonnement a été obtenu par des méthodes inavouables, du moins si l’on aime la justice ; au reste, autant la conception classique française a produit des œuvres merveilleuses en langue française, autant elle a exercé une influence destructrice à l’étranger. En 1789, la France est devenue l’espoir des peuples. Mais trois années plus tard elle est partie en guerre, et dès les premières victoires elle a substitué aux expéditions de délivrance des expéditions de conquête. Sans l’Angleterre, la Russie et l’Espagne, elle aurait imposé à l’Europe une unité peut-être à peine moins étouffante que celle qui est aujourd’hui promise par l’Allemagne. Dans la deuxième partie du siècle dernier, quand on s’est aperçu que l’Europe n’est pas le monde, et qu’il y a plusieurs continents sur cette planète, la France a été reprise d’aspirations à un rôle universel. Mais elle n’a abouti qu’à fabriquer un Empire colonial imité de celui des Anglais, et dans le cœur d’un certain nombre d’hommes de couleur, son nom est maintenant lié à des sentiments auxquels il est intolérable de penser. Ainsi la contradiction inhérente au patriotisme français se retrouve aussi le long de l’histoire de France. « 

Simone Weil, L’enracinement

Souffrance du sevrage

18 dimanche Oct 2015

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manque, Pier Paolo Pasolini, Simone Weil

Sì, Mio Signore, ciò  che ho più desiderato
è sempre stata la solitudine :
ebbene, direte, eccoti accontentato.
Ma non bastano né intelligenza né studi

(che voi mi attribuite come a un gran scienziato)
per pervedere che se una gioia inutile
un giorno come stella o astro chiomato
appare, e poi, invece che tornare ai nudi

lidi dell’ignoto, si fissa
nella vita (che comunque si sfalda)
non resta che il terrore del suo eclisse.

Voi apparso, avete la santamente ribalda
idea di potervene andare. Chi otto anni fa visse
desiderando la solitudine, ora si aggrappa alla vostra falda.

*

Oui, Mon Seigneur, ce que j’ai le plus désiré
A toujours été la solitude;
Eh bien, direz-vous, te voici satisfait.
Mais ni l’intelligence ni l’étude ne suffisent

(Que vous m’attribuez comme à un grand savant)
Pour prévoir que, si une joie inutile
Un jour comme une étoile ou une comète
Apparaît et ensuite, au lieu de revenir sur les rivages

Nus de l’inconnu, se fixe
Dans la vie (qui de toute façon se délite)
Il ne reste que la terreur de son éclipse.

Vous, apparu, vous avez l’idée sacrément
Scélérate de vous en aller. Qui il y a huit ans a vécu
En désirant la solitude, s’agrippe maintenant à vos basques.

Pier Paolo Pasolini, Sonnets, [9]
trad. René de Ceccaty

*

Pasolini n’aurait peut-être pas écrit que « ni l’intelligence ni l’étude ne suffisent […] pour prévoir que, si une joie inutile un jour comme une étoile ou une comète apparaît et ensuite, au lieu de revenir sur les rivages nus de l’inconnu, se fixe dans la vie […] il ne reste que la terreur de son éclipse », s’il avait connu ce texte de Simone Weil qui l’aurait prévenu assez précisément de ce qui l’attendait :

« La préférence personnelle à l’égard d’un être humain déterminé peut être de deux natures. Ou l’on cherche en l’autre un certain bien, ou on a besoin de lui. D’une manière générale, tous les attachements possibles se répartissent entre ces deux espèces. On se porte vers quelque chose, ou parce qu’on y cherche un bien, ou parce qu’on ne peut pas s’en passer. Quelquefois les deux mobiles coïncident. Mais souvent non. Par eux-mêmes ils sont distincts et tout à fait indépendants. On mange de la nourriture répugnante, si on n’en a pas d’autre, parce qu’on ne peut pas faire autrement. Un homme modérément gourmand recherche les bonnes choses, mais s’en passe facilement. Si on manque d’air, on étouffe ; on se débat pour en trouver, non parce qu’on en attend un bien, mais parce qu’on en a besoin. On va respirer le souffle de la mer, sans être poussé par aucune nécessité, parce que cela plaît. Souvent le cours du temps fait automatiquement succéder le second mobile au premier. C’est une des grandes douleurs humaines. Un homme fume l’opium pour avoir accès à un état spécial qu’il croit supérieur ; souvent, par la suite, l’opium le met dans un état pénible et qu’il sent dégradant ; mais il ne peut plus s’en passer. […]

La cause la plus fréquente de la nécessité dans les liens d’affection, c’est une certaine combinaison de sympathie et d’habitude. Comme dans le cas de l’avarice ou de l’intoxication, ce qui d’abord était recherche d’un bien est transformé en besoin par le simple cours du temps. Mais la différence avec l’avarice, l’intoxication et tous les vices, c’est que dans les liens d’affection les deux mobiles, recherche d’un bien et besoin, peuvent très bien coexister. Ils peu-vent aussi être séparés. Quand l’attachement d’un être humain à un autre est constitué par le besoin seul, c’est une chose atroce. Peu de choses au monde peuvent atteindre ce degré de laideur et d’horreur. Il y a toujours quelque chose d’horrible dans toutes les circonstances où un être humain cherche le bien et trouve seulement la nécessité. Les contes où un être aimé apparaît soudain avec une tête de mort en sont la meilleure image. L’âme humaine possède, il est vrai, tout un arsenal de mensonges pour se protéger contre cette laideur et se fabriquer en imagination de faux biens là où il y a seulement nécessité. C’est par là même que la laideur est un mal, parce qu’elle contraint au mensonge. D’une manière tout à fait générale, il y a malheur toutes les fois que la nécessité, sous n’importe quelle forme, se fait sentir si durement que la dureté dépasse la capacité de mensonge de celui qui subit le choc. C’est pourquoi les êtres les plus purs sont les plus exposés au malheur. Pour celui qui est capable d’empêcher la réaction automatique de protection qui tend à augmenter dans l’âme la capacité de mensonge, le malheur n’est pas un mal, bien qu’il soit toujours une blessure et en un sens une dégradation. »

Simone Weil, L’attente de Dieu,
Formes implicites de l’amour de Dieu, Amitié

Égoïsme national

02 mercredi Sep 2015

Posted by patertaciturnus in SIWOTI or elsewhere

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égoïsme et altruisme, nationalisme, orgueil, Simone Weil, stupidité

« Quand il s’agit de soi-même, et même de sa famille, il est plus ou moins admis qu’il ne faut pas trop se vanter soi-même, qu’il faut se défier de ses jugements lorsqu’on est à la fois juge et partie, qu’il faut se demander si les autres n’ont pas au moins partiellement raison contre soi-même, qu’il ne faut pas trop se mettre en avant, qu’il ne faut pas penser uniquement à soi-même ; bref qu’il faut mettre des bornes à l’égoïsme et à l’orgueil. Mais en matière d’égoïsme national, d’orgueil national, non seulement il y a une licence illimitée, mais le plus haut degré possible est imposé par quelque chose qui ressemble à une obligation. Les égards envers autrui, l’aveu des torts propres, la modestie, la limitation volontaire des désirs, deviennent dans ce domaine des crimes, des sacrilèges. Parmi plusieurs paroles sublimes que le Livre des Morts égyptien met dans la bouche du juste après la mort, la plus touchante peut-être est celle-ci : « Je ne me suis jamais rendu sourd à des paroles justes et vraies. » Mais sur le plan international, chacun regarde comme un devoir sacré de se rendre sourd à des paroles justes et vraies, si elles sont contraires à l’intérêt de la France. Ou bien admet-on que des paroles contraires à l’intérêt de la France ne peuvent jamais être justes et vraies ? Cela reviendrait exactement au même. Il y a des fautes de goût que la bonne éducation, à défaut de la morale, empêche de commettre dans la vie privée, et qui semblent absolument naturelles sur le plan national. Même les plus odieuses des dames patronnesses hésiteraient à rassembler leurs protégés pour leur exposer dans un discours la grandeur des bienfaits accordés et de la reconnaissance due en échange. Mais un gouverneur français d’Indochine n’hésite pas, au nom de la France, à tenir ce langage, même immédiatement après les actes de répression les plus atroces ou les famines les plus scandaleuses ; et il attend, il impose des réponses qui lui fassent écho. »

Simone Weil (philosophe droit-de-lhommiste-bobo-bien-pensante)
L’enracinement

*

J’ai repensé à ce texte en parcourant les commentaires d’articles de journaux en ligne à propos des réfugiés, en particulier en lisant ce commentaire d’un dénommé Socratte qui me semble remporter la palme de la bassesse.

« et si au lieu de migrer ils faisaient comme les européens?
moi quant j’ai un problème dans ma maison, je ne vais pas habiter chez mon voisin, je répare ma maison, si j’ai une fuite je ne hurle pas « au secour! », non je bouche la fuite, si un de mes mur menace de tomber je ne vais pas piquer celui du voisin, non je me prend en main et je refais un mur, si un squatter vient tenter de loger chez moi je le vire moi même sans appeler pierre, paul ou jacques. »

Le 02/09/2015 à 14:09 (source)

Il est difficile de résister à la tentation de souhaiter que ce connard soit un jour contraint de mettre ses actes en conformité avec ses paroles. Nul doute qu’il arrêterait Daech avec ses petits bras musclés.

Le salut par la rage

24 mercredi Juin 2015

Posted by patertaciturnus in Lectures

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Judith Butler, mélancolie, rage, Simone Weil

« La survie, qui n’est pas exactement le contraire de la mélancolie, mais ce que la mélancolie met en suspens, exige de rediriger la rage contre l’autre perdu, de souiller le caractère sacré de la mort au profit de la vie, de diriger sa colère contre les morts pour ne pas les rejoindre. »

Judith Butler, La vie psychique du pouvoir, p. 269

*

Je découvre cette citation au cours de la lecture de Critique de l’antinaturalisme de Stéphane  Haber. Je suis tenté de mettre ce texte en contraste avec un texte de Simone Weil que j’avais cité ici. S’il faut accepter de « souiller le caractère sacré de la mort »  pour survire, refuser de souiller quoique ce soit est-ce se vouer au dépérissement ?

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