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Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

Pater Taciturnus

Archives de Tag: vérité

La vérité comme occasion à saisir

30 mercredi Oct 2019

Posted by patertaciturnus in Divers vers

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Goethe, vérité

« Warum ist Wahrheit fern und weit?
Birgt sich hinab in tiefste Gründe? »

Niemand versteht zur rechten Zeit!
Wenn man zur rechten Zeit verstünde.
So wäre Wahrheit nah und breit
Und wäre lieblich und gelinde.

Goethe, West-östlicher Diwan

*

« Pourquoi la vérité est-elle si lointaine?
Et se cache-t-elle dans les plus profonds abîmes? »

Personne ne comprend au bon moment.
Si l’on comprenait au bon moment,
La vérité s’étalerait largement et toute proche
Et serait aimable et douce.

trad. H. Lichtenberger

Qui meurt pour qui ?

04 dimanche Mar 2018

Posted by patertaciturnus in Lectures

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Karl Popper, vérité, vie

S’il vous faut d’autres arguments pour vous convaincre de ne pas vous empresser de mourir pour des idées, je m’en remet à l’autorité de  Karl Popper pour vous persuader que ce n’est pas vous qui avez vocation à mourir pour des idées, mais bien elles qui ont vocation à mourir à votre place :

« There can be no doubt that there is considerable genetic basis for the critical and argumentative use of human language. Its biologiqcal advantages are only too obvious : it is this use which allows us to let theories die in our stead. »

K. POPPER, Knowledge and the body-mind problem
Routledge (2000), p.90

L’ouvrage dont je tire cette citation consiste en une série de conférence donnée par Popper à l’université d’Emory en 1969 : il y développe notamment sa théorie du monde-3 qui concilie la réaffirmation de l’idéal régulateur de la vérité objective et la reconnaissance de l’ancrage de lu phénomène de la connaissance objective dans l’évolution biologique.

Courage de la vérité

08 mercredi Juil 2015

Posted by patertaciturnus in Fantaisie, Philémon et Anatole

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courage, réflexivité, vérité

Philémon était convaincu qu’Anatole n’avait pas le courage de lui dire la vérité sur un sujet qui lui tenait à cœur, et il se demandait s’il pouvait lui en vouloir. Philémon se rendait bien compte que lui même n’osait pas faire savoir à Anatole ce qu’il lui reprochait et il sentait que cela devait le porter à l’indulgence. Sa propre réticence à exposer ses griefs ne lui apparaissait certes pas comme de la lâcheté ; n’était-elle pas fondée sur la conviction qu’Anatole n’était pas prêt à entendre ce qu’il avait à lui dire ? Mais alors, se disait Philémon,  il était vraisemblable qu’Anatole était lui-même retenu par le même type de considération à son égard. Si Anatole croyait  qu’il n’avait pas le courage de regarder la vérité en face,  Philémon ne pouvait pas jurer qu’il avait tort.

Axiologie et gêne aux entournures

30 samedi Mai 2015

Posted by patertaciturnus in Perplexités et ratiocinations

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Calliclès, duperie de soi, système de valeurs, vérité

Ggauvain a récemment proposé  sur son blog un apologue stimulant qui repose sur une analogie entre adopter une opinion après débat et choisir un vêtement après essayage. J’en cite la chute :

« Le troisième jour [le sage] médita, et finit par choisir comme sienne l’opinion qui lui convenait le mieux, c’est-à-dire celle dans laquelle il s’était senti le plus à son aise – celle qui avait le mieux épousé la forme naturelle de ses pensées, de ses gestes, de ses respirations. »

Je vous laisse découvrir la manière dont Ggauvain exploite cette analogie. Il me semble que son interprétation repose sur une manière particulière de comprendre l’expression « adopter l’opinion qui nous convient ». Or un des intérêts de l’analogie proposée réside, d’après moi, dans le fait  qu’il y a différentes manières de  comprendre cette relation de convenance. Je me propose d’en examiner une qui, me semble-t-il, diffère de celle qui a intéressé Ggauvain.

L’interprétation de la relation de convenance dont je m’occuperai ne concerne pas n’importe quelles opinions, mais seulement celles qui reflètent une échelle de valeurs. Le plus simple est de partir d’un exemple :

« Au début de ma carrière philosophique, je me souviens d’avoir demandé à Pat Suppes, philosophe des sciences et éminent spécialiste de la nature humaine, quel était le secret du bonheur. Au lieu de me prodiguer des conseils avisés, il m’a fait remarquer la manière dont avaient procédé plusieurs personnes qui semblaient satisfaites de leur sort :
1. Établir une liste exhaustive de leurs défauts et de leurs échecs
2. Adopter un code de valeurs qui considère ces échecs et ces défauts comme des vertus.
3. Se féliciter d’avoir été à la hauteur
Les brutes épaisses se félicitent de leur virilité ; les pédants compulsifs mettent un point d’honneur à ergoter ; les égoïstes et les mesquins se font une joie d’aider le marché à récompenser le succès et à punir l’échec. »

John Perry, La procrastination, p. 96

 Il me semble semble que l’on conçoit clairement dans ce cas ce qu’on doit entendre par adopter un système de valeur qui nous convient : c’est adopter le système de valeur qui nous renvoie la meilleure image de nous même. Dire qu’il nous convient revient à dire qu’il est dans notre intérêt de l’adopter pour autant que nous souhaitons nous concevoir nous-mêmes comme une personne de valeur. Pour examiner les difficultés que soulèvent la conduite décrite par Perry,  faisons un détour par un extrait du discours de Calliclès dans le Gorgias de Platon :

« Aussi doué qu’on soit, si on continue de faire de la philosophie, alors qu’on en a passé l’âge […] s’il arrive qu’on soit impliqué dans une affaire privé ou publique, on s’y rend ridicule, comme sont ridicules à leur tour, j’imagine, les politiques qui se trouvent pris dans vos discussions et arguments.

En fait, c’est ce que dit Euripide : « une lumière brille pour chacun des êtres, qui s’élance vers elle ; là, il est le meilleur de lui même ». Donc ce qu’on a en soi de minable, on l’évite et on l’injurie, tandis que le reste on le loue, avec quelque indulgence pour soi-même, et en estimant que comme cela on fait son propre éloge »

Gorgias [484d – 485a] trad. Monique Canto

Calliclès suggère ici que la dépréciation socratique de la rhétorique relève d’un mécanisme psychologique consistant à déprécier les domaines dans lesquels on est médiocre pour se consoler de ne pas les maîtriser et entretenir une bonne image de soi. La ressemblance avec le procédé évoqué dans le texte de Perry me semble assez évidente. Laissons de côté la question du bien fondé de l’imputation à Socrate de cette conduite, et  concentrons nous sur cette conduite en elle-même dont l’existence ne me semble pas douteuse. On peut y voir une variante de la conduite décrite dans la fable de La Fontaine  Le renard et les raisins.

Certain Renard Gascon, d’autres disent Normand,
Mourant presque de faim, vit au haut d’une treille
Des Raisins mûrs apparemment,
Et couverts d’une peau vermeille.
Le galant en eût fait volontiers un repas ;
Mais comme il n’y pouvait atteindre :
« Ils sont trop verts, dit-il, et bons pour des goujats. « 
Fit-il pas mieux que de se plaindre ?

Dans les deux cas il s’agit de déprécier ce qui nous est inaccessible (des qualités personnelles dans un cas, un objet extérieur dans l’autre) pour ne pas souffrir de cette inaccessibilité. On pourrait multiplier les exemples d’usages de ce type de procédé : l’élève qui se prend à mépriser une matière dans laquelle il a de mauvais résultats, le dragueur éconduit qui découvre après coup que sa cible n’était belle que de loin etc .

Approuver le procédé, au nom de l’idée qu’il vaudrait mieux faire cela que de se plaindre, revient à promouvoir une forme de relativisme. Or, dans le passage qui suit immédiatement l’extrait du Gorgias cité ci-dessus, Calliclès s’abstient de porter un jugement explicite sur la conduite qu’il attribue à Socrate (parmi d’autres), mais il indique qu’il faut s’élever au dessus de ce type d’attitude pour rendre un jugement équitable :

  « La plus juste conduite à avoir, à mon sens, est de faire les deux : faire de la philosophie c’est un bien, aussi longtemps qu’il s’agit de s’y former … »

Cependant un autre exemple de la conduite qui nous occupe est évoqué un peu plus loin et est, cette fois, sévèrement jugé.

« Seulement tout le monde n’est pas capable, j’imagine, de vivre comme cela [en se donnant tous les moyens d’assouvir ses passions].  C’est pourquoi la masse des gens blâme  les hommes qui vivent ainsi, gênée qu’elle est de devoir dissimuler sa propre incapacité à le faire.  La masse déclare donc bien haut que le dérèglement – j’en ai déjà parlé  – est une vilaine chose.  […] Les hommes de la masse […] qui sont eux mêmes incapables de se procurer les plaisirs qui les combleraient, font la louange de la tempérance et de la justice à cause du manque de courage de leur âme. »  [492 a]

Une fois encore, il faut distinguer le jugement en général sur l’attitude consistant à déprécier ce dont on est incapable pour préserver l’image qu’on a de soi, et l’appréciation de son application au cas d’espèce. Pour dire les choses plus clairement  : je pense que Calliclès à tort quand il suggère que la lâcheté et le souci de dissimuler sa propre faiblesse sont les seuls motifs de défense de la justice et de la tempérance.  En revanche, je suis porté à concéder, que si  c’étaient effectivement les seuls motifs il y aurait un problème  … Cela signifie que je suis d’accord pour considérer que c’est un signe de médiocrité morale que d’adopter un système de valeur au seul motif qu’il préserve notre image en nous-mêmes au prix de la dissimulation de la vérité.  Partager cette appréciation, c’est récuser par là même le relativisme quant au choix des systèmes de valeur, et se référer à une méta-valeur au nom de laquelle on juge la manière d’adopter une échelle de valeur. Il me semble que c’est la vérité qui joue ici ce rôle de méta-valeur  :  au fond le problème n’est pas tant de vouloir préserver le sentiment de sa valeur que le fait de se mentir à soi-même pour cela [2].

Si choisir un système de valeur qui nous convient, au sens ou il préserve notre image de nous mêmes, implique de se mentir à soi-même, on  conçoit que ce procédé puisse difficilement être employé en pleine conscience. Les gens qui font de manière réfléchie ce que Pat Suppes recommandait à John Perry sont sûrement rares ; la même conduite sous une forme inconsciente (il faudrait alors parler de mécanisme plutôt que de procédé) est vraisemblablement beaucoup plus fréquente (c’est peut-être même le fait de ne pas y verser qui est l’exception). Ainsi ce qui nous empêche adopter consciemment l’échelle de valeur qui conviendrait à notre désir d’avoir une bonne image de nous-mêmes, c’est que cette échelle ne convient pas en un autre sens : elle ne convient pas à nos normes cognitives.

[1] Je présume que beaucoup de personnes conviendraient qu’il y a quelque chose de minable dans le comportement du renard de la fable ou du dragueur éconduit évoqué précédemment. Dans ces exemples, à la différence de la conduite dénoncée par Calliclès, la dépréciation de ce qui est inaccessible ne s’opère pas au niveau de l’adoption du système de valeur mais au niveau du jugement sur l’objet singulier, ce qui rend la dimension de mensonge à soi-même peut-être plus manifeste.

[2] On notera que Calliclès qui est souvent présenté comme l’incarnation de l’attitude anti-philosophique (bien qu’il reconnaisse une valeur à la philosophie dans la formation de la jeunesse) qui fait passer le souci de la puissance avant celui de la vérité utilise un argument qui articule les deux valeurs : il reproche aux faibles de chercher à dissimuler leur faiblesse. On pourrait tenter de « retourner » sa position en faisant de l’incapacité à regarder la vérité en face la faiblesse par excellence … mais peut être serait-ce, de la part du philosophe,  chercher à se mentir que de tenter cela …

Style et vérité

04 samedi Avr 2015

Posted by patertaciturnus in Aphorisme du jour

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Joseph Joubert, style, vérité

« Remarquez comme, dans les disputes, chacun donne à son opinion un tour sentencieux. C’est que, de toutes les formes de discours, c’est la plus solide. Elle répond à la forme carrée en architecture. Et comme chacun, dans la dispute, cherche à se fortifier, chacun assoit son opinion  de la manière que l’instinct lui indique être la plus propre à résister à l’attaque. Quant aux choses d’une vérité reconnue et qui n’ont à craindre aucune contradiction, aucune hostilité, si j’ose dire, on leur donne ordinairement une certaine rondeur, une expression à contour, forme qui réunit la grâce à la solidité et la simplicité à la richesse. Or dans le style il faut établir les vérités comme si elles étaient universellement reconnues. »

Joseph Joubert, Carnets I, p. 90

Evitement

26 lundi Jan 2015

Posted by patertaciturnus in Aphorisme du jour

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Elias Canetti, peur de la vérité, vérité

« Le faux penseur, chaque fois qu’une vérité menace, il se cache derrière une pensée. »

Elias Canetti, Le cœur secret de l’horloge, p. 31

*

Hé, les heideggerolâtres, vous avez entendu ? on parle de vous!

Trève de moquerie facile. Il est sûrement plus sage de prendre cet aphorisme comme une mise en garde pour soi même. Que chacun se demande : de quelle vérité cherches-tu à te cacher.

Pour ce qui est des mécanismes qui président à cette dissimulation, faites votre choix : refoulement ou réduction de dissonance cognitive ?

Éthique de la discussion

27 samedi Déc 2014

Posted by patertaciturnus in Food for thought

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dialogue, Hugo Pratt, stupidité, vérité

Cush :« Pourquoi parles-tu avec ce chien infidèle, … Toi qui, comme moi, marches sur les chemins de la vérité.

« El oxford » : « oui, je marche comme toi sur les chemins de la vérité, Cush … mais sur ces chemins, on trouve aussi tant d’hommes stupides. Et si tu continues, tu deviendras l’un d’eux. »

Hugo Pratt, Les Ethiopiques

N’y a-t-il que les imbéciles …? (3)

23 mercredi Avr 2014

Posted by patertaciturnus in Perplexités et ratiocinations

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art d'avoir toujours raison, Arthur Schopenhauer, dialogue, mauvaise foi, vérité

Il serait dommage de vous priver du paragraphe de L’art d’avoir toujours raison qui suit ceux que j’ai cité hier.

« Machiavel prescrit au prince d’utiliser chaque instant de faiblesse de son voisin pour l’attaquer : sans cela, l’autre peut tirer parti de la faiblesse de ce prince. Si la bonne foi régnait, la chose aurait une autre allure ; mais comme on n’a pas à s’y attendre, il ne faut pas la pratiquer, puisqu’aussi bien elle est mal récompensée; – il en va de même dans la controverse: si je donne raison à mon adversaire dès qu’il me semble avoir raison, il n’est guère probable qu’il en fera autant si la situation s’inverse : il agira bien plutôt per nefas : donc, il faut que je lui rende la monnaie de sa pièce. Il est facile de dire qu’on ne doit chercher que la vérité, sans préjugé en faveur de sa thèse ; mais il n’est pas permis de préjuger que l’adversaire en fera autant : donc il faut l’éviter. En outre, si je voulais dès qu’il me semble avoir raison renoncer à ma proposition, alors que je l’avais auparavant médité avec soin, il pourrait facilement arriver que, séduit par une impression passagère, je renonce à la vérité pour adopter l’erreur. »

Si la fin du paragraphe (après « En outre … ») réintroduit le type de justification de la discussion de mauvaise foi déjà évoqué hier, le début du paragraphe propose une justification d’un autre genre : j’ai le droit d’argumenter de mauvaise foi parce que je présume que l’autre ne se privera pas de le faire.  La référence à Machiavel est ici tout à fait opportune, car l’argumentation de Schopenhauer concorde parfaitement avec celle de ce passage du Prince [chap. XV] :

« Celui qui laisse ce qui se fait pour ce qui se devrait faire, apprend plutôt à se détruire qu’à se préserver : car un homme qui en toute occasion voudrait faire profession d’homme de bien, il ne peut éviter d’être détruit parmi tant de gens qui ne sont pas bons. »

La position de Machiavel reprise par Schopenhauer consiste à dire que je n’ai pas à m’interdire de faire à autrui ce que je ne veux pas qu’il me fasse si j’ai des raisons de penser que lui même ne s’interdira pas de me faire ce qu’il ne voudrait pas que je lui fasse. Cet argument est potentiellement dévastateur pour la morale, reste à s’assurer de ses limites de validité.

Cet argument suppose une situation de type « dilemme du prisonnier ». Il est ainsi exposé à une difficulté bien connue : les autres peuvent faire exactement le même raisonnement et justifier leur propre comportement non-coopératif par la probabilité d’un comportement non-coopératif de notre part que nous même justifions par le fait que … etc. Le risque de cercle vicieux de la défiance et de la mauvaise foi en matière de discussion est d’ailleurs signalé par Socrate dans un passage du Gorgias qui précède celui que j’ai cité dimanche :

« Sont ils en désaccord sur un point et l’un prétend-t-il que l’autre parle avec peu de justesse ou de clarté, ils se fâchent et s’imaginent que c’est par envie qu’on les contredit et qu’on leur cherche chicane, au lieu de chercher la solution du problème à débattre. »

Le problème est alors de sortir du cercle vicieux par lequel chacun s’autorise à être de mauvaise foi parce qu’il est convaincu que c’est l’autre qui a commencé. Comment enclencher une dynamique de confiance réciproque?

Lorsque Schopenhauer  fait valoir que

« si je donne raison à mon adversaire dès qu’il me semble avoir raison, il n’est guère probable qu’il en fera autant si la situation s’inverse« 

on est tenté de répondre que la probabilité que le comportement de l’autre soit ou non coopératif n’est pas indépendante de mon propre comportement. Si je fais le choix de la mauvaise foi je peux m’attendre à ce que  cela renforce la probabilité que l’autre fasse preuve de mauvaise foi, inversement, si je fais le choix de la bonne foi, je peux espérer que cela augmente la probabilité que l’autre  fasse également preuve de bonne foi. Évidemment, je n’ai pas la garantie que l’autre sera de bonne foi et celui qui prend l’initiative de rompre le cercle vicieux de la mauvaise foi cours un risque. Pour savoir s’il vaut la peine de le courir il faut, bien sûr, apprécier ce qu’on perd en discutant de bonne foi face à quelqu’un de mauvaise foi.

C’est le moment de souligner que l’argumentation de Schopenhauer sur laquelle je ratiocine aujourd’hui présuppose l’idée (évoquée hier) que nous devons parfois choisir entre les intérêts de notre vanité et ceux de la vérité. En revanche, si on fait notre le principe socratique selon lequel  :

« il y a plus à gagner à être réfuté [qu’à réfuter], parce qu’il est bien plus avantageux d’être soi-même délivré du plus grand des maux que d’en délivrer autrui. »

le problème se pose de toute autre manière et la mauvaise foi supposée de l’autre n’est plus un argument justifiant que nous fassions nous-même preuve de mauvaise foi. Si je cherche par dessus tout à y voir plus clair, et si au regard de cet objectif avoir le dernier mot n’a aucune importance, la mauvaise foi de l’autre ne fait pas immédiatement obstacle à ma recherche, comme elle le ferait si, moi aussi, je ne cherchais qu’à avoir le dernier mot. On serait tenté de dire que, dans ce cas, la mauvaise foi de l’autre est son problème et plus le mien. A la limite, on en viendrait à défendre la discussion avec une bonne foi unilatérale comme certains défendent un libre-échange unilatéral avec des pays protectionnistes ; l’idée étant, dans les deux cas, qu’il n’y a pas lieu de rendre à l’autre la monnaie de sa pièce, que nous n’avons pas à imiter l’autre s’il se trompe sur ses réels intérêts :

« Even if your trading partner dumps rocks into his harbor to obstruct arriving cargo ships, you do not make yourself better off by dumping rocks into your own harbor. »

(adage attribué à l’économiste Joan Robinson)

En fait, poursuivre la discussion avec un bonne foi unilatérale n’est peut-être pas la meilleure solution face à un interlocuteur de mauvaise foi, même pour quelqu’un qui chercherait par dessus tout la vérité et qui serait indifférent au fait de ne pas avoir le dernier mot. Revenons à l’intermède du Gorgias consacré à l’art de la discussion. Socrate y demande à son interlocuteur (Gorgias) s’il partage sa propre conception des objectifs de la discussion (chercher la vérité et non à avoir le dernier mot, accepter d’être réfuté et ne pas seulement chercher à réfuter l’autre) ; il considère que s’il y a accord sur les objectifs de la discussion il vaut la peine de la poursuivre, en revanche s’il y a désaccord sur l’objectif de la discussion mieux vaut y mettre fin. Face à un interlocuteur de mauvaise foi il ne s’agirait ni de continuer de bonne foi, ni de continuer en devenant soi-même de mauvaise foi, mais de cesser la discussion.

Si on adopte l’échelle de valeur socratique énoncée plus haut, il est évidemment exclu de continuer la discussion en basculant en « mode mauvaise foi ». Mais pourquoi mettre fin à la discussion plutôt que de la continuer de bonne foi ? Qu’a-t-on à perdre en continuant de bonne foi? Ce qu’il s’agit d’éviter de perdre en mettant fin à la discussion, ce n’est pas la joute verbale  (d’ailleurs en abandonnant la discussion on laisse à l’autre la possibilité de proclamer son triomphe), c’est notre temps. Le problème avec celui qui discute de mauvaise foi ce n’est pas que ses arguments sont forcément sans valeur, mais plutôt que ses stratégies ne seront pas constructives du point de vue de l’éclaircissement de la question. Il faudrait distinguer le cas des bons arguments qui méritent toujours d’être discutés de celui des des personnes qui les présentent qui ne méritent pas toujours qu’on les discute avec elles.

*

Tout ça pour ça, dira-t-on. Certes, mais j’écris pour tirer mes propres idées au clair, pas pour instruire qui que ce soit.  Mais il est vrai que tout ce jus de cerveau tiédasse, apparaît finalement vain quand on pressent que le vrai problème est ailleurs. La difficulté qui mérite nos efforts, réside peut-être moins dans la mauvaise foi « ouverte » que dans les illusions que chacun se fait sur sa propre bonne foi.   Ce sera pour une autre fois.

N’y a-t-il que les imbéciles… ? (2)

22 mardi Avr 2014

Posted by patertaciturnus in Food for thought, Perplexités et ratiocinations

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amour de la vérité, art d'avoir toujours raison, Arthur Schopenhauer, dialogue, Karl Popper, mauvaise foi, vérité

Il me semble que les considérations de dimanche dernier sur l’amour de soi et la recherche de la vérité peuvent avantageusement être complétées par quelques extraits de l’indispensable Art d’avoir toujours raison [1] de Schopenhauer. Dans l’introduction de l’ouvrage, Schopenhauer commence par définir son objet  :

« La dialectique éristique est l’art de mener un débat de manière à avoir toujours raison, donc quels qu’en soient les moyens (per fas et nefas) . »

Par « art d’avoir toujours raison » il faut donc entendre art d’avoir le dernier mot dans la discussion, qu’on ait objectivement raison ou tort.  Schopenhauer explique ensuite la raison d’être de cet art.

« […] Si nous étions fondamentalement honnêtes, alors tout débat partirait simplement du principe qu’il faut rechercher la vérité, sans se préoccuper de savoir si elle se conforme à l’opinion que nous avions initialement formulée, ou à celle de l’autre : la question n’aurait aucune espèce d’importance, ou du moins serait tout à fait secondaire. Mais en l’occurrence, c’est primordial. Notre vanité innée, particulièrement susceptible en matière de facultés intellectuelles, n’accepte pas que notre raisonnement se révèle faux, et celui de l’adversaire recevable. Pour ce faire, chacun devrait tâcher de ne rien émettre que des jugements justes, et donc de réfléchir avant de parler. Mais chez la plupart des hommes, la vanité va de pair avec un goût pour la palabre et une mauvaise foi tout aussi innée : ils parlent sans avoir eu le temps de réfléchir, et même s’ils constatent par la suite que ce qu’ils affirment est faux et qu’ils ont tort, ils s’efforcent de laisser paraître le contraire. Leur intérêt pour la vérité, qui la plupart du temps constitue pourtant l’unique motif qui les pousse à défendre la thèse qu’ils pensent vraie, s’efface alors complètement devant les intérêts de leur vanité : le vrai doit paraître faux, et le faux vrai. »

 

A première vue la position de Schopenhauer est semblable à celle qu’exprimait l’aphorisme de Joubert cité dimanche :

« Ceux qui ne se rétractent jamais s’aiment plus que la vérité »

Schopenhauer soutient en effet que lorsqu’une personne cherche seulement à avoir le dernier mot c’est que son intérêt pour la vérité – dont il ne nie pas le rôle de motivation initiale – se trouve débordé par sa vanité. On notera que Schopenhauer envisage ici un cas où l’individu continue à défendre sa thèse en pressentant qu’elle est vraisemblablement fausse. Il faudrait aussi envisager les cas (peut-être plus fréquents) où la vanité va jusqu’à empêcher l’individu de faire preuve de cette lucidité.

Mais ce qui m’intéresse ici, c’est que Schopenhauer ne s’en tient pas à la dénonciation de la vanité : il va exposer une forme de justification relative de cette tendance à faire preuve de mauvaise foi dans la discussion [2].

« Il existe toutefois une excuse à cette mauvaise foi qui nous conduit à camper sur une position qui nous paraît pourtant erronée : souvent, nous sommes d’abord fermement convaincus de la vérité de ce que nous affirmons, mais voilà que l’argument adverse semble la faire vaciller ; et si nous renonçons alors, nous découvrons souvent après coup que nous avions bien raison. Notre preuve était erronée ; mais il existait une preuve recevable pour étayer notre thèse : l’argument providentiel ne nous était pas venu à l’esprit en temps voulu. Ainsi se forme en nous la maxime selon laquelle nous continuons à débattre d’un contre-argument quand bien même il nous paraîtrait juste et pertinent, croyant que sa validité n’est qu’illusoire, et qu’au cours du débat nous viendra un argument permettant de le contrer ou d’entériner notre vérité d’une façon ou d’une autre. Aussi sommes-nous sinon contraints, du moins incités à la mauvaise foi dans le débat, de telle sorte que les faiblesses de notre entendement se trouvent soutenues par la nature corruptrice de notre volonté, et vice versa. Si bien qu’en règle générale, on ne se battra pas pour défendre la vérité, mais pour défendre sa propre thèse, comme s’il s’agissait de son bien le plus précieux ; et pour ce faire, tous les moyens sont bons, puisque comme nous venons de le montrer, il est parfois impossible de faire autrement. »

Ainsi l’entêtement à soutenir une thèse en dépit de la force des arguments adverses, qui semble faire prévaloir un autre intérêt sur celui de la vérité, serait-il relativement justifié par sa contribution indirecte au triomphe de la vérité. On trouve un argument assez semblable chez Karl Popper en faveur de l’entêtement des « illuminés ».

 « Une certaine dose de dogmatisme et d’entêtement est nécessaire dans le travail scientifique, si nous ne voulons pas laisser se perdre des idées brillantes, mais dont nous ne voyons pas immédiatement comment les traiter ni comment les modifier.
La méthode critique de la science laisse une place, attribue une fonction même aux marginaux et aux illuminés. Il m’est arrivé d’écrire que nos universités ne devraient pas se proposer de former des savants ou des scientifiques, mais se contenter d’un objectif plus modeste et plus libéral, la formation d’hommes capables de distinguer entre un charlatan et un savant ou un scientifique. L. E. J. Brouwer eut tôt fait de me remettre sur la bonne voie, en me faisant remarquer que même cette formule n’était pas assez libérale […] Il ajouta qu’il y avait de la place dans les sciences même pour un charlatan, et rejeta à juste titre tout ce qui pouvait sembler venir à l’appui de ce genre de distinction. »

Le réalisme et la science

Le texte de Popper ouvre bien sûr à un autre problème  : si les scientifiques n’ont pas à être « épistémiquement vertueux » au niveau individuel (ils ont le droit d’être entêtés voire de mauvaise foi) c’est dans le fonctionnement des institutions scientifiques que doit se trouver la « vertu » qui permettra de faire servir les vices (épistémiques) individuels au bien collectif (le progrès de la science).

[1] J’utilise la traduction d’Hélène Florea de l’édition Librio.

[2] La justification de cette conduite tient aussi lieu de justification de la publication d’un tel « art d’avoir toujours raison ». Mais la publication d’un tel ouvrage peut aussi être justifiée sur une autre base : on peut faire valoir qu’en rendant public de tels procédés on ne contribue pas tant à diffuser des mauvaises conduites qu’à diffuser les moyens de les reconnaître et de les neutraliser.

N’y a-t-il que les imbéciles … ?

20 dimanche Avr 2014

Posted by patertaciturnus in Aphorisme du jour, Perplexités et ratiocinations

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amour de la vérité, amour de soi, dialogue, Joseph Joubert, Platon, vérité

« Ceux qui ne se rétractent jamais s’aiment plus que la vérité »

Joseph Joubert, 2 août 1806, Carnets II p. 138

« Le but de la dispute et de la discussion, ne doit pas être la victoire mais l’amélioration »

11 août 1813, p.393

*

Pour réfléchir à la relation entre ces deux aphorismes, je me propose de faire un détour par le grand inspirateur de Joubert : Platon. Il me semble, en effet, que l’on peut rapprocher ces deux aphorismes d’un passage fameux du Gorgias consacré à l’art du dialogue :

Socrate – « De quelle sorte suis-je donc? Je suis de ceux qui ont plaisir à être réfutés, s’ils disent quelque chose de faux, et qui ont plaisir aussi à réfuter les autres, quand ils avancent quelque chose d’inexact, mais qui n’aiment pas moins à être réfutés qu’à réfuter. Je tiens en effet qu’il y a plus à gagner à être réfuté, parce qu’il est bien plus avantageux d’être soi-même délivré du plus grand des maux que d’en délivrer autrui. »

PLATON, Gorgias [458b]
trad. E. Chambry

*

Le second des aphorismes de Joubert est parfaitement en phase avec la conception socratique du dialogue : le but n’est pas d’avoir le dernier mot mais de découvrir la vérité, quitte à devoir renoncer à certaines opinions.

En revanche, le premier aphorisme ne coïncide peut-être pas aussi parfaitement avec la position socratique. En effet, pour Socrate, s’il faut accepter d’être réfuté, ce n’est pas parce qu’il faut préférer la vérité à soi-même, mais c’est parce qu’il est meilleur pour soi d’être libéré d’une erreur que d’y demeurer. Ainsi l’opposition entre  l’amour de soi et l’amour de la vérité ne serait qu’une apparence et la préférence pour la vérité serait, en réalité, comme une continuation de l’amour de soi par d’autres (meilleurs) moyens. Ce qu’il faudrait reprocher à ceux qui « ne se rétractent jamais » c’est de se méprendre sur leur véritable intérêt (on peut voir là une variation sur le thème : nul n’est méchant volontairement). L’amour de la vérité exigerait moins un sacrifice de l’amour de soi que le déplacement de son lieu d’investissement (la question ne serait pas de savoir si on s’aime ou non mais de savoir ce qu’on aime en soi-même et ce qui mérite le plus d’être aimé).

On pourrait d’ailleurs faire valoir que l’opposition de la « victoire » et de « l’amélioration » dans le second aphorisme pourrait être surmontée comme peut l’être l’opposition de l’amour de soi et de l’amour de la vérité dans le premier. Il suffit pour cela de soutenir que l’amélioration est elle même une sorte de victoire – une victoire sur soi-même et non sur les autres – et que c’est une victoire de plus grande valeur. Reste bien sûr à savoir comment prouver cette dernière proposition.

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