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Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

Pater Taciturnus

Archives de Tag: Nietzsche

Je cherche un homme

27 mardi Fév 2018

Posted by patertaciturnus in Divers vers, Lectures

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Nietzsche, Omar Khayyâm, sacrifice

Puissé-je être sacrifié à celui qui me paraît digne :
Se jeter aux pieds d’un tel homme me serait chose facile.
Veux-tu savoir ce qu’est le vrai enfer?
C’est la compagnie des hommes indignes dans le monde.

Omar Khayyâm, Robâiyât
trad. Rezvanian : 434

*

« Car la question est en effet celle-ci : comment ta vie, qui est vie individuelle, acquiert-elle la plus haute valeur, la plus profonde signification ? Comment est-elle le moins gaspillée ? Ce n’est sûrement que dans la mesure où tu vis au profit de l’exemplaire le plus rare et le plus précieux et non au profit du plus grand nombre, c’est-à-dire de ceux qui, pris isolément, sont les exemplaires de la moindre valeur. Et l’état d’esprit qu’il faut justement implanter et cultiver chez un jeune homme, c’est qu’il se comprenne somme toute lui-même comme une œuvre manquée de la nature, mais en même temps comme un témoignage des intentions les plus grandes et les plus merveilleuses de cette artiste : elle a échoué, devrait-il se dire ; mais je veux honorer sa grande intention en me mettant à son service, afin qu’une autre fois elle réussisse mieux. »

NIETZSCHE, IIIe considération inactuelle, §. 6, Gallimard Folio, p. 59

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Fortification

19 lundi Fév 2018

Posted by patertaciturnus in Divers vers

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Jacek Podsiadło, Nietzsche

Nietzsche : hańbą jest być szczęśliwym !

Doglądam umocnień. Tracę kontakt z nierzeczywistością,
mówię : nie wiem, nie znam, nie oglądam, nie słucham.
Jeszcze gazety. Nigdy nic nie zrobiłem dla torturowanych.
Jakże zazdroszczę tym, co nie wierzą w Oświęcim.
W piętnaście lat po Hitlerze świat podbił rock’n’roll !
Simone Weil miała moje lata, kiedy się zagłodziła.

Historię, biologię, nauki « ścisłe » — wszystko ułożyliśmy sobie tak,
żeby usprawiedliwiało. Orgazm, « mała śmierć ». A przyjemność duża.
Uśmiech pohańbiena na twarzy kobiety, uśmiech oprawcy na twarzy chłopca lub odwrotnie.
— Czy warto rozdrapywać rany ? — A co, zagoiły się ?
Odkąd pamiętam, chciałem wydać tom wierszy pod tytułem « Nie ».
Więc się umacniam. Tu poprawię zapałkę, tam dołożę cierń.

Jacek Podsiadło

*

Nietzsche : c’est une ignominie que d’être heureux !

Je surveille les fortifications. Je perds le contact avec l’irréalité,
je dis : je ne sais pas, je ne connais pas, je ne regarde pas, je n’écoute pas.
Puis les journaux. Je n’ai jamais rien fait pour les torturés.
Comme j’envie ceux qui ne croient pas à Auschwitz.
Quinze ans après Hitler, le rock’n’roll conquit le monde !
Simone Weil avait mon âge quant elle jeûna à mort.

Histoire, biologie, sciences « exactes » — nous avons tout arrangé
de façon à justifier. L’orgasme, « petite mort », mais grande jouissance.
Sourire de déshonneur sur le visage de la femme, sourire de bourreau sur le visage du garçon, ou inversement.
— Faut-il rouvrir les plaies — Pourquoi, elles sont déjà cicatrisées ?
Aussi loin que je me souvienne, j’ai voulu éditer un recueil de poèmes sous le titre « Non ».
Je me fortifie donc. Ici, je rectifie une allumette, là j’ajoute une épine.

trad.Jacques Burko
in 3 poètes polonais, Editions du murmure, 2009

Aime ton juge ! (2)

21 dimanche Jan 2018

Posted by patertaciturnus in Perplexités et ratiocinations

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amour, culpabilité, Djalâl ad-Dîn Rûmî, Kierkegaard, Nietzsche

On a vu mardi dernier de quelle étrange façon Kierkegaard résout le problème que Nietzsche devait formuler en ces termes :

« Si Dieu avait voulu devenir un objet d’amour, il aurait dû commencer par renoncer à rendre la justice : – un juge, et même un juge clément, n’est pas un objet d’amour. »

Nietzsche, Le gai savoir §. 140

Peut-être vaudrait il mieux dire que ce qui était un problème pour Nietzsche n’en était pas un pour Kierkegaard. Alors que Nietzsche se demande comment on peut aimer son juge, même clément ; Kierkegaard semble considérer que l’amour se réalise dans le sentiment d’avoir tort face à l’autre. Pour le penseur danois, il ne faudrait pas dire qu’on aime Dieu bien qu‘il nous juge, il faudrait plutôt dire qu’on en fait notre juge – un juge devant lequel on ne peut que plaider coupable – parce qu’on l’aime. On notera que dans cette perspective la miséricorde de Dieu apparaît comme un motif d’amour second. On peut aussi souligner que l’option kierkegaardienne va « plus loin » que celle que j’avais évoquée à propos d’un texte de Rûmî  : chez Rûmî l’amour d’Adam le retenait seulement de se défendre et d’accuser son juge (qui est aussi celui qui l’a laissé fauter), chez Kierkegaard l’amour va jusqu’à nous porter à nous accuser nous-mêmes.

Cette idée que l’amour s’accomplit dans l’accusation de soi se comprend indépendamment du contexte théologique, d’ailleurs Kierkegaard l’introduit à partir de l’amour pour un être humain. Mais c’est une idée bien particulière de l’amour qui nous ferait dire : « si je t’aime vraiment, je dois penser que tout est de ma faute » ; on peut l’opposer à la conception selon laquelle l’amour se réalise dans la jalousie  (ici, c’est par amour que je te demande de te justifier). La première peut nous paraître plus « pure »  et altruiste que la seconde mais elle n’est peut être pas moins pathologique ( ce qui apparaît quand elle est formulée en 2e personne : « si tu m’aimes, tu dois t’accuser … »)  ; on peut d’ailleurs concevoir que les deux fassent système : celui qui aime-en-s’accusant cherchant un jaloux et le jaloux ayant besoin d’un coupable pathologique pour exercer pleinement son emprise.

La foi selon K

28 vendredi Oct 2016

Posted by patertaciturnus in Lectures

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Dazaï Osamu, Dieu, foi, justice, Nietzsche

« J’avais peur, même de Dieu. Je ne croyais pas que Dieu nous aime, je ne croyais qu’à ses châtiments. La foi. Je me figurais qu’avoir la foi c’était simplement croire qu’il fallait se présenter devant le tribunal de Dieu pour être jugé. Je croyais à l’enfer, mais j’avais beau faire, je ne croyais pas au ciel. »

Dazaï Osamu, La déchéance d’un homme

*

« Si Dieu avait voulu devenir un objet d’amour, il aurait dû commencer par renoncer à rendre la justice : – un juge, et même un juge clément, n’est pas un objet d’amour. »

Nietzsche, Le gai savoir §. 140

On m’ a tout donné bien avant l’envie

16 mardi Fév 2016

Posted by patertaciturnus in Food for thought, Perplexités et ratiocinations

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culture, honte de soi, humiliation, Nietzsche, soif de savoir

« – Et puis, en se retournant sur le chemin de la vie, découvrir également qu’il est une chose irréparable : notre jeunesse gaspillée par la faute de nos éducateurs qui n’utilisèrent pas ces années avides de savoir, ardentes et altérées, à nous guider vers la connaissance des choses, mais vers la prétendue « culture classique »! Notre jeunesse gaspillée lorsqu’on nous inculquait avec autant de maladresse que de brutalité des bribes de savoir sur les Grecs, les Romains et leurs langues, au mépris du principe suprême de toute culture qui exige qu’on n’offre d’un mets qu’à celui qui en  est affamé ! Lorsqu’on nous imposait de force les mathématiques et la physique, au lieu de nous faire passer d’abord par le désespoir de l’ignorance et de réduire notre petite vie quotidienne, nos occupations et tout ce qui se passe du matin au soir  à la maison, à l’atelier, dans le ciel, dans le paysage, à des milliers de problèmes,  – des problèmes torturants, humiliants, exaspérants, – pour révéler alors à nos désirs que nous avons besoin avant tout d’un savoir mathématique et mécanique, et pour nous enseigner  alors notre premier enthousiasme devant la logique absolue de ce savoir. »

F. Nietzsche, Aurore §. 148

*

Qui connaît tant soit peu Nietzsche se gardera d’invoquer sa remarque sur les « bribes de savoir sur les Grecs, les Romains et leurs langues » pour l’enrôler parmi les partisans de la liquidation de l’enseignement des langues anciennes (a fortiori si c’est au nom de la dénonciation de l’élitisme).

Un tel texte devrait plaire à tous ceux qui insistent sur le fait que le contenu de l’apprentissage doit avoir du sens pour les élèves ; il me semble cependant qu’il ne se réduit pas à cette « scie pédagogique ». On notera que Nietzsche insiste sur le fait que la soif de savoir implique de la souffrance  : les problèmes sont « torturants, humiliants, exaspérants » ; le pédagogue, avant de susciter l’enthousiasme, devrait plonger les élèves dans le  « désespoir de l’ignorance ». Ceci suffit à distinguer ce texte de Nietzsche des apologies naïves d’un enseignement fondé sur le plaisir d’apprendre.

Ce texte évoque brièvement l’idée d’un rôle formateur du sentiment d’humiliation, thème que l’on rencontrait déjà dans la IIIe Considération inactuelle  :

« la culture; […] est l’enfant de la connaissance de soi, et de l’insatisfaction de soi, de tout individu. Celui qui se réclame d’elle exprime ce faisant : « Je vois au-dessus de moi quelque chose de plus haut et de plus humain que moi-même; aidez- moi tous à y accéder comme j’aiderai quiconque reconnaît la même chose et souffre d’elle, pour qu’enfin renaisse l’homme qui se sentira complet et infini dans la connaissance et dans l’amour, dans la contemplation et le pouvoir, et qui de toute sa plénitude s’attachera à la nature et s’inscrira en elle comme juge et mesure de la valeur des choses. » Il est difficile d’amener quelqu’un à cet état de connaissance impavide de soi parce qu’il est impossible d’enseigner l’amour; car c’est dans l’amour que l’âme acquiert, non seulement une vue claire, analytique et méprisante de soi, mais aussi ce désir de regarder au-dessus d’elle et de chercher de toutes ses forces un moi supérieur encore caché je ne sais où. Ainsi seul celui qui a attaché son cœur à quelque grand homme reçoit de ce fait la première consécration de la culture; le signe en est la honte de soi sans humeur ni haine envers sa propre étroitesse et sa mesquinerie »

Le moins que l’on puisse dire c’est que cette valorisation du rôle de la honte de soi dans le processus de formation n’est pas très à la mode de nos jours. On se gardera, évidemment, de la confondre avec une apologie des moqueries et du harcèlement professoral.

 Ces deux textes de Nietzsche ne me semblent pas clairement trancher la question qui importera au pédagogue  : cette avidité de savoir sur laquelle il doit s’appuyer, peut-il toujours la supposer chez ses élèves, dans quelle mesure est-il en son pouvoir de la susciter ?

Ce qui ne nous tue pas etc.

19 jeudi Nov 2015

Posted by patertaciturnus in Aphorisme du jour

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Epictète, force et faiblesse, Nietzsche

L’aphorisme du Crépuscule des idoles  : « ce qui ne me tue pas me rend plus fort » est vraisemblablement le plus fameux des aphorismes de Nietzsche. On pourrait pourtant considérer qu’il est exposé à des objections évidentes … du genre suivant par exemple.

On répondra, bien entendu, que ce prétendu contrexemple ne porte que contre une interprétation simplette de l’aphorisme. Soit, mais quelle est alors  la bonne interprétation ? Pour y voir plus clair, il me semble qu’on peut s’appuyer sur un texte de Nietzsche plus ancien et beaucoup moins célèbre, mais plus explicite.

Biens meubles et terres au soleil.

Quand la vie vous a une fois traité de façon bien rapace, et vous a pris tout ce qu’elle pouvait d’honneurs, de joies, d’adeptes, de santé, de biens de toutes sortes, on découvrira peut-être à la suite, après la première frayeur, que l’on est plus riche qu’auparavant. Car alors seulement on sait ce qui vous appartient si bien en propre  qu’aucun brigand  n’est plus capable d’y toucher ; et ainsi, l’on sortira peut-être de tant de saccage et de bouleversement avec la distinction d’un grand propriétaire foncier.  

Humain trop humain II, § 343

La différence avec l’aphorisme du Crépuscule des idoles ne tient pas seulement à la longueur du texte et au registre métaphorique mobilisé (la richesse étant remplacée par  la force),  on peut, en effet, noter que l’aphorisme d’Humain trop humain n’est pas aussi affirmatif que son fameux cousin : il est ponctué par deux « peut-être ». L’inspiration stoïcienne de ce texte me semble manifeste : cette idée que la vraie richesse consiste à savoir ce qui nous appartient en propre évoque le premier chapitre du Manuel où Epictète explique que la condition pour être effectivement libre est de savoir où réside cette liberté.

« Souviens-toi donc que, si tu crois libres ces choses qui, de par leur nature, sont serviles, et propres à toi celles qui sont étrangères, tu seras entravé, affligé, troublé, tu accuseras dieux et hommes. Mais si tu crois tien cela seul qui est tien [jugement, tendance, désir et aversion], et étranger ce qui en effet t’est étranger [corps, richesse, célébrité, pouvoir], nul ne te forcera jamais à faire une chose, nul ne t’en empêchera ; tu ne te plaindras de personne, tu n’accuseras personne ; tu ne feras pas involontairement une seule action ; personne ne te nuira, et d’ennemi, tu n’en auras point, car tu ne souffriras rien de nuisible.»

Ce que souligne le §. 343 d’Humain trop humain II c’est que l’expérience de la dépossession des fausses richesses (de ce que nous croyons à tort nous appartenir en propre) constitue une occasion privilégiée de prendre conscience de la nature des vraies richesses (de ce qui nous appartient en propre).

Délectation de l’indignation

12 jeudi Nov 2015

Posted by patertaciturnus in Aphorisme du jour

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dénonciation, indignation, Karl Kraus, Lichtenberg, Nietzsche

« Religion, morale et patriotisme sont des sentiments qui ne se manifestent que lorsqu’ils sont blessés. Le dicton disant de quelqu’un qui est facilement offensé qu’il est « volontiers » offensé, a raison. Ces sentiments n’aiment rien tant que d’être blessés et ils prospèrent dans les griefs faits à l’impie, à l’immoral, au sans patrie. Ôter son chapeau devant l’ostensoir est loin d’être aussi plaisant que de l’arracher  à ceux qui ont une autre croyance ou qui sont myopes. »

Karl Kraus, Aphorismes, Rivages p. 76

*

Il me semble que ce texte de Kraus donne une explication d’un phénomène qui étonnait Lichtenberg :

« N’est-il pas singulier que les hommes de si bon cœur combattent pour la religion tout en vivant à contrecœur selon ses préceptes?»

Lichtenberg, Le miroir de l’âme, [L. 705]

On peut également souligner la proximité avec un aphorisme de Nietzsche :

Sancta simplicitas de la vertu. — Toute vertu a des privilèges, par exemple celui d’apporter au bûcher d’un condamné son petit fagot à soi.

Humain trop humain I, §.67

*

L’aphorisme de Kraus jette aussi un éclairage sur le phénomène que j’évoquais hier à travers l’exemple de la controverse sur Germaine Greer. Il faut en effet étendre au moralisme progressiste l’analyse qui, dans ce texte, semble viser un moralisme réactionnaire ou conservateur. C’est justement pour les causes qui ont notre sympathie que nous devons le plus nous méfier de la complaisance pour l’indignation et autres variations sur le thème du « tu es mauvais donc je suis bon ». Quelle que soit la justesse de la cause défendue, ceux qui aspirent au titre de chef de camp de rééducation méritent la plus extrême méfiance.

On pourrait m’objecter qu’un fois de plus je ne fais que rationaliser mes aversions spontanées. Je crains de n’avoir rien à répondre à cela.

Où sont nos guerres de religion ?

11 mercredi Nov 2015

Posted by patertaciturnus in Perplexités et ratiocinations

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guerre de religion, Nietzsche, Xphobies

Un article de Luccio chez Morbleu, m’a récemment rappelé ce texte de Nietzsche :

« Les guerres de religion ont constitué jusqu’alors le plus grand progrès des masses : car elles démontrent que la masse s’est mise à considérer les notions avec respect. Les guerres de religion ne naissent qu’à partir du moment où les querelles plus subtiles entre les sectes ont pour effet d’affiner le sens commun : si bien que même la populace se fait pointilleuse et attache de l’importance à des minuties jusqu’à tenir pour possible que « l’éternel salut de l’âme » dépende des moindres différences de notions. »

Gai savoir §. 144, trad. Klossowski

*

Je serais curieux de savoir quelle proportion de la « populace » de cette époque troublée comprenait vraiment les minuties théologiques au nom desquelles elle haïssait voire trucidait les mécréants, et surtout je regrette que Nietzsche ne nous parle pas des mécanismes par lesquels les querelles subtiles deviennent l’affaire de la masse.

En attendant de trouver des éclaircissements sur ce point, je m’occuperai aujourd’hui d’une autre question : quels sont les équivalents contemporains du phénomène dont parle Nietzsche ? Sommes nous – en « occident » – encore capables d’investir de subtiles différences de notions d’enjeux eschatologiques (au sens strict ou en un sens plus vague)et de persécuter nos semblables en leur nom ?

Il se trouve que depuis que j’ai ce texte de Nietzsche en tête je suis, via le blog de Brian Leiter, les rebondissements des polémiques autour de Germaine Greer. Pour ceux qui n’ont pas le courage d’aller lire les article en lien, je donne un aperçu de l’affaire : Germaine Greer est une universitaire féministe australienne dont la carrière intellectuelle et militante a commencé dans les années 60. Le 18 novembre elle devait donner une « lecture » à l’université de Cardiff, mais elle y a renoncé à la suite de diverses manifestations d’hostilité à son encontre, en particulier une pétition dont voici l’acte d’accusation :

 Germaine Greer has « demonstrated misogynistic views towards trans women, including continually misgendering trans women and denying the existence of transphobia altogether”.

Je dois avouer que je ne me considère pas suffisamment informé pour juger de la pertinence des affirmations de Germaine Greer  à propos des femmes trans. Mais, justement parce que j’observe la polémique de l’extérieur, je suis frappé par le fait que ses propos ne soient pas simplement dénoncés comme faux par ses adversaires mais jugés infamants et dignes d’un bannissement de la communauté intellectuelle. Il me semble que l’on a là affaire à un exemple, à une échelle  évidemment plus restreinte, du phénomène signalé par Nietzsche. L’analyse intellectuelle du cas des femmes trans se trouve investi par des groupes militants (qui manifestement débordent le cercle des personnes susceptibles de se sentir directement visées dans leur identité) d’une importance telle que certaines thèses sur le sujet sont frappées d’anathèmes. Ce diagnostic me semble pouvoir être étendu à d’autres procès en X-phobie … qu’on pense aux accusations d’islamophobie lancées contre des intellectuels qui se réclament de l’antiracisme. Dans ces cas, ce qui est frappé d’anathème ce n’est plus, comme au temps des guerres de religion, de croire quelque chose qui déplairait au tout puissant et mettrait en péril le salut de votre âme, c’est de soutenir des thèses susceptibles de faire de vous le complice d’un système d’oppression (capitalisme, patriarcat etc.). Ainsi des questions obscures qui impliquent des connaissances empiriques pointues ou des éclaircissement conceptuels délicats (qu’il s’agisse de la relation entre sexe et genre ou de l’articulation entre racisme et domination de classe) se trouvent investies d’enjeux qui ne peuvent que peser sur la sérénité du débat intellectuel.

La lune a-t-elle déjà parlé à ton cœur ?

04 mercredi Nov 2015

Posted by patertaciturnus in Aphorisme du jour

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lune, Nietzsche, Urabe Kenkô

Peu de temps après avoir cité la semaine dernière cet extrait des Heures oisives du moine Kenkô, je suis tombé sur ce texte du premier Livre d’Humain trop humain que je suis tenté de rapprocher du précédent.

§ 586. La petite aiguille de la vie

« La vie se compose de rares instants isolés, suprêmement chargés de sens, et d’intervalle infiniment nombreux dans lesquels nous frôlent tout juste les ombres de ces instants. L’amour et le printemps, une belle mélodie, une montagne, la lune, la mer – toutes choses ne parlent pleinement au cœur qu’une fois, à supposer qu’elles trouvent jamais à s’exprimer pleinement. Car beaucoup de gens ne connaissent absolument aucun de ces moments et sont eux-mêmes des intervalles, des silences dans la symphonie de la vie. »

Au mépris aristocratique exprimé par Nietzsche à l’égard de ceux qu’il présume incapables de telles expériences, on pourra préférer la commisération du bon moine Kenkô.

Généalogie de la généalogie

30 jeudi Avr 2015

Posted by patertaciturnus in Fantaisie

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Blaise Pascal, généalogie, Joseph Joubert, Nietzsche, Platon

Le fétichisme envers un auteur se manifeste notamment par la propension à lui attribuer l’anticipation ou la prémonition d’idées qui font la célébrité d’auteurs postérieurs.

Après avoir brillamment démontré que Joubert avait plagié par anticipation la 11e thèse sur Feuerbach de Marx, je vais essayer aujourd’hui de montrer qu’il a également anticipé la généalogie nietzschéenne. Il ne me restera plus qu’à trouver dans ses carnets une anticipation de quelque concept freudien et j’aurai réalisé le grand chelem des prétendus « maîtres du soupçon ».

*

Je vous suggère donc un petit rapprochement entre ce texte :

« Un des plus sûrs moyens de tuer un arbre est de le déchausser et d’en faire voir les racines. De même des institutions. Celles que l’on veut conserver, il ne faut pas trop en désenterrer l’origine. Tout commencement est petit. »

Joseph Joubert, 30 mai 1804, Carnets I, p. 604

et celui ci :

« Nommons-la cette nouvelle exigence : nous avons besoin d’une critique des valeurs morales, il faut commencer par mettre en question la valeur même de ces valeurs, et cela suppose la connaissance des conditions et des circonstances de leur naissance, de leur développement, de leur modification (la morale comme conséquence, comme symptôme, comme masque, comme tartufferie,, comme maladie, comme malentendu ; mais aussi la morale en tant que cause, remède, stimulant, entrave ou poison), bref, une connaissance telle qu’il n’en a jamais existé jusqu’à présent et telle qu’on ne l’a même pas souhaitée. »
F. Nietzsche, Généalogie de la morale, Avant-Propos, Folio essais, p. 15

 *

Dans les deux texte on trouve cette idée qu’exhiber l’origine équivaut à une opération de dévalorisation. La différence essentielle bien évidemment, c’est que Nietzsche revendique cette opération alors que Joubert la signale pour mettre en garde contre elle (dans le cas de l’aphorisme que j’avais rapproché de la 11e Thèse sur Feuerbach, la différence de position était d’ailleurs la même). Il y a une autre différence notable : Nietzsche nous parle de valeurs là où Joubert nous parle d’institutions. Or l’idée d’une valeur critique de l’exhibition de l’origine me semble moins originale appliquée aux institutions qu’aux valeurs. On pourrait ainsi faire valoir que Joubert ne fait ici que reprendre un thème déjà présent chez Pascal :

« La coutume fait toute l’équité, par cette seule raison qu’elle est reçue. C’est le fondement mystique de son autorité, qui la ramènera à son principe l’anéantit. Rien n’est si fautif que ces lois qui redressent les fautes. Qui leur obéit parce qu’elles sont justes, obéit à la justice qu’il imagine, mais non pas à l’essence de la loi, elle est toute ramassée en soi. Elle est loi et rien davantage. Qui voudra en examiner le motif le trouvera si faible et si léger que s’il n’est accoutumé à contempler les prodiges de l’imagination humaine, il admirera qu’un siècle lui ait tant acquis de pompe et de révérence. L’art de fronder, bouleverser les États est d’ébranler les coutumes établies en sondant jusque dans leur source pour marquer leur défaut d’autorité et de justice. Il faut, dit‑on, recourir aux lois fondamentales et primitives de l’État qu’une coutume injuste a abolies. C’est un jeu sûr pour tout perdre, rien ne sera juste à cette balance. Cependant le peuple prête aisément l’oreille à ces discours. Ils secouent le joug dès qu’ils le reconnaissent. Et les Grands en profitent à sa ruine et à celle de ces curieux examinateurs des coutumes reçues. C’est pourquoi le plus sage des législateurs disait que pour le bien des hommes il faut souvent les piper. Et un autre bon politique, Cum veritatem qua liberetur ignoret, expedit quod fallatur. [Augustin , Cité de Dieu, 4, 27] Il ne faut pas qu’il sente la vérité de l’usurpation. Elle a été introduite autrefois sans raison, elle est devenue raisonnable. Il faut la faire regarder comme authentique, éternelle et en cacher le commencement si on ne veut qu’elle ne prenne bientôt fin. »

Pensées, [Brunschvicg 294]

Je présume que la mention du « plus sage des législateurs » qui disait « que pour le bien des hommes il faut souvent les piper » fait référence au thème du « pieux mensonge » dans la République de Platon. Il est plaisant de constater pour conclure que l’arbre généalogique de la généalogie démystificatrice est riche en défenseurs de la mystification.

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