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Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

Pater Taciturnus

Archives Mensuelles: avril 2015

Généalogie de la généalogie

30 jeudi Avr 2015

Posted by patertaciturnus in Fantaisie

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Blaise Pascal, généalogie, Joseph Joubert, Nietzsche, Platon

Le fétichisme envers un auteur se manifeste notamment par la propension à lui attribuer l’anticipation ou la prémonition d’idées qui font la célébrité d’auteurs postérieurs.

Après avoir brillamment démontré que Joubert avait plagié par anticipation la 11e thèse sur Feuerbach de Marx, je vais essayer aujourd’hui de montrer qu’il a également anticipé la généalogie nietzschéenne. Il ne me restera plus qu’à trouver dans ses carnets une anticipation de quelque concept freudien et j’aurai réalisé le grand chelem des prétendus « maîtres du soupçon ».

*

Je vous suggère donc un petit rapprochement entre ce texte :

« Un des plus sûrs moyens de tuer un arbre est de le déchausser et d’en faire voir les racines. De même des institutions. Celles que l’on veut conserver, il ne faut pas trop en désenterrer l’origine. Tout commencement est petit. »

Joseph Joubert, 30 mai 1804, Carnets I, p. 604

et celui ci :

« Nommons-la cette nouvelle exigence : nous avons besoin d’une critique des valeurs morales, il faut commencer par mettre en question la valeur même de ces valeurs, et cela suppose la connaissance des conditions et des circonstances de leur naissance, de leur développement, de leur modification (la morale comme conséquence, comme symptôme, comme masque, comme tartufferie,, comme maladie, comme malentendu ; mais aussi la morale en tant que cause, remède, stimulant, entrave ou poison), bref, une connaissance telle qu’il n’en a jamais existé jusqu’à présent et telle qu’on ne l’a même pas souhaitée. »
F. Nietzsche, Généalogie de la morale, Avant-Propos, Folio essais, p. 15

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Dans les deux texte on trouve cette idée qu’exhiber l’origine équivaut à une opération de dévalorisation. La différence essentielle bien évidemment, c’est que Nietzsche revendique cette opération alors que Joubert la signale pour mettre en garde contre elle (dans le cas de l’aphorisme que j’avais rapproché de la 11e Thèse sur Feuerbach, la différence de position était d’ailleurs la même). Il y a une autre différence notable : Nietzsche nous parle de valeurs là où Joubert nous parle d’institutions. Or l’idée d’une valeur critique de l’exhibition de l’origine me semble moins originale appliquée aux institutions qu’aux valeurs. On pourrait ainsi faire valoir que Joubert ne fait ici que reprendre un thème déjà présent chez Pascal :

« La coutume fait toute l’équité, par cette seule raison qu’elle est reçue. C’est le fondement mystique de son autorité, qui la ramènera à son principe l’anéantit. Rien n’est si fautif que ces lois qui redressent les fautes. Qui leur obéit parce qu’elles sont justes, obéit à la justice qu’il imagine, mais non pas à l’essence de la loi, elle est toute ramassée en soi. Elle est loi et rien davantage. Qui voudra en examiner le motif le trouvera si faible et si léger que s’il n’est accoutumé à contempler les prodiges de l’imagination humaine, il admirera qu’un siècle lui ait tant acquis de pompe et de révérence. L’art de fronder, bouleverser les États est d’ébranler les coutumes établies en sondant jusque dans leur source pour marquer leur défaut d’autorité et de justice. Il faut, dit‑on, recourir aux lois fondamentales et primitives de l’État qu’une coutume injuste a abolies. C’est un jeu sûr pour tout perdre, rien ne sera juste à cette balance. Cependant le peuple prête aisément l’oreille à ces discours. Ils secouent le joug dès qu’ils le reconnaissent. Et les Grands en profitent à sa ruine et à celle de ces curieux examinateurs des coutumes reçues. C’est pourquoi le plus sage des législateurs disait que pour le bien des hommes il faut souvent les piper. Et un autre bon politique, Cum veritatem qua liberetur ignoret, expedit quod fallatur. [Augustin , Cité de Dieu, 4, 27] Il ne faut pas qu’il sente la vérité de l’usurpation. Elle a été introduite autrefois sans raison, elle est devenue raisonnable. Il faut la faire regarder comme authentique, éternelle et en cacher le commencement si on ne veut qu’elle ne prenne bientôt fin. »

Pensées, [Brunschvicg 294]

Je présume que la mention du « plus sage des législateurs » qui disait « que pour le bien des hommes il faut souvent les piper » fait référence au thème du « pieux mensonge » dans la République de Platon. Il est plaisant de constater pour conclure que l’arbre généalogique de la généalogie démystificatrice est riche en défenseurs de la mystification.

Age de raison

30 jeudi Avr 2015

Posted by patertaciturnus in Fantaisie

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7, anniversaire

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Voyage voyage

29 mercredi Avr 2015

Posted by patertaciturnus in Divers vers

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Jules Supervielle, voyage

Serai- je un jour celui qui lui même mena
Ses scrupules mûrir aux tropicales plages?
Je sais une tristesse à l’odeur d’ananas
Qui vaut mieux qu’un bonheur ignorant les voyages.

L’Amérique a donné son murmure à mon cœur.
Encore surveillé par l’enfance aux entraves
Prudentes, je ne puis adorer une ardeur
Sans y mêler l’amour de mangues et goyaves.

N’était la France où sont les sources et les fleurs
J’aurais vécu là-bas le plus clair de ma vie
Où sous un ciel toujours vif et navigateur
Je caressais les joncs de mes Patagonies.

Je ne voudrais plus voir le ciel de profil
Mais le chef couronné de plumes radieuses,
La distance m’entraîne en son mouvant exil
Et rien n’embrase tant que ses caresses creuses.

Jules Supervielle, Débarcadère

Couleur de la musique

28 mardi Avr 2015

Posted by patertaciturnus in SIWOTI or elsewhere

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musique, racisme

Sur le site Le cinéma politique, j’ai relevé cet extrait d’une critique du film Dear White people (que je n’ai pas vu) :

« Le son par exemple, géré par Katryn Bostic (blanche) est une sorte de soupe agaçante de musique classique répétitive et très guindée. Visiblement, le but était de nous mettre dans une ambiance feutrée et estudiantine, et là encore on regrette ce choix blanchisant de musique classique européenne. A croire que les artistes noir·e·s n’étaient pas suffisamment sophistiqué·e·s pour être sélectionné·e·s dans la bande originale. Le seul moment où l’on entend une musique pouvant être considérée comme noire est la scène de la fête. C’est à dire que la culture noire, est présente uniquement quand réappropriée par les dominants blancs, et moquée par ces derniers. C’est une fois de plus, un constat dommageable. »

Je trouve ce genre de critique particulièrement contestable sur deux points.

D’une part la remarque « A croire que les artistes noir·e·s n’étaient pas suffisamment sophistiqué·e·s pour être sélectionné·e·s dans la bande originale » me paraît complètement gratuite, non seulement parce que le réalisateur qui a fait ce choix est noir, mais encore  parce qu’il me semble que s’il y a un domaine où les artistes noirs sont reconnus c’est bien la musique.

D’autre part une expression comme « choix blanchisant de la musique classique européenne » me paraît particulièrement malencontreuse. C’est quoi de la « musique blanche » c’est quoi de la « musique noire » ? un style musical créé par des blancs ou des noirs? ou majoritairement composée, interprétée, écoutée par des blancs ou des noirs? Le jazz est-il encore de la musique « considérée comme noire » ou a-t-il déjà été trop approprié les « dominants blancs »? Jusqu’où faut-il que les japonais poussent l’appropriation de la musique classique d’origine européenne pour qu’elle cesse d’être une « musique considérée comme blanche »? Si on appliquait à cet article le genre de procédé intellectuel dont le site auquel il appartient est coutumier dans ses critiques, on pourrait l’accuser de renforcer un stéréotype raciste : la musique classique est forcément guindée, mais la musique des Noirs elle ne l’est pas puisqu’il est « bien connu » qu’ils ont le rythme dans la peau … L’auteur est interpellé sur ce point dans les commentaires, je ne trouve pas ses réponses convaincantes. Mais admettons que sa critique soit juste ; pourquoi ce qui vaut pour la musique ne vaudrait-il pas pour la langue. Le français n’est il pas une langue blanche ? certes des personnes noires la parlent, mais n’est-ce pas largement un effet de domination coloniale? Dès lors n’est il pas problématique que cet article qui se veut antiraciste soit écrit en français langue du dominant blanc, n’aurait-il pas mieux valu l’écrire dans une langue « considérée comme noire »?

On l’aura compris, je trouve que l’antiracisme à plus à perdre qu’à gagner à cette manière d’assumer la racialisation des productions culturelles. Sur le thème de l’appropriation culturelle, que j’avais déjà abordé ici, il faut cependant encore que je mette mes idées au clair.

Pour une analyse du type de critique pratiquée par le site Le cinéma est politique, je ne peux que recommander les articles du très recommandable blog Analyse – Synthèse.

Pour finir, un peu de musique guindée.

Bienvenue à nos aimables visiteurs (29)

27 lundi Avr 2015

Posted by patertaciturnus in Bienvenue aux visiteurs, Paroles et musiques

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harpe, Luis Bordón

L’année dernière j’avais rendu hommage au doigté des harpistes, mais je n’avais pas parlé de la harpe paraguayenne. Il était temps de réparer cet oubli.

Luis Bordón

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Pourquoi tant de haine ?

26 dimanche Avr 2015

Posted by patertaciturnus in Aphorisme du jour, Perplexités et ratiocinations

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Elias Canetti, haine

« N’est-il donc jamais, pas même un seul instant, possible de vivre sans devoir exécrer quelqu’un ? »

Elias Canetti, Le collier de mouches

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Cet aphorisme présuppose qu’une vie sans haine est souhaitable. Peu de gens, je pense, contesteraient ce point, même parmi ceux qui reconnaissent qu’on peut se délecter de haïr (Canetti aborde ce point ailleurs et je compte y revenir une autre fois). Il serait, en effet,  bien à plaindre celui qui ne concevrait d’autre source (ou de plus hautes sources) de délectation que la haine.

Si vivre sans haïr est souhaitable pourquoi est-ce impossible comme le suggère l’aphorisme ci-dessus ? On peut envisager deux types de réponse  :

1ere hypothèse : la source du problème à l’extérieur. Il y a  toujours des gens haïssables, des salauds, des ordures, des gens qui font le mal. Dans cette hypothèse, même si nous étions capables de ne pas les haïr (par des moyens qui seront évoqués ci-dessous) il ne le faudrait pas : ne pas haïr les salauds serait comme accepter le mal qu’ils font, en être quasiment complice. Il me semble que la position de Canetti correspond à cette option : du moins si, dans son aphorisme, on interprète l’expression « devoir exécrer » comme un impératif moral et non comme une nécessité naturelle.

On sait le risque de cette option : à haïr les salauds, à se complaire dans cette haine à l’idée qu’elle est justifiée, nous risquons fort d’adopter envers eux le type de comportement qui nous les a fait haïr. Le fan de Star Wars invoquera ici le « pouvoir du côté obscur », le nietzschéen amateur invoquera lui un célèbre aphorisme énonçant les dangers de la lutte contre les dragons.

2e hypothèse  :   la source du problème est en nous. Il nous faudrait nous élever au dessus de la haine mais nous n’en avons que trop rarement la force. Dans cette hypothèse on ne conteste pas l’existence du mal qui justifiait la haine dans la première hypothèse, mais on considère qu’il faut y répondre par autre chose que la haine. Par quoi ? Là encore, on peut envisager deux options :

a) répondre par le mépris et l’indifférence : c’est ce qu’on pourrait appeler l’option stoïcienne. Le défaut de cette option c’est qu’elle risque d’engendrer l’inaction. Si on a pu ainsi s’élever au dessus des effets du mal en nous, pourquoi lutter contre lui hors de nous, au risque, dans cette lutte, de perdre notre tranquillité d’âme.

 b) répondre par l’amour : c’est ce qu’on peut appeler l’option chrétienne (‘ »aime ton ennemi », « tend l’autre joue »). Cette option ne porte pas à l’inaction comme la précédente,  me semble-t-il, car répondre au mal par l’amour peut-être (davantage que la réponse par l’indifférence) vu comme une manière de lutter contre le mal. Le défaut de cette option c’est qu’elle risque de reposer sur des illusions quant à  l’efficacité de la réponse (comme si tout le mal venait d’un manque d’amour). La désillusion en cette matière peut d’ailleurs conduire à une haine redoublée (on ne pardonne pas à l’autre l’impuissance de notre amour à le changer). C’est ce danger de la désillusion de l’idéalisme que met en scène Conrad dans Au coeur des ténèbres en plaçant ces mots sous la plume de Kurz  : « exterminate all the brutes« .

Débat d’inactualité

25 samedi Avr 2015

Posted by patertaciturnus in devinette, Fantaisie, Lectures

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devinette, langues anciennes

Le sort que la réforme du collège réserve aux langues anciennes suscite le débat : à quoi bon enseigner encore le grec et le latin aujourd’hui ? Je me devais de proposer à mes lecteurs les arguments proposés par les plus fins esprits.

« L’analyse grammaticale ! Mauvais souvenirs d’enfance. De mon temps, on en faisait beaucoup, et c’était très ennuyeux parce que chaque mot exigeait plusieurs lignes d’écriture où les mêmes formules se répétaient sans cesse avec une désespérante monotonie. Mais ces formules étaient abstraites et ne disaient rien à l’esprit des enfants. Je crois que la plupart des élèves des classes primaires finissent par y réussir, mais en se servant de règles empiriques ; pour eux, par exemple, le mot qui est avant le verbe, c’est le sujet, celui qui est après, c’est le régime direct, mais ils ne se rendent pas compte des véritables rapports que ces mots expriment. Il n’en est pas de même avec le thème et la version ; de semblables artifices ne sont plus de mise, l’élève doit remplacer les mots les uns par les autres, et mettre ces mots au cas convenable, ce qui l’oblige à réfléchir sur leurs rapports mutuels. Ce ne sont plus d’ailleurs des formules abstraites qu’il manie, mais des mots dont chacun a sa physionomie propre, et qui sont encore un peu vivants. Pesez quel profit on tire d’un thème d’une page, et estimez d’autre part combien de feuille de papier il aurait fallu noircir si l’on avait voulu faire l’analyse grammaticale du texte de ce même thème. Cela permet de comparer le rendement des deux méthodes. C’est donc la pratique du thème et de la version qui nous apprendra à comprendre véritablement le sens des phrases et nous rendra par là aptes à nous en servir dans les raisonnements.  […]

Avec les langues anciennes, à cause de la richesse de leurs flexions, des inversions fréquentes qui bouleversent l’ordre des mots, cet exercice est tout particulièrement profitable. D’ailleurs, […]depuis quelque temps on enseigne les langues modernes en proscrivant le thème et la version ; c’est ce que l’on appelle la méthode directe, et elle parait justifiée par d’assez grands avantages. Quoi qu’il en soit, depuis qu’elle est universellement pratiquée les langues modernes ne peuvent plus jouer le même rôle que les langues mortes au point de vue qui nous occupe. Et cela montre combien il serait absurde de vouloir appliquer la méthode directe au latin ; on n’apprend pas le latin pour parler le latin, comme si on avait à demander son chemin à un contemporain de Cicéron dans un carrefour de Suburre ; on apprend le latin pour l’avoir appris, parce qu’on ne peut l’apprendre sans se plier à une gymnastique utile, dont je viens de chercher à expliquer l’un des avantages. Le jour où l’on apprendra le latin par la méthode directe, il deviendra superflu de l’apprendre.

[…]

Mais ce n’est pas là le plus important. C’est au contact des lettres antiques que nous apprenons le mieux à nous détourner de ce qui n’a qu’un intérêt contingent et particulier, à ne nous intéresser qu’à ce qui est général, à aspirer toujours à quelque idéal. Ceux qui y ont goûté deviennent incapables de borner leur horizon ; la vie extérieure ne leur parle que de leurs intérêts d’un jour, mais ils ne l’écoutent qu’à moitié, ils ont hâte qu’on leur fasse voir autre chose, ils emportent partout la nostalgie d’une patrie plus haute… »

Ah, ces littéraires, que ne seraient ils pas prêts à raconter comme fadaises pour défendre leurs marottes… Heureusement que les praticiens des sciences dures sont là pour nous ramener à la raison :

« Car, si une littérature doit servir à faire connaître une civilisation, la connaissance de la langue dans laquelle cette littérature est écrite peut encore être utile, mais n’est plus nécessaire. Il est bon de posséder cette langue, parce qu’on peut ainsi approcher de plus près les idées que l’on veut atteindre; mais, du moment où il ne s’agit plus essentiellement d’en faire goûter la valeur esthétique, une traduction peut, dans une large mesure, et surtout pour cette première initiation générale du collège, tenir lieu du texte. C’est ainsi qu’on peut concevoir que l’enseignement secondaire atteigne une des fins principales qu’il a toujours poursuivies, sans imposer pour autant l’étude des deux langues anciennes. Une étude des civilisations et des littératures de l’Antiquité ainsi comprise produira à peu près les mêmes effets que si la langue grecque et la langue latine étaient enseignées.

[…]

Mais, si c’est grâce au langage que la distinction et l’organisation logique se sont introduites dans l’esprit, l’étude des langues est évidemment le meilleur moyen d’habituer l’enfant à distinguer et à organiser logiquement les idées. C’est en le faisant réfléchir sur les mots et les sens, et sur les formes grammaticales, qu’on peut le mieux l’exercer à voir clair dans sa pensée, c’est-à-dire à en apercevoir les parties et les rapports. Et c’est là, en effet, le grand service qu’ont rendu ces exercices de langue qui tiennent encore tant de place dans nos classes. Il n’est pas douteux que, sous ce rapport, les langues anciennes présentent des avantages particuliers. Précisément parce que les peuples anciens sont loin de nous, dans le temps, ils avaient une manière d’analyser leur pensée très différente de la nôtre, et c’est cette différence même qui faisait du latin et du grec un stimulant exceptionnellement efficace à cette forme spéciale de réflexion. […] Ce n’est pas pourtant que le latin et le grec soient irremplaçables. On peut trouver à ces exercices classiques d’utiles substituts. Quoi qu’on en ait dit, je ne crois pas qu’il faille trop compter pour cela sur les langues vivantes ; d’abord pour les raisons que je viens d’indiquer, savoir la parenté de ces langues avec la nôtre. Et puis parce que l’emploi de la méthode directe rejette au second plan la version et le thème et, par définition, en quelque sorte, exclut presque les exercices de transposition. Mais ce qui serait possible, c’est d’instituer délibérément des exercices méthodiques et répétés de vocabulaire. Pourquoi ne pas dresser l’enfant à se rendre perpétuellement compte du sens des mots qu’il emploie ? Il faudrait, en quelque sorte, l’amener à définir à chaque âge les termes de son vocabulaire, l’inciter sans cesse, par tous les moyens, a prendre conscience de ses idées. Ces exercices, d’ailleurs, gagneraient à ne pas se faire au hasard ; les mots sur lesquels on appellerait son attention pourraient être groupés rationnellement, suivant leurs rapports étymologiques, ou suivant leurs rapports de sens, suivant les cas. Car il faut employer toutes les combinaisons. Toute une discipline, dont je me borne à indiquer le principe, est à instituer en vue de ce but même, dont on pourrait atteindre les meilleurs fruits, si elle était appliquée avec suite et méthode. »

*

Mes chers lecteurs, je vous laisse jouer aux devinettes pour identifier les auteurs de ces textes. Faites vos hypothèses puis consultez saint Google pour obtenir la réponse.

Savoir admirer

24 vendredi Avr 2015

Posted by patertaciturnus in Lectures

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esthétique, hanami, Hegel, indélicatesse, Urabe Kenkô

« Un homme de qualité ne fait point montre de goûts exclusifs, et, jusqu’en ses plaisirs apporte quelque détachement. Ce sont rustres  qui prennent tout plaisir lourdement. Ils se frayent un passage et se plantent devant les arbre fleuris ; ils les regardent de tous leurs yeux, boivent du saké enchaînent des vers, et, pour finir, dans leur grossièreté ils cassent et emportent de grosses branches.  Ils trempent mains et pieds dans les sources, piétinent dans la neige pour y laisser des traces, et ainsi de tout. Il n’est rien qu’ils ne puissent admirer de loin. »

Urabe Kenkô, Les heures oisives, CXXXVII

*

ToyoharaShikanobu

Ce texte fait suite à un passage particulièrement remarquable que j’ai déjà cité. C’est le rituel du hanami qui est ici pris pour exemple, mais le thème est ensuite plus longuement développé avec l’exemple de la fête Aoi Matsuri. Comme j’avais la flemme de recopier un extrait plus long je ne voulais pas abuser du droit de citation, je vous invite à passer à l’offre premium et à acheter ce livre pour en savoir plus.

*

On transposerait sans peine ce propos du XIVe siècle dans le monde contemporain  : le rustre d’aujourd’hui c’est le touriste (je parle évidemment des autres quand ils font du tourisme, ni vous, ni moi ne nous conduisons ainsi bien entendu). Ceux qui seraient tentés de conclure de ce texte que le tourisme de masse n’a rien inventé en terme de rustrerie devront cependant concéder que les séances de photos (avec éventuellement les mises en scènes de l’ego en cariatide) remplacent avantageusement les déclamations de poèmes.

Joconde

paquebot

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Que ceux que le snobisme et le mépris des manières du peuple révulsent se rassurent, il est possible de donner une dignité philosophique au désir, dénoncé à la fin du texte, de laisser sa marque dans le spectacle. Il suffira de rapprocher les traces dans la neige déplorées par Kenkô, des ronds dans l’eau évoqués par Hegel dans un passage fameux de l’Esthétique :

« L’homme obtient cette conscience de soi-même de deux manières différentes: premièrement de manière théorique, dans la mesure où il est nécessairement amené à se rendre intérieurement conscient à lui-même, où il lui faut contempler et se représenter ce qui s’agite dans la poitrine humaine, […] Deuxièmement, l’homme devient pour soi par son activité pratique, dès lors qu’il est instinctivement porté à se produire lui-même au jour tout comme à se reconnaître lui-même dans ce qui lui est donné immédiatement et s’offre à lui extérieurement. Il accomplit cette fin en transformant les choses extérieures, auxquelles il appose le sceau de son intériorité et dans lesquelles il retrouve dès lors ses propres déterminations. L’homme agit ainsi pour enlever, en tant que sujet libre, son âpre étrangeté au monde extérieur et ne jouir dans la figure des choses que d’une réalité extérieure de soi-même. La première pulsion de l’enfant porte déjà en elle cette transformation pratique des choses extérieures; le petit garçon qui jette des cailloux dans la rivière et regarde les ronds formés à la surface de l’eau admire en eux une œuvre, qui lui donne à voir ce qui est sien. Ce besoin passe par les manifestations les plus variées et les figures les plus diverses avant d’aboutir à ce mode de production de soi-même dans les choses extérieures tel qu’il se manifeste dans l’œuvre d’art’. »

trad. J.P. Lefebvre

Si vous n’êtes pas convaincu que laisser des marques dans la neige relève du même besoin que la création artistique je vous suggère de (re)lire ceci.

Fraternité et identification

23 jeudi Avr 2015

Posted by patertaciturnus in Divers vers

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fraternité, Paul Eluard

Je suis le jumeau des êtres que j’aime
Leur double en nature la meilleure preuve
De leur vérité je sauve la face
De ceux que j’ai choisi pour me justifier

Ils sont très nombreux ils sont innombrables
Ils vont par les rues pour eux et pour moi
Ils portent mon nom je porte le leur
Nous sommes les fruits semblables d’un arbre

Plus grand que nature et que toutes les preuves

Paul Eluard, Le travail du poète VI

Vivre et apprendre

23 jeudi Avr 2015

Posted by patertaciturnus in Aphorisme du jour

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Elias Canetti, enseigner et apprendre

« Il n’est possible de vivre que parce qu’il y a tant de choses à connaître. Après s’être déversé sur nous, le savoir reste quelque temps lisse et neutre comme de l’huile sur les eaux agitées de nos sentiments.

Mais, dès l’instant où il s’y est pourtant mélangé, il ne nous sert plus à rien, et l’on doit répandre un nouveau savoir sur les flots. »

Elias Canetti, Le collier de mouche, p. 40-41

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