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Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

Pater Taciturnus

Archives Mensuelles: août 2018

Le temps est assassin etc. etc.

31 vendredi Août 2018

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Alison Gopnik, enfance, impermanence

« Les parents ressentent souvent une forme d’angoisse existentielle en voyant grandir leurs enfants – cela passe si vite, comme on dit. On regarde ce futur infiniment souple, contingent et malléable se figer rapidement en un passé irréparable et immuable. Les poètes japonais ont une expression, mono no aware, pour désigner la tristesse aigre-douce accompagnant l’éphémère beauté du monde – un pétale de fleur qui tombe, une feuille dans le vent. Les enfants sont une grande source de mono no aware. »

Alison Gopnik, Le bébé philosophe, p. 256

Pitié frustrée

30 jeudi Août 2018

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Akutagwa, pitié, souffrance

« Le cœur humain est partagé par deux sentiments contradictoires. Nous éprouvons, certes, de la compassion pour le malheur d’autrui. mais si notre prochain s’en tire tant bien que mal, nous ne pouvons nous empêcher d’éprouver quelque mécontentement. Nous pouvons même aller parfois jusqu’au désir de le voir retomber dans le même malheur. Et insensiblement, un sentiment d’hostilité, bien faible il est vrai, en vient à germer dans notre cœur. »

Akutagawa Ryûnosuke, Le nez, in Rashômon et autres contes, Le livre de poche, 1965, p.64

Freud révisé par la psychologie du développement cognitif

29 mercredi Août 2018

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Alison Gopnik, amour, enfance, Sigmund Freud

« Comme Freud, les spécialistes de l’attachement suggèrent que nos premières expériences, notamment celles qui sont liées à nos parents, peuvent façonner nos émotions ultérieures. Ils suggèrent aussi que ce façonnage est en grande partie inconscient : nous ne nous disons pas consciemment que notre théorie sur maman influence notre réaction à la fille que nous avons rencontrée la veille. La même équation, étonnante, vaudrait entre l’amour précoce qui unit parents et enfants et l’amour sexuel que nous éprouvons ensuite pour nos partenaires romantiques.

Mais il existe aussi des différences. Les psychologues du développement contemporains ne se contentent pas de ce qu’un patient raconte sur le divan. Ils mènent aussi des études empiriques précises, longues et minutieuses. Et si le phénomène a l’air freudien, il en va autrement de ses explications théoriques. Pour Freud, les forces fondamentales qui façonnent notre nature sont des forces psychiques, des sources bouillonnantes d’énergie psychologique censées être réparties ou redirigées par le refoulement et le transfert : nos croyances sur le monde seraient déterminées, et souvent déformées, par ces forces inconscientes. La psychologie a toujours été influencée par les métaphores technologiques ; or, en sciences cognitives comme en neurosciences, ce qui se passe dans notre tête s’apparente plus à un ordinateur qu’à un moteur. Nos cerveaux sont conçus pour parvenir à une image juste du monde et pour utiliser cette image afin d’agir sur le monde de manière efficace, du moins globalement et à long terme. Les capacités computationnelles et neurologiques qui nous permettent de faire des découvertes sur la physique et la biologie nous permettent aussi de faire des découvertes sur l’amour.

Et plutôt que de dire, comme Freud, que les enfants veulent coucher avec leur mère, il serait plus exact de dire que les adultes veulent être maternés par les gens avec lesquels ils désirent coucher. »

Alison Gopnik, Le bébé philosophe, p. 242 – 243

 

Freud ne s’est pas trompé sur la dimension incroyablement érotique des enfants de trois ans. (Les psychologues du développement que nous sommes n’en reviennent toujours pas.) À trois ans, les enfants ont envers leurs parents une attitude d’amants. Et même d’amants tout droit sortis d’un opéra italien, avec des embrassades fougueuses et sensuelles et des accès de désespoir et de jalousie tout aussi passionnés.

Mais ces grands airs révèlent peut-être de véritables découvertes. Les interactions de la petite enfance s’accompagnent d’une sorte de concorde entre les bébés et les gens qui les entourent, d’un sentiment d’intimité fusionnelle. À mesure que les bébés grandissent et deviennent de petits enfants, ils s’aperçoivent que les autres gens sont des entités psychologiques distinctes d’eux — des êtres avec d’autres désirs, d’autres émotions, d’autres pensées et opinions. Et c’est précisément de cette prise de conscience de l’altérité d’autrui que naît l’émotion érotique. Comprendre que les gens que nous aimons sont différents de nous, qu’ils ont d’autres désirs, d’autres pensées et même d’autres amours, implique qu’on ne peut plus comme auparavant considérer comme acquis qu’ils nous aiment. Les enfants de trois ans amoureux de leurs parents sont plus proches d’un Swann amoureux de sa mystérieuse Odette que d’un Œdipe amoureux de Jocaste. Ils ne sont pas les simples jouets d’un fatal secret primitif, mais sont au contraire hantés par une découverte tout aussi fatale l’amour consiste en partie à vouloir des choses (une attention complète, un dévouement total, une loyauté sans faille) qu’on sait ne pas pouvoir obtenir.

A. Gopnik, A. Meltzoff, P. Kuhl, Comment pensent les bébés?, p. 74 – 75

 

Par où es-tu malheureux ?

28 mardi Août 2018

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espoir, Kierkegaard, malheur, souvenir

« Les être malheureux par l’espoir ne portent jamais, comme les êtres malheureux par le souvenir, cette empreinte douloureuse. Les êtres qui vivent dans l’espoir ressentent toujours une déception moins cruelle. c’est pourquoi le plus malheureux sera toujours à rechercher parmi les êtres malheureux par souvenir. »

S. Kierkegaard, Ou bien … ou bien …, Tel, p. 175

[ TW : Bretonnophobie]

27 lundi Août 2018

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Balzac, ils ont des chapeaux ronds, racisme, vous avez dit racisé ?

Portrait du chouan en sauvage

(c’est moi qui grasse)

« Cet inconnu, homme trapu, large des épaules, lui montrait une tête presque aussi grosse que celle d’un bœuf, avec laquelle elle avait plus d’une ressemblance. Des narines épaisses faisaient paraître son nez encore plus court qu’il ne l’était. Ses larges lèvres retroussées par des dents blanches comme de la neige, ses grands et ronds yeux noirs garnis de sourcils menaçants, ses oreilles pendantes et ses cheveux roux appartenaient moins a notre belle race caucasienne qu’au genre des herbivores. Enfin l’absence complète des autres caractères de l’homme social rendait cette tête nue plus remarquable encore.

[…]

Il s’assit tranquillement sur le bord du chemin, tira de son sarrau quelques morceaux d’une mince et noire galette de sarrasin, repas national dont les tristes délices ne peuvent être comprises que des Bretons, et se mit à manger avec une indifférence stupide. Il faisait croire à une absence si complète de toute intelligence, que les officiers le comparèrent tour à tour, dans cette situation, à un des animaux qui broutaient les gras pâturages de la vallée, aux sauvages de l’Amérique ou à quelque naturel du cap de Bonne-Espérance.« 

Balzac, Les chouans, chap. 1

J’espère que le CRAB (Conseil Représentatif des Associations Bretonnes) compte agir contre cet immondice. Que cet auteur soit banni des établissements scolaires, ou du moins que toute nouvelle édition de ses œuvres comprenne un avertissement en 1ere page !

Trêve de plaisanterie facile [1]. Je suis loin d’être un apôtre de la relecture des œuvres du passé au travers de la grille raciale, mais il faut reconnaître qu’on lui trouve des applications inattendues.

 

[1] Signalons en passant qu’il existe semble-t-il  déjà des gens qui traquent sérieusement la bretonnophobie dans les œuvres de fictions (voir par exemple cet article de Ggauvain).

 

Convergence des légendes urbaines

26 dimanche Août 2018

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énurésie attention danger, hypothèse Sapir Whorf, légende urbaine

Le hasard fait étrangement les choses : deux heures après avoir lu les quelques lignes qui suivent :

« Il y a des années, le linguiste Benjamin Lee Whorf suggérait que la grammaire de notre langue déterminait en partie notre manière de penser. L’ «hypothèse de Whorf », comme on l’appelle, a très vite été infirmée scientifiquement. (Mais elle continue à marquer l’imaginaire populaire. Ainsi, dans les années 1980, un haut responsable américain a déclaré que les Russes ne négocieraient jamais vraiment la paix parce que le mot «détente » [en français dans le texte] n’existait pas dans leur champ lexical. Le fait que «détente » soit un mot français ne l’a pas dérangé). »

A. Gopnik, A. Meltzoff, P. Kuhl, Comment pensent les bébés?, p. 123

Je suis tombé sur le tweet  ci-dessous :

L’hypothèse Sapir-Whorf est elle une légende urbaine ? demandait naguère Hady Ba. Je ne me risquerai pas à me prononcer sur l’hypothèse elle-même (plus exactement sur les différentes versions plus ou moins fortes de l’hypothèse), mais il est certain que beaucoup des « faits » invoqués pour l’illustrer sont eux des légendes urbaines.

Je me demande combien de peuples ont été soupçonnés d’être incapables de faire la paix faute d’avoir le mot pour le dire ? De manière plus générale il serait intéressant de faire un relevé des préjugés sur les peuples qui s’expriment au travers de phrases de la forme « les X n’ont pas de mot pour dire Y ».

Soit dit en passant, sans la « corroboration » inattendue de la deuxième anecdote (dont je n’ai pas de raison de mettre en cause la véracité) j’aurais peut être pensé que la première était elle-même une légende urbaine ( plus exactement une méta-légende urbaine : une légende urbaine attribuant à un responsable américain la diffusion d’une légende urbaine sur la langue russe), car cette première anecdote n’est pas sans faire penser à l’histoire de G.W Bush déclarant : “The problem with the French is that they don’t have a word for entrepreneur.” qui, elle, est bien une (méta)légende urbaine.

*

Ma deuxième histoire du soir commence aussi sur Twitter.

Source

Il se trouve que j’ai entendu de la bouche de ma grand-mère (oui, la même que celle qui me parlait des bombardements) une histoire dont je commence à penser qu’elle a peut-être pour origine ce fait divers suisse du XVIe siècle. Dans la version de ma grand-mère : l’histoire s’arrête  au moment où  la petite fille mutile son frère ( pas de décapitation par sa mère ni de suicide de celle-ci …) mais le début est très proche : une mère lasse de laver le linge souillé d’urine de son fils (un très jeune enfant) plaisante en disant « il faudrait lui couper le zizi » ; un jour que la mère a laissé l’enfant avec sa sœur ainée, celle-ci passe à l’action… La morale qu’en tirait ma grand-mère c’était non pas qu’il ne faut pas laisser un enfant sous la garde d’un autre enfant, mais qu’il fallait éviter de faire devant les enfants des plaisanteries qu’ils risquaient de prendre au pied de la lettre. La première fois que cette histoire m’a été racontée je l’ai tenue pour vraie  mais par la suite je me suis convaincu que c’était une légende urbaine (un élément qui allait dans ce sens c’est qu’aucun élément de contexte identifiable et vérifiable n’était mentionné, mais l’histoire n’était pas non plus présentée comme remontant à un passé lointain) ou quelque chose de comparable à la fable du petit garçon qui criait au loup.

Aujourd’hui, je ne sais pas ce qui me paraît le plus crédible, qu’il y ait continuité entre un fait divers suisse oublié du XVIe siècle et une histoire racontée dans le Berry  au XXe siècle ou qu’une fiction ressemblant à l’histoire vraie ait été inventée indépendamment ? Je suppose qu’on pourrait invoquer l’universalité des fantasmes de castration à l’appui de cette 2e hypothèse. On notera d’ailleurs que celle-ci impliquerait que la fiction ait été dépassée par la réalité pour ce qui est des prolongements grands-guignolesques. Une troisième possibilité serait qu’il y ait  plusieurs histoires vraies de petites filles coupant des zizis et que ce ne soit pas le fait divers suisse mais un autre qui ait inspiré le racontar de ma grand-mère.

Au chant de l’alouette (26)

25 samedi Août 2018

Posted by patertaciturnus in Au chant de l'alouette, Paroles et musiques

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alouette, jazz

A la demande unanime de …  moi-même je relance ma série d’articles consacrée aux chansons et mélodies dont le titre mentionne l’alouette.

On se souvient que l’expression « au chant de l’alouette » signifie « de grand matin », on ne s’étonnera donc pas qu’en anglais « be up with the lark » signifie se lever de grand matin.

Up with the lark  est le titre d’une chanson du film musical Centennial summer (en français Quadrille d’amour) réalisé en 1946 par Otto Preminger [1]. Cette chanson fut co-écrite par Jerome Kern (qui mourut avant la sortie du film) et Leo Robin. Je vous passe le détail sur les interprètes que vous pourrez trouver ici.

La mélodie fut reprise dans les années 1970 par le pianiste de jazz Bill Evans. Ci dessous une version de 1979 avec Marc Johnson à la basse et Joe Labarbera à la batterie (d’autres versions sont disponibles sur votre plateforme favorite).

 

[1] Il existe également un film britannique de 1943 intitulé Up with the lark mais je n’ai rien pu apprendre de sa musique.

Dommages collatéraux

25 samedi Août 2018

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dommages collatéraux, mes erreurs

Il y a un détail qui m’a marqué dans ce que me racontait ma grand-mère sur les bombardements alliés pendant l’occupation : c’est que les Américains avaient la réputation de bombarder à plus haute altitude que les Anglais. J’ai longtemps pensé que cela étayait l’idée que les britanniques avaient un plus grand souci   d’éviter de frapper par accident les populations civiles (je ne saurais dire  si c’est ce que ma grand mère elle même avait suggéré, ou si c’était une conclusion strictement personnelle). La récente lecture d’un ouvrage sur la bataille de Normandie me permet de prendre conscience de mon erreur d’interprétation : s’il est vrai que les Anglais bombardaient à plus basse altitude que les Américains, ce n’est pas pour les raisons que je pensais :

  « La méthode de bombardement des Britanniques, mise au point sur les villes allemandes, le carpet bombing, est particulièrement redoutable. Les Américains agissent tra­ditionnellement de jour, d’assez haut et égrènent leurs bombes au passage sur l’objectif. Le Bomber Command, lui, attaque de nuit, à faible altitude et reste au-dessus de la cible, en tournant. On conçoit aisément que les dégâts sont beaucoup plus considérables, encore aggravés par l’utilisation massive de bombes incendiaires. »

Jean Quellien, La bataille de Normandie, Tallandier 2014, p. 64

Très clairement, dans le cas de la Normandie, ce ne sont pas les Britanniques qui ont eu le plus grand souci des pertes civiles dans les bombardements :

« Obnubilé par l’idée d’empêcher l’arrivée rapide de renforts adverses, l’état-major allié a décidé d’anéantir une dizaine de villes bas-normandes situées en arrière des côtes, sur un arc de cercle allant de Pont-l’Évêque à Coutances. En les réduisant en ruines, les Alliés entendent ainsi broyer les nœuds de communication qu’elles consti­tuent et paralyser — ou du moins ralentir considérable­ment — la montée des colonnes blindées allemandes vers la tête de pont. Aux yeux des chefs militaires, l’enjeu est essentiel. La destruction des villes normandes a donc été programmée, quel qu’en soit le prix à payer. Nul n’ignore le carnage que ces pilonnages massifs vont provoquer. Les généraux américains, plus sensibles au sort des popula­tions civiles que leurs homologues britanniques, ont fait valoir que le bombardement de cités françaises dépour­vues d’installations militaires allemandes était « détestable ». Mais en définitive, ‘ils ont dû s’incliner, non sans avoir pourtant obtenu que des tracts soient massivement lancés dès l’aube du 6 juin pour alerter les habitants et les inciter à quitter, les villes au plus tôt. Malheureusement, largués de trop haut, la plupart de ces avertissements se sont égarés loin de leurs objectifs. Les quelques personnes qui les eurent finalement entre les mains, incrédules, les prirent rarement au sérieux.

ibid, p. 62

La  destruction des villes normandes ne semble pas avoir été très efficace pour retarder l’acheminement des renforts allemands. Pour ce qui est des dégâts collatéraux :

« Au total, les bombardements aériens ont été responsables de la mort des deux tiers environ des 20 000 civils normands tués au cours de l’été 1944. »

ibid, p. 65

*

Il se trouve que la même confusion qui faussait mon interprétation des méthodes de bombardements britanniques (croire que le but est de préserver les civils alors qu’il est d’être plus efficace dans la destruction des objectifs) est à la base de l’escroquerie intellectuelle des frappes chirurgicales.

Simone Weil ou Hans Scholl ?

23 jeudi Août 2018

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châtiment, La Rose Blanche, nazisme, Simone Weil

« Nous savons que le pouvoir national-socialiste doit être détruit par les armes ; mais le renouveau de cet esprit allemand si dégénéré, nous l’escomptons d’abord de l’intérieur. Ce réveil doit précéder l’exacte reconnaissance de toutes les fautes dont s’est chargé notre peuple ; il doit également précéder le combat contre Hitler et ses innombrables acolytes, membres du parti, et autres traîtres. Aucune peine sur terre, si grande soit-elle, ne pourra être prononcée contre Hitler et ses partisans. Une fois la guerre finie, il faudra, par souci de l’avenir, châtier durement les coupables pour ôter à quiconque l’envie de recommencer jamais une pareille aventure.

N’oubliez pas non plus les petits salopards de ce régime, souvenez-vous de leurs noms, que pas un d’entre eux n’échappe ! Qu’ils n’aillent pas, au dernier moment, retourner leur veste, et faire comme si rien ne s’était produit. »

IVe Tract de la Rose Blanche
rédigé par Hans Scholl et Alexander Schmorell en juin juillet 1942

*

« On parle de châtier Hitler. Mais on ne peut pas le châtier. Il désirait une seule chose et il l’a : c’est d’être dans l’histoire. Qu’on le tue, qu’on le torture, qu’on l’enferme, qu’on l’humilie, l’histoire sera toujours là pour protéger son âme contre toute atteinte de la souffrance et de la mort. Ce qu’on lui infligera, ce sera inévitablement de la mort historique, de la souffrance historique ; de l’histoire. […] Quoi qu’on inflige à Hitler, cela ne l’empêchera pas de se sentir un être grandiose. Surtout cela n’empêchera pas, dans vingt, cinquante, cent ou deux cents ans, un petit garçon rêveur et solitaire, allemand ou non, de penser qu’Hitler a été un être grandiose, a eu de bout en bout un destin grandiose, et de désirer de toute son âme un destin semblable. En ce cas, malheur à ses contemporains.

Le seul châtiment capable de punir Hitler et de détourner de son exemple les petits garçons assoiffés de grandeur des siècles à venir, c’est une transformation si totale du sens de la grandeur qu’il en soit exclu.

C’est une chimère, due à l’aveuglement des haines nationales, que de croire qu’on puisse exclure Hitler de la grandeur sans une transformation totale, parmi les hommes d’aujourd’hui, de la conception et du sens de la grandeur. Et pour contribuer à cette transformation, il faut l’avoir accomplie en soi-même. Chacun peut en cet instant même commencer le châtiment d’Hitler dans l’intérieur de sa propre âme, en modifiant la distribution du sentiment de la grandeur. C’est loin d’être facile, car une pression sociale aussi lourde et enveloppante que celle de l’atmosphère s’y oppose. Il faut, pour y parvenir, s’exclure spirituellement de la société. »

[…]

« Pour avoir le droit de punir les coupables, il faudrait d’abord nous purifier de leur crime, contenu sous toutes sortes de déguisements dans notre propre âme. Mais si nous réussissons cette opération, une fois qu’elle sera accomplie nous n’aurons plus aucun désir de punir, et si nous croyons être obligés de le faire, nous le ferons le moins possible et avec une extrême douleur. »

Simone Weil, L’enracinement (1943)

Les faits négatifs, avenir du journalisme ?

21 mardi Août 2018

Posted by patertaciturnus in Perplexités et ratiocinations

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faits négatifs, journalisme

Si on définit la vérité des propositions comme leur correspondance avec les faits, il semble qu’on soit conduit – c’est du moins ce que soutenait Russell – à admettre des faits négatifs pour rendre compte de la vérité des propositions négatives. Le problème c’est que ces faits négatifs risquent de rapidement de devenir envahissants et d’occuper l’essentiel de l’espace des faits. Par exemple pour un fait « positif » comme
Emmanuel Macron a été élu président de la république française en mai 2017.
il y a beaucoup de faits négatifs correspondants
Marine Le Pen n’a pas été élue présidente en mai 2017
François Fillon n’a pas été élu président en mai 2017
Jean-Luc Mélenchon n’a pas été élu président en mai 2017
Benoît Hamon n’a pas été élu président en mai 2017
Jean Lassalle n’a pas été élu président en mai 2017

vraiment beaucoup
Georges Pompidou n’a pas été élu président en mai 2017
Zinedine Zidane n’a pas été élu président en mai 2017
Gengis Kahn n’a pas été élu président en mai 2017
Mickey Mouse n’a pas été élu président en mai 2017
Le nombre Pi n’a pas été élu président en mai 2017 .
…

On peut résister à cet envahissement en contestant l’existence des faits négatifs ; une stratégie pour ce faire consiste à récuser la définition de la vérité comme correspondance. On pourrait donc discuter de l’existence des des faits négatifs, mais ce ne sera pas mon propos aujourd’hui. Je ne m’occuperai pas non plus des problèmes spécifiques que pose la connaissance des faits négatifs (ou si l’on veut de la preuve des propositions négatives). La question à laquelle je voudrais réfléchir (sans avoir fait le moindre effort pour m’informer de la littérature sur le sujet, évidemment) c’est « à quoi bon évoquer des faits négatifs? ». Cette question m’a été suggérée par cet étrange titre d’un article de L’équipe :

Ligue 1 : Thierry Henry n’a pas dit non aux Girondins de Bordeaux.

A première vue l’évocation de faits négatifs apparaît comme un formidable moyen de remplir les journaux. Avec toutes les personnes qui n’ont pas dit non aux Girondins de Bordeaux, il y a de quoi écrire des articles jusqu’à la fin des temps. Mais laissons l’ironie facile et examinons pourquoi « Thierry Henry n’a pas dit non aux Girondins de Bordeaux » a pour les lecteurs de L’Equipe une pertinence que n’aurait pas « Gengis Kahn n’a pas dit non aux Girondins de Bordeaux ». Si le premier titre n’est pas tout à fait aussi creux que le second c’est en vertu d’un élément de contexte sous-entendu : Thierry Henry (à la différence de Gengis Kahn) a été contacté par les Girondins de Bordeaux pour lui proposer le poste d’entraineur. Mais cette observation ne suffit pas à annuler l’impression d’un article de remplissage : pourquoi ne pas simplement attendre pour écrire un article sur le sujet que Thierry Henry ait finalement répondu oui ou non à la proposition des Girondins de Bordeaux? Mais parler de remplissage ne suffit pas à rendre compte de l’intérêt  de l’évocation du fait négatif. Après tout la même fonction n’aurait-elle pas pu être remplie par l’énoncé d’un fait positif  : « des discussion sont en cours entre Thierry Henry et les Girondins de Bordeaux ». Qui suit vaguement le football en cette période de mercato estival sait d’ailleurs que le plus courant en la matière ce sont plutôt les titres au conditionnel : « Zorglub intéresserait la Juventus et Manchester City ». Pour y voir plus clair il suffit de comparer la proposition négative que L’équipe a choisie comme titre avec une autre proposition négative aussi vraie que la précédente (à la date considérée) : « Thierry Henry n’a pas (encore) dit oui aux Girondins de Bordeaux ». La formulation retenue par L’Equipe semble présupposer chez le supporter Girondin le désir que Thierry prenne en main son équipe et  elle autorise à espérer d’avantage qu’une formule neutre « des discussions sont en cours »  et à fortiori que l’énoncé du fait négatif « opposé »  » Henry n’a pas encore dit oui ». L’évocation de fait négatifs est un moyen efficace de mettre en perspective par rapport à un contrefactuel qu’elle suggère (il aurait pu dire non et il ne l’a pas fait). Selon que vous voulez jeter un éclairage optimiste ou pessimiste vous suggérerez un  contrefactuel détestable ou désirable.  « X n’a pas fait ceci (alors qu’on aurait pu craindre qu’il le fasse) » : consolation ; « X n’a pas fait cela (alors qu’il aurait été souhaitable qu’il le fasse) » : condamnation.

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