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Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

Pater Taciturnus

Archives de Tag: amitié

Réservé aux amis

29 vendredi Juil 2022

Posted by patertaciturnus in Divers vers

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amitié, hospitalité, W. H. Auden

…

Should you have troubles (pets will die
Lovers are always behaving badly)
And confession helps, we will hear it,
Examine and give our counsel :
If to mention them hurts too much,
We shall not be nosey.

Easy at first, the language of friendship
Is, as we soon discover,
Very difficult to speak well, a tongue
With no cognates, no resemblance
To the galimatias of nursery and bedroom,
Court rhyme or shepherd’s prose,

And, unless spoken often, soon goes rusty.
Distance and duties divide us,
But absence will not seem an evil
If it make our re-meeting
A real occasion. Come when you can:
Your room will be ready.

…

W. H. Auden, For Friends Only

*

…

Si vous êtes soucieux (des animaux favoris meurent,
Les amants se comportent toujours mal),
Et qu’une confession soulage, nous l’écouterons,
Apprécierons et donnerons notre conseil ;
Si de parler de vos soucis est trop pénible,
Nous ne serons pas indiscrets.

Aisé d’abord, le langage de l’amitié
Est, comme nous le découvrons vite,
Très difficile à bien parler, une langue
Sans mots apparentés, sans ressemblance
Avec les jargons de la nurserie et de la chambre,
La poésie courtoise ou la prose des pastorales,

Et, si on ne le parle pas souvent, vite rouillé.
Distances et obligations nous séparent,
Mais l’absence ne paraîtra pas un mal
Si elle fait de notre retrouvaille
Un véritable événement. Venez quand vous pourrez :
Votre chambre sera prête.

…

trad. Jean Lambert, ed. Gallimard

Démiraculer l’amitié ?

26 mercredi Jan 2022

Posted by patertaciturnus in Lectures

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amitié, Maurice Blanchot

La formule du titre n’est pas de moi, je l’ai lue naguère sur un blog que je n’ai pas réussi à retrouver et dont j’ai oublié l’auteur. Il s’agissait du titre d’un article consacré à discuter les idées de Simone Weil sur l’amitié. J’ai repensé à cette formule en tombant sur ce commentaire de Blanchot à propos de sa rencontre avec Robert Antelme :

« Je ne dirai pas que dès alors je sais combien son amitié me sera précieuse. Ce serait romantique. Dans les considérations de Montaigne sur son amitié soudaine avec La Boétie : «Parce que c’était lui… parce que c’était moi… », j’ai toujours été moins ému que heurté. C’est plus tard, à mesure que le temps passe, quand le même Montaigne renonce à introduire dans ses écrits Le Discours sur la servitude volontaire (qui en devait être le point central) qu’il revient à des sentiments plus justes, justes, moins exaltés, nous laissant entendre la complexité de l’amitié et la discrétion qu’elle requiert, lorsqu’on en parle. »

Maurice Blanchot, Pré-texte – Pour l’amitié [1]

[1] Ce texte sert de préface au livre de Dionys mascolo, A la recherche d’un communisme de pensée.

*

Mise à jour 29 janvier 2022 : je viens de retrouver la source du titre « Démiraculer l’amitié ». Il s’agit d’un texte de Didier Moulinier sur son blog Hérésies ordinaires, aujourd’hui « privé ». Il se trouve que j’avais fait une copie de ce texte dans l’intention d’écrire un article le confrontant à un autre texte … chose que j’ai finalement eu la femme de faire.

Pour nous-mêmes sans pensée

23 dimanche Jan 2022

Posted by patertaciturnus in Aphorisme du jour

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amitié, Hölderlin

« La vie de l’esprit entre amis, la pensée qui se forme dans l’échange de parole, par écrit ou de vive voix, sont nécessaires à ceux qui cherchent. Hors cela, nous sommes pour nous-mêmes sans pensée. »

Hölderlin

J’ignore la source de cette citation, je l’ai trouvée en épigraphe d’A la recherche d’un communisme de pensée de Dionys Mascolo.

La bande à Michel

12 mercredi Jan 2022

Posted by patertaciturnus in Fantaisie

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amitié

Montaigne et La Boétie,  « parce que c’était lui, parce que c’était moi », tout cela c’est très beau.  Mais enfin, Montaigne n’aurait-il pas été plus heureux, si au lieu d’un meilleur ami, il avait plutôt eu une bande de potes ?

Source

Les trahisons amicales sont elles pardonnables ?

12 dimanche Déc 2021

Posted by patertaciturnus in Lectures, Perplexités et ratiocinations

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amitié, fidélité et trahison, Francis Bacon, héroïsme moral, pardon, trahison

« Cosme de Médicis, duc de Florence, eut un mot terrible contre les amis perfides et négligents, comme si c’étaient là des fautes impardonnables : « On lit, disait-il, qu’il nous est ordonné de pardonner à nos ennemis, mais il n’est écrit nulle part  que nous ayons l’ordre de pardonner à nos amis. » Néanmoins l’âme de Job était à un meilleur diapason lorsqu’il disait  : « Si l’on accepte le bien de la main de Dieu, ne doit on pas consentir à en accepter le malheur? » Il en va de même, proportions gardées, de nos amis. »

Francis Bacon, De la vengeance in Essais, Aubier Montaigne, p. 21

Cosme 1er de Médicis
(l’auteur de la citation rapportée par Bacon pourrait être Cosme II qui était son contemporain, mais j’ai choisi le plus beau gosse des deux pour illustrer cet article)

Il est un point sur lequel le mot de Cosme de Médicis touche juste : un mal donné est plus facile à pardonner quand il nous est infligé par une personne dont nous n’attendions aucun bien que lorsque nous le subissons du fait d’une personne dans laquelle nous avions placé notre confiance. Cependant cela ne suffit pas à trancher la question car ce n’est pas parce que c’est plus difficile à pardonner qu’il ne le faut pas (l’attitude de  l' »ami » après sa trahison étant vraisemblablement un élément à prendre en compte).

Job par Léon Bonnat

La transposition de la citation de Job proposée par Bacon  me laisse circonspect ; tout le problème réside en effet dans la clause de réserve « proportions gardées ». Dans le cas de Dieu,  c’est la référence à l’insondabilité de ses desseins qui permet de réduire la dissonance cognitive et de continuer à croire à sa bienveillance en dépit du mal subi. Soit dit en passant, s’il est bien question ici d’accepter le malheur que nous subissons de son fait, il n’y a pas lieu me semble-t-il de parler de pardon puisque le mal subi n’est pas compris comme l’effet d’une faute commise. Les desseins de nos amis ne sont pas aussi insondables que ceux de Dieu et il n’est pas toujours possible de continuer à croire en leur bienveillance quand nous avons subi un mal de leur fait. Inversement l’ami peut avoir une excuse dont ne dispose pas Dieu : n’étant pas omniscient il a pu nous faire du mal en voulant nous faire du bien. Si Bacon veut simplement nous signifier que l’ami peut n’être pas fautif du mal que nous subissons de son fait, il a  raison mais la comparaison avec Job ne nous éclaire guère sur l’identification des conditions dans lesquelles c’est le cas. Par ailleurs la référence à Job ne nous dit rien de l’attitude à adopter quand ce n’est pas la cas, c’est à dire lorsqu’il y a effectivement eu trahison. L’héroïsme moral de Job qui continue à faire confiance malgré tout pourrait cependant être défendue même dans ce cas (c’est-à-dire, même « proportions non gardées »). Qu’est ce qui peut pousser à rester fidèle à une amitié que l’autre a trahie, si ce n’est la sunk cost fallacy ? demandera-t-on.  L’héroïsme moral, ici comme ailleurs (par exemple dans la fable du colibri), repose sur le pari de sa valeur performative : afficher son héroïsme moral c’est faire appel à la moralité de l’autre : « regarde la confiance que je te fais malgré tout, comment ne désirerais tu pas la mériter ? ». Pari risqué !   

Cadeau d’anniversaire

11 samedi Déc 2021

Posted by patertaciturnus in Lectures

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amitié, Ælred de Rielvaux, vertu

pour Abdelraouf

« Aelred. L’amitié est cette vertu qui lie les âmes par une douce alliance de prédilection et, de plusieurs, ne fait qu’un. Voilà pourquoi nu même les philosophes de ce siècle n’ont pas rangé l’amitié parmi les sentiments fortuits ou éphémères, mais bien au nombre des vertus qui sont éternelles. Salomon, à ce qu’il semble, leur fait écho au livre des Proverbes : « Il aime en tout temps, dit-il, celui qui est ami » « , déclarant ainsi clairement que l’amitié est éternelle si elle est véritable ; que si elle vient à cesser, c’est qu’elle n’était pas véritable, quoiqu’elle parût exister.

Yves. Mais comment se fait-il donc, qu’entre gens des plus amis s’élèvent quelquefois — l’histoire en est témoin — de très graves désaccords ?

Aelred. Nous reviendrons plus longuement là-dessus, en son lieu s’il plaît à Dieu. En attendant, crois-moi bien, il n’exista jamais un ami qui ait pu nuire à celui qu’il avait une fois reçu en son amitié ; je dirai plus : l’ami n’a pas goûté les douceurs de la véritable amitié, qui, même blessé, cesse d’aimer celui qu’il a une fois aimé : « C’est en tout temps que l’ami aime ». Accablé de reproches, outragé, livré aux flammes, mis en croix, « celui qui est ami, aime en tout temps ». Comme le dit notre Jérôme, « une amitié qui peut finir, n’a jamais été véritable » « .

Yves. Si telle est la perfection de la véritable amitié, il n’est pas étonnant que l’antiquité n’ait gardé le nom que de très rares vrais amis : c’est à peine, écrit Cicéron, si en tant de siècles s’est conservée la mémoire de trois ou quatre paires d’amis « . Si donc, à notre époque, en ces temps chrétiens si rares sont les amis, c’est en vain, semble-t-il, que je peine à scruter cette vertu dont je désespère d’atteindre jamais la merveilleuse et étonnante sublimité.

Aelred. L’effort vers de grandes choses, a-t-on dit, est déjà quelque chose de grand. C’est la marque d’une âme vertueuse de poursuivre sans cesse le sublime malgré ce qu’il offre d’ardu, soit qu’elle atteigne l’objet de ses aspirations, soit qu’elle comprenne plus clairement et connaisse davantage ce qu’il lui faut désirer. Ce n’est pas, crois-moi, un mince progrès que de se rendre compte, grâce à une plus exacte connaissance de la vertu, de la distance dont on en reste séparé. »

saint Æelred de Rielvaux, De spiritali amicitia in Sagesses de l’amitié II, p. 268 -269

Saint Aelred of Rievaulx | Cistercian monk | Britannica

Rencontres aristotéliciennes

30 lundi Août 2021

Posted by patertaciturnus in Perplexités et ratiocinations, Tentatives de dialogues

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amitié, la philosophie comme manière de vivre, vertu

— C’est toujours un plaisir de passer du temps avec toi.

— C’est gentil, mais je recherche plutôt une amitié fondée sur la vertu.

*

C’est bien beau de faire découvrir à ses élèves la théorie aristotélicienne de l’amitié comme un vénérable monument de l’histoire de la philosophie, mais qu’en est-il de la mise en pratique ? Qui est prêt à trier ses relations en fonctions des distinctions aristotéliciennes des formes d’amitié, ainsi que nous y invitait Oscar Gnouros. Y a-t-il un seul authentique aristotélicien qui mette en pratique dans sa vie sociale les recommandations du stagirite parmi les plus érudits des aristotelian scholars ?

Préméditation d’un autodafé

16 lundi Août 2021

Posted by patertaciturnus in Tentatives de dialogues

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amitié, lectures, réel et idéal

— Dis-moi, Taciturnus, tu ne te serais pas remis à lire de livres sur l’amitié ?

— Quelle perspicacité !

— Et tu comptes poursuivre dans cette voie ?

— J’envisageais de profiter des vacances pour lire ce livre d’Allan Bloom que j’ai acheté il y a cinq ans et que je n’ai jamais commencé

— Magnifique ! un réac après le fasciste Bonnard

— Ah mais je compenserai après, j’envisage d’acquérir La révolution par l’amitié de Dionys Mascolo, préfacé par Julien Coupat.

— Mais sérieusement, ça te paraît profitable de te consacrer à ce genre de lectures ?  Tu ne crois pas que tu ferais mieux d’essayer de te faire des amis ?

— Mais la théorie ne doit elle pas éclairer la pratique ?

— Je crois que pour ton bien, te proches devraient s’inspirer  des amis de Don Quichotte qui avaient entrepris de jeter au feu ses romans de chevalerie !

— …

— Et ce bûcher j’y mettrais non seulement tes bouquins pseudo-philosophiques sur l’amitié mais aussi tes livres de poésie mystique … ce don quichottisme de l’âme.

— Mon cher Hâfez ?

— Au feu !

— Et Raymond Lulle

— Au feu ! Au feu ! Au feu !

— Demanarem al amich qual cosa era benança. Respòs que malanança sostenguda per amor. C’est tellement beau !

— Tellement toxique, oui !

— Mais au lieu de les brûler, je pourrais les offrir !

— Pour empoisonner d’autres âmes innocentes ? On interdit les stupéfiants, je ne comprends pas qu’on laisse ce genre de littérature en vente libre à disposition d’âmes faibles dans ton genre.

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En marge de Bonnard

30 vendredi Juil 2021

Posted by patertaciturnus in Lectures

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Abel Bonnard, amitié, amour, friendzone, hommes et femmes, jalousie, sexisme

Abel Bonnard - Centre Pompidou

Un élément étonnant du  Savoir aimer d’Abel Bonnard c’est que son analyse de l’amour est complètement hétérocentrée (il n’envisage l’amour que comme relation d’un homme et d’une femme) alors que lui-même était notoirement homosexuel (il dissimulait tellement peu son homosexualité, qu’à l’époque où il était ministre de l’éducation du régime de Vichy  il était surnommé « gestapette »). Quelle vérité objective attendre d’un discours qu’on ne peut même pas créditer d’authenticité subjective ? Peut-être est-il possible de discerner des références cachées à ses amours homosexuelles dans le texte mais je ne dois pas maîtriser suffisamment cet art de lire entre les lignes.

Bonnard traite de la relation entre homme et femme avec la grille de lecture hiérarchique et essentialiste dont j’ai déjà parlé plusieurs fois. Ainsi du paragraphe ci-dessous qui distingue deux types de relation homme/femme selon qu’on se situe dans le registre des amours médiocres ou des amours suprêmes :

« Si ce petit livre a trouvé quelques lecteurs attentifs, l’un d’eux aura peut-être remarqué que, dans sa première partie [consacrée aux amours médiocres], il est surtout parlé des liaisons amoureuses en fonction du personnage masculin, au lieu qu’ici l’on fait le contraire ; c’est qu’en effet il dépend d’un homme qui sait vivre de gouverner les amours médiocres où il se trouve engagé, mais les amours supérieures appartiennent aux femmes qui s’y manifestent. Une femme ordinaire est un instrument dont il faut jouer, mais une femme souveraine est une musicienne qu’on écoute ; tandis que l’homme qui lui est uni se borne à jouir de leur bonheur commun, parce que son œuvre est ailleurs, elle crée et entretient ce bonheur, parce que son œuvre est là. »

Le paternalisme envers les femmes  se manifeste nettement dans la section consacrée à la jalousie : Bonnard y explique qu’il est mauvais d’être jaloux (la jalousie contrevient à l’idéal de magnanimité qui sous-tend le propos de Bonnard) mais qu’il faut savoir feindre la jalousie pour faire plaisir aux femmes.

« Mais alors même qu’un homme se sent fort peu disposé à ce sentiment, il convient qu’il s’en donne parfois les airs. Paraître jaloux de celle qu’on aime est un hommage qu’on lui doit et que la politesse de l’amour impose. Si gênées que les femmes puissent être par les persécutions des jaloux, il faut que ces vexations soient poussées bien loin pour les excé­der, et elles ont pour cette manie une secrète indulgence, parce qu’elles y voient la preuve du prix qu’on leur donne ; il leur paraît très juste qu’un homme perde la tête à la seule idée qu’elles pour­raient détourner de lui la moindre de leurs faveurs et leur satisfaction serait complète, si la jalousie qu’elles nous inspirent était un supplice pour nous, sans être un ennui pour elles. Il faut se souvenir qu’il est dans leur nature enfantine de tout désirer à la fois ; celle qui s’enorgueillit d’être aimée comme aucune autre veut encore l’être comme toutes et fière d’être enveloppée des sentiments les plus délicats, elle prétend exciter de même ceux où se marque la violence des amours vulgaires. Aussi doit-on se souvenir de faire de temps en temps le jaloux, deux ou trois fois par mois, par exemple : comme ce sentiment paraîtra toujours très naturel à celle à qui on le manifeste, on n’aura pas besoin de feintes savantes pour la persuader qu’on l’éprouve. »

L'amitié - Bonnard Abel - 1938 | eBay

Sans prétendre épuiser le sujet du sexisme de Bonnard, il convient aussi de mentionner le chapitre qu’il consacre aux femmes dans son ouvrage sur l’amitié. Bonnard recourt à un procédé qui rappelle un peu celui auquel recours Socrate dans l’Hippias majeur  : il rapporte les propos d’un ami auquel il tente – plutôt vainement – d’apporter la contradiction. Cet ami soutient une thèse radicale ; les femmes ne sont pas capables d’amitié authentiques car elles ne sont pas faites pour ce sentiment (elles sont faites pour l’amour, évidemment). L’ami mystérieux conteste d’abord l’authenticité de l’amitié entre femmes :

« Les femmes qui se croient amies sont des complices ou des victimes ensemble. Ou bien elles se font part de leurs intrigues et de leurs plaisirs et s’y aident mutuellement. Ou bien, également maltraitées par le sort et meurtries par la grossièreté des hommes, elles se blottissent l’une contre l’autre, se choient, se donnent de petits noms, mais il y a dans leurs sentiments quelque chose d’excessif qui en dénonce l’inanité. »

Abel Bonnard, L’amitié, FeniXX réédition numérique, p. 72

puis il conteste la possibilité d’une authentique amitié entre homme et femme. Les arguments sur ce sujet rebattu ne sont pas d’une folle originalité mais cela donne lieu à d’amusantes descriptions de ce qu’on n’appelait pas encore friendzone :

« Considérez d’autre part que rien n’est si utile aux femmes que d’avoir à leurs ordres, sous le nom d’amis, des hommes qui leur sont à la fois commodes et indifférents, qui leur rendent mille services, qui débrouillent pour elles toutes les difficultés pratiques et qu’on paye avec des sourires dont rien de positif ne suit jamais la douceur. Mais venons au principal : ces amitiés caressent l’amour-propre de ceux qui les forment, non seulement des femmes, mais même des hommes. Oui, mon cher, il y a des hommes à la fois si modestes et si vains qu’ils sont flattés d’être les amis des femmes, de se montrer avec elles, de pendre à leur présence comme des breloques : avouez qu’on ne saurait être fat à meilleur marché. Ils endossent la veste grisâtre du confident avec le même orgueil que si c’était l’habit galonné du jeune premier et se pavanent sous cette triste livrée. Quant aux femmes, c’est à très juste titre qu’elles s’enorgueillissent d’avoir beaucoup d’hommes autour d’elles. Ces amis qu’elles rassemblent prouvent à la fois le pouvoir de leurs charmes et la fermeté de leur vertu, car vous n’ignorez pas qu’elles les présentent comme autant d’amoureux domptés, désarmés, aplatis, et réduits à servir sans manifester aucune exigence. […] Ainsi leurs amis servent à leur gloire. Mais ils ont une utilité plus profonde encore. Les femmes ont besoin d’en être entourées pour garder confiance en elles et pour essayer innocemment sur eux les moyens qu’elles exerceront dans l’amour. […]

Voici un soupirant fastidieux, qui ne leur plaît en rien, auxquelles elles sont bien décidées à ne jamais rien accorder. Croyez-vous qu’elles vont le laisser-aller ? Que non ! Elles le conserveront dans la chambre froide de l’amitié. […]

Les femmes estiment leurs amis, cela va de soi. Comment n’apprécierions-nous pas ceux qui nous admirent ? Comment ne trouverions-nous pas qu’ils ont le goût excellent ? En louant les qualités de leur esprit, nous relevons d’autant la valeur du suffrage qu’ils nous donnent. mais qu’au fond d’elles-mêmes, dans les régions sincères et primitives de l’instinct, elles puissent faire vraiment cas de leurs amis, c’est ce que je ne crois pas : elles resteront  toujours surprises et comme déçues de voir qu’ils se contentent de ce qu’elles leur donnent.  Car si les femmes méprisent ostensiblement les hommes qui, dans leurs rapports avec elles, ne pensent qu’au physique, j’ai bien peur qu’elles ne méprisent secrètement ceux qui n’y pensent pas. […] Je crois même […] que ce qui plaît le plus à certaines, dans ces amitiés, c’est la victoire qu’elles remportent sur l’homme et l’humiliation qu’elles lui infligent. […]

Les amis des femmes ressemblent à ces vieux officiers de l’ancien régime à qui les plus longs services ne valaient jamais que des grades subalternes et qui se voyaient toujours supplantés par des colonels qu’improvisait la faveur. Ces hommes assidus et discrets sont nécessaires aux femmes pour leur donner des preuves permanentes de leur pouvoir et les empêcher de douter d’elles. Mais, entourées de leurs soins, de leurs égards et de leurs respects, elles rêvent à toute autre chose : une femme attend, parmi ses amis, un homme qui ne sera pas comme eux. »

ibid. p. 79 – 82

Peut-on être un bon ami sans avoir d’ami ?

24 samedi Juil 2021

Posted by patertaciturnus in Perplexités et ratiocinations

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Abel Bonnard, amitié, Fernando Pessoa, Jean-Paul Sartre

« Un ami est un compagnon de noblesse. Il nous aide à atteindre la plus haute expression de notre nature, comme nous l’aidons à parvenir au même but. C’est le drame et la beauté de ces sentiments que nous ne pourrons rencontrer de véritables amis qu’à la hauteur où nous risquons de devenir seuls, et l’on ne saurait, en effet, donner une plus forte idée des jouissances héroïques de l’amitié qu’en disant qu’elles consistent à respirer à deux l’air sublime de la solitude. »

Abel Bonnard, L’amitié

Nous avons déjà rencontré  chez Pétrarque cette idée apparemment paradoxale que l’amitié consiste à jouir à deux de la solitude.  On pourrait se demander si soutenir que la véritable amitié est une relation à deux et que la « bande de potes » est une forme dégradée de l’amitié ne revient pas à aligner l’amitié sur l’amour. Mais ce n’est pas cette possible implication du propos de Bonnard que je souhaite examiner aujourd’hui. Ce qui m’occupera, c’est cet autre paradoxe du propos de Bonnard que rechercher la véritable amitié c’est s’exposer à la solitude.  On comprend aisément que c’est là une conséquence de l’aristocratisme de la conception que Bonnard se fait de l’amitié : c’est parce que la véritable amitié est chose rare qu’on s’expose à la solitude en en refusant les contrefaçons. Mais que penser d’une conception si exigeante de l’amitié qu’elle nous condamnerait à ne pas avoir d’amis ? Confronté à cette même déconnexion entre « savoir être ami » et « avoir des amis », Bernardo Soares (l’hétéronyme de Pessoa dans le Livre de l’intranquillité) est ainsi conduit à se demander si sa conception de l’amitié n’est pas un mirage.

« J’ai possédé un certain talent pour l’amitié, mais je n’ai jamais eu  d’amis, soit qu’ils m’aient déçus, soit que ma conception de l’amitié ait été une erreur de mes rêves. »

Fernando Pessoa, Le Livre de l’intranquillité, §.319

Si la conception bonnardienne de l’amitié peut être un leurre, on peut aussi envisager quelle fonctionne sur le mode de la consolation : je n’ai pas d’amis certes, mais c’est parce que moi je ne veux que de vrais amis. Je vaux mieux que ce que j’ai. Il vaut la peine de rappeler la critique qu’adresse Sartre à ce type de consolation (c’est peut-être plus l’essentialisme du propos de Bonnard qui serait en jeu que son aristocratisme).

« D’après ceci, nous pouvons comprendre pourquoi notre doctrine [l’existentialisme] fait horreur à un certain nombre de gens. Car souvent ils n’ont qu’une seule manière de supporter leur misère, c’est de penser : “Les circonstances ont été contre moi, je valais beaucoup mieux que ce que j’ai été ; bien sûr, je n’ai pas eu de grand amour, ou de grande amitié, mais c’est parce que je n’ai pas rencontré un homme ou une femme qui en fussent dignes, je n’ai pas écrit de très bons livres, c’est parce que je n’ai pas eu de loisirs pour le faire; je n’ai pas eu d’enfants à qui me dévouer, c’est parce que je n’ai pas trouvé l’homme avec lequel j’aurais pu faire ma vie. Sont restées donc, chez moi, inemployées et entièrement viables, une foule de dispositions, d’inclinations, de possibilités qui me donnent une valeur que la simple série de mes actes ne permet pas d’inférer.” Or, en réalité, pour l’existentialiste, il n’y a pas d’amour autre que celui qui se construit, il n’y a pas de possibilité d’amour autre que celle qui se manifeste dans un amour; il n’y a pas de génie autre que celui qui s’exprime dans des œuvres d’art : le génie de Proust c’est la totalité des œuvres de Proust; le génie de Racine c’est la série de ses tragédies, en dehors de cela il n’y a rien; pourquoi attribuer à Racine la possibilité d’écrire une nouvelle tragédie, puisque précisément il ne l’a pas écrite? Un homme s’engage dans sa vie, dessine sa figure, et en dehors de cette figure il n’y a rien. Évidemment, cette pensée peut paraître dure à quelqu’un qui n’a pas réussi sa vie. Mais d’autre part, elle dispose les gens à comprendre que seule compte la réalité, que les rêves, les attentes, les espoirs permettent seulement de définir un homme comme rêve déçu, comme espoirs avortés, comme attentes inutiles; c’est-à-dire que ça les définit en négatif et non en positif; cependant quand on dit, cela n’implique pas que l’artiste sera jugé uniquement d’après ses œuvres d’art; mille autres choses contribuent également à le définir. Ce que nous voulons dire, c’est qu’un homme n’est rien d’autre qu’une série d’entreprises, qu’il est la somme, I’organisation, I’ensemble des relations qui constituent ces entreprises. »

Jean-paul Sartre, L’exitentialisme est un humanisme

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