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Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

Pater Taciturnus

Archives Mensuelles: septembre 2018

Problèmes d’une civilisation mondiale

30 dimanche Sep 2018

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civilisation mondiale, Claude Lévi-Strauss, Leszek Kolakowski

« Mais s’il existe des cultures concrètes, que l’on-peut situer dans le temps et dans l’espace, et dont on peut dire qu’elles ont « contribué » et continuent de le faire, qu’est-ce que cette « civilisation mondiale » supposée bénéficiaire de toutes ces contributions? Ce n’est pas une civilisation distincte de toutes les autres, jouissant d’un même coefficient de réalité. Quand nous parlons de civilisation mondiale, nous ne désignons pas une époque, ou un groupe d’hommes: nous utilisons une notion abstraite, à laquelle nous prêtons une valeur, soit morale, soit logique: morale, s’il s’agit d’un but que nous proposons aux sociétés existantes; logique, si nous entendons grouper sous un même vocable les éléments communs que l’analyse permet de dégager entre les différentes cultures. Dans les deux cas, il ne faut pas se dissimuler que la notion de civilisation mondiale est fort pauvre, schématique, et que son contenu intellectuel et affectif n’offre pas une grande densité. Vouloir évaluer des contributions culturelles lourdes d’une histoire millénaire, et de tout le poids des pensées, des souffrances, des désirs et du labeur des hommes qui les ont amenées à l’existence, en les rapportant exclusivement à l’étalon d’une civilisation mondiale qui est encore une forme creuse, serait les appauvrir singulièrement, les vider de leur substance et n’en conserver qu’un corps décharné. Nous avons, au contraire, cherché à montrer que la véritable contribution des cultures ne consiste pas dans la liste de leurs inventions particulières, mais dans l’écart différentiel qu’elles offrent entre elles. Le sentiment de gratitude et d’humilité que chaque membre d’une culture donnée peut et doit éprouver envers tous les autres, ne saurait se fonder que sur une seule conviction: c’est que les autres culture sont différentes de la sienne, de la façon la plus variée; et cela, même si la nature dernière de ces différences lui échappe ou si, malgré tous ses efforts, il n’arrive que très imparfaitement à la pénétrer.    D’autre part, nous avons considéré la notion de civilisation mondiale comme une sorte de concept limite, ou comme une manière abrégée de désigner un processus complexe. Car si notre démonstration est valable, il n’y a pas, il ne peut y avoir, une civilisation mondiale au sens absolu que l’on donne souvent à ce terme, publique la civilisation implique la coexistence de cultures offrant entre elles le maximum de diversité, et consiste même en cette coexistence. La civilisation mondiale ne saurait être autre chose que la coalition, à l’échelle mondiale, de cultures préservant chacune son originalité. »

Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, p. 75 -77

« Si c’était notre destin d’annihiler la variété culturelle du monde au nom d’une civilisation « planétaire », ce destin ne pourrait probablement s’accomplir qu’au prix d’une telle rupture de continuité dans les traditions, que non seulement chaque civilisation particulière, mais la civilisation humaine tout entière seraient en péril mortel.

Voici une citation : « Nos descendants ne seront plus simplement des Occidentaux comme nous-mêmes. Ils seront les héritiers de Confucius et de Lao-Tseu aussi bien que ceux de Socrate, de Platon et de Plotin; les héritiers de Gautama Bouddha ainsi que ceux du Deutéro-Isaïe et de Jésus Christ ; les héritiers de Zarathoustra et le Mahomet aussi bien que ceux d’Elie et d’Elisée et de Pierre et Paul ; les héritiers de Sankara et de Ramanuja aussi bien que ceux de Clément et d’Origène ; les héritiers les Pères cappadociens de l’Eglise orthodoxe aussi bien que ceux de notre Africain Augustin et de notre Ombrien Benoît, les héritiers de Ibn Khaldoun aussi bien que ceux le Bossuet ; les héritiers — s’ils restent toujours empêtrés dans la confusion politique — de Lénine et de Gandhi et le Sun Yat-Sen aussi bien que ceux de Cromwell et de George Washington et de Mazzini ».

Cette prophétie optimiste (ou qui se veut telle), datant le 1947, est d’Arnold Toynbee (Civilisation on trial,  New York, 1948, p.90); elle exprime bien l’idéal du monde uniformisé à outrance et elle provoque des doutes sérieux, même si nous approuvons la réfutation que Toynbee a faite de la spéculation de Spengler sur les cycles historiques. Qu’est-ce que cela voudrait dire, en effet, être l’héritier » le tous ces prophètes, philosophes et homme d’État  énumérés ? Au sens le plus banal du terme, nous sommes déjà les « héritiers » de tous ces hommes dans la mesure où sous vivons dans un monde qu’ils ont tous contribué à façonner, mais il est clair que Toynbee vise un « héritage » en un sens plus fort, suggère une continuité positive des idées. Mais pour que nos descendants soient des « héritiers » dans ce sens, il faut admettre que tout ce qui fait que maintenant les  valeurs et les idéaux de ces gens sont incompatibles, perdra sa signification ; mais alors, au lieu de les avoir tous pour ancêtres spirituels, nous n’en aurons aucun. Il est concevable que la distinction entre les catholiques,  et les protestants disparaisse, mais alors Bossuet et Cromwell, au lieu d’être « synthétisés » par nos descendants, perdront l’un et l’autre leur signification; l’on oubliera ce qui fut essentiel et spécifique pour eux et « l’héritage » n’aura aucun sens tangible. De même, on voit avec peine comment quelqu’un qui attache de l’importance à la liberté de l’esprit pourra un jour se considérer le légataire de Lénine et de Mahomet ; il est concevable que la question de la liberté perde toute signification si la société de l’avenir est parfaitement totalitaire et acceptée par ses membres, mais alors notre postérité sera en effet héritière de Lénine, mais non de Washington. Bref, s’imaginer que nos petits-enfants  combineront toutes les traditions contradictoires dans un ensemble harmonieux, qu’ils seront en même temps panthéistes, théistes et athées, libéraux et totalitaires, enthousiastes de la violence et ennemis de la violence, c’est s’imaginer qu’ils vivront dans un monde qui non seulement dépasse notre imagination et nos dons prophétiques, mais ans lequel il n’y aura plus aucune tradition viable, ce qui veut dire qu’ils seront des barbares au sens le plus fort du terme. »

Leszek Kołakowski, Le village introuvable Trad. J. Dewitte, Ed. Complexe, 1986, p.113 – 114

Pourquoi tirer sur un corbillard ?

29 samedi Sep 2018

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Alain, Julien Gracq, pacifisme, radicalisme, Raymond Aron

J’ai été assez surpris d’apprendre que Michel Onfray avait publié cette année un livre consacré à déboulonner la statue d’Alain. S’en prendre à Freud témoignait d’un certain panache (au moins dans le contexte français), mais s’attaquer à Alain ? S’agissait-il seulement de tirer parti de la publication du journal jusque là inédit d’Alain, journal où apparaissent les penchants antisémites du philosophe natif de Mortagne au Perche? On semble davantage dans l’opportunisme que dans l’urgence de la pensée car Alain n’est plus un maître à penser depuis bien longtemps. C’est ce que je me propose de montrer en citant des textes de  Julien Gracq et Raymond Aron, deux anciens élèves d’Alain,  qui n’ont pas eu besoin des révélations sur la face cachée du philosophe pour enterrer sa pensée politique.

Aron écrit Prestige et illusions du citoyen contre les pouvoirs en 1941, dès l’épigraphe le ton est donné :

The renown, the authority of a sophist as Alain, is, in itself; enough to predict the ruin of any state.
D. W. Brogan

Aux yeux d’Aron, Alain est en effet un protagoniste intellectuel de l’affaiblissement de la démocratie face aux totalitarismes. Le texte que Julien Gracq consacre à Alain est publié près de quarante en plus tard dans En lisant, en écrivant (1980), mais en dépit de la différence de contexte et de préoccupation, les critiques de nos deux auteurs sont étonnamment convergentes.

« Parmi les rares écrivains qui, en France, au cours de ces dernières années, ont réfléchi sur la chose publique et proposé une sorte de système politique, Alain prend une place à part. Il semble, en effet, avoir tenté une œuvre au moins paradoxale. Il a formulé en doctrine ce qui passait pour un simple état d’esprit, il a élevé au niveau de la philosophie la pensée, ou plus exactement l’attitude, la plus rebelle en apparence à cette transfiguration : le radicalisme. La politique que l’on regardait parfois comme la plus prosaïque, la plus étroitement liée aux conditions de l’existence provinciale, il l’a interprétée, justifiée, magnifiée. Le citoyen soupçonneux et grognon, le parlementaire représentant des humbles dans leurs villages et leurs champs, avocat des « petits », deviennent sous sa plume les exécuteurs d’une grande tâche, les défenseurs des individus contre l’administration, des personnes contre les pouvoirs, des communes contre le monde parisien, de la liberté des hommes contre la tyrannie des Importants et des Grands.
Dans cette tentative paradoxale, Alain a, en un certain sens, réussi. Il a exercé sur une fraction de la jeunesse intellectuelle, en particulier dans les dix années qui ont suivi la guerre, une profonde influence. Et, chez tous les hommes, dans tous les partis « de gauche», on retrouvait la présence et l’action de telles ou telles de ses idées, fragmentaires peut-être, mais non pas moins efficaces. À l’autre bout de la chaîne, Maurras parvenait, en quelques dizaines d’années de prêches quotidiens, à convaincre une partie de la bourgeoisie que de la restauration monarchique dépendaient l’existence et la grandeur de la France et que, faute d’un roi, nul espoir n’était permis d’un gouvernement raisonnable. Également étranger à la situation de la France et de l’Europe, également abstrait et théorique, Alain a convaincu une partie de l’opinion de gauche que l’opposition morale du citoyen aux pouvoirs apportait la meilleure garantie des libertés et de la paix.
Pour qui n’a pas connu Alain et éprouvé personnellement l’ascendant de l’homme, le phénomène risque de paraître impénétrable, presque absurde parfois. Car on cherche vainement les conceptions neuves, profondes, dans l’ordre politique, qui expliqueraient la dévotion des disciples. Bien plus, tant des affirmations d’Alain ont été pour ainsi dire emportées par la tourmente, que l’on est tenté plus d’une fois moins de les discuter que de les confronter avec les faits.

[…]

Alain n’est pas socialiste, parce qu’il ne croit ni à la dialectique historique ni au progrès. Les sociétés sont toujours les mêmes, à travers le temps et l’espace, parce que la nature humaine ne change pas. « Vous voulez m’apprendre le secret de la Chine et du Japon, le secret de l’Amérique… Je n’ai qu’à regarder autour de moi, c’est tout pareil.» Toujours et partout, les pouvoirs gouvernent pour eux-mêmes et ten­dent à abuser de leur autorité. Toujours et partout les citoyens aiment la paix et se laissent duper par leurs passions et par leurs maîtres.

De plus, Alain soupçonne les socialistes de se soucier davantage de la justice que de la liberté, de faire confiance à l’État pour remédier aux défauts de l’ordre social. Or Alain, en paysan français, juge déjà admirable que l’État ne ruine pas les individus, il ne songe pas à lui demander encore d’assurer la richesse de tous. Le collectivisme lui paraît donc utopie dangereuse, puisqu’il aboutit à remettre à l’administration des pouvoirs exorbitants et tend même parfois à ramener cette adoration quasi religieuse de la collectivité qui est proprement mœurs de sauvages. Mais bien qu’Alain répète à toute occasion, «je ne pense pas du tout comme Jaurès », il admire et aime le tribun socia­liste chez lequel il aperçoit, vivant, le jugement impitoyable du radi­cal, et il se considère comme l’allié des ouvriers, contre les grands, pour la défense de la liberté et de la paix.

[…]

Quelle qu’ait pu être la grandeur d’Alain, combattant volontaire dans une guerre qu’il n’ap­prouvait pas, l’attitude qu’il recommandait, la leçon qu’il enseignait plaisait parce qu’elle flattait les passions alors les plus communes. Au lendemain de la guerre, les invectives contre la guerre, le bourrage de crâne, les pouvoirs, les fausses grandeurs, répondaient aux senti­ments à la mode. Or Alain, pratiquement, justifiait ces sentiments, il tendait à les éterniser, il ne les épurait pas plus qu’il ne les éclairait. Il ne les transformait pas en principes d’une action efficace. Les dis­ciples, jusqu’au bout fidèles à l’orthodoxie, en sont restés aux formules du citoyen-grognard.

Il serait facile de dépouiller le radicalisme alinien de son autorité philosophique, en montrant l’origine historique, accidentelle, des idées que ce professeur a prétendu élever au niveau de l’intemporel. Alain n’a-t-il pas prêté une valeur absolue à la mauvaise humeur qu’éprouve l’électeur provincial à l’égard de l’administration, dont le centre est à Paris et dont les tentacules s’allongent jusqu’au moindre village? Rien n’est plus légitime que l’exigence du paysan français qui consent à obéir mais veut être traité en citoyen, égal dans sa dignité à tous les autres hommes : mais n’est-il pas absurde de voir là l’essence du radi­calisme, de la République, de la politique éternelle ? Et la conception du député représentant des électeurs auprès des bureaux, n’est-elle pas simplement celle qui a été, exagérément, mise en pratique par la Ille République ? Et où était le mérite, où la difficulté de se dresser contre l’État dans la France d’hier, alors que les opinions jouissaient de la liberté la plus entière et que le ministre de l’Instruction publique venait faire l’éloge public du non-conformisme ? En réalité ces doctrines de liberté n’étaient-elles pas alors le lieu même du conformisme ?

Non seulement Alain allait dans le sens de la facilité, mais il pensait systématiquement contre le mouvement historique. Il travaillait à affaiblir encore l’État français, alors que, dans les pays voisins, s’éta­blissaient des régimes autoritaires et que des religions grossières soulevaient l’enthousiasme de millions de fidèles. Dès lors la sagesse qui obligeait à méconnaître la réalité des conflits historiques, la diversité  des psychologies nationales, aboutissait à une sorte d’aveuglement volontaire. L’interdiction d’envisager la guerre à l’avance et de la préparer (même sous la forme de la défense passive !), la négation du fatalisme érigée en impératif catégorique du pacifisme, dégénérait en une sorte de grandiose absurdité, à demi intentionnelle. Et, en der­nière analyse, cette volonté de ne pas croire exprimait la même angoisse de la catastrophe que l’attitude opposée d’attente résignée.

Les événements, d’eux-mêmes, ont aujourd’hui réfuté les affirma­tions les plus paradoxales d’Alain.

Raymond Aron, Prestige et illusions du citoyen contre les pouvoirs,
in Penser la liberrté, penser la démocratie,
Quarto Gallimard, p. 192 -201

*

« Je me suis demandé plus d’une fois pourquoi Alain, dont j’ai été deux ans l’élève, que j’ai écouté pendant deux ans avec une attention, une admiration quasi religieuse, au point, comme c’était alors le cas des deux tiers d’entre nous, d’imiter sa façon d’écrire, a en définitive laissé en moi si peu de traces.

Admirable éveilleur, il avait peu d’avenir dans l’esprit. Au moment même où nous quittions sa classe, en 1930 un brutal changement d’échelle désarçonnait sa pensée un monde commençait à se mettre en place, un monde effréné, violent, qui rejetait tout de son humanisme tem­péré. Les règles de la démocratie parlementaire à dominante radicale lui paraissaient un acquis pour toujours : il pouvait advenir de mauvaises élections, ramenant vers les portefeuilles clés les notables conservateurs et les tenants du cléricalisme, rien de beaucoup plus grave. Ses problèmes politiques étaient ceux de l’électeur français de la petite bourgeoisie dans une petite ville, tout froncé contre les empiètements et le mépris des riches, des importants et des officiels ; avec infiniment plus de culture philosophique, et  certes en élevant le débat de plusieurs coudées, l’horizon de son combat de citoyen et la mesure de sa résistance à l’arbitraire restaient à peu près — à un siècle de distance — ceux du vigneron de La Chavonnière. Des questions telles que le colonialisme, le communisme, l’hitlérisme, le destin de l’Europe, l’éruption technicienne, les nouveaux équilibres du monde, dépassaient l’horizon de sa sagesse un peu départementale, et, je crois aussi, le dérangeaient : il les tenait à l’écart. Son antihistorisme était instinctif, et presque absolu ; l’expérience du combisme, qu’il avait soutenu, et celle de la guerre de 14, qu’il avait faite, étaient les seules leçons de l’histoire dont il tînt compte : en 19 39, il retrouva automatiquement les positions dreyfusardes et celles d’Au-dessus de la mêlée, et s’y tint, sans aucun regard pour les énormes variations de  nature et d’intensité; l’arbre lui cachait la forêt, et Boisdeffre, Hitler; il ameutait les « républicains » contre le sabre de Gamelin.

On pouvait s’interroger sur ce qu’il pensait du communisme ; faute qu’il entrât dans ses cadres de pensée, je crois qu’il le considérait comme une sorte de radicalisme un peu trop pétulant, un peu trop effervescent, sans nul sentiment de sa spécificité : quelque chose à ramener au bercail. L’univers industriel lui restait fermé. Jusqu’au bout, il a voulu continuer de voir le monde qui naissait à travers les lunettes de 1900.

[…]

Le hasard d’une Maison de la presse  peu achalandée m’avait réduit l’autre jour à ouvrir un volume de la série romanesque d’Anatole France : L’Orme du mail. Je ne connaissais rien du livre ; au bout d’une soixantaine de pages, il me vint une réflexion bizarre : « Tiens ! Alain. » Non pas, bien entendu, que rien en lui rappelât l’envergure intellectuelle et les coteaux très modérés du « bon maître » de La Béchellerie. Mais je sentais vivement que ce monde des romans d’Anatole France, avec ses figures emblématiques comme des figures de jeu de cartes : le Général, le Duc, l’Évêque, le Préfet, le Député de la rente foncière,   l’Enseignant laïque, c’était tout de même le monde étriqué de sa jeunesse, la donne qu’il n’avait pas cherché à changer et dont, pour cadre de sa réflexion pourtant si libre, il avait accepté les limites sans plus guère les remettre en question. »

Julien Gracq, En lisant, en écrivant
Oeuvres complètes II, La Pléiade, p. 686 – 688

 

Dépossession

27 jeudi Sep 2018

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dépossession, Mário de Sá-Carneiro, solitude

COMO EU NÃO POSSUO

Olho em volta de mim. Todos possuem —
Um afecto, um sorriso ou um abraço.
Só para mim as ânsias se diluem
E não possuo mesmo quando enlaço.

Roça por mim, em longe, a teoria
Dos espasmos golfados ruivamente;
São êxtases da cor que eu fremiria,
Mas a minh’alma pára e não os sente!

Quero sentir Não sei… perco-me todo…
Não posso afeiçoar-me nem ser eu:
Falta-me egoísmo para ascender ao céu,
Falta-me unção pra me afundar no lodo.

Não sou amigo de ninguém. Pra o ser
— Forçoso me era antes possuir
Quem eu estimasse — ou homem ou mulher,
E eu não logro nunca possuir!…

Castrado de alma e sem saber fixar-me,
Tarde a tarde na minha dor me afundo…
Serei um emigrado doutro mundo
Que nem na minha dor posso encontrar-me?…

[…]

Mário de Sá-Carneiro

*

COMMENT JE NE POSSÈDE RIEN

Je regarde autour de moi. Ils possèdent tous —
Une amitié, un sourire, un baiser.
Je suis le seul dont les désirs se diluent,
Et même dans l’étreinte, je ne possède rien.

De loin en loin m’effleure la théorie
Des spasmes aux teintes rouille éructés ;
Ce sont extases à me faire trembler,
Mais avant même de les sentir, se fige mon âme !

Je veux sentir. Je ne sais… Je me perds tout entier…
Je ne puis être moi ni me lier à autrui :
Je manque d’égoïsme pour monter au ciel,
Je manque d’onction pour sombrer dans la vase.

Je ne suis l’ami de personne. Pour cela,
Il me faudrait d’abord posséder
Quelqu’un à estimer — homme ou femme,
Mais jamais je ne parviens à posséder !…

L’ âme châtrée, inapte à me fixer,
Soir après soir en ma douleur je sombre…
Serais-je un émigré d’un autre monde
Inapte à se sentir dans sa propre douleur ?…

[…]

trad. Michel Chandeigne, Dominique Touati
Minos La différence 2007

Envie de yiddish ?

23 dimanche Sep 2018

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yiddish

If it exists, there should be yiddish of it.

Démystification

17 lundi Sep 2018

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amitié, Samuel Beckett

« L’amitié est un artifice social, comme le capitonnage d’un fauteuil ou la distribution des poubelles ; elle n’a aucune signification spirituelle. Pour l’artiste qui ne s’en tient pas aux surfaces, le refus de toute amitié n’est pas seulement une chose raisonnable, c’est une nécessité ».

Samuel Beckett, Proust, Minuit 1990,  p.75

Peut-on démystifier l’amitié sans sacraliser en retour l’activité (ici la création artistique) qui exigerait de s’en passer  ?

Émile le précurseur

14 vendredi Sep 2018

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Alain, Hannah Arendt, oeuvre, travail

« La distinction que je propose entre le travail et l’œuvre n’est pas habituelle. Les preuves phénoménales en sa faveur sont trop évidentes pour passer inaperçues. Mais historiquement, c’est un fait qu’à part quelques remarques çà et là, jamais développées d’ailleurs même dans les théories de leurs auteurs, on ne trouve à peu près rien pour l’appuyer, ni dans la tradition politique pré-moderne, ni dans le vaste corpus des théories postmodernes du travail. En face de cette rareté, il y a cependant un témoignage obstiné et très clair : le simple fait que toutes les langues européennes possèdent deux mots étymologiquement séparés pour désigner ce que nous considèrerons aujourd’hui comme une seule et même activité, et conservent ces mots bien qu’on les emploie constamment comme synonymes. »

Hannah Arendt, La condition de l’homme moderne (Human condition – 1958), Calmann-Lévy, Presses Pocket p. 123 – 124

Hannah, reconnais que tu as piqué cette distinction chez Alain !

« Je crois utile de distinguer les travaux et les œuvres. La loi du travail semble être en même temps l’usage et l’oubli. Qui pense à la récolte de l’autre année ? La charrue trace les sillons ; le blé les recouvre ; le chaume offre encore un autre visage ; mais cet aspect même est effacé par d’autres travaux et par d’autres cultures. Le chariot, la machine, l’usine sont en usure ; on en jette les débris, sans aucun respect ; on reprend ces débris pour d’autres travaux. Rien n’est plus laid qu’un outil brisé et jeté sur un tas ; rien n’est plus laid qu’une machine rouillée, une roue brisée au bord de la route. Les choses du travail n’ont de sens que dans le mouvement qui les emporte ou les entoure, ou bien dans leur court repos, quand tout marque que l’homme va revenir. C’est pourquoi les signes de l’abandon, les herbes non foulées, les arbustes se mêlant aux outils et aux constructions industrielles, font tout autre chose que des ruines vénérables. Le silence aussi étonne et choque en ces chantiers désolés. Une voie ferrée plaît par le luisant du métal, la végétation abolie ou nivelée, les traces du feu, toutes choses qui signifient le passage et l’usage.

Par opposition on comprend que l’œuvre est une chose qui reste étrangère à ce mouvement. Cette résistance, et encore signifiée, est sans doute le propre des œuvres d’art, et passe même bien avant l’expression, car un tas de débris exprime beaucoup. Aussi voyons-nous qu’un aqueduc ou un rempart, par la seule masse, sont monuments. Et l’on peut décider qu’il n’y a point de forme belle, si elle ne résiste. Même le désordre peut avoir quelque beauté par la masse, comme on voit aux montagnes et aux précipices. Si différentes des monuments que soient la poésie et la musique, mobiles en apparence comme nos pensées, on y reconnaît pourtant l’art de construire, plus sensible encore peut-être par une facilité de les changer, qui fait paraître aussitôt l’impossibilité de les changer. Il n’y manque même pas la résistance et le heurt de la matière. Les sons assemblés ont à leur manière le solide du monument ou du bijou ; nous en suivons le contour, fidèles ici par choix, mais n’ayant pourtant point le choix entre une manière d’être et une autre, puisque l’œuvre périt par le moindre changement. »

Alain (Emile Chartier), Les idées et les âges (1927), Livre IV, chap. 2

7ème ciel du savoir

10 lundi Sep 2018

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Démocrite, explication, orgasme

« L’explication est à la cognition ce que l’orgasme est à la reproduction : une expérience éminemment agréable qui marque l’heureux aboutissement d’un désir naturel. »

A. Gopnik, A. Meltzoff, P. Kuhl, Comment pensent les bébés?, p. 212

« Démocrite, à ce que l’on dit déclara qu’il aimerait  mieux trouver une seule certitude causale plutôt que de devenir roi des Perses »

Diels-Kranz, Démocrite, B, 118

Bonne rentrée !

02 dimanche Sep 2018

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école, Célestin Freinet, Edouard Claparède

Je lis actuellement Freinet et la pédagogie de Liliane Maury, dont j’extrais deux citations à l’intention de mes chers lecteurs :

« Si c’est un livre ou une répartition impeccable qui donnent le ton de la classe, qui lui indiquent le matin quel sera l’intérêt de la journée, nous perdons  le bénéfice de l’intérêt véritable. A quelques rares exceptions près, nous serons amener à susciter à l’école un intérêt spécifiquement scolaire, en rapport factices avec la vie. La vie de l’école se juxtaposera une fois de plus à la vie de l’élève. mais l’école ne sera pas, comme nous le voudrions, une manifestation plus riche et intense de la la vie. »

Célestin Freinet, Vers l’école du prolétariat

« Dans ce régime nouveau, le rôle de l’école est notablement transformé : au lieu de détruire … tout ce qui est enfantin chez l’enfant … sa fonction désormais est de prolonger l’enfance. »

Edouard Claparède, L’école sur mesure

Au chant de l’alouette (27)

01 samedi Sep 2018

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alouette, Antonio Molina

Como canta la alondra interprété par Antonio Molina. La chanson est semble-t-il tirée du film Puenta de coplas (Sous le ciel d’Andalousie) dont Antonio Molina était un des interprètes.

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