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Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

Pater Taciturnus

Archives Mensuelles: novembre 2014

Le réalisme comme convention

30 dimanche Nov 2014

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Hans Reichenbach, réalisme scientifique

reichenbach

Pas d’introduction, mais une belle photo de l’auteur pour commencer.

« La connaissance commence avec l’observation ; nos sens nous renseignent sur ce qui existe en dehors de notre corps, mais nous ne nous satisfaisons pas de ce que nous observons ; nous voulons connaître davantage et nous informer sur les choses que nous n’observons pas directement. Nous atteignons cet objectif au moyen d’opérations de la pensée qui relient les données de l’observation et les expliquent par des choses non observées. On applique ces procédés dans la vie de tous les jours aussi bien que dans la science.
C’est ce qui nous permet de juger d’après des flaques d’eau sur la route qu’il vient de pleuvoir ; de même le physicien conclut d’après la déviation de l’aiguille magnétique à l’existence d’une entité invisible : l’électricité ; le médecin, d’après les symptômes d’une maladie, à l’existence de bactéries dans le sang du malade.
Cette inférence peut sembler banale ; cependant, si on l’approfondit, sa structure se révèle des plus compliquées, et il est nécessaire d’en étudier de près la nature si l’on veut comprendre la signification des théories physiques.
Vous dites que, pendant que vous êtes à votre bureau, votre maison reste à sa place, inchangée. Comment le savez vous ? Vous pourriez, dites-vous vérifier votre affirmation en rentrant chez vous, ou en téléphonant à votre concierge. Qu’est que cela prouve, sinon que la maison est là quand il y a un observateur humain. Mais qu’est qui nous permet d’affirmer qu’elle existe quand elle n’est pas observée, puisque, par définition, les objets non observés n’ont jamais été observés.
A la théorie d’un sophiste qui soutient que les maisons non observées n’existent pas, que c’est l’observation qui crée la maison, vous ne pouvez opposer que les arguments du bon sens.
Or, le sens commun peut être un bon instrument pour résoudre les questions de la vie quotidienne ; mais il est insuffisant quand la recherche scientifique a atteint un certain degré de complication. La science exige une réinterprétation de la connaissance de la vie quotidienne, parce que la connaissance, qu’elle concerne les objets concrets ou les constructions de la pensée scientifique, est, en dernière analyse, de la même nature.
Nous devons considérer nos jugements sur les objets non-observés, non comme des propositions vérifiables mais comme des conventions dont nous nous servons à cause de la grande simplification de langage. Ce que nous savons c’est que si cette convention est adoptée, on peut la mener à bien sans contradictions ; que si nous admettons que les objets non-observés sont identiques aux objets observés, nous arrivons à un système de lois physiques qui valent à la fois pour les objets observés et non-observés. La dernière proposition qui est un jugement conditionnel est une question de fait et dont on peut vérifier la véracité. Cela prouve que notre langage habituel concernant les objets non-observés est un langage admissible.
La nature ne nous dicte pas une description spécifique, la vérité n’est pas limitée à un seul langage. Nous pouvons mesurer les maisons en pieds ou en mètres, les températures en Fahrenheit ou en centigrades, et nous pouvons décrire le monde physique par une géométrie euclidienne ou non-euclidienne comme on l’a montré au chapitre II, 2e partie. Nous parlons des langages différents quand nous employons des systèmes de mesure ou de géométrie différents, mais nous disons la même chose. Il y a beaucoup de moyens d’exprimer la vérité, ils sont tous équivalents, au sens logique. Il y a aussi beaucoup de manières de dire une chose fausse : par exemple, il est faux de dire que la glace fond à 32 degrés quand on emploie l’échelle centigrade. Notre philosophie n’efface donc pas la différence entre vérité et erreur. Mais ce serait faire preuve de courte vue que de négliger la pluralité des moyens d’expression. La réalité physique admet une série de descriptions équivalentes ; nous en choisissons une pour plus de commodité et ce choix ne repose que sur une convention, c’est-à-dire sur une décision arbitraire. Par exemple le système décimal fournit un type de mesure plus commode que d’autres systèmes. Quand nous parlons d’objets non-observés, le langage le plus commode est celui choisi par le sens commun, selon lequel les objets non-observés et leur comportement ne différent pas des objets observés et de leur comportement. Mais ce langage est basé sur une convention.
La théorie des descriptions équivalentes a le mérite de nous permettre d’exprimer certaines vérités que le langage du bon sens ne peut pas formuler. Je fais allusion à la vérité formulée plus haut par un énoncé conditionnel. Il est vrai que si nous admettons que les objets non-observés sont identiques aux objets observés, nous échappons aux contradictions ou, en d’autres termes, que parmi les descriptions admissibles du monde physique il y en a une où les objets non-observés sont sur le même pied que les objets observés. Appelons cette description le système normal. C’est une vérité d’importance primordiale que le monde physique admette un système normal de description. Nous avons toujours tenu cette vérité pour acquise ; nous ne la formulions même pas, et ne savions pas, par conséquent, que c’était une vérité. Nous ne voyions là aucun problème, comme celui qui ne voit pas de problème dans la chute des corps sur la terre, parce que cette observation est une expérience trop générale. Mais la mécanique scientifique a commencé avec la formulation de la loi de la chute des corps. De même, la compréhension scientifique du problème des objets non-observés commence avec l’affirmation qu’une description d’objets non-observés par un système normal est possible.
Comment savons-nous que c’est possible ? Tout ce que nous pouvons dire, c’est que les expériences de générations humaines l’ont prouvé. Nous ne devons pas croire cependant que cette possibilité peut être prouvée par des lois logiques. C’est un fait heureux que notre monde puisse être décrit assez simplement pour qu’aucune différence entre objets observés et non-observés n’en résulte. C’est tout ce que nous pouvons soutenir.
Tout comme dans la vie quotidienne, il y a des choses observables et d’autres non observables dans le monde de l’atome. Ce que l’en peut observer ce sont des collisions entre deux particules ou entre une particule et un rayon de lumière ; le physicien a inventé des instruments ingénieux qui enregistrent chaque collision individuelle. Ce qui ne peut être observé, c’est ce qui se passe entre deux collisions, ou sur le chemin de la source de rayonnement jusqu’à une collision. Ces évènements sont, par conséquent, les objets non-observables du monde quantique.
Mais pourquoi ne peuvent-ils pas être matière à observation ? Pourquoi ne pouvons-nous pas employer un super microscope et observer les particules en marche ? Le malheur est que, pour voir une particule, il faut l’éclairer et l’illumination d’une particule est quelque chose de très différent de l’illumination d’une maison. Un rayon de lumière tombant sur une particule la pousse hors de sa route ; ce que nous observons, c’est donc une collision et non une particule cheminant paisiblement. Imaginez que vous vouliez observer, dans la salle obscure d’un jeu de boules, une boule qui poursuit tranquillement son chemin ; que vous donniez de la lumière et qu’au moment même où la lumière touche la boule elle la projette hors de sa route. Où était la boule avant qu’on allume la lumière ? Vous êtes incapable de le dire. Heureusement notre exemple n’est pas valable pour les boules du jeu de boules ; elles sont si grosses que le choc d’un rayon de lumière ne les dérange pas sensiblement. Il en va tout autrement pour les électrons et les autres particules de matière. Quand vous les observez vous êtes obligés de les déranger; et par conséquent vous ne savez pas ce qu’ils faisaient avant d’être observés.
L’observation peut causer quelque perturbation même dans le monde macroscopique. Quand un car de police se déplace au milieu du trafic d’un boulevard, ceux qui l’occupent voient les voitures environnantes se déplacer lentement en se conformant aux limites de vitesse. Si l’agent de police ne revêtait pas quelquefois des vêtements civils et ne conduisait pas une voiture ordinaire, il conclurait que toutes les voitures, en tout temps, conduisent à cette allure raisonnable. Quand nous nous occupons d’électrons nous ne pouvons pus revêtir de vêtements civils quand nous les observons, nous les troublons toujours dans leur mouvement.
Vous pouvez répondre : il est peut-être vrai que nous ne pouvons observer comment une particule non-observée se meut sur sa route, mais ne pouvons-nous pas calculer à l’aide d’inférences scientifiques, ce qu’elles font quand nous ne les regardons pas ? Cette question nous ramène à l’analyse que nous avons faite des objets non-observés. Nous avons vu que nous pouvions en parler de diverses manières, qu’il y a une série de descriptions équivalentes, et que nous choisissons de préférence un système normal pour notre description, c’est-à-dire un système où les objets non-observés ne diffèrent pas des objets observés. Mais notre discussion sur l’observation des particules a montré que pour les particules, nous ne disposons pas d’un système normal. L’observateur des électrons crée ce qu’il voit ; parce que voir des électrons signifie créer des collisions avec les rayons lumineux. »

Hans REICHENBACH, L’avènement de la philosophie scientifique
Flammarion 1955, p. 154 – 158

Grosse fatigue

29 samedi Nov 2014

Posted by patertaciturnus in Pessoa est grand

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fatigue, Fernando Pessoa

« Il est des moments où tout nous fatigue, même ce qui devrait nous reposer. Ce qui nous fatigue parce que c’est fatigant ; et ce qui devrait nous reposer parce que la seule idée de l’obtenir nous fatigue. »

Fernando Pessoa, Le livre de l’intranquillité §.99, p. 130

Bienvenue à nos aimables visiteurs (20)

29 samedi Nov 2014

Posted by patertaciturnus in Bienvenue aux visiteurs, Paroles et musiques

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Cad e sin don te sin, le gaélique c'est fantastique, Orla Fallon, Skara Brae

Revendication du droit à la paresse

Il existe de très nombreuses versions de cette chanson que j’ai découverte pour la première fois sur un album de Tri Yann. Je n’ai pas encore testé toutes celles que j’ai repérées, pour l’instant c’est celle de Skara Brae (ci-dessus) qui a ma préférence. Je vous en propose deux autres qui, dans un style différent, sont également à mon goût.

*

*

Chuaigh mé ‘un aonaigh is dhíol mé mo bhó
Ar chúig phunta airgid is ar ghiní bhuí óir
Má ólaim an t-airgead ‘s má bhronnaim an t-ór
Ó cad é sin don té sin nach mbaineann sin dó?

Má théim go coill chraobhach ag piocadh sméara nó cnó
‘Baint úllaí de ghéaga nó ‘bhuachailleacht bó
Má shíním seal uaire faoi chrann ag déanamh só
Ó cad é sin don té sin nach mbaineann sin dó?

Má théimse chuig airneál is rince is spórt
Chuig aonach is rásí’s gach cruinniú den tsórt
Má chím daoine súgach ‘s má bhím súgach leo
Ó cad é sin don té sin nach mbaineann sin dó?

Deir daoine go bhfuil mé gan rath is gan dóigh
Gan earra gan éadáil, gan bólacht ná stór
Má tá mise sásta ‘bheith’ mo chónaí i gcró
Ó cad é sin don té sin nach mbaineann sin dó?

Tá aithne agam ar chailín deas cheasta is cóir
A píob mar an eala ‘s a leacain mar rós
Má bhíonn sí is mise un inid faoí sheol
Ó cad é sin don té sin nach mbaineann sin dó?

Chuaigh mé ‘un aonaigh is dhíol mé mo bhó
Ar chúig phunta airgid is ar ghiní bhuí óir
Má ólaim an t-airgead ‘s má bhronnaim an t-ór
Ó cad é sin don té sin nach mbaineann sin dó?

Má ólaim an t-airgead ‘s má bhronnaim an t-ór
Ó cad é sin don té sin nach mbaineann sin dó?

*

Que diriez vous de quelques conseils pour la prononciation du gaélique et d’une traduction anglaise de la chanson?

I went to the fair and I sold my cow
For five pounds in silver and a guinea in gold
Should I drink all the money and hand out the gold
It’s nobody’s business, let them leave me alone

I could go to the woods and pluck berries or nuts
And apples from branches, even herding the cows
Should I lie ‘neath the trees for some hours in repose
It’s nobody’s business, let them leave me alone

I’d visit the neighbors for dancing and fun
Markets, the races, and gatherings galore
If I see merry people then merry we’ll be
It’s nobody’s business, let them leave me alone

They say I’m a waster and down on my luck
No goods or fine clothing, no stock or no store
Should I live in a stable contented and free
It’s nobody’s business, let them leave me alone

I know this girl, she’s kind and she’s fair
Her neck like the swan and her cheek like the rose
Should we set out together for a far-distant shore
It’s nobody’s business, let them leave me alone

I went to the fair and I sold my cow
For five pounds in silver and a guinea in gold
Should I drink all the money and hand out the gold
It’s nobody’s business, let them leave me alone

Should I drink all the money and hand out the gold
It’s nobody’s business, let them leave me alone

Mathématiques amicales

28 vendredi Nov 2014

Posted by patertaciturnus in Fantaisie

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amitié, maths

Il faut absolument que je partage cette vérité bouleversante qu’on vient de m’enseigner :

Dans un groupe, quel que soit sa taille, il y a toujours au moins deux personnes qui ont le même nombre d’amis (au sein du groupe).

C’est d’autant plus fascinant que la démonstration est suffisamment simple pour que je puisse la comprendre.

*

Pour être rigoureux il faut préciser qu’on présuppose

1) qu’on ne peut pas être ami avec soi même

2) que si A est ami avec B, alors B est ami avec A

Condensateur

27 jeudi Nov 2014

Posted by patertaciturnus in Aphorisme du jour

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écriture, Joseph Joubert

« Tourmenté par ma maudite ambition de mettre toujours tout un livre dans une page, toute une page dans une phrase et cette phrase dans un mot. C’est moi. »

Joseph Joubert, 7 février 1815, Carnets II p.485

Hypothèse

26 mercredi Nov 2014

Posted by patertaciturnus in Aphorisme du jour, Divers vers

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amitié, Edmond Jabès

« Une amitié ce n’est peut-être qu’un échange de lexique. »

Edmond Jabès, Les mots tracent, in Le Seuil

Les bonnes raisons et les autres

25 mardi Nov 2014

Posted by patertaciturnus in Choses vues ou entendues, Food for thought

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égalité, bon pour la croissance

Je propose aujourd’hui à votre méditation ce texte magnifique que m’a signalé une collègue au sein d’un document intitulé Dossier du professeur principal. Je présume que c’est copié-collé d’un document officiel car en googlant la formule on la retrouve sur des supports divers.

« L’égalité entre les hommes et les femmes est un droit fondamental, une valeur commune de l’Union européenne, et une condition nécessaire pour la réalisation des objectifs de croissance, d’emploi et de cohésion sociale de l’UE. »

*

Moi, l’égalité homme-femme, j’avoue que  j’étais pas trop pour, parce que je croyais que c’était mauvais pour la croissance. Mais je suis prêt à revoir mon jugement si on me prouve que c’est bon pour la croissance.

Raison et trahison

24 lundi Nov 2014

Posted by patertaciturnus in Lectures

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Judas Iscariote, Paul Claudel

Giotto-KissofJudas

Big bisou !

« Tout mon malheur est qu’à aucun moment je n’ai pu perdre mes facultés de contrôle et de critique. Je suis comme ça. Les gens de Carioth sont comme ça. Une espèce de gros bon sens. Quand j’entends dire qu’il faut tendre la joue gauche, et payer aussi cher pour une heure de travail que pour dix, et haïr son père et sa mère, et laisser les morts ensevelir leurs morts, et maudire son figuier parce qu’il ne produit pas des abricots au mois de mars, et ne pas lever un cil sur une jolie femme, et ce défi continuel au sens commun, à la nature et à l’équité, évidemment je fais la part de l’éloquence et de l’exagération, mais je n’aime pas ça, je suis froissé. Il y a en moi un appétit de logique, ou si vous aimez mieux une espèce de sentiment moyen, qui n’est pas satisfait. Un instinct de la mesure. Nous sommes tous comme ça dans la cité de Carioth. En trois ans je n’ai pas entendu l’ombre d’une discussion raisonnable. Toujours des textes et encore des textes, ou des miracles, ça, c’est la grande ressource ! — ou des petites histoires qui ont leur charme, je suis le premier à le reconnaître, mais qui sont entièrement à côté. Par exemple on voudrait causer un peu d’homme à homme, et tout de suite qu’est-ce qu’on vous met dans la main ? Avant qu’Abraham ne fût Je Suis. Voilà des choses qui vous tombent du ciel, si je peux dire ! qui vous cassent bras et jambes. Comment s’étonner que cela vous fasse un peu grincer des dents ? Qui es-tu donc ? explique-toi un peu à la fin! pourquoi nous balances-tu de cette manière intolérable! il faut en finir! il faut nous dire qui tu es! Et savez-vous la réponse, je l’ai entendue de mes oreilles ! Le Principe qui vous parle. Moi aussi je suis un homme de principes, mais de là à s’entendre envoyer dans la figure des choses pareilles on n’a pas le droit de parler comme ça!
Et tant qu’aux petites histoires, elles ne sont pas toutes originales, il y en a que j’‘avais lues par-ci par-là et puis à force de les entendre débiter, j’avais fini par les connaître par cœur. Dès que ça commençait j’aurais pu aller jusqu’au bout sans points ni virgules, les yeux fermés et la langue dans le coin de la joue. C’était toujours le même répertoire. Tout cela entremêlé d’injures atroces et des insinuations les plus malveillantes. Par exemple cette histoire de Lazare et de Dives que je n’ai jamais entendu raconter, et souvent à la table de Simon lui-même, sans un véritable embarras. Je ne savais où me fourrer!
C’est pour en revenir aux Pharisiens et pour vous expliquer leur situation. Il ne faut pas trop leur en vouloir. On les avait mis au pied du mur. Ou Lui, ou nous. Sa peau ou la nôtre. S’il a raison, c’est nous qui avons tort. Si on Lui laisse dire ainsi ouvertement qu’Il est le Messie, c’est qu’Il L’est. Et s’Il est le Messie, alors nous; qu’est-ce que nous sommes ? qu’est-ce que nous faisons dans le paysage ? Il n’y a pas à sortir de là!
C’est pourquoi, possédant cette équité naturelle que j’ai dite, et voulant connaître l’autre côté des choses, je me suis mis à fréquenter les Pharisiens, en qui j ‘ai trouvé, je dois le dire, des gens parfaitement polis et bien élevés. A la fin j’ai eu gravement à me plaindre d’eux, mais cela ne m’empêchera pas de leur rendre justice. L’intérêt national, l’ordre public, la tradition, le bon sens, l’équité, la modération, étaient de leur côté. On trouve qu’ils ont pris des mesures un peu extrêmes, mais comme Caïphe, qui était grand cette année-là, nous le faisait remarquer avec autorité : Il est expédient qu’un homme meure pour le peuple. Il n’y a rien à répondre à ça. »

Paul Claudel, Mort de Judas, p.23 -26

Quotidienneté miraculeuse

23 dimanche Nov 2014

Posted by patertaciturnus in Lectures

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Judas Iscariote, miracle, Paul Claudel

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Aujourd’hui un deuxième extrait de La mort de Judas. Claudel y traite le thème des miracles d’une manière que je trouve très drôle.

« Vous me demandez si j’ai vu des miracles. Bien sûr que j’en ai vu. Nous ne faisions que ça. C’était notre spécialité. Les gens ne seraient pas venus à nous si nous n’avions pas fait de miracles. Les premières fois il faut avouer que ça fait impression, mais c’est étonnant comme on s’y habitue. J’ai vu les camarades qui bâillaient ou qui regardaient le chat sur un pendant que des files de paralytiques se levaient au commandement. J’ai fait des miracles moi-même tout comme les autres. C’est curieux. Mais je me permets de vous le demander en toute sincérité, qu’est-ce que ça prouve ? Un fait est un fait et un raisonnement est un raisonnement. Cela m’agaçait quelque fois. Par exemple on savait que l’éternelle question du sabbat allait être remise sur le tapis. Les gens de la synagogue m’avaient expliqué leur ligne d’argumentation, moi même je m’étais permis de leur donner quelques petits conseils, c’était passionnant. Eh bien ! à peine avait-on ouvert la séance qu’à point nommé, au moment le plus crucial, se présentait quelque cul-de-jatte qu’on remettait immédiatement sur ses pieds, et adieu la discussion ! Je ne trouve pas ça loyal. Au beau milieu des débats les plus intéressants, on entendait un bruit sur le toit, les tuiles commençaient à nous dégringoler sur la tête, c’est un mort qu’il fallait ressusciter hic et nunc! Dans ces conditions il n’y a plus de discussion possible ! C’est trop facile ! ou du moins… Enfin vous comprenez ce que je veux dire.
Au premier abord, tous ces malades qu’on guérit, ces aveugles qui voient clair, c’est magnifique! Mais moi qui restais en arrière, si vous croyez que ça allait tout seul dans les familles ! J’ai vu des scènes impayables. Ces estropiés, on en avait pris l’habitude, et voilà qu’ils réclamaient leur place ! Un paralytique qu’on a remis sur ses pieds, vous n’avez pas idée de ce que c’est ! c’est un lion déchaîné ! Tous ces morts qu’on avait découpés en petits morceaux, les voilà, recousus, qui redemandent leur substance. Si l’on n’est plus sûr même de la mort, il n’y a plus de société, il n’y a plus rien ! C’est le trouble, c’est le désordre partout. Quand notre troupe arrivait dans un village, je regardais les gens du coin de l’œil, il y en avait qui faisaient une drôle de figure.
Et les démoniaques ! il y en avait qui n’étaient pas du tout contents d’être débarrassés de leur démon ils en avaient pris l’habitude, ils y tenaient autant qu’une petite sous-préfecture tient à sa garnison, — et qui faisaient tous leurs efforts pour le ravaler. C’était à se tordre. »

Paul Claudel, La mort de Judas in Figures et paraboles,
Gallimard, 1936, p. 21 – 23

Motivations du traitre

22 samedi Nov 2014

Posted by patertaciturnus in Lectures

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Judas Iscariote, Paul Claudel

Autun,_Judas

J’ai précédemment donné un aperçu de mon goût pour les versions alternatives des récits évangéliques. Je vais, aujourd’hui encore, laisser s’exprimer cette prédilection quoique sous une forme différente des fois précédentes. Pas d’évangiles gnostiques ou de théologies hérétiques aujourd’hui, mais un texte d’un bon catholique, l’illuminé du deuxième pilier à droite de Notre Dame : Paul Claudel.

Le recueil Figures et paraboles publié en 1936 contient un texte intitulé Mort de Judas, dans lequel Judas, depuis le bout de sa corde, nous donne sa version des faits. On se doute que le propos de Claudel n’est pas de remettre en question la version catholique de l’histoire ; le procédé est plutôt un moyen indirect de s’en prendre aux idées modernes qui détournent du Christ. On devine bien qui est visé, par exemple, lorsque Judas nous explique comment il a cherché à dissiper ses remords après sa trahison :

« J’avais pour me consoler cette forte maxime que l’ami dont je vous parlais tout à l’heure m’avait inculquée : Agis toujours de manière que la formule de ton acte puisse être érigée en maxime universelle. »  

Je compte citer – et peut-être commenter – plusieurs passages de la Mort de Judas. Aujourd’hui je me limiterai au début du texte dans lequel Judas expose ses motivations : non pas les motivations de sa trahison (il en sera question plus loin) mais celles qui l’ont poussé à suivre Jésus. Il est vrai, cependant, qu’on pourrait défendre l’idée que les motivations de son engagement originel ne sont pas sans rapport avec les motivations de sa trahison ultérieure : à défaut de rendre celle-ci inéluctable elles l’auraient du moins rendu possible.

« On ne peut vraiment pas dire que chez moi ç’ait été ce que les gens appellent un feu de paille. Ni un enthousiasme puéril qui m’ait entraîné, ni un sentiment que je ne vois guère moyen de qualifier autrement que de « sentimental ». C’était quelque chose d’absolument sérieux, un intérêt profond. Je voulais en avoir le cœur net, je voulais savoir où Il allait. De son côté, quand Il m’a appelé, je suis bien forcé de supposer que distinctement Il savait ce qu’Il faisait. Pour Le suivre sans hésiter j ‘ai sacrifié ma famille, mes amis, ma fortune, ma position. Il y a toujours eu chez moi une espèce de curiosité scientifique ou psychologique, appelez ça comme vous voudrez, et en même temps un goût d’aventure et de spéculation. Toutes ces histoires de perle inestimable de domaines mystérieux on ne sait où qui rapportent cent pour un, de Royaume imminent dont les charges nous seront distribuées, il faut avouer que tout cela était de nature à enflammer dans le cœur d’un jeune homme les plus nobles ambitions. J’ai mordu à l’hameçon. D’ailleurs je ne suis pas le seul à m’être laissé prendre. Il y avait tous ces bons râcleurs de poissons. Mais d’autre part je voyais des personnalités abondantes et considérées comme Lazare, des femmes du monde, des autorités en Israël comme Joseph et Nicodème, se prosterner à Ses pieds. On ne sait jamais. Après tout, depuis que les Romains sont arrivés, on peut dire que l’on en a vu de toutes les couleurs. Moi, j’ai voulu savoir au juste ce qu’il en était et suivre la chose de bout en bout. »

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