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On pourrait qualifier d’absolutiste la conception de la poésie – et plus généralement de l’art – qui est exprimée dans ce passage des Années d’apprentissage de Wilhelm Meister que j’ai cité dimanche dernier :
« Parce qu’un poème doit être parfait ou ne pas être ; parce que tout homme qui n’a pas les dons nécessaires pour exceller dans les arts devrait s’en abstenir et se mettre sérieusement en garde contre la tentation. »
La critique de cette conception absolutiste la plus percutante que je connaisse est formulée par Witold Gombrowicz dans son roman Ferdydurke.
Que souhaite avant tout celui qui, à notre époque, a ressenti l’appel de la plume, ou du pinceau, ou de la clarinette ? Il souhaite avant tout être un artiste. Créer de l’Art. Il rêve de se nourrir du Vrai, du Beau et du Bien, d’en nourrir ses concitoyens, de devenir un prêtre ou un prophète offrant les trésors de son talent à l’humanité assoiffée. Peut-être veut-il aussi mettre son talent au service d’une idée ou de la Nation. Nobles buts ! Magnifiques intentions ! N’était-ce pas le rôle des Shakespeare, des Chopin ? Considérez cependant qu’il y a un petit ennui : vous n’êtes pas encore des Chopin ni des Shakespeare, et vous n’êtes pas encore pleinement artistes ni grands prêtres de l’art, et dans la phase actuelle de votre évolution vous n’êtes encore que des Demi-Shakespeare ou des Quarts de Chopin (oh, ces affreuses parties !), et par conséquent votre attitude prétentieuse révèle seulement votre triste infériorité, et l’on dirait que vous voulez monter de force sur le socle du monument en risquant d’abîmer vos plus précieuses et vos plus délicates parties du corps.
Croyez-moi : il existe une grande différence entre l’artiste qui s’est réalisé et la masse des demi-artistes et quarts de prophètes qui rêvent seulement à leur réalisation. Et ce qui convient à un artiste pleinement accompli donne, chez vous, une tout autre impression. Au lieu de créer des conceptions à votre propre mesure et selon votre propre vérité, vous vous parez des plumes du paon et voilà pourquoi vous restez des apprentis, toujours maladroits, toujours derrière, esclaves et imitateurs, serviteurs et admirateurs de l’Art qui vous laisse dans l’antichambre.[…]
Mais alors, demanderez-vous, quelle conception devons-nous adopter pour pouvoir nous exprimer de façon plus souveraine et mieux adaptée à notre vérité personnelle?
— Messieurs, il ne vous est pas possible de vous transformer soudain, d’un jour à l’autre, en maîtres accomplis, mais vous pourriez préserver dans une certaine mesure votre dignité en vous éloignant de cet Art qui vous cuculise et vous cause tant de soucis. Pour commencer, rejetez une fois pour toutes le mot « art » et le mot « artiste ». Cessez de vous plonger dans ces vocables et de les ressasser avec monotonie. Ne peut-on pas penser que chacun est plus ou moins artiste ? Que l’humanité crée de l’art non seulement sur le papier ou sur la toile, mais à chaque moment de la vie quotidienne ? Quand une jeune fille se met une fleur dans les cheveux, quand une plaisanterie surgit au cours d’une conversation, quand nous nous perdons dans le clair-obscur d’un crépuscule, tout cela n’est-il pas de l’art ? Pourquoi donc cette division étrange et sotte entre les artistes et le reste des humains ? Ne serait-ce pas plus sain si, au lieu de vous qualifier fièrement d’artistes, vous disiez simplement : « Moi, je m’occupe peut-être d’art un peu plus que les autres » ?
Moi je préfère le credo de Breton.
Je ne vois pas précisément à quel texte vous faites référence. Vous pourriez préciser ?
Mille pardons ! J’ai vérifié : c’est Ducasse : »La poésie doit être faite par tous, non par un ».
De façon générale, si vous êtes lassé par mes erreurs, approximations, et par la brièveté de mes « commentaires », dites-le moi, je comprendrai très bien. J’arrêterai. Pour moi, c’est du « temps volé » à mes multiples tâches : celle d’épouse, mère, grand-mère, ménagère, cuisinière, jardinière, syndic, …
Je ne vais sûrement pas décourager la commentatrice la plus fidèle de ces derniers mois.
Pour revenir sur le contenu, quelle différence vous voyez entre l’esprit du propos de Gombrowicz et celui de Lautréamont ?