Étiquettes

,

Emmanuel Kant — Wikipédia

Comment célébrer le trois-centième anniversaire de la naissance de Kant ?

Pourquoi ne pas rappeler les belles choses qu’il a écrites sur la naissance ?

Commençons par rappeler ses considérations sur le cri du nouveau né.

« Le cri de l’enfant qui vient de naître n’a pas le ton de la plainte, mais de l’indignation et de la colère qui explose ; ce n’est pas qu’il ait mal, mais il est contrarié ; probablement  parce qu’il veut se mouvoir et qu’il éprouve son impuissance comme une entrave qui lui retire sa liberté. Quelle est donc l’intention de la nature  quand elle accompagne d’un cri la naissance de l’enfant, ce qui pour lui et sa mère est le plus extrême danger dans le pur état de nature ? Cela pourrait attirer un loup ou un porc, et les exciter à dévorer l’enfant quand la mère est absente ou affaiblie par les couches. Aucune bête en dehors de l’homme tel qu’il est maintenant n’annonce ainsi son existence au moment où il naît ; et la sagesse de la nature semble l’avoir voulu ainsi pour le maintien de l’espèce. On doit donc admettre qu’aux premières époques de la nature pour cette classe d’animaux (à l’époque de la rusticité) l’enfant ne criait pas à sa naissance. Ensuite seulement  vint une seconde époque où les deux parents accédèrent à cet état de culture qui est nécessaire à la vie familiale, sans que nous sachions comment ni par le concours de quelle cause la nature a pu organiser un tel développement. réflexion qui entraîne loin, jusqu’à cette idée par exemple : est-ce qu’à cette seconde époque dans la révolution de la nature n’en doit pas succéder une troisième lorsqu’un Orang-Outang ou un Chimpanzé développera les organes qui servent à marcher, à manier les objets, à parler, jusqu’à la formation d’une structure humaine, contenant en son élément le plus intérieur un organe pour l’usage de l’entendement et se développant peu à peu par une culture sociale. »

Emmanuel Kant, Anthropologie du point de vue pragmatique
trad. Michel Foucault, Vrin, p. 166

Après ce texte étonnant, les développements de Kant sur le statut juridique du nouveau né risquent de sembler bien convenues.

« Tout comme du devoir de l’homme envers lui-même, c’est-à-dire envers l’humanité qui réside en sa personne, il est résulté pour les deux sexes le droit (jus personale) de s’acquérir réciproquement comme personnes par le mariage d’une manière réelle, de même il résulte de la procréation qui est l’œuvre de cette communauté le devoir d’élever les fruits qui en naissent et de leur donner les soins qu’ils exigent ; c’est-à-dire que les enfants, comme personnes, ont aussi par là originairement, comme un avantage inné (non comme une chose transmise héréditairement), droit aux soins de leurs parents, jusqu’à ce qu’ils soient capables de se conserver eux-mêmes, et ce droit leur est immédiatement accordée par la loi (lege), sans qu’il soit besoin d’acte juridique particulier.

En effet, comme le fruit produit est une personne et qu’il est impossible de s’expliquer par une opération physique la production d’un être doué de liberté c’est, au point de vue pratique, une idée tout à fait juste et même nécessaire que de considérer la procréation comme un acte par lequel nous avons mis au monde une personne sans son consentement et d’une façon tout arbitraire, et qui nous impose l’obligation de lui rendre aussi agréable que nous le pouvons faire cette existence que nous lui avons donnée. — Les parents ne peuvent détruire leur enfant, comme si c’était une œuvre mécanique (car on ne peut considérer ainsi un être doué de liberté) et leur propriété, ni même l’abandonner au hasard ; car ce n’est pas seulement une chose mais un citoyen du monde qu’ils ont produit, et l’existence qu’ils lui ont donnée ne peut, suivant les idées du droit, leur être indifférente. »

Métaphysique des moeurs – Doctrine du droit, §. 28, trad. Barni

Mais, pour notre plus grande joie, ce texte est accompagné d’une note qui expose le problème métaphysique de l’engendrement d’êtres libres (plus précisément, la note est associée à ce passage : « En effet, comme le fruit produit est une personne et qu’il est impossible de s’expliquer par une opération physique la production d’un être doué de liberté »).

« On ne conçoit pas comment il est possible que Dieu crée des êtres libres ; car, à ce qu’il semble, toutes leurs actions futures, étant prédéterminées par ce premier acte, seraient comprises dans la chaîne de la nécessité physique, et par conséquent ne seraient pas libres. Mais l’impératif catégorique prouve, au point de vue moralement pratique, que nous sommes libres (nous autres hommes). C’est là comme une décision souveraine rendue par la raison, quoiqu’elle ne puisse nous faire comprendre, au point de vue théorétique, la possibilité de ce rapport de cause à effet, parce que les deux termes sont ici supra-sensibles. — Tout ce que l’on peut exiger d’elle, c’est qu’elle prouve qu’il n’y a point de contradiction dans le concept d’une création d’êtres libres ; et c’est ce qu’elle peut très-bien faire, en montrant que la contradiction n’a lieu que quand on introduit (ce qu’il faudrait réellement faire pour donner au concept de cause de la réalité objective au point de vue théorétique) dans un rapport de choses supra-sensibles, avec la catégorie de la causalité, la condition du temps, condition qui est inévitable relativement aux objets des sens (puisque la raison d’un effet doit être antérieure à cet effet), mais que cette contradiction s’évanouit, quand, au point de vue moralement pratique, par conséquent à un point de vue qui n’est pas sensible, on dégage dans le concept de la création la catégorie de tout élément sensible (on n’y subsume aucun schème).
Le jurisconsulte philosophe ne regardera pas comme de vaines subtilités, s’égarant dans une obscurité gratuite, ces recherches, poussées dans la métaphysique des mœurs jusqu’aux derniers éléments de la philosophie transcendentale, s’il réfléchit à la difficulté du problème à résoudre et en même temps à la nécessité de donner en ce point satisfaction aux principes du droit. »