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On peut éclairer le poème de Kunze cité hier avec un détail biographique qui est rapporté dans la Préface d’Emmanuel Terray au recueil Un jour sur cette terre : il s’agit des conditions de la rencontre de Reiner Kunze, alors citoyen de RDA, avec sa future épouse Elisabeth Littnerová. Voici le récit qu’en fait le poète :
« Sur une carte postale adressée à Radio-Leipzig, une dame d’Usti Nad labem (Aussing-an-der-Elbe) [en Tchécoslovaquie] demande un jour un poème d’un certain « Kunz », entendu au cours d’une émission. Je pensai que la dame pouvait être une Allemande d’un certain âge, ou bien une germaniste, car la carte était rédigée dans un allemand impeccable. J’envoyai le poème et reçu une lettre de quatre pages. La dame avait mon âge, elle était tchèque et médecin. Il s’ensuivit une correspondance qui devait atteindre le chiffre fabuleux de 400 lettres, dont certaines avaient jusqu’à 25 pages. Nous échangeâmes aussi nos photographies et ma correspondante – trait typiquement humain – m’en envoya une où elle avait dix-sept ans (et cette photo est bien le portrait le plus désavantageux qu’on puisse se faire d’elle). Mais cela m’était égal, à quoi ressemblait cette femme. Sans jamais l’avoir vue, car en ce temps là il n’était pas possible de voyager au-delà de la frontière à titre individuel, je l’appelai une nuit au téléphone et lui demandai si elle voulait être ma femme. Elle me répondit oui sans hésitation. Quand par la suite je réussis à me rendre à Prague pour un voyage collectif de trois jours, je me trouvais devant une femme indiciblement belle et charmante, tandis qu’elle m’avoua plus tard que pour sa part elle m’avait reconnu au long pardessus démodé que je portais sur la photo. Je suis donc entré par mariage en Tchécoslovaquie, à moins que je me la sois « annexée » par alliance … »
Pour compléter l’histoire on peut ajouter que c’est la réaction de Kunze à l’invasion de la Tchécoslovaquie en août 1968 qui lui attirera les persécutions du régime est-allemand … jusqu’à ce qu’il se réfugie à l’ouest avec sa femme en 1977.
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J’espère que me sera pardonné le double crime que je viens de commettre : le crime de biographisme qui consiste à expliquer une œuvre à partir de la biographie de l’auteur (disons que je me suis contenté de suggérer une telle explication), et le crime de sentimentalisme.