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« Blasphémer, pour ces types à l’ancienne qui ne sont pas tout à fait convaincus que Dieu n’existe pas mais qui, tout en se fichant de lui, le sentent de temps en temps entre leur chair et leur peau, est une belle activité. Une crise d’asthme et l’homme se met à blasphémer avec rage et ténacité : avec l’intention très nette d’offenser ce Dieu éventuel. Il pense que, après tout, s’il existe, chaque blasphème est un coup de marteau sur les clous de la croix et un peu de chagrin fait à Dieu. Ensuite, Dieu se vengera — c’est son système — il créera un chaos diabolique, il enverra d’autres malheurs, il vous mettra en enfer, mais même s’il bouleverse le monde, personne ne lui enlèvera le chagrin qu’il a éprouvé, les coups de marteau dont il a souffert. Personne ! C’est une belle consolation. Et, bien sûr, cela démontre qu’après tout, ce Dieu n’a pas songé à tout. Pensez donc, il est le maître absolu, le tyran, le tout ; l’homme est une merde, un rien du tout, et pourtant l’homme a cette possibilité de le faire mettre en colère, de le mécontenter et de lui gâter un instant de sa bienheureuse existence. C’est vraiment là le « meilleur témoignage que nous puissions donner de notre dignité » [1]. Comment se fait-il que Baudelaire n’ait jamais écrit un poème là-dessus ? »
Cesare Pavese, Le métier de vivre, 6 décembre 1935
[1]Dernier quatrain des Phares de Baudelaire.
Du blasphème des « types à l’ancienne » évoqué dans ce texte, il faut distinguer le blasphème plus courant aujourd’hui, celui des types tout à fait convaincu que Dieu n’existe pas. Pour les uns le blasphème est une affaire entre eux et Dieu (ou entre eux et Dieu en eux si l’on préfère), pour les autres une affaire entre eux et les croyants.