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Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

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Archives de Tag: Theodor Adorno

Fausse profondeur

26 mardi Avr 2022

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Marcel proust, profondeur, Theodor Adorno

« Quand Jean Christophe, car c’est de lui que je parle, cesse de parler, M. Romain Rolland continue à entasser banalités sur banalités […] Aussi cet art est-il le plus superficiel, le plus insincère, le plus matériel (même si son sujet est l’esprit, puisque la seule manière pour qu’il y ait de l’esprit dans un livre, ce n’est pas que l’esprit en soit le sujet mais l’ait fait. Il y a plus d’esprit dans le Curé de Tours de Balzac que dans son caractère du peintre Steinbock), et aussi le plus mondain. Car il n’y a que les personnes qui ne savent pas ce que c’est que la profondeur et qui, voyant à tout moment des banalités, des faux raisonnements, des laideurs, ne les aperçoivent pas mais s’enivrent de l’éloge de la profondeur, qui disent  : «  Voilà de l’art profond  !   », de même que quand quelqu’un dit tout le temps  : «  Ah  ! moi je suis franc, moi je n’envoie pas dire ce que je pense, tous nos beaux messieurs sont des flatteurs, moi je suis un rustre  », et fait illusion aux gens qui ne savent pas, un homme délicat sait que ces déclarations n’ont rien à voir avec la vraie franchise en art. C’est comme en morale  : la prétention ne peut être réputée pour le fait. »

Marcel Proust, Contre Sainte-Beuve, Folio essais, p 302

« Celui qui parle de profondeur n’en devient pas plus profond qu’un roman devient  métaphysique quand il relate les opinions métaphysiques d’un personnage. Réclamer de la philosophie qu’elle aborde la question de l’être ou d’autres thèmes principaux de la métaphysique occidentale, c’est nourrir une croyance primitive en la vertu du sujet traité. Elle ne peut certes se dérober à la dignité objective de ses thèmes, mais rien ne lui garantit qu’elle y satisfasse en traitant les grands sujets. »

Theodor Adorno, Dialectique négative, p. 21

Teneur chosale ou pantalon ?

28 lundi Mar 2022

Posted by patertaciturnus in Lectures

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existentialisme, Theodor Adorno, Witold Gombrowicz

Le premier épisode de la confrontation entre Gombrowicz et Adorno postait sur la culture, l’épisode du jour portera sur la critique de l’existentialisme.

« Les orientations qui portent comme devises des dérivés de l’existere latin voudraient en appeler à l’effectivité de l’expérience vivante contre la science particulière aliénée. Par peur de la réification, elles recu­lent devant ce qui a une teneur chosale. En sous-main, cela devient pour elle un exemple. Ce qu’elles soumettent à  l’ἐποχή se venge d’elles en imposant sa puissance derrière le dos de la philosophie, dans les décisions qui pour elle sont irrationnelles. Le penser expurgé de contenus chosaux n’est pas supérieur à la science particulière dépourvue de concepts ; toutes ces versions tombent pour une seconde fois précisément dans ce formalisme qu’elles combattent au nom de l’intérêt essentiel de la philosophie. Ce formalisme est rempli après coup d’emprunts contingents provenant particulièrement de la psychologie. L’intention de existentialisme, du moins dans sa forme française radicale, serait réalisable non dans la distance aux contenus chosaux mais dans leur  proximité menaçante. On ne saurait surmonter la séparation entre le sujet et l’objet par la réduction à l’essence de l’homme, quand bien même cette essence serait celle de l’individuation absolue. »

Theodor Adorno, Dialectique négative, p. 47

*

« Je n’étais peut-être pas tellement loin de choisir une existence qu’ils appellent authentique — au rebours de la vie légère de l’instant, cette vie qu’ils disent banale —, de la choisir, si grande est la pres­sion universelle de l’esprit de sérieux. Dans les temps rudes que nous sommes en train de vivre, il n’existe ni pensée ni art qui ne vous appelle à grande voix : voyons, ne t’esquive pas, n’élude pas, accepte le jeu décisif, assume ta responsabilité ; surtout ne plai­sante pas, ne fuis pas, ne te défile pas ! Bon, mais moi, je voulais tout de même essayer de ne pas me mentir au sujet de ma propre existence. Alors, je me mis en devoir d’essayer cette vie authentique et d’user d’une loyauté absolue vis-à-vis de l’existence. Eh bien non, ça n’allait pas, car cette authenticité se révélait encore plus mensongère que tout l’arsenal de mes bonds, sauts, feintes et cabrioles pris ensemble. Avec mon tempérament d’artiste, si je ne m’y connais guère en théorie, je possède pas mal de flair quand il s’agit de style. Lorsque, pour vivre, j’eus recours au maximum de conscience, en essayant d’établir mon existence en elle, je m’aper­çus qu’il m’arrivait quelque chose de stupide. Rien à faire! rien ne marchait. Il est absolument impossible de se plier aux exigences de l’« existence authen­tique », et de prendre en même temps son café-crème avec des croissants au goûter — non, il n’est pas possible de concilier la « conscience définitive » avec le fait qu’on circule en pantalon et qu’on parle au téléphone. Vous pouvez inventer tout ce que vous voudrez, mettre ce machin à toutes les sauces, il y a là quelque chose d’irréconciliable.

Mais attention, ici, essayons de nous entendre, Si je me plains, ce n’est pas tant à cause des difficultés relevant de la réalisation, de la « mise en œuvre » de cette philosophie, attitude excessivement naïve eu égard au genre de la pensée existentialiste, qui n’est pas pensée sur l’existence, mais fonde et établit cette existence. Pour l’artiste que je suis, peut-être même n’y a-t-il pas là de philosophie au sens propre. Moi, quand je parle de l’opposition irrémédiable entre l’« existence authentique » et le café-crème de notre goûter, c’est plutôt à l’expérience intérieure que je fais allusion, celle qui en chacun de nous précède le fait du penser philosophique et le rend possible, — oui, je pense à l’aiguillage préliminaire, qui, des rails du quotidien, nous fait passer sur la voie définitive. Ah, merveilleux savants ! malgré tous les in-folios pondus, cette opposition, ce hiatus, cette plaie demeure en moi aussi béante et criante, aussi crue que si vous ne m’aviez rien appris du tout. Vaines sont vos formules et toutes vos belles paroles! Com­ment concilier, comment relier le définitif au quoti­dien? que faire pour nous implanter dans le défini­tif? et sous quelle forme? Voici que M. Sartre se lève pour m’assurer que la chose est faisable par le tru­chement, disons, de la phénoménologie. Je le toise, moi, du regard et me remets à chercher, et je me redemande comment accorder ces dires sartriens avec le simple fait qu’il porte un pantalon? Oui, comment passer sur ce moment capital de son évolution où, du Sartre normal et porteur d’un pantalon, est né justement un philosophe ?… Cet instant me chagrine et m’humilie en Sartre autant qu’en moi-même. Autrement dit, quoi qu’on dise ou qu’on écrive, moi artiste, je ne peux m’empêcher d’apporter, à chercher l’homme ordinaire dans le philosophe, la même passion que le philosophe apporte à chercher l’« existence authentique » dans l’homme ordinaire.

Witold Gombrowicz, Journal I, p. 397 – 398

*

Un texte qui parle de « teneur chosale » a lui même moins de teneur chosale qu’un texte qui parle de pantalon. Etonnant, non ?

Culture « tas d’ordure » vs Culture violentée

23 mercredi Mar 2022

Posted by patertaciturnus in Lectures

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culture, Theodor Adorno, Witold Gombrowicz

« Auschwitz a prouvé de façon irréfutable l’échec de la culture. Que cela ait pu arriver au sein même de toute cette tradition de philosophie, d’art et de sciences éclairées ne veut pas seulement dire que la tradition, l’esprit, ne fut pas capable de toucher les hommes et de les transformer. Dans ces sections elles-mêmes, dans leur prétention emphatique à l’autarcie, réside la non vérité. Toute culture consécutive à Auschwitz, y compris sa critique urgente, n’est qu’un tas d’ordures. En se restaurant après ce qui s’est passé sans résistance dans son paysage, elle est totalement devenue cette idéologie qu’elle était en puissance depuis qu’en opposition à l’existence matérielle, elle se permit de lui conférer la lumière dont la séparation de l’esprit et du travail corporel la priva. Qui plaide pour le maintien d’une culture radicalement coupable et minable se transforme en collaborateur, alors que celui qui se refuse à la culture contribue immédiatement à la barbarie que la culture se révéla être. Pas même le silence ne sort de ce cercle ; il ne fait, se servant de l’état de la vérité objective, que rationaliser sa propre incapacité subjective, rabaissant ainsi de nouveau cette vérité au mensonge. Si les états de l’est ont en dépit d’un verbiage affirmant le contraire, liquidé la culture et comme pur moyen de domination, l’ont métamorphosée en camelote, il arrive à la culture que cela fait geindre, ce qu’elle mérite et ce vers quoi pour sa part elle tend ardemment au nom du droit démocratique des hommes à disposer de ce qui leur ressemble. Seulement, du fait qu’elle se targue d’être une culture et qu’elle conserve sa monstruosité (Unwesen) comme un héritage qui ne peut se perdre, la barbarie administrative des fonctionnaires de l’Est se voit convaincue de ce que sa réalité, l’infrastruc­ture, est pour sa part aussi barbare que la superstructure qu’elle démolit en en prenant la régie. A l’Ouest on a au moins le droit de le dire. »

Theodor Adorno, Dialectique négative, p. 287 – 288

*

« Une question m’intéresse : jusqu’à quel point leurs sinistres expériences peuvent-elles assurer aux écrivains de l’Est une quelconque supériorité sur leurs collègues de l’Ouest ? Il est en effet certain que, du fait de leur chute, ils sont d’une certaine manière, et qui leur est propre, supérieurs à l’Occident, et Milosz fait plus d’une fois ressortir la force et la sagesse spécifiques qu’une telle école de mensonge, de terreur et de déformation méthodiques peut dispenser à ses disciples. Milosz, d’ailleurs, illustre fort bien lui-même cette évolution particulière : son verbe tranquille et coulant, qui examine — avec quelle mortelle sérénité ! — ce qu’il décrit, a je ne sais quel goût de maturité qui diffère tout de même un peu de celle qui a cours en Occident. Je dirais que Milosz dans son ouvrage lutte sur deux fronts : pour lui, il s’agit non seulement de condamner l’Est au nom de la culture occidentale, mais aussi d’imposer à l’Ouest la vision bien distincte qu’on vient d’y vivre ainsi que sa nouvelle expérience de l’univers. […] Milosz lui-même a dit un jour quelque chose d’analogue : d’après lui, la différence entre un intellectuel occidental et son confrère, des pays de l’Est est que, des deux, le premier n’a point reçu une bonne raclée sur le derrière. Aux termes de cet aphorisme, notre atout (car je m’inclus clans le second groupe) serait de représenter une culture violentée, partant plus proche de la vie. Mais Milosz est le premier à connaître les limites de cette vérité — et il serait vraiment lamentable de voir notre prestige s’établir exclusivement sur un fondement ainsi fustigé. Ayant reçu une raclée, elle n’est plus dans son état normal ; or, la philosophie, les lettres et les arts doivent malgré tout être plutôt au service de gens dont personne n’a brisé les dents, déboîté la mâchoire ou mis les yeux au beurre noir. Et voyez seulement comment Milosz s’efforce malgré tout d’adapter sa sauvagerie aux exigences du raffine-ment occidental. L’esprit et la chair. Il arrive que le confort maté-riel exalte la vigilance de notre âme et qu’à l’abri de rideaux douillets, dans l’étouffante atmosphère d’un intérieur bourgeois, naisse une rigueur dont n’auraient même pas rêvé ceux qui se jetaient contre les blindés avec des bouteilles d’essence. Aussi notre culture violentée ne pourrait-elle être utile qu’à la condition d’être une chose bien digérée, assimilée, la forme nouvelle d’une véritable culture, un apport dûment médité et organisé de la Pologne à l’esprit universel. »

Witold Gombrowicz, Journal I, Folio p. 37 – 38

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