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Archives de Tag: sincérité

Goethe vs la langue française – saison 3

15 samedi Mai 2021

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Goethe, hypothèse Sapir Whorf, langue, langue française, perfidie, sincérité

J’ai récemment cité les propos de Goethe, dans sa correspondance avec Schiller, qui accusent la langue française de superficialité.

Mais les lecteurs fidèles se souviennent peut-être que j’avais précédemment cité des extraits des Maximes et réflexions dans lesquels Goethe utilise la langue française comme point de comparaison pour parler de la langue des mathématiques. 

En parcourant mes notes de lecture de Wilhelm Meister je viens de me rendre compte que j’avais relevé un passage qui lui aussi fait un sort à la langue française.

« —Je n’assisterai à aucune de ces lectures, lui dit-elle. Comment pourrais-je écouter et juger, quand mon cœur est brisé? Je hais la langue française de toute mon âme.

— Comment peut-on, dit Wilhelm, être l’ennemi d’une langue à laquelle on doit la plus grande partie de sa propre culture, et à laquelle nous aurons bien des obligations encore, avant que notre caractère soit formé ?

— Ce n’est pas un préjugé, répondit Aurélie. Une impression funeste, un odieux souvenir de mon infidèle ami, m’a ôté le goût de cette langue si belle et si parfaite. Comme je la hais maintenant de tout mon cœur ! Pendant le temps de notre douce liaison, il m’écrivit en allemand ; et quel allemand sincère, énergique et vrai ! Mais, lorsqu’il voulut se détacher de moi, il se mit à m’écrire en français, ce qu’il avait fait quelquefois auparavant, mais seulement par plaisanterie. Je sentis, je compris ce que cela m’annonçait. Ce qu’il rougissait de me dire dans sa langue maternelle, il pouvait l’écrire en sûreté de conscience. C’est une langue admirable pour les réserves, les réticences et le mensonge ; c’est une langue perfide ! Je ne trouve, Dieu soit loué, aucun mot allemand pour rendre perfide [1]dans toute son étendue. Notre misérable treulos n’est auprès qu’un innocent enfant. Perfide manque de foi avec jouissance, avec orgueil, avec une maligne joie. Oh ! qu’elle est digne d’envie la civilisation d’un peuple qui peut exprimer en un seul mot de si délicates nuances ! Le français est vraiment la langue du monde, digne d’être la langue universelle, afin que tous les hommes se puissent abuser et trahir à leur aise les uns les autres. Les lettres qu’il m’écrivait en français étaient encore agréables à lire ; si l’on voulait se faire illusion, on pouvait y trouver de la chaleur et même de la passion : mais, considérées de près, ce n’étaient que des phrases, des phrases maudites ! Il a détruit chez moi toute espèce de goût pour la langue, pour la littérature française, et même pour les belles et précieuses pensées que de nobles âmes ont exprimées en cette langue ; je frissonne dès que j’entends un mot de français. »

Les années d’apprentissage de Wilhelm Meister,  Livre V, chapitre 16

Goethe ne se contente pas de suggérer qu’il est plus facile de mentir dans une langue étrangère que dans sa langue maternelle, il laisse entendre (par l’intermédiaire de son personnage) que la langue française se prête particulièrement à la dissimulation. Il est amusant de constater que le paragraphe qui accuse la langue française d’affinité élective avec la perfidie est lui-même remarquablement perfide puisqu’il se plaît à médire du Français en faisant mine de reconnaître sa supériorité. On admirera particulièrement l’usage du topos « tel peuple n’a pas de mot pour telle idée », (précédemment évoqué ici) habituellement utilisé de manière dépréciative , il est ici « retourné » par Goethe, l’absence d’équivalent allemand exact du mot « perfidie » étant ici mis au crédit de l’honnêteté foncière de nos voisins d’outre-Rhin[2].

[1]En Français dans le texte original.

[2]On s’étonne encore que Rousseau ait pu écrire ses œuvres en français ; le suisse allemand n’aurait-il pas été plus approprié au chantre de l’authenticité? Sûrement une exception qui confirme l’hypothèse Sapir-Whorf !

 

Schiller vs Rousseau

14 vendredi Août 2020

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apparence, Friedrich von Schiller, Jean-Jacques Rousseau, politesse, sincérité

« Avant que l’art eût façonné nos manières et appris à nos passions à parler un langage apprêté, nos mœurs étaient rustiques, mais naturelles ; et la différence des procédés annonçait au premier coup d’œil celle des caractères. La nature humaine, au fond, n’était pas meilleure ; mais les hommes trouvaient leur sécurité dans la facilité de se pénétrer réciproquement, et cet avantage, dont nous ne sentons plus le prix, leur épargnait bien des vices.

Aujourd’hui que des recherches plus subtiles et un goût plus fin ont réduit l’art de plaire en principes, il règne dans nos mœurs une vile et trompeuse uniformité, et tous les esprits semblent avoir été jetés dans un même moule : sans cesse la politesse exige, la bienséance ordonne : sans cesse on suit des usages, jamais son propre génie. On n’ose plus paraître ce qu’on est ; et dans cette contrainte perpétuelle, les hommes qui forment ce troupeau qu’on appelle société, placés dans les mêmes circonstances, feront tous les mêmes choses si des motifs plus puissants ne les en détournent. On ne saura donc jamais bien à qui l’on a affaire : il faudra donc, pour connaître son ami, attendre les grandes occasions, c’est-à-dire attendre qu’il n’en soit plus temps, puisque c’est pour ces occasions mêmes qu’il eût été essentiel de le connaître.

Quel cortège de vices n’accompagnera point cette incertitude ? Plus d’amitiés sincères ; plus d’estime réelle ; plus de confiance fondée. Les soupçons, les ombrages, les craintes, la froideur, la réserve, la haine, la trahison se cacheront sans cesse sous ce voile uniforme et perfide de politesse, sous cette urbanité si vantée que nous devons aux lumières de notre siècle. »

Jean Jacques Rousseau, Discours sur les sciences et les arts

*

« En conséquence, si l’on pose la question de savoir « dans quelle mesure l’apparence a une place légitime dans le monde moral », on répondra en peu de mots : dans la mesure où elle est apparence esthétique, c’est-à-dire apparence qui ne prétend pas remplacer la réalité et n’a pas besoin d’être remplacée par elle. L’apparence esthétique ne peut en aucun cas être un danger pour la vérité des mœurs et, dans les cas où l’on juge qu’il en va autrement, il sera aisé de montrer que l’apparence n’était pas esthétique. Pour prendre un exemple, seul un homme qui est étranger à l’art des bienséances prendra des protestations de politesse, qui sont une forme universelle, pour des signes de sympathie personnelle, et se plaindra, s’il vient à être déçu, qu’on ait usé de dissimulation. Par contre seul un homme qui est un [349] balourd dans l’art des bienséances devra pour être poli appeler la dissimulation à son aide et flatter pour plaire. Au premier il manque encore le sens de l’autonomie dans l’apparence ; c’est pourquoi il ne peut donner de signification à cette dernière que par un contenu de vérité ; le second manque de réalité et il aimerait à y suppléer par l’apparence.

Rien n’est plus habituel que d’entendre certains critiques vulgaires du temps présent se plaindre que tout sérieux ait disparu du monde et que l’être soit négligé pour l’apparence. Je ne me sens nullement appelé à justifier notre époque à l’égard de ce reproche ; cependant l’ampleur même que ces austères censeurs donnent à leur accusation atteste à satiété qu’ils tiennent rigueur à notre temps non seulement de l’apparence improbe, mais aussi de celle qui est sincère ; et même s’il leur arrive de faire certaines exceptions en faveur de la beauté, elles concernent l’apparence mesquine plutôt que l’apparence autonome. Ils ne s’en prennent pas seulement au maquillage mensonger qui dissimule la vérité et prétend se substituer à la réalité ; leur zèle s’exerce également contre l’apparence bienfaisante qui garnit ce qui est vide et recouvre ce qui est misérable, et aussi contre l’apparence idéale qui ennoblit une réalité commune. L’hypocrisie des mœurs offense à juste titre leur austère sentiment de la vérité ; il est regrettable toutefois que la politesse fasse à leur yeux partie de cette hypocrisie. Il leur déplaît qu’un éclat extérieur emprunté obscurcisse fort souvent le vrai mérite ; mais ils ne sont pas moins contrariés que l’on demande au mérite d’avoir lui aussi de l’apparence et que l’on ne dispense pas le contenu intérieur d’une forme qui plaise. Ils déplorent que nous n’ayons plus ce qu’il y avait de cordial, de robuste et de qualités de bon aloi dans les temps passés, mais ils voudraient aussi que l’on fît revivre ce qu’il y avait d’anguleux et de rude dans les mœurs primitives, de lourdeur dans les formes anciennes et la superfluité gothique d’autrefois. Des jugements de cette espèce témoignent qu’ils ont pour la matière considérée en elle-même une estime qui n’est pas digne de l’humanité, car celle-ci ne doit au contraire apprécier la matière que dans la mesure où elle est capable de recevoir une forme et de manifester amplement le monde des Idées. Le goût du siècle n’a donc pas besoin de prêter grande attention aux voix de ces censeurs pourvu qu’il puisse d’autre part se justifier devant une juridiction meilleure. »

Friedrich von Schiller, Vingt-sixième lettre sur l’éducation esthétique de l’humanité

Marivaux vs Rousseau

09 dimanche Août 2020

Posted by patertaciturnus in Lectures

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Claude Romano, Marivaux, sincérité

« Entendez-vous, Messieurs les véridiques, ne nous vantez point tant votre caractère, je n’en voudrais pas, moi ; vous n’êtes que des hypocrites aussi, avec cette haine vigoureuse dont vous faites profession contre certains défauts ; et des hypocrites peut-être plus haïssables que les autres : car sous ce beau prétexte d’antipathie vertueuse sur ce chapitre, vous ne trouvez personne à votre gré, vous satirisez tout le monde, aussi bien l’imposteur qui joue des vertus qu’il n’a pas, que l’honnête homme qui les a ; vous êtes ennemis déclarés de tous les honneurs d’autrui ; vous n’en voudriez que pour vous ; tout ce qui est loué et estimé vous déplaît : et je ne suis point votre dupe ; laissez les gens en paix, souffrez la vertu, pardonnez aux autres hommes leur vanité, elle est plus supportable que la vôtre, elle vit du moins avec celle de tout le monde ; les autres hommes ne sont que ridicules, et vous par-dessus le marché vous êtes méchants ; ils font rire, et vous, vous offensez ; ils ne cherchent que notre estime, et vous ne cherchez que nos affronts : est-il de personnage plus ennemi de la société que le vôtre ? »

Marivaux, L’indigent philosophe

Ce texte est cité par Claude Romano dans Être soi-même accompagné du commentaire suivant :

« Ce reproche pourrait  s’adresser à Rousseau si le premier  Discours n’était postérieur de plus de vingt ans à ce texte, et les Confessions de près de cinquante. »

Malentendu (4)

30 dimanche Déc 2018

Posted by patertaciturnus in Food for thought

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hypocrisie, rôle, sincérité

Là où tu vois de l’hypocrisie chez l’autre peut-être n’y a-t-il qu’un écart entre vos attentes quant au rôle à jouer. Tu es tenté de dire que l’autre ne fais que te jouer la comédie de l’amitié, de l’amour etc.  parce qu’il ne joue pas suffisamment bien son rôle ; mais peut-être est-il à ses propres yeux un ami ou un amoureux très convaincant.

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