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Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

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Archives de Tag: Sigmund Freud

Deuil

17 samedi Juil 2021

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deuil, Frédéric Worms, Sigmund Freud

« Dans une lettre à son ami psychiatre (fondateur de la psychiatrie phénoménologique) Ludwig Binswanger, dont il vient d’apprendre qu’il avait perdu sa fille, dix ans après que cela lui fut arrivé à lui-même, Freud va plus loin peut-être que dans tous ses autres textes sur le deuil.

Voici ce qu’il lui écrit, le 12 avril 1929, après avoir noté que l’écriture de son ami, dans les lignes où il lui apprenait son deuil, était devenue presque illisible et qu’il avait dû demander de l’aide à sa belle-soeur pour déchiffrer la « bouleversante nouvelle » :

On sait que le deuil aigu que cause une telle perte trouvera une fin, mais qu’on restera inconsolable, sans trouver jamais un substitut. Tout ce qui prendra cette place, même en l’occupant entièrement, restera toujours quelque chose d’autre. Et à vrai dire c’est bien ainsi. C’est le seul moyen que nous ayons de perpétuer un amour auquel nous ne voulons pas renoncer.

N’avait-il pas soutenu le contraire, dans Deuil et mélancolie, en opposant le deuil normal qui doit prendre fin (la « libido » s’investissant sur un autre objet après avoir douloureusement admis la perte définitive) au deuil « pathologique » (et donc « mélancolique » au sens clinique de ce terme) qui est « interminable » ? C’est bien le cas, en effet.

Mais si l’on relit de près la lettre à Binswanger, il s’agira moins d’une contradiction que d’une précision, plus importante encore, et de loin. Que dit Freud, en effet ? Non pas qu’il faille rester dans le « deuil aigu ». Au contraire, celui-ci, « on le sait », prendra fin. Le dan­ger reste la fixation aiguë sur ce qui, pour chacun, est inadmissible. Penser, repenser, ici, c’est admettre ce qui est d’abord impossible à admettre et au sens strict impen­sable : la perte définitive, le « jamais plus », le « à jamais », appliqué si cruellement à une relation qui nous était vitale au sens le plus strict du terme et nous fait littéralement éprouver — connaître — la réalité de la mort. Cette tâche, ce « travail » (expression freudienne qui a profondément marqué le siècle et parfois de façon ambiguë, perçue à tort comme normative et presque vio­lente) admettre cette réalité, est celle qui permet de vivre, de survivre d’abord, de revivre ensuite.

Ce que dit Freud ici est différent et tout aussi capital.
C’est que la fin de ce deuil aigu n’est pas incompatible avec la continuation d’une douleur « inconsolable » qu’il ne faut pas critiquer ni regretter parce qu’elle est (admirable formule) « le seul moyen de perpétuer un amour auquel nous ne voulons pas renoncer ».

Ainsi, il faut admettre les deux à la fois : la réalité de la perte, et la continuation de la souffrance, une souffrance qui marque la réalité de la perte, tout autant que de la relation qui a eu lieu ; dans notre vie qui continue, mais non pas comme si de rien n’était, en gardant ce qui en elle venait de la relation. Ni la perte ni la relation ne sont niées. Équilibre difficile, doulou­reux, mais qui est deux fois vital. De même la « libido » pourra se réinvestir, et elle en a besoin, mais elle ne pourra pas pour autant annuler son histoire, l’indivi­dualité passée de ce qui n’était pas seulement objet d’un désir, mais d’un amour. Il ne s’agit pas seulement d’une « place » à remplir : cela restera « quelque chose d’autre ».

Je ne suis pas seulement le sujet d’un désir poly­morphe et anonyme, une libido ou un « vouloir-vivre » qui ne constituerait aucune histoire individuelle. C’était lui, c’était moi. Et maintenant encore. Je pense à lui ou à elle, sans que cela ait empêché de détruire les autres pensées ; je pourrai renaître sans être obligé de m’effacer. »

Frédéric Worms, Penser à quelqu’un, Flammarion 2014, p. 158 – 160

Regarde ma vérité en face !

14 vendredi Fév 2020

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Ian Hacking, Pierre Janet, Sigmund Freud

« Je vois Freud comme poussé par un Désir ardent de la Vérité, conduite qu’illustre une deuxième différence fondamentale avec Janet[1]. Ellenberger[2] écrit que les valeurs de Freud étaient celles de l’époque romantique. Janet, pour sa part, était un rationaliste qui se situait dans la lignée du mouvement des Lumières. Cette idée est au mieux partiale. En effet, Janet était un théoricien très souple d’esprit et pragmatique, alors que Freud était un théoricien entièrement dévoué à la théorie et plutôt rigide, participant en cela à l’esprit des Lumières. Sa première théorie sur les étiologies spécifiques des névroses aurait plu aux intellectuels du dix-septième siècle. Leibniz l’aurait adorée. Freud a sa vie durant aspiré à de telles théories, et, comme beaucoup de théoriciens entièrement dévoués à leur théorie, a probablement refusé de reconnaître certaines évidences en leur préférant la théorie. Freud avait pour valeur un engagement passionné pour la Vérité, pour la Vérité sous-jacente profonde.  Cet engagement idéologique est tout à fait compatible – et peut même l’exiger – avec le mensonge éhonté. Le but ressenti affectivement est d’atteindre la Vérité par n’importe quels moyens.

Janet n’était pas animé par un tel Désir de Vérité. C’était un homme intègre, et (nous pourrions dire « par conséquent »)  n’avait pas un sens exagéré de la Vérité. Il s’occupait des névroses causées par des traumas en convainquant le patient que le trauma n’avait jamais eu lieu.  Il faisait cela par suggestion et hypnose chaque fois qu’il le pouvait. Prenons comme exemple une de ses premières patientes, qui à l’âge de six ans fut obligée de dormir à côté d’une fillette souffrant d’un terrible impétigo sur le côté du visage. Sa patiente se couvrait de marques hystériques, et éprouvait une perte de sensibilité allant jusqu’à l’aveuglement sur ce côté du visage. Aussi Janet usa-t-il de l’hypnose pour suggérer à sa patiente qu’elle était en train de caresser le visage joli et doux de la fillette qui était allongée à son côté quand elle avait six ans. Tous les symptômes, y compris l’aveuglement partiel, disparurent. Janet guérit sa patiente en lui disant un mensonge, et en la poussant à le croire. Il procéda de la sorte maintes et maintes  fois avec ses patients – leur faisant croire ce que lui-même savait être un mensonge. […]

Freud était tout le contraire de Janet. Ses patients devaient voir la vérité en face – comme lui-même la voyait. Rétrospectivement, il n’y a aucun doute possible sur le fait que Freud s’est très souvent trompé, à cause de son complet dévouement à la théorie. Un demi-siècle de recherche freudienne nous a enseigné que Freud a fait croire à ses patients des choses sur eux-mêmes qui étaient fausses, des choses si bizarres que seul le théoricien le plus fanatique pouvait en avoir l’idée. Mais rien ne permet de penser que Freud ait fait croire à ses patients, de manière systématique, comme une méthode de thérapie, ce que lui-même savait être des mensonges. Janet dupait ses patients, Freud se dupait lui-même.

Ainsi nous sommes en présence d’un étrange paradoxe. Janet n’était pas, comme l’affirmait Ellenberger, un homme des Lumières. C’était un homme intègre de la Troisième République, incarnant ce que les Anglais appellent les vertus victoriennes. Il n’y a aucune raison de penser qu’il mentait à ses pairs, comme lui des hommes intègres dans leur profession. C’était pour lui la chose la plus naturelle qui soit au monde que  d’aider ses patients, souvent des femmes et des pauvres, en leur faisant croire des mensonges. La Vérité abstraite n’était pas importante pour Janet, pas plus que le fait que ses patients sachent des vérités sur eux-mêmes. C’était un médecin, un guérisseur, et au dire de tous un excellent guérisseur. La femme qui souffrait d’un aveuglement hystérique, et qui était venue se faire soigner dans un hôpital public a été apparemment guérie. Elle a eu de la chance, pouvons nous penser, de ne pas être viennoise, ni assez riche pour aller consulter Freud.

Nous parvenons maintenant à une conclusion inquiétante. La doctrine du trauma psychologique, de la mémoire retrouvée, et de l’abréaction[3] a ouvert une crise de la vérité. Freud et Janet, les deux personnalités les plus marquantes à l’origine de cette doctrine, ont abordé la crise  de manières opposées. Janet n’avait aucun scrupule à mentir à ses patients, et à créer de faux souvenirs par lesquels ils pouvaient prendre en charge leur douleur. La vérité n’était pas pour lui une valeur absolue, alors qu’elle l’était pour Freud. C’est-à-dire que ce dernier visait la Théorie vraie par rapport à laquelle tout le reste était subordonné, et il croyait que ses patients devaient affronter les vérités les concernant. Quand il en vint à douter que les souvenirs mis à jour dans l’analyse étaient vrais, il développa alors une théorie  qui fonctionnait tout aussi bien lorsque ces souvenirs étaient pris pour des fantasmes. Il a pu prendre alors une décision tout à fait erronée. Il a pu se tromper sur les raisons qui le poussèrent à abandonner la théorie de la séduction. Peut-être abandonna-t-il cette théorie parce qu’elle l’effrayait. Mais à un autre niveau, la motivation première de Freud était l’idéal de la Vérité, et non la vérité sur la vie de tel ou tel patient, non pas la vérité sur la vie à Vienne au tournant du siècle, mais la Vérité théorique suprême de la psyché. Il avait une vision rationaliste de ce que Kitcher[4] appelle  « une science interdisciplinaire complète de l’esprit ». Et dans sa pratique, il croyait fermement qu’il était du devoir de l’analyste de conduire chaque patient à une connaissance de soi qui s’accordât avec la théorie. »

Ian HACKING, L’âme réécrite – étude sur la personnalité multiple et les sciences de la mémoire
Les empêcheurs de penser en rond, 1998, p. 307 – 308

 

[1] Pierre JANET (1859 – 1947) : philosophe, psychologue et médecin français dont les théories étaient concurrentes de celles de Freud. Il est le créateur du terme subconscient.

[2] Henri ELLENBERGER (1905 – 1993) : psychiatre canadien auteur de travaux sur l’histoire de la psychiatrie.

[3] Abréaction : décharge émotionnelle qui permet à un sujet d’extérioriser un affect lié à un souvenir traumatique

[4] Philip KITCHER : (1947 – …) : philosophe britannique spécialiste de philosophie des sciences.

 

Petits garçons devenus grands

21 mardi Jan 2020

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féminisme, George Makari, Karen Horney, Sigmund Freud

Grâce à Revolution in mind, la très recommandable histoire de la psychanalyse écrite par George Makari, je découvre l’existence de Karen Horney, une psychanalyste allemande  (« arguably the first great female psychoanalytic theoretician ») qui a semble-t-il inauguré  la critique féministe des théories freudiennes, en particulier de la fameuse (et fumeuse) « envie du pénis ».

« In this formulation we have it assumed as an axiomatic fact that females feel at a disadvantage in this respect of their genital organs, without being regarded as constituting a problem in itself—possibly because to masculine narcissism this has seemed too self-evident to need explanation. Nevertheless, the conclusion so far drawn from the investigations—amounting as it does to an assertion that one-half of the human race is discontented with the sex assigned to it and can overcome this discontent only in favorable circumstances—is decidedly unsatisfying, not only to feminine narcissism but also to biological science. »

Karen Horney, On the Genesis of the Castration Complex in Women

J’aime particulièrement ce passage qui se situe à al fin des quelques pages que George Makari consacre à Karen Horney :

« She openly stated that the entire edifice of psychoanalytic theory had tended to neglect female psychology, since its theoreticians were male. Horney bluntly compared the fantasies of little boys about girls with psychoanalytic theories of feminine development and concluded there was little difference. »

George Makari,  Revolution in Mind, HarperCollins, p.381

Psychopathologie de la vie intellectuelle des psychopathologistes (2)

12 dimanche Jan 2020

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Carl Gustav Jung, George Makari, Sigmund Freud

« As Freud and Jung were digging in the lost fields of human prehistory, it became clear that their joint search was not amicable. The polite nature of their letters could not hide the tension. Distressed, Emma Jung wrote to Ferenczi in Budapest, asking for his advice but imploring him not to say a word to the Professor. Ferenczi immediately forwarded Emma’s letter to Freud, along with a draft of his own response. After reading Ferenczi’s harsh reply, Freud asked Ferenczi to strike (the German was streichen) all references to Freud’s displeasure with Jung’s paper on libido and his turn to astrology. Ferenczi did as he was told and mailed off his response to Zurich. He proudly reported to Freud that he had carried out the Professor’s orders and made sure to touch on (streifen) Jung’s turn to astrology and the libido paper. Upon rereading Freud’s letter, a horrified Ferenczi realized his blunder. But the letter was already in the mail. Freud angrily castigated Ferenczi for his “false obedience,” a humiliation that plunged Ferenczi into a self-analysis.

George Makari, Revolution in Mind, HarperCollins, p. 272

« The double-talk did not prevent an explosion between the two men [Freud & Jung]. All they needed was a spark, which arrived in the form of a Freudian slip. Jung wrote Freud to deny that he wanted to leave the movement, but by mistake he wrote: “Even Adler’s cronies do not regard me as one of yours.” He meant to write not one of “yours” but one of “theirs.”
Freud could not resist pointing to the revealing error. Furious, Jung shot back: “your technique of treating your pupils like patients is a blunder. In that way you produce either slavish sons or impudent puppies.” […] As a final gesture, Freud denied Jung’s accusation that he treated colleagues as patients and proposed the two men break off all personal communications. On January 6, 1913, Jung agreed. »

ibid. p. 279

Le pouvoir du côté obscur

27 mercredi Nov 2019

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Sigmund Freud

Pierre Bayard ayant montré comment on pouvait appliquer la littérature à la psychanalyse, on peut également y appliquer le cinéma.

Les psychanalystes ont sûrement beaucoup à nous dire du complexe d’Oedipe dans Star wars (« je suis ton père ! ») mais les jedis ont aussi beaucoup à apprendre aux psychanalystes.

“Freud is a man given to absolute and exclusive formulations,”

Josef Breuer, cité par George Makari dans Revolution in Mind (p. 92)

*

« Only siths deal in absolute »

Un barbu d’une galaxie lointaine, très lointaine

 

 

Psychopathologie de la vie intellectuelle des psychopathologistes

19 mardi Nov 2019

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actes manqués, Sigmund Freud

« When Breuer and Freud rushed out their « Preliminary Communication » in 1893 Janet had taken notice. In an omnibus review, he remarked that theirs was the most important of a series of new efforts to define hysteria. Important, but not enough to spell the authors’ names correctly. Janet referred to « Brener and Frend. » and embraced their work as simply confirmation of his own. »

George Makari, Revolution in mind

*

« On a plus de renseignements sur ce que retint Freud de son passage à Nancy [chez Hippolyte Bernheim], tel du moins qu’il le rapporte dans Ma Vie et la Psychanalyse […]

« Afin de m’instruire, j’avais amené une de mes patientes à me suivre à Nancy… Bernheim essaya plusieurs fois à son tour de la plonger dans une profonde hypnose, mais il ne réussit pas mieux que moi. Il m’avoua franchement n’avoir jamais obtenu ses grands succès thérapeutiques par la suggestion ailleurs que dans sa pratique d’hôpital, et pas sur les malades qu’il avait en ville. J’eus avec lui beaucoup d’entretiens intéressants et j’entrepris de traduire en allemand ses deux ouvrages sur la suggestion et ses effets thérapeutiques. »

Ici, comme le fait remarquer Jones, Freud commet une bien « curieuse » erreur dans son autobiographie : il ne décida pas alors de traduire en allemand les deux livres de Bernheim puisqu’il en avait déjà fait paraître un un an plus tôt ! On a l’impression que tout se passe comme si Freud, ici, voulait effacer l’antériorité de l’influence de Bernheim. Ces problèmes de remémoration, chez Freud, sont d’autant plus curieux que c’est bien sur ce thème de la remémoration que Freud a peut-être le plus appris auprès de Bernheim. »

Dominique Barrucand, Freud et Bernheim

 

Traduttore, traditore

17 dimanche Nov 2019

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Sigmund Freud, traduction

In 1888, when curious German readers pur­chased a translation of Hippolyte Bernheim’s On Suggestion and Its Therapeutic Applications, they encountered an intrusive translator who begged to differ with the author. The translator railed against those who might use Bernheim’s work to deny the reality of hypnosis and condude that all these accounts were based on a mixture of naive belief and trickery. Defending the scientists of hysteria from the charge that they were them­selves hysterically deluded, he attacked those who dismissed Charcot’s studies as worthless « errors in observation, » and retreated to the belief that hyp­nosis was « beyond scientific understanding. »

George Makari, Revolution in mind

Ce traducteur intrusif n’était autre que Sigmund Freud. A cette date il était encore à Vienne le défenseur des idées de Charcot, dont la théorie sur l’hypnose était remise en question par Bernheim. Mais quelques années plus tard c’est Charcot lui-même qui devait bénéficier d’une « traduction critique » de Freud.

« While these clouds lowered over Charcot, Freud was busy translating the neurologist’s Tues­day Lessons (Leyons du Mardi), which appeared in installments between 1892 and 1894. Again, in telling footnotes, the German translator begged to differ with the author, now over matters of heredity. Upon receiving page proofs with such amendments, Charcot replied to his Viennese acolyte:

By the way! I am delighted with the notes and critical comments that I encountered at the bottom on the pages of « the Leçons. » Go ahead—that’s fine! Vive la liberté!! as we say here. After this declaration I shall ask the same from you, to tell you that I am astonished to see the extent to which the theory of the syphilitic nature of tabes, and P.G.P., wreaks havoc right now amongst the best minds. Really, the figure 90% (assuming it to be accurate?) can it have so much influence on a stable mind!—what do you do then with the other 10%? »

ibid.

Je présume que la manière dont les traducteurs et préfaciers tentent de cadrer la réception de l’œuvre qu’ils présentent à un nouveau public a déjà été largement étudié par les historiens des sciences. Les tentatives de neutraliser le mordant d’une œuvre dérangeante donnent parois lieu à des polémiques mémorables comme ce fut le cas pour la préface frauduleuse d’Andreas Osiander au De revolutionibus orbium coelestium de Copernic.

 

Freud révisé par la psychologie du développement cognitif

29 mercredi Août 2018

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Alison Gopnik, amour, enfance, Sigmund Freud

« Comme Freud, les spécialistes de l’attachement suggèrent que nos premières expériences, notamment celles qui sont liées à nos parents, peuvent façonner nos émotions ultérieures. Ils suggèrent aussi que ce façonnage est en grande partie inconscient : nous ne nous disons pas consciemment que notre théorie sur maman influence notre réaction à la fille que nous avons rencontrée la veille. La même équation, étonnante, vaudrait entre l’amour précoce qui unit parents et enfants et l’amour sexuel que nous éprouvons ensuite pour nos partenaires romantiques.

Mais il existe aussi des différences. Les psychologues du développement contemporains ne se contentent pas de ce qu’un patient raconte sur le divan. Ils mènent aussi des études empiriques précises, longues et minutieuses. Et si le phénomène a l’air freudien, il en va autrement de ses explications théoriques. Pour Freud, les forces fondamentales qui façonnent notre nature sont des forces psychiques, des sources bouillonnantes d’énergie psychologique censées être réparties ou redirigées par le refoulement et le transfert : nos croyances sur le monde seraient déterminées, et souvent déformées, par ces forces inconscientes. La psychologie a toujours été influencée par les métaphores technologiques ; or, en sciences cognitives comme en neurosciences, ce qui se passe dans notre tête s’apparente plus à un ordinateur qu’à un moteur. Nos cerveaux sont conçus pour parvenir à une image juste du monde et pour utiliser cette image afin d’agir sur le monde de manière efficace, du moins globalement et à long terme. Les capacités computationnelles et neurologiques qui nous permettent de faire des découvertes sur la physique et la biologie nous permettent aussi de faire des découvertes sur l’amour.

Et plutôt que de dire, comme Freud, que les enfants veulent coucher avec leur mère, il serait plus exact de dire que les adultes veulent être maternés par les gens avec lesquels ils désirent coucher. »

Alison Gopnik, Le bébé philosophe, p. 242 – 243

 

Freud ne s’est pas trompé sur la dimension incroyablement érotique des enfants de trois ans. (Les psychologues du développement que nous sommes n’en reviennent toujours pas.) À trois ans, les enfants ont envers leurs parents une attitude d’amants. Et même d’amants tout droit sortis d’un opéra italien, avec des embrassades fougueuses et sensuelles et des accès de désespoir et de jalousie tout aussi passionnés.

Mais ces grands airs révèlent peut-être de véritables découvertes. Les interactions de la petite enfance s’accompagnent d’une sorte de concorde entre les bébés et les gens qui les entourent, d’un sentiment d’intimité fusionnelle. À mesure que les bébés grandissent et deviennent de petits enfants, ils s’aperçoivent que les autres gens sont des entités psychologiques distinctes d’eux — des êtres avec d’autres désirs, d’autres émotions, d’autres pensées et opinions. Et c’est précisément de cette prise de conscience de l’altérité d’autrui que naît l’émotion érotique. Comprendre que les gens que nous aimons sont différents de nous, qu’ils ont d’autres désirs, d’autres pensées et même d’autres amours, implique qu’on ne peut plus comme auparavant considérer comme acquis qu’ils nous aiment. Les enfants de trois ans amoureux de leurs parents sont plus proches d’un Swann amoureux de sa mystérieuse Odette que d’un Œdipe amoureux de Jocaste. Ils ne sont pas les simples jouets d’un fatal secret primitif, mais sont au contraire hantés par une découverte tout aussi fatale l’amour consiste en partie à vouloir des choses (une attention complète, un dévouement total, une loyauté sans faille) qu’on sait ne pas pouvoir obtenir.

A. Gopnik, A. Meltzoff, P. Kuhl, Comment pensent les bébés?, p. 74 – 75

 

Freud, Russell et le féminisme

16 mercredi Juil 2014

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Bertrand Russell, féminisme, Sigmund Freud

« Il s’agit somme toute d’un sujet sur lequel Mill se montre sous un jour peu humain. Son autobiographie est si prude ou si éthérée que l’on n’y pourrait jamais trouver la moindre indication que l’humanité est composée d’hommes et de femmes, et qu’il s’agit là d’une différence fondamentale. Ses rapports avec sa propre femme semblent également inhumains. Il l’épouse sur le tard, n’a pas d’enfant avec elle, la question de l’amour telle que nous l’entendons n’est jamais évoquée… Dans tous ses écrits, il n’apparaît jamais que la femme est différente de l’homme, ce qui ne veut pas dire qu’elle lui soit inférieure, peut-être même bien au contraire. Il constate par exemple qu’il existe une analogie entre l’oppression des femmes et celle des Nègres. N’importe quelle jeune fille à qui un homme baise la main, prêt à tout risquer pour obtenir son amour, même si elle ne vote pas et qu’elle n’a pas de droits civiques, serait capable de le contredire à ce sujet… Non, de ce point de vue, je suis toujours partisan des vieilles traditions, j’aspire à ma Martha telle qu’elle est et elle-même ne souhaiterait pas autre chose ; la législation et les mœurs doivent certes reconnaître aux femmes maints droits dont elles ont été privées, mais la position de la femme ne peut-être autre que ce qu’elle est : un objet d’adoration dans sa jeunesse et une épouse bien-aimée dans sa maturité. »

Sigmund Freud, Lettre à Martha du 15 novembre 1883

*

« En 1907, à l’occasion d’une élection partielle, je suis allé jusqu’à présenter ma candidature au Parlement comme partisan du vote féminin. Cette campagne de Wimbledon fut courte mais acharnée. Il doit être impossible aux jeunes d’aujourd’hui d’imaginer l’âpreté de l’opposition  qui sévissait alors contre le droit des femmes à l’égalité. Un peu plus tard quand j’ai fait campagne contre la Première Guerre mondiale, l’opposition à laquelle je me suis heurté ne fut pas comparable à celle que les « suffragistes » avaient affrontée en 1907. Dans tous les aspects du problème la majorité de la population ne voyait que des matières à dérision. Dans la foule des sarcasmes fusaient de toutes parts. Aux femmes : « Retournez donc à la maison pour vous occuper du bébé! » ; aux hommes de n’importe quel âge : « Vous avez demandé la permission de sortir à votre maman? »

Des œufs pourris qui m’étaient destinés atteignirent Alys. A ma première réunion publique on lâcha des rats pour faire peur aux femmes et des provocatrices feignant l’épouvante, poussèrent des hurlements n’ayant d’autre objet que de déconsidérer leur sexe. […]

On pouvait à la rigueur comprendre la sauvagerie des mâles qui se voyaient menacés dans leurs privilèges. Beaucoup moins, la détermination chez un très grand nombre de femmes de prolonger l’état où leur sexe était ravalé. Il ne me souvient pas que les esclaves noirs ou les serfs de Russie se soient jamais sérieusement opposés à leur propre émancipation. la plus illustre des opposantes au suffrage des femmes a été la reine Victoria.

J’avais toujours passionnément soutenu l’égalité des droits pour les femmes depuis que j’avais  lu, dans mon adolescence, les écrits de John Stuart Mill sur cette question. En ce temps-là j’ignorais encore le fait que ma mère avait milité pour la même cause à partir de 1860 environ. Il est peu de choses plus étonnantes que la rapide et totale victoire de cette cause d’un bout à l’autre du monde civilisé. Je suis heureux qu’une action à laquelle j’ai, pris part ait pour une fois aussi parfaitement réussi. »

Bertrand Russell, Autobiographie, p. 196 – 198

 

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