• À propos

Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

Pater Taciturnus

Archives de Tag: réflexivité

Ego trip (2)

16 lundi Oct 2017

Posted by patertaciturnus in Lectures, Perplexités et ratiocinations

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

réflexivité, Tom Regan, vertu épistémique

Il y a presque trois ans de cela j’avais cité et essayé de commenter un texte dans lequel Joubert s’interroge sur le besoin qu’on éprouve parfois de préciser comment nous sont venues certaines pensées. En lisant Les droits des animaux de Tom Regan, je découvre un exemple qui me donne l’occasion de revenir sur ce sujet. En effet, dans la Préface de 2004 à une réédition de son maître ouvrage, le philosophe américain ressent la nécessité de nous raconter comment il a écrit son livre.

« J’ai commencé à écrire Les Droits des animaux (LDA) en septembre 1980 et l’ai achevé en novembre 1981. J’écrivais depuis plusieurs années sur l’éthique et les animaux en général, et les droits des animaux en particulier, je ne suis donc pas parti de rien. Mes bagages de philosophe étaient remplis de certaines convictions plus ou moins établies et d’autant d’arguments plus ou moins bien développés. Je pensais savoir où je voulais aller et la meilleure façon d’y parvenir. J’avais (ou je me figurais avoir) une lourde responsabilité. Face à la question de savoir si les animaux étaient conscients de quelque chose, gisait une page blanche. Ma mission consistait à la remplir de mes pensées. Ce fut un travail sans effort. J’y ai pris un immense plaisir.

Cependant, lorsque j’ai commencé à travailler le chapitre six (consacré principalement à une critique de l’utilitarisme), quelque chose s’est passé. Ce fut comme si — et je sais que cela aura l’air étrange, mais je m’y hasarde tout de même — ce fut comme si je cessais d’être l’auteur de ce livre. Mots, phrases, paragraphes, pages entières sont venus de je ne sais où. Ce que j’étais en train d’écrire était nouveau pour moi ; cela ne représentait rien de ce que j’avais pensé précédemment. Mais les mots établissaient résidence de manière permanente sur la page aussi rapidement qu’il m’était possible de les taper. C’était plus que plaisant. C’était grisant.

Mais la véritable énigme est la suivante. Cette excitation n’a pas duré quelques minutes, quelques heures ou même quelques semaines. Je fus dans cet état, sans interruption, pendant des mois. Je n’exagère pas en disant que, pendant cette période, j’ai perdu tout contrôle sur la direction du livre. Je ne venais pratiquement que pour voir. C’est pourquoi je pense que les parties les plus originales de LDA (les quatre derniers chapitres où je défends les principes de respect, de dommage, d’outrepassement minimal, du pire et de liberté) ne sont pas des éléments dont je puis m’attribuer tout le mérite. Ils me sont venus véritablement comme un don. Même lorsque j’écris ces mots, je dois me secouer la tête d’étonnement, encore incapable de comprendre comment tout cela est arrivé.

Permettez-moi d’ajouter quatre autres observations sur la façon dont j’ai éprouvé le processus d’écriture de LDA et sur ce que j’ai appris à mesure que le travail évoluait. (J’en dirai plus sur ces questions à la fin de cette préface.) Lorsque j’ai commencé, j’avais des aspirations réformistes. Des choses terribles étaient faites aux animaux. Aux mains des chercheurs et des éleveurs, par exemple, la souffrance qui leur était infligée n’était pas nécessaire. Je pensais pouvoir expliquer pourquoi cela était vrai, et pourquoi cela devait cesser. Cette façon de penser, me suis-je rendu compte, permettait au fait même de faire souffrir les animaux de ne pas être mal si cela était néces­saire. Enfin, je pensais également pouvoir expliquer pourquoi cela était vrai. En écrivant les premiers mots de LDA, j’avais pleinement l’intention de défendre l’utilisation des animaux dans la recherche biomédicale, par exemple, à condition qu’il ne leur soit causé aucune douleur non nécessaire.

Les choses ne se sont pas passées ainsi. Lorsque j’abordai l’utilisation des animaux comme « outils » de recherche, la logique de l’argumentation m’avait déjà converti à une position abolitionniste. Il me semble évidemment vrai, aujourd’hui, que vous ne justifiez pas le fait d’outrepasser les droits d’un animal parce que les autres en tireront avantage. Cela n’était pas évidemment vrai pour moi lorsque j’ai commencé ce voyage. Et c’est après avoir perdu le contrôle sur la direction du livre, et seulement après que ma critique de l’utilitarisme est devenue plus profonde, que j’ai commencé à me trans¬former en abolitionniste. Il ne fait aucun doute que certains philosophes écrivent des livres pour défendre ce qu’ils croient déjà. Aussi fréquent que cela puisse être, ce n’est manifeste-ment pas le cas ici. »

p. 14-16

Pourquoi Regan nous raconte-t-il tout cela? Le propos de cet aperçu autobiographique est-il de nous disposer à accepter sa théorie comme vraie en arguant des conditions dans lesquelles il en a eu la « révélation » ? Le fait qu’il ait eu l’impression de perdre le contrôle de l’écriture comme si « la chose même » s’imposait à lui, est-il censé valoir comme preuve ? Non seulement Regan ne dit rien de tel mais il reconnaît explicitement le contraire  :

« Bien sûr, ces esquisses autobiographiques ne contribuent nullement à prouver que LDA contient ne serait-ce qu’un mot de vrai. Qui sait si, pendant ces mois grisants, je n’ai pas fait le lit aux propositions trompeuses du malin génie de Descartes ? La vérité est  logiquement distinct de ce qui nous le motive à le penser. Tous les philosophes comprennent cela. Et les philosophes, étant philosophes, se fichent de ce que cela faisait d’être Tom Regan au début des années 80 »

p. 17 -18

Quelle étrange manière de commencer une (longue) préface en racontant quelque chose dont le lecteur devrait se ficher et en prenant soin, qui plus est, de lui signifier qu’on est conscient qu’il est censé s’en ficher ! On peut envisager l’hypothèse que, tant l’aperçu autobiographique que la remarque qui le conclut en en limitant la portée, remplissent une fonction d’affichage de vertu épistémique (sans que l’affichage de vertu ait ici une connotation péjorative). Ainsi on peut considérer comme une marque de l’authenticité de la démarche intellectuelle de l’auteur qu’il ait revu sa position initiale au lieu de résister à ce qui lui apparaissait de plus en plus comme la vérité. Reste à savoir dans quelle mesure le récit de la recherche est décisif  dans l’appréciation de la vertu épistémique qui y préside et dans quelle mesure on devrait pouvoir se contenter des produits même de cette recherche pour en juger. Pour ma part, la seule lecture de l’ouvrage, abstraction faite de la préface, me porte à reconnaître à Regan une grande honnêteté intellectuelle. Alors même que je n’ai pas été convaincu de ses thèses essentielles, j’ai été favorablement impressionné par sa manière de discuter les thèses auxquelles il s’oppose (sa manière de critiquer Descartes est exemplaire de ce point de vue et peut servir de modèle pédagogique) en évitant les facilités, les hommes de paille, voire en défendant les auteurs qu’il critique contre des objections infondées.

Courage de la vérité

08 mercredi Juil 2015

Posted by patertaciturnus in Fantaisie, Philémon et Anatole

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

courage, réflexivité, vérité

Philémon était convaincu qu’Anatole n’avait pas le courage de lui dire la vérité sur un sujet qui lui tenait à cœur, et il se demandait s’il pouvait lui en vouloir. Philémon se rendait bien compte que lui même n’osait pas faire savoir à Anatole ce qu’il lui reprochait et il sentait que cela devait le porter à l’indulgence. Sa propre réticence à exposer ses griefs ne lui apparaissait certes pas comme de la lâcheté ; n’était-elle pas fondée sur la conviction qu’Anatole n’était pas prêt à entendre ce qu’il avait à lui dire ? Mais alors, se disait Philémon,  il était vraisemblable qu’Anatole était lui-même retenu par le même type de considération à son égard. Si Anatole croyait  qu’il n’avait pas le courage de regarder la vérité en face,  Philémon ne pouvait pas jurer qu’il avait tort.

Ego trip

21 dimanche Déc 2014

Posted by patertaciturnus in Aphorisme du jour

≈ 1 Commentaire

Étiquettes

ego, Joseph Joubert, réflexivité

« Je voudrais savoir si cette manière de raconter ses pensées en disant qu’on les a eues et en quel temps, et en quel lieu etc. est 1° ennuyeux, 2° inutile. J’ai entendu des gens de goût se moquer d’une femme d’esprit qui est dans l’habitude de se citer et de dire souvent :  » Je disais en tel temps etc … Je répondais à un tel, etc… » Je trouve dans cette attention à dater ses propres propos et à ne pas donner pour naissant ce qui est presque vieux une sincérité qui me plaît  et une exactitude qui ne serait pas sans utilité pour moi, si j’étais l’écoutant. On s’en moque, mais au fonds cela déplait-il à ceux-là qui le répètent en ridicule? Quand cela le serait, il me serait impossible toutes les fois que je parlerai à cœur et à esprit ouverts, de donner pour récent en moi ce qui est ancien et pour présent  ce qui est absent. Etc »  

Joseph Joubert, 19 août 1803, Carnets I, p. 551

*

Pourquoi la pratique évoquée ici par Joubert est-elle soupçonnée d’être inutile et ennuyeuse et, par là, exposée au ridicule? Je présume qu’une chose qui peut indisposer dans cette manière de commenter son propre propos c’est, outre le côté digressif, le fait que ce soit justement la personne du locuteur (plus précisément l’histoire de ses pensées) qui  passe au premier plan. N’est-ce pas l’égotisme supposé que l’on raille ici, comme si l’arrière pensée  de l’auto-commentateur pouvait être formulée ainsi : « quel que soit le sujet dont je vous parle, c’est au fond de moi que j’ai envie de vous parler ». La défense de Joubert consiste à fonder la même pratique sur une plus noble motivation : une sincérité tellement scrupuleuse qu’elle serait irrépressible. Il ne s’agirait pas de faire passer l’histoire de ses pensées pour plus intéressante que les « choses mêmes » mais de donner à l’auditeur une information permettant d’apprécier plus exactement la portée de ce qui est dit sur la chose-même.  Pas d’égotisme donc, mais de la réflexivité, pas de complaisance subjectiviste mais au fond une exigence d’objectivité. Tout cela est bel et bon, mais on aimerait quelques précisons sur la manière dont cette contextualisation des pensées peut-être utile à l’auditeur, d’autant qu’il ne s’agit pas de n’importe quelle contextualisation. Joubert ne se propose pas, en effet, de répondre à la fameuse question « d’où parles-tu? », la contextualisation qui lui importe est temporelle. « de quand parles-tu? », en quoi cela importe-t-il? Il est notable que la nécessité de ce genre de précision soit ressenti par le locuteur plutôt que par l’auditeur (qui en demanderait peut-être d’autres).

Archives

  • août 2022 (6)
  • juillet 2022 (28)
  • juin 2022 (19)
  • mai 2022 (20)
  • avril 2022 (23)
  • mars 2022 (27)
  • février 2022 (29)
  • janvier 2022 (31)
  • décembre 2021 (25)
  • novembre 2021 (21)
  • octobre 2021 (26)
  • septembre 2021 (30)
  • août 2021 (24)
  • juillet 2021 (28)
  • juin 2021 (24)
  • mai 2021 (31)
  • avril 2021 (16)
  • mars 2021 (7)
  • février 2021 (6)
  • janvier 2021 (13)
  • décembre 2020 (11)
  • novembre 2020 (3)
  • octobre 2020 (3)
  • septembre 2020 (9)
  • août 2020 (18)
  • juillet 2020 (16)
  • juin 2020 (8)
  • mai 2020 (20)
  • avril 2020 (8)
  • mars 2020 (11)
  • février 2020 (18)
  • janvier 2020 (26)
  • décembre 2019 (21)
  • novembre 2019 (25)
  • octobre 2019 (26)
  • septembre 2019 (31)
  • août 2019 (27)
  • juillet 2019 (23)
  • juin 2019 (22)
  • mai 2019 (22)
  • avril 2019 (27)
  • mars 2019 (27)
  • février 2019 (24)
  • janvier 2019 (32)
  • décembre 2018 (13)
  • novembre 2018 (9)
  • octobre 2018 (12)
  • septembre 2018 (9)
  • août 2018 (13)
  • juillet 2018 (9)
  • juin 2018 (8)
  • mai 2018 (21)
  • avril 2018 (25)
  • mars 2018 (26)
  • février 2018 (22)
  • janvier 2018 (27)
  • décembre 2017 (24)
  • novembre 2017 (16)
  • octobre 2017 (19)
  • septembre 2017 (18)
  • août 2017 (21)
  • juillet 2017 (18)
  • juin 2017 (21)
  • mai 2017 (14)
  • avril 2017 (22)
  • mars 2017 (30)
  • février 2017 (12)
  • janvier 2017 (13)
  • décembre 2016 (14)
  • novembre 2016 (15)
  • octobre 2016 (22)
  • septembre 2016 (16)
  • août 2016 (24)
  • juillet 2016 (19)
  • juin 2016 (16)
  • mai 2016 (20)
  • avril 2016 (10)
  • mars 2016 (30)
  • février 2016 (28)
  • janvier 2016 (32)
  • décembre 2015 (27)
  • novembre 2015 (28)
  • octobre 2015 (31)
  • septembre 2015 (30)
  • août 2015 (33)
  • juillet 2015 (32)
  • juin 2015 (33)
  • mai 2015 (34)
  • avril 2015 (31)
  • mars 2015 (35)
  • février 2015 (32)
  • janvier 2015 (33)
  • décembre 2014 (37)
  • novembre 2014 (33)
  • octobre 2014 (33)
  • septembre 2014 (33)
  • août 2014 (33)
  • juillet 2014 (33)
  • juin 2014 (35)
  • mai 2014 (35)
  • avril 2014 (35)
  • mars 2014 (35)
  • février 2014 (30)
  • janvier 2014 (40)

Catégories

  • 7e art
  • Célébrations
  • Choses vues ou entendues
    • confession
    • Mon métier ma passion
  • Divers vers
  • Fantaisie
    • devinette
    • Philémon et Anatole
    • Taciturnus toujours au top
    • Tentatives de dialogues
  • Food for thought
    • Aphorisme du jour
    • Pessoa est grand
  • Insatiable quête de savoir
    • Il suffirait de quelques liens
  • Lectures
  • Mysticismes
  • Non classé
  • Paroles et musiques
    • Au chant de l'alouette
    • Berceuse du mardi
    • Bienvenue aux visiteurs
  • Père castor
  • Perplexités et ratiocinations
  • SIWOTI or elsewhere

Tags

Abel Bonnard alouette amitié amour art Auguste Comte Benjamin Fondane Bertrand Russell bonheur Cesare Pavese correspondance culture Dieu Djalâl ad-Dîn Rûmî Dostoievski Edmond Jabès Elias Canetti Emily Dickinson enseigner et apprendre esthétique Fernando Pessoa Friedrich von Schiller féminisme Gabriel Yacoub Goethe Hegel Hugo von Hofmannstahl humiliation Hâfez de Chiraz Ito Naga Jean-Jacques Rousseau Joseph Joubert Karen Blixen Karl Kraus Kierkegaard Kobayashi Issa Lichtenberg lune Malek Haddad Marina Tsvetaieva Marshall Sahlins mort Mário de Sá-Carneiro Nietzsche Nâzım Hikmet Omar Khayyâm Paul Eluard Paul Valéry perfection et imperfection Philippe Jaccottet philosophie Pier Paolo Pasolini Pierre Reverdy poésie profondeur racisme Ramón Gómez de la Serna Reiner Kunze religion rêve Simone Weil solitude souffrance Stefan George stoïcisme stupidité travail universalisme Urabe Kenkô utilitarisme vertu vie vérité Witold Gombrowicz éthique et esthétique

Propulsé par WordPress.com.

Confidentialité & Cookies : Ce site utilise des cookies. En continuant à utiliser ce site, vous acceptez leur utilisation.
Pour en savoir davantage, y compris comment contrôler les cookies, voir : Politique relative aux cookies
  • Suivre Abonné
    • Pater Taciturnus
    • Rejoignez 64 autres abonnés
    • Vous disposez déjà dʼun compte WordPress ? Connectez-vous maintenant.
    • Pater Taciturnus
    • Personnaliser
    • Suivre Abonné
    • S’inscrire
    • Connexion
    • Signaler ce contenu
    • Voir le site dans le Lecteur
    • Gérer les abonnements
    • Réduire cette barre