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Je ne rate aucune rediffusion d’Il était une fois la révolution, mais on ne peut pas dire que le film de Sergio Leone permette de comprendre grand chose à l’histoire du Mexique. Cela faisait donc un certain temps que me trottait l’idée d’en connaître davantage sur la révolution mexicaine que les seuls noms de Zapata et Pancho Villa, quand je me suis décidé à une lecture sérieuse sur le sujet : La révolution mexicaine (1910 -1940) de Jean Meyer. L’ouvrage a été publié originellement en 1973 dans la foulée de la thèse consacrée par son auteur à la guerre des Cristeros, il a été republié en 2010 chez Tallandier dans la collection Texto.
Je ne vais pas me lancer dans un résumé de l’ouvrage, et mes considérations sur ses mérites sont forcément limitées par l’absence de point de comparaison puisque je n’ai encore rien lu d’autre sur le sujet.
Dans la préface à la réédition Meyer précise d’où il parle et donne un aperçu intéressant des conditions d’écriture de l’ouvrage :
« Jean Meyer est franco-mexicain depuis 1979, il vit au Mexique, ce Mexique de l’an de grâce 2009 qui n’est pas celui d’où il avait été exilé entre 1969 et 1973 par un pouvoir sourcilleux. Il comprend aujourd’hui le point de vue de Venustianio Carranza et celui de Plutarco Elías Calles, sans renier celui qu’il avait adopté avec fougue, le point de vue des zapatistes, des cristeros, de José Vasconcelos. […]
Le manuscrit fut terminé en quatre ou cinq semaines. J’avais le sujet en tête, c’était le contexte de ma Christiade, je dominais l’état de la question et, avant de m’asseoir devant ma petite Olivetti Lettera 22, je prenais un bain de prose en lisant un chapitre des Mémoires de José Vasconcelos, révolutionnaire de la première heure , ennemi mortel du régime triomphant, à partir de 1929. Ou encore une nouvelle de Juan Rulfo, dans son fabuleux Le llano en flammes. Ce qui n’était pas fait pour me rendre froidement objectif. »
p. 7-9
Ce qui m’a embarrassé dans cet ouvrage ce n’est l’engagement de l’historien, c’est plutôt une impression persistante de confusion [1] .Ce sentiment tenait à ce que j’étais, au départ, submergé par l’avalanche des noms exotiques (comme on peut l’être quand on se plonge dans un roman russe), mais aussi à ce que l’auteur tient le pari impossible de condenser en 40 pages la présentation du Porfiriat (le système précédent la révolution) et les quatre premières années de la révolution (1910 -1914). Mais même après avoir avancé dans ma lecture et m’être familiarisé avec les protagonistes persistait l’impression désagréable de ne pas comprendre ce qui se jouait sans que je parvienne à savoir ce qui, dans mon impression, tenait à des maladresses narratives de l’auteur et ce qui tenait à sa matière. Une des choses qui me frappait particulièrement c’est que les grands récits (libéral ou marxiste) auquel nous sommes habitués avec d’autres révolutions ne semblaient pas bien cadrer avec ce que racontait Meyer. Aussi ai-je apprécié le recul que prend l’auteur au terme de son ouvrage :
« Le Porfiriat est le temps de l’évolution dans tous les domaines, sans que l’on puisse saisir une révolution, une dislocation sociale bouleversant toute la société; les conflits célèbres qui conduisent à la chute de Don Porfirio, la mort de Madero, à la fuite de Huerta ont peu de rapports avec la fin du vieux Mexique. Les sociologues nous sortiront-ils de cette impasse? Oui, puisqu’ils ont réhabilité le conflit et considéré la violence politique avec calme, après l’avoir condamnée comme pathologique : toutes les sociétés sont susceptibles de sombrer dans des conflits armés et « ce n’est pas parce qu’un accident donné a été dramatique, et ses conséquences graves, qu’il a nécessairement des causes plus profondes, ou qu’il annonce l’apogée de quelque phénomène de longue durée ».
Aux grands événements on désire trouver de grandes causes, oubliant pourtant que les montagnes peuvent accoucher de souris, et, que les souris peuvent mettre en mouvement des montagnes. Le cataclysme révolutionnaire a été si violent et les populations tellement rudoyées que l’on y a vu une poussée géologique, une montée du sous-sol, de l’inconscient, du « peuple ». La chaîne des causes peut être remontée à l’infini, l’on découvrira dans cette dilution que tout était en conflit, comme toujours. »
ibid. p. 305
« Ainsi le Mexique possède ou croit posséder une tradition révolutionnaire et poursuivre une révolution permanente. Ce qui s’est passé au Mexique ne présente théoriquement aucun intérêt; tous les lieux communs de la sagesse des nations s’appliquent à ce contraire d’un commencement, répétition monotone de la révolution de toujours, parfait lieu commun des révolutions : Saturne mange ses enfants, après l’inévitable série de prodromes, après la prérévolution, la stabilisation, le « dérapage » ou la « rechute », avant « Thermidor ». Ces révolutions ont surtout servi à faire vivre le pays, sauf quelques mois, ou quelques années, sous des formes poli-tiques plus autoritaires et plus contre-révolutionnaires qu’en bien des pays semblables. Si la révolution tient du tribunal, si elle se manifeste soudain en forme de jugement dans l’histoire, elle trouve sa négation dans la « révolution mexicaine », ce drame encore sans dénouement, qui a pour fin précise d’interdire toute nouvelle révolution. »
ibid. p. 309
[1] Les chapitres consacré à ceux qui ont la préférence de l’auteur (José Vasconcelos et son action au Secrétariat à l’Éducation Publique du Mexique, ou des cristeros) ont un souffle qui manque à d’autres chapitres plus confus.