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« JOIE. J’aime danser.
RAISON. Dans la danse, il y a moins de plaisir immédiat que d’anticipation du plaisir à venir. La danse est un peu le prélude de Vénus ; on fait tourner en rond de pauvres filles étourdies par la musique, on les serre, on les enlace, et sous prétexte de politesse on les caresse. Les gestes, les regards et les mots trop libres fusent, et le bruit des pas, les chants discordants de la foule, le son des cuivres, la bousculade, la poussière — enfin, celle qui souvent vient prêter main forte à ces jeux, l’ennemie de la pudeur, l’alliée des malfaiteurs, la nuit elle-même, tout cela met en déroute la retenue et la pudeur, excite les désirs et favorise la licence. Tu me diras qu’il arrive quelquefois que les hommes dansent seuls entre eux, et les femmes de leur côté ; mais, même là, ils ne font que s’exercer séparément, et répètent en même temps tout ce qu’ils feront lorsqu’ils seront à nouveau réunis, comme les élèves qui en l’absence du maître révisent ce qu’ils auront à dire lorsqu’il sera de retour. Dépouille-la donc de sa belle, apparence trompeuse et de mauvais aloi, ainsi que de sa sensualité, et il ne restera plus rien de la danse. »
Pétrarque, Contre la bonne et la mauvaise fortune
trad. Anne Duprat, Rivage Poche p. 50