L’habitude en matière de relation de couple a particulièrement mauvaise presse : elle est couramment présentée comme le prototype du lien inauthentique qui permettrait une survie artificielle du couple par delà le dépérissement du lien passionnel considéré comme le seul lien amoureux authentique. Je crois que j’ai toujours trouvé cette vision des choses caricaturale, et à la plus fameuse chanson de Cloclo je préfère ce chef d’œuvre d’Otis Redding.
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C’est avec joie que j’ai découvert chez Gogol une défense de l’habitude. Dans la nouvelle Un ménage d’autrefois, incluse dans le recueil Mirgorod, il met en scène le vieux couple que forme Athanase Ivanovitch et Pulchérie Ivanovna. L’épouse meurt la première, le narrateur rend visite à Athanase cinq ans après la perte de sa femme :
» Mon Dieu, me dis-je en le regardant, cinq années ont passé, cinq années de cet universel exterminateur qu’est le temps, et ce vieillard déjà glacé, ce vieillard à qui la vie semblait avoir épargné toute émotion forte, ne lui réservant que de longues séances dans un bon fauteuil, des anecdotes sans malice, des régals de poire tapée et de poisson fumés – ce vieillard est encore déchiré par une affliction sans merci. Qui donc, de la passion ou de l’habitude, a sur nous le plus d’empire? Ou peut-être nos désirs, nos ardeurs, nos ivresses ne sont ils qu’un apanage de notre belle saison, peut être notre seule jeunesse nous fait elle croire ce tourbillon irrésistible? » Quoiqu’il en soit, toutes nos passions me parurent en ce moment de purs enfantillages comparées à cette longue, à cette lente, à cette quasi inconsciente habitude.
N. Gogol, Un ménage d’autrefois, in Nouvelles complètes, Quarto, p. 341-342
Pour illustrer l’idée qu’on se console plus facilement de la rupture d’un lien purement passionnel que d’un lien ancré dans des habitudes, Gogol met en contraste l’histoire d’Athanase Ivanovitch et d’une anecdote mettant en scène la capacité du temps à emporter les plus grandes détresses passionnelles. Cette histoire dans l’histoire est tout à fait remarquable, malheureusement pour vous mes chers lecteurs j’ai la flemme de vous la recopier. Vous savez ce qui vous reste à faire.
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Si vous souhaitez pouvoir dire : « je n’ai pas lu le livre, mais j’ai vu le film… »
Pour la troisième apparition d’Otis sur ce blog, un titre extrait de l’album The Otis Redding dictionary of soul. Quoique cet album soit, comme Otis blue, un recueil de tubes, le titre Ton of joy est absent des anthologies que je connais, ce qui est un oubli à mes yeux.
« Cette tendresse qui sans cesse se satisfait, et celle qui se modère et se réprime. La première s’épuise par ses propres contentements, la seconde se nourrit et s’accroît par ses privations mêmes. »
Joseph Joubert, 12 novembre, Carnets I, p. 431
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Je ne sais pas si Joubert a raison, mais, même si c’était le cas, cela ne m’empêcherait pas d’apprécier le spectacle d’une expression de tendresse sans modération :