• À propos

Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

Pater Taciturnus

Archives de Tag: narcissisme

Dieu rit-il de se voir si beau en notre miroir ?

26 mardi Sep 2017

Posted by patertaciturnus in Perplexités et ratiocinations

≈ 2 Commentaires

Étiquettes

Dieu, Djalâl ad-Dîn Rûmî, Malebranche, narcissisme, théologie

La moindre des choses est bien de révéler la signification de la parabole que j’ai cité hier en manière de plaisanterie. A ceux qui ne l’auraient pas saisie immédiatement, elle est expliquée par le paragraphe qui suit :

« Qu’y a-t-il que le Dieu Très Haut ne possède pas et dont Il ait besoin? Devant le Très Haut, il faut apporter un cœur lumineux, afin qu’Il se voit en lui. »

Djalâl ad-Dîn Rûmî, Le Livre du dedans
trad. Vitray-Meyerovitch, Actes Sud, Babel, p.234

Évidemment il serait théologiquement problématique d’affirmer que Dieu a besoin du miroir que nous sommes pour se contempler lui même. De ce point de vue il est intéressant de rapprocher le texte de Rûmî d’un passage du Neuvième des Entretiens sur la métaphysique de Malebranche. Le théologien oratorien ne craint pas de porter le narcissisme divin à son paroxysme[1] : le Dieu de Malebranche à l’instar de Jean Schulteiss pourrait nous chanter « C’est moi que j’aime à travers vous » [2]. Mais comme il rappelle en même temps que Dieu n’a pas besoin de nous pour s’aimer lui-même, ni de notre témoignage pour s’assurer de ses perfections qualités et de celles de son œuvre, Malebranche est conduit à dédoubler la gloire de Dieu.

THÉODORE. – Mais comment Dieu peut-il vouloir que nous soyons, lui qui n’a nul besoin de nous ? Comment un être à qui rien ne manque, qui se suffit pleinement à lui-même, peut-il vouloir quelque chose ? Voilà ce qui fait la difficulté.

ARISTE. — Il me semble qu’il est facile de la lever; car il n’y a qu’à dire que Dieu n’a pas créé le monde pour lui, mais pour nous.

THÉODORE. — Mais nous y pour qui nous a-t-il créés ?

ARISTE. — Pour lui-même.

THÉODORE. — La difficulté revient ; car Dieu n’a nul besoin de nous.

ARISTE. — Disons donc, Théodore, que Dieu ne nous a faits que par pure bonté, par pure charité pour nous-mêmes.

THÉODORE. — Ne disons pas cela, Ariste, du moins sans l’expliquer : car il me paraît évident que l’Être infiniment parfait s’aime infiniment, s’aime nécessairement ; que sa volonté n’est que l’amour qu’il se porte à lui-même et à ses divines perfections ; que le mouvement de son amour ne peut, comme en nous, lui venir d’ailleurs, ni par conséquent le porter ailleurs; qu’étant uniquement le principe de son action il faut qu’il en soit la fin ; qu’en Dieu, en un mot, tout autre amour que l’amour-propre serait déréglé, ou contraire à l’ordre immuable qu’il renferme et qui est la loi inviolable des volontés divines. Nous pouvons dire que Dieu nous a faits  pure bonté, en ce sens qu’il nous a faits sans avoir besoin de nous. Mais il nous a faits pour lui ; car Dieu ne peut vouloir que par sa volonté, et sa volonté n’est que l’amour qu’il se porte à lui-même.

[…]

ARISTE. — Quoi, Théodore, Dieu a fait l’univers pour sa gloire ! Vous approuvez cette pensée si humaine, et si indigne de l’Être infiniment parfait !

[…]

THÉODORE – Premièrement, Dieu pense à un ouvrage qui par son excellence et par sa beauté exprime des qualités qu’il aime invinciblement, et qu’il est bien aise de posséder. Mais cela néanmoins ne lui suffit pas pour prendre le dessein de le produire, parce qu’un monde fini, un monde profane n’ayant encore rien de divin, il ne peut avoir de rapport à son action qui est divine. Que fait-il ? Il le rend divin par l’union d’une personne divine. Et par là il le relève infiniment, et reçoit de lui, à cause principalement de la Divinité qu’il lui communique, cette première gloire qui se rapporte avec celle de cet architecte qui a construit une maison qui lui fait honneur, parce qu’elle exprime des qualités qu’il se glorifie de posséder. Dieu reçoit, dis-je, celte première gloire réchauffée, pour ainsi dire, d’un éclat infini. Néanmoins Dieu ne tire que de lui-même la gloire qu’il reçoit de la sanctification de son Église, ou de cette maison spirituelle dont nous sommes les pierres vivantes sanctifiées par Jésus-Christ.

‘ Cet architecte reçoit encore une seconde gloire des spectateurs et des admirateurs de son édifice ; et c’est peut-être dans la vue de cette espèce de gloire qu’il s’est efforcé de le faire le plus magnifique et le plus superbe qu’il a pu. Aussi est-ce dans la vue du culte que notre souverain prêtre devait établir en l’honneur de la Divinité, que Dieu s’est résolu de se faire un temple dans lequel il fût éternellement glorifié. Oui, Ariste, viles et méprisables créatures que nous sommes, nous rendons par notre divin chef, et nous rendrons éternellement à Dieu des honneurs divins, des honneurs dignes de la majesté divine, des honneurs que Dieu reçoit et qu’il recevra toujours avec plaisir.

[…]

Il peut aimer les hommes, mais il ne le peut qu’à cause du rapport qu’ils ont avec lui. Il trouve dans la beauté que renferme l’archétype de son ouvrage un motif de l’exécuter ; mais c’est que cette beauté lui fait honneur, parce qu’elle exprime des qualités dont il se glorifie et qu’il est bien aise de posséder. Ainsi, l’amour que Dieu nous porte n’est point intéressé en ce sens, qu’il ait quelque besoin de nous ; mais il l’est en ce sens, qu’il ne nous aime que pour l’amour qu’il se porte à lui-même et à ses divines perfections, que nous exprimons par notre nature (c’est la première gloire que tous les êtres rendent nécessairement à leur auteur) et que nous adorons par des jugements et des mouvements qui lui sont dus. C’est la seconde gloire que nous donnons à Dieu par notre souverain prêtre Notre-Seigneur Jésus-Christ. »

 

[1] Cet article pourrait enrichir la série « la théologie au risque du DSM » puisque le trouble de la personnalité narcissique a effectivement sa place dans le DSM.

[2] Je ne croyais pas citer un jour ici cette chanson que j’ai toujours trouvée répugnante, raison pour laquelle je me contente d’un lien.

Archives

  • janvier 2023 (10)
  • décembre 2022 (6)
  • novembre 2022 (7)
  • octobre 2022 (6)
  • septembre 2022 (15)
  • août 2022 (24)
  • juillet 2022 (28)
  • juin 2022 (19)
  • mai 2022 (20)
  • avril 2022 (23)
  • mars 2022 (27)
  • février 2022 (29)
  • janvier 2022 (31)
  • décembre 2021 (25)
  • novembre 2021 (21)
  • octobre 2021 (26)
  • septembre 2021 (30)
  • août 2021 (24)
  • juillet 2021 (28)
  • juin 2021 (24)
  • mai 2021 (31)
  • avril 2021 (16)
  • mars 2021 (7)
  • février 2021 (6)
  • janvier 2021 (13)
  • décembre 2020 (11)
  • novembre 2020 (3)
  • octobre 2020 (3)
  • septembre 2020 (9)
  • août 2020 (18)
  • juillet 2020 (16)
  • juin 2020 (8)
  • mai 2020 (20)
  • avril 2020 (8)
  • mars 2020 (11)
  • février 2020 (18)
  • janvier 2020 (26)
  • décembre 2019 (21)
  • novembre 2019 (25)
  • octobre 2019 (26)
  • septembre 2019 (31)
  • août 2019 (27)
  • juillet 2019 (23)
  • juin 2019 (22)
  • mai 2019 (22)
  • avril 2019 (27)
  • mars 2019 (27)
  • février 2019 (24)
  • janvier 2019 (32)
  • décembre 2018 (13)
  • novembre 2018 (9)
  • octobre 2018 (12)
  • septembre 2018 (9)
  • août 2018 (13)
  • juillet 2018 (9)
  • juin 2018 (8)
  • mai 2018 (21)
  • avril 2018 (25)
  • mars 2018 (26)
  • février 2018 (22)
  • janvier 2018 (27)
  • décembre 2017 (24)
  • novembre 2017 (16)
  • octobre 2017 (19)
  • septembre 2017 (18)
  • août 2017 (21)
  • juillet 2017 (18)
  • juin 2017 (21)
  • mai 2017 (14)
  • avril 2017 (22)
  • mars 2017 (30)
  • février 2017 (12)
  • janvier 2017 (13)
  • décembre 2016 (14)
  • novembre 2016 (15)
  • octobre 2016 (22)
  • septembre 2016 (16)
  • août 2016 (24)
  • juillet 2016 (19)
  • juin 2016 (16)
  • mai 2016 (20)
  • avril 2016 (10)
  • mars 2016 (30)
  • février 2016 (28)
  • janvier 2016 (32)
  • décembre 2015 (27)
  • novembre 2015 (28)
  • octobre 2015 (31)
  • septembre 2015 (30)
  • août 2015 (33)
  • juillet 2015 (32)
  • juin 2015 (33)
  • mai 2015 (34)
  • avril 2015 (31)
  • mars 2015 (35)
  • février 2015 (32)
  • janvier 2015 (33)
  • décembre 2014 (37)
  • novembre 2014 (33)
  • octobre 2014 (33)
  • septembre 2014 (33)
  • août 2014 (33)
  • juillet 2014 (33)
  • juin 2014 (35)
  • mai 2014 (35)
  • avril 2014 (35)
  • mars 2014 (35)
  • février 2014 (30)
  • janvier 2014 (40)

Catégories

  • 7e art
  • Célébrations
  • Choses vues ou entendues
    • confession
    • Mon métier ma passion
  • Divers vers
  • Fantaisie
    • devinette
    • Philémon et Anatole
    • Taciturnus toujours au top
    • Tentatives de dialogues
  • Food for thought
    • Aphorisme du jour
    • Pessoa est grand
  • Insatiable quête de savoir
    • Il suffirait de quelques liens
  • Lectures
  • Mysticismes
  • Non classé
  • Paroles et musiques
    • Au chant de l'alouette
    • Berceuse du mardi
    • Bienvenue aux visiteurs
  • Père castor
  • Perplexités et ratiocinations
  • SIWOTI or elsewhere

Tags

Abel Bonnard alouette amitié amour art Auguste Comte Benjamin Fondane Bertrand Russell bonheur Cesare Pavese correspondance culture Dieu Djalâl ad-Dîn Rûmî Dostoievski Edmond Jabès Elias Canetti Emily Dickinson enseigner et apprendre esthétique Fernando Pessoa Friedrich von Schiller féminisme Gabriel Yacoub Goethe Hegel Hugo von Hofmannstahl humiliation Hâfez de Chiraz Ito Naga Jean-Jacques Rousseau Joseph Joubert Karen Blixen Karl Kraus Kierkegaard Kobayashi Issa Lichtenberg lune Malek Haddad Marina Tsvetaieva Marshall Sahlins mort Mário de Sá-Carneiro Nietzsche Nâzım Hikmet Omar Khayyâm Paul Eluard Paul Valéry perfection et imperfection Philippe Jaccottet philosophie Pier Paolo Pasolini Pierre Reverdy poésie profondeur racisme Ramón Gómez de la Serna Reiner Kunze religion rêve Simone Weil solitude souffrance Stefan George stoïcisme stupidité travail universalisme Urabe Kenkô utilitarisme vertu vie vérité Witold Gombrowicz éthique et esthétique

Propulsé par WordPress.com.

Confidentialité & Cookies : Ce site utilise des cookies. En continuant à utiliser ce site, vous acceptez leur utilisation.
Pour en savoir davantage, y compris comment contrôler les cookies, voir : Politique relative aux cookies
  • Suivre Abonné∙e
    • Pater Taciturnus
    • Rejoignez 67 autres abonnés
    • Vous disposez déjà dʼun compte WordPress ? Connectez-vous maintenant.
    • Pater Taciturnus
    • Personnaliser
    • Suivre Abonné∙e
    • S’inscrire
    • Connexion
    • Signaler ce contenu
    • Voir le site dans le Lecteur
    • Gérer les abonnements
    • Réduire cette barre