• À propos

Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

Pater Taciturnus

Archives de Tag: Leszek Kolakowski

Le goût du pouvoir est-il universel ?

22 dimanche Sep 2019

Posted by patertaciturnus in Lectures

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

Leszek Kolakowski, pouvoir

« Un ex-chancelier de l’Échiquier a réagi avec une certaine surprise à la question d’un journaliste d’une chaîne de télévision britannique qui l’interrogeait sur son désir de devenir Premier ministre, et lui a répondu que tout le monde a envie de devenir Premier ministre. Cette réponse m’a à mon tour étonné, car je ne pense vraiment pas que tout le monde ait envie de devenir Premier ministre. Je suis sûr, au contraire, que la plupart des gens n’en ont jamais rêvé, moins parce qu’ils savent qu’ils n’ont aucune chance d’occuper pareille fonction qu’en raison de ses aspects négatifs. Être Premier ministre, c’est ne jamais avoir l’esprit tranquille, exercer de lourdes responsabilités, faire l’objet d’attaques continuelles, être tourné en dérision, se voir prêter les pires intentions, etc.

Posons-nous la question : le pouvoir est-il réellement convoité par tout le monde? La réponse dépend de ce que nous entendons par le mot « pouvoir ». Dans son acception la plus large, ce terme désigne le fait de pouvoir exercer une influence sur notre entourage ou notre environnement dans le sens que nous voulons. Un enfant qui se tient debout tout seul pour la première fois ou qui fait ses premiers pas conquiert un certain pouvoir sur son corps et cette sensation lui cause un plaisir visible. Il est vrai aussi que chacun de nous, en général, aimerait avoir davantage de maîtrise sur les parties de son corps qui peuvent être contrôlées, comme les muscles et les articulations. Si nous avons appris une langue étrangère ou une branche des mathématiques, à jouer aux échecs ou à nager, nous pouvons dire que ces nouvelles compétences nous permettent de maîtriser de nouveaux domaines de la culture.

Le « pouvoir » entendu dans une acception aussi large est à l’origine de théories selon lesquelles toute l’activité humaine est inspirée par le désir d’exercer le pouvoir. Toutes nos motivations viendraient de notre aspiration au pouvoir sous toutes ses formes; tous nos efforts ne viseraient qu’à obtenir le pouvoir, car le pou-voir est la source de l’énergie humaine. Les hommes aspirent à la richesse, car la richesse leur donne un pouvoir non seulement sur les choses mais aussi, dans une certaine mesure, sur leurs semblables. Même la sexualité peut être expliquée en termes de pouvoir. Soit nous voulons posséder le corps d’un autre individu et, à travers lui, cet autre lui-même; soit nous pensons qu’en le possédant nous excluons les autres de cette possession, et avons ainsi la satisfaction de sentir que nous exerçons un pouvoir sur quelqu’un. La sexualité est, bien entendu, l’œuvre de la nature préhumaine, mais selon ces théories, on retrouve le même désir de pouvoir dans toute la nature; s’il prend des formes différentes chez l’homme, façonnées par la culture, c’est le même à la racine.

En outre, il est possible d’expliquer les comportements altruistes, au prix d’un certain effort, en termes de pouvoir. Quand nous nous montrons bons envers les autres, c’est pour contrôler leur vie, car notre bonté les met en partie en notre pouvoir, que nous soyons ou non conscients de cette motivation secrète. Aucun domaine de notre existence n’échappe à cette quête du pouvoir. Prétendre le contraire n’est que de l’aveuglement.

En dépit de leur apparence plausible, ces théories n’expliquent pas grand-chose. Toute théorie cherchant à expliquer les comportements humains par un même type de motivation ou prétendant que toute la vie sociale est inspirée par une même énergie peut être défendue. Mais cela montre bien que toutes ces théories ne sont rien d’autre que des constructions philosophiques ; elles sont donc de peu d’intérêt.

Ainsi, par exemple, dire que toutes les motivations de l’homme sont semblables, qu’il se dévoue à son prochain ou qu’il le torture, ne nous fait guère avancer. Cela revient à dire qu’il n’existe aucun principe légitime qui nous permette de juger ces actions ou même de les distinguer selon leur objet, car si différentes qu’elles puissent paraître, elles se ressemblent (cette théorie ne sera utile qu’à ceux qui voudront se convaincre qu’ils n’ont pas à éprouver de remords pour le mal qu’ils ont fait puisque nous sommes tous pareils). Certains courants de la pensée chrétienne — autrefois influents, plus discrets aujourd’hui —, selon lesquels l’homme fait toujours le mal s’il n’a pas été touché par la grâce divine et nécessairement le bien s’il l’a été, cèdent à la même tentation intellectuelle. D’où l’idée que si nous ne sommes pas touchés par la grâce divine, nous irons en enfer, que nous venions en aide à notre prochain ou que nous le torturions, comme sont allés en enfer tous les païens, même les plus nobles. Les partisans de ces théories sont toujours à la recherche de passe-partout qui leur ouvrirait toutes les portes, pourrait tout leur expliquer. Mais ce passe partout n’existe pas, la culture se développe grâce à la différence, grâce à l’apparition de nouveaux besoins et à l’autonomie par rapport aux anciens. »

Leszek Kołakowski, Petite philosophie de la vie quotidienne,
trad L. Dyèvre, éditions du Rocher, p. 9- 12

Problèmes d’une civilisation mondiale

30 dimanche Sep 2018

Posted by patertaciturnus in Lectures

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

civilisation mondiale, Claude Lévi-Strauss, Leszek Kolakowski

« Mais s’il existe des cultures concrètes, que l’on-peut situer dans le temps et dans l’espace, et dont on peut dire qu’elles ont « contribué » et continuent de le faire, qu’est-ce que cette « civilisation mondiale » supposée bénéficiaire de toutes ces contributions? Ce n’est pas une civilisation distincte de toutes les autres, jouissant d’un même coefficient de réalité. Quand nous parlons de civilisation mondiale, nous ne désignons pas une époque, ou un groupe d’hommes: nous utilisons une notion abstraite, à laquelle nous prêtons une valeur, soit morale, soit logique: morale, s’il s’agit d’un but que nous proposons aux sociétés existantes; logique, si nous entendons grouper sous un même vocable les éléments communs que l’analyse permet de dégager entre les différentes cultures. Dans les deux cas, il ne faut pas se dissimuler que la notion de civilisation mondiale est fort pauvre, schématique, et que son contenu intellectuel et affectif n’offre pas une grande densité. Vouloir évaluer des contributions culturelles lourdes d’une histoire millénaire, et de tout le poids des pensées, des souffrances, des désirs et du labeur des hommes qui les ont amenées à l’existence, en les rapportant exclusivement à l’étalon d’une civilisation mondiale qui est encore une forme creuse, serait les appauvrir singulièrement, les vider de leur substance et n’en conserver qu’un corps décharné. Nous avons, au contraire, cherché à montrer que la véritable contribution des cultures ne consiste pas dans la liste de leurs inventions particulières, mais dans l’écart différentiel qu’elles offrent entre elles. Le sentiment de gratitude et d’humilité que chaque membre d’une culture donnée peut et doit éprouver envers tous les autres, ne saurait se fonder que sur une seule conviction: c’est que les autres culture sont différentes de la sienne, de la façon la plus variée; et cela, même si la nature dernière de ces différences lui échappe ou si, malgré tous ses efforts, il n’arrive que très imparfaitement à la pénétrer.    D’autre part, nous avons considéré la notion de civilisation mondiale comme une sorte de concept limite, ou comme une manière abrégée de désigner un processus complexe. Car si notre démonstration est valable, il n’y a pas, il ne peut y avoir, une civilisation mondiale au sens absolu que l’on donne souvent à ce terme, publique la civilisation implique la coexistence de cultures offrant entre elles le maximum de diversité, et consiste même en cette coexistence. La civilisation mondiale ne saurait être autre chose que la coalition, à l’échelle mondiale, de cultures préservant chacune son originalité. »

Claude Lévi-Strauss, Race et histoire, p. 75 -77

« Si c’était notre destin d’annihiler la variété culturelle du monde au nom d’une civilisation « planétaire », ce destin ne pourrait probablement s’accomplir qu’au prix d’une telle rupture de continuité dans les traditions, que non seulement chaque civilisation particulière, mais la civilisation humaine tout entière seraient en péril mortel.

Voici une citation : « Nos descendants ne seront plus simplement des Occidentaux comme nous-mêmes. Ils seront les héritiers de Confucius et de Lao-Tseu aussi bien que ceux de Socrate, de Platon et de Plotin; les héritiers de Gautama Bouddha ainsi que ceux du Deutéro-Isaïe et de Jésus Christ ; les héritiers de Zarathoustra et le Mahomet aussi bien que ceux d’Elie et d’Elisée et de Pierre et Paul ; les héritiers de Sankara et de Ramanuja aussi bien que ceux de Clément et d’Origène ; les héritiers les Pères cappadociens de l’Eglise orthodoxe aussi bien que ceux de notre Africain Augustin et de notre Ombrien Benoît, les héritiers de Ibn Khaldoun aussi bien que ceux le Bossuet ; les héritiers — s’ils restent toujours empêtrés dans la confusion politique — de Lénine et de Gandhi et le Sun Yat-Sen aussi bien que ceux de Cromwell et de George Washington et de Mazzini ».

Cette prophétie optimiste (ou qui se veut telle), datant le 1947, est d’Arnold Toynbee (Civilisation on trial,  New York, 1948, p.90); elle exprime bien l’idéal du monde uniformisé à outrance et elle provoque des doutes sérieux, même si nous approuvons la réfutation que Toynbee a faite de la spéculation de Spengler sur les cycles historiques. Qu’est-ce que cela voudrait dire, en effet, être l’héritier » le tous ces prophètes, philosophes et homme d’État  énumérés ? Au sens le plus banal du terme, nous sommes déjà les « héritiers » de tous ces hommes dans la mesure où sous vivons dans un monde qu’ils ont tous contribué à façonner, mais il est clair que Toynbee vise un « héritage » en un sens plus fort, suggère une continuité positive des idées. Mais pour que nos descendants soient des « héritiers » dans ce sens, il faut admettre que tout ce qui fait que maintenant les  valeurs et les idéaux de ces gens sont incompatibles, perdra sa signification ; mais alors, au lieu de les avoir tous pour ancêtres spirituels, nous n’en aurons aucun. Il est concevable que la distinction entre les catholiques,  et les protestants disparaisse, mais alors Bossuet et Cromwell, au lieu d’être « synthétisés » par nos descendants, perdront l’un et l’autre leur signification; l’on oubliera ce qui fut essentiel et spécifique pour eux et « l’héritage » n’aura aucun sens tangible. De même, on voit avec peine comment quelqu’un qui attache de l’importance à la liberté de l’esprit pourra un jour se considérer le légataire de Lénine et de Mahomet ; il est concevable que la question de la liberté perde toute signification si la société de l’avenir est parfaitement totalitaire et acceptée par ses membres, mais alors notre postérité sera en effet héritière de Lénine, mais non de Washington. Bref, s’imaginer que nos petits-enfants  combineront toutes les traditions contradictoires dans un ensemble harmonieux, qu’ils seront en même temps panthéistes, théistes et athées, libéraux et totalitaires, enthousiastes de la violence et ennemis de la violence, c’est s’imaginer qu’ils vivront dans un monde qui non seulement dépasse notre imagination et nos dons prophétiques, mais ans lequel il n’y aura plus aucune tradition viable, ce qui veut dire qu’ils seront des barbares au sens le plus fort du terme. »

Leszek Kołakowski, Le village introuvable Trad. J. Dewitte, Ed. Complexe, 1986, p.113 – 114

Archives

  • janvier 2023 (10)
  • décembre 2022 (6)
  • novembre 2022 (7)
  • octobre 2022 (6)
  • septembre 2022 (15)
  • août 2022 (24)
  • juillet 2022 (28)
  • juin 2022 (19)
  • mai 2022 (20)
  • avril 2022 (23)
  • mars 2022 (27)
  • février 2022 (29)
  • janvier 2022 (31)
  • décembre 2021 (25)
  • novembre 2021 (21)
  • octobre 2021 (26)
  • septembre 2021 (30)
  • août 2021 (24)
  • juillet 2021 (28)
  • juin 2021 (24)
  • mai 2021 (31)
  • avril 2021 (16)
  • mars 2021 (7)
  • février 2021 (6)
  • janvier 2021 (13)
  • décembre 2020 (11)
  • novembre 2020 (3)
  • octobre 2020 (3)
  • septembre 2020 (9)
  • août 2020 (18)
  • juillet 2020 (16)
  • juin 2020 (8)
  • mai 2020 (20)
  • avril 2020 (8)
  • mars 2020 (11)
  • février 2020 (18)
  • janvier 2020 (26)
  • décembre 2019 (21)
  • novembre 2019 (25)
  • octobre 2019 (26)
  • septembre 2019 (31)
  • août 2019 (27)
  • juillet 2019 (23)
  • juin 2019 (22)
  • mai 2019 (22)
  • avril 2019 (27)
  • mars 2019 (27)
  • février 2019 (24)
  • janvier 2019 (32)
  • décembre 2018 (13)
  • novembre 2018 (9)
  • octobre 2018 (12)
  • septembre 2018 (9)
  • août 2018 (13)
  • juillet 2018 (9)
  • juin 2018 (8)
  • mai 2018 (21)
  • avril 2018 (25)
  • mars 2018 (26)
  • février 2018 (22)
  • janvier 2018 (27)
  • décembre 2017 (24)
  • novembre 2017 (16)
  • octobre 2017 (19)
  • septembre 2017 (18)
  • août 2017 (21)
  • juillet 2017 (18)
  • juin 2017 (21)
  • mai 2017 (14)
  • avril 2017 (22)
  • mars 2017 (30)
  • février 2017 (12)
  • janvier 2017 (13)
  • décembre 2016 (14)
  • novembre 2016 (15)
  • octobre 2016 (22)
  • septembre 2016 (16)
  • août 2016 (24)
  • juillet 2016 (19)
  • juin 2016 (16)
  • mai 2016 (20)
  • avril 2016 (10)
  • mars 2016 (30)
  • février 2016 (28)
  • janvier 2016 (32)
  • décembre 2015 (27)
  • novembre 2015 (28)
  • octobre 2015 (31)
  • septembre 2015 (30)
  • août 2015 (33)
  • juillet 2015 (32)
  • juin 2015 (33)
  • mai 2015 (34)
  • avril 2015 (31)
  • mars 2015 (35)
  • février 2015 (32)
  • janvier 2015 (33)
  • décembre 2014 (37)
  • novembre 2014 (33)
  • octobre 2014 (33)
  • septembre 2014 (33)
  • août 2014 (33)
  • juillet 2014 (33)
  • juin 2014 (35)
  • mai 2014 (35)
  • avril 2014 (35)
  • mars 2014 (35)
  • février 2014 (30)
  • janvier 2014 (40)

Catégories

  • 7e art
  • Célébrations
  • Choses vues ou entendues
    • confession
    • Mon métier ma passion
  • Divers vers
  • Fantaisie
    • devinette
    • Philémon et Anatole
    • Taciturnus toujours au top
    • Tentatives de dialogues
  • Food for thought
    • Aphorisme du jour
    • Pessoa est grand
  • Insatiable quête de savoir
    • Il suffirait de quelques liens
  • Lectures
  • Mysticismes
  • Non classé
  • Paroles et musiques
    • Au chant de l'alouette
    • Berceuse du mardi
    • Bienvenue aux visiteurs
  • Père castor
  • Perplexités et ratiocinations
  • SIWOTI or elsewhere

Tags

Abel Bonnard alouette amitié amour art Auguste Comte Benjamin Fondane Bertrand Russell bonheur Cesare Pavese correspondance culture Dieu Djalâl ad-Dîn Rûmî Dostoievski Edmond Jabès Elias Canetti Emily Dickinson enseigner et apprendre esthétique Fernando Pessoa Friedrich von Schiller féminisme Gabriel Yacoub Goethe Hegel Hugo von Hofmannstahl humiliation Hâfez de Chiraz Ito Naga Jean-Jacques Rousseau Joseph Joubert Karen Blixen Karl Kraus Kierkegaard Kobayashi Issa Lichtenberg lune Malek Haddad Marina Tsvetaieva Marshall Sahlins mort Mário de Sá-Carneiro Nietzsche Nâzım Hikmet Omar Khayyâm Paul Eluard Paul Valéry perfection et imperfection Philippe Jaccottet philosophie Pier Paolo Pasolini Pierre Reverdy poésie profondeur racisme Ramón Gómez de la Serna Reiner Kunze religion rêve Simone Weil solitude souffrance Stefan George stoïcisme stupidité travail universalisme Urabe Kenkô utilitarisme vertu vie vérité Witold Gombrowicz éthique et esthétique

Créez un site Web ou un blog gratuitement sur WordPress.com.

Confidentialité & Cookies : Ce site utilise des cookies. En continuant à utiliser ce site, vous acceptez leur utilisation.
Pour en savoir davantage, y compris comment contrôler les cookies, voir : Politique relative aux cookies
  • Suivre Abonné∙e
    • Pater Taciturnus
    • Rejoignez 67 autres abonnés
    • Vous disposez déjà dʼun compte WordPress ? Connectez-vous maintenant.
    • Pater Taciturnus
    • Personnaliser
    • Suivre Abonné∙e
    • S’inscrire
    • Connexion
    • Signaler ce contenu
    • Voir le site dans le Lecteur
    • Gérer les abonnements
    • Réduire cette barre
 

Chargement des commentaires…