• À propos

Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

Pater Taciturnus

Archives de Tag: La Fontaine

La leçon valait-elle le fromage ? (3)

11 dimanche Sep 2016

Posted by patertaciturnus in Fantaisie

≈ 5 Commentaires

Étiquettes

humiliation, juste prix, La Fontaine

Comme on l’a vu hier, Rousseau a beau critiquer sévèrement le Corbeau et le renard, il ne conteste pas que la leçon ait valu le fromage. On peut regretter qu’il n’ait pas cru bon d’examiner les conditions de vérité de cette affirmation. La leçon valait-elle n’importe quel fromage ? n’importe quelle quantité de fromage ? Je serai ravi de découvrir un commentaire de ce passage de la fable par un théoricien de la justice commutative. Comment déterminer le juste prix d’une leçon que le corbeau n’avait pas demandé de recevoir et a fortiori pas envisagé de payer ? En fonction de quels critères le corbeau peut-il considérer rétrospectivement qu’il n’a pas perdu au change? Il faut vraisemblablement comparer ce que lui a coûté cette leçon et les pertes futures qu’elle permettra d’éviter. On doit aussi se poser la question de la prise en compte de l’humiliation qui accompagne la leçon : à première vue elle représente un renchérissement de son coût, mais d’un autre côté elle contribue à rendre la leçon inoubliable, elle est ainsi constitutive de la qualité du service !

La leçon valait-elle le fromage ? (2)

10 samedi Sep 2016

Posted by patertaciturnus in Fantaisie, Perplexités et ratiocinations

≈ 3 Commentaires

Étiquettes

Jean-Jacques Rousseau, La Fontaine

Après m’être amusé à ratiociner sur le Corbeau et le renard en m’appuyant sur Starobinski, j’ai eu la curiosité de retourner voir ce qu’en dit Rousseau  dans le fameux passage de l’Émile où il critique cette fable d’un point de vue pédagogique. Je dois confesser que je n’avais jamais pris cette critique au sérieux faute peut-être de l’avoir lue d’assez près.

Notons d’abord que Rousseau ne conteste pas la vérité de la morale de la fable mais le fait qu’elle soit accessible aux enfants :

Apprenez que tout flatteur

Maxime générale ; nous n’y sommes plus.

Vit aux dépens de celui qui l’écoute.

Jamais enfant de dix ans n’entendit ce vers-là.

Au delà du problème des tournures linguistiques et de leur intelligibilité pour les enfants, Rousseau s’interroge sur l’âge auquel les enfants peuvent recevoir la morale de la fable.

Je demande si c’est à des enfants de dix ans qu’il faut apprendre qu’il y a des hommes qui flattent et mentent pour leur profit ? On pourrait tout au plus leur apprendre qu’il y a des railleurs qui persiflent les petits garçons, et se moquent en secret de leur sotte vanité ; mais le fromage gâte tout ; on leur apprend moins à ne pas le laisser tomber de leur bec qu’à le faire tomber du bec d’un autre.

Rousseau considère d’ailleurs que le Corbeau et le renard n’est pas la seule des fables de La Fontaine qui risque d’être comprise comme une leçon d’immoralité :

Suivez les enfants apprenant leurs fables, et vous verrez que, quand ils sont en état d’en faire l’application, ils en font presque toujours une contraire à l’intention de l’auteur, et qu’au lieu de s’observer sur le défaut dont on les veut guérir ou préserver, ils penchent à aimer le vice avec lequel on tire parti des défauts des autres. Dans la fable précédente, les enfants se moquent du corbeau, mais ils s’affectionnent tous au renard ; dans la fable qui suit, vous croyez leur donner la cigale pour exemple ; et point du tout, c’est la fourmi qu’ils choisiront. On n’aime point à s’humilier : ils prendront toujours le beau rôle ; c’est le choix de l’amour-propre, c’est un choix très naturel. Or, quelle horrible leçon pour l’enfance ! Le plus odieux de tous les montres serait un enfant avare et dur, qui saurait ce qu’on lui demande et ce qu’il refuse. La fourmi fait plus encore, elle lui apprend à railler dans ses refus.

Rousseau soutient, de manière assez convaincante,  que la réception de la morale des fables par l’enfant est orientée par son identification aux personnages. Il fait valoir que l’enfant s’identifiera plus volontiers au personnage qui raille (le renard, la fourmi) qu’à celui qui est raillé (le corbeau, la cigale). Cela nous conduit une nouvelle fois (mais dans une perspective différente de celle de Starobinski) à porter notre attention sur les conditions de d’énonciation de la morale de la fable. A première vue c’est la même leçon (au sens du contenu enseigné) qui est donnée par le renard au corbeau et par l’auteur de la fable à son lecteur ; le lecteur et le corbeau recevraient le même enseignement, la seule différence serait que l’un recevrait gratuitement ce que l’autre a payé d’un fromage. Mais, si l’on en croit Rousseau,  le fait que l’énonciation de la morale par le renard constitue un acte d’humiliation du corbeau, contribuerait à subvertir l’enseignement de la fable.

Revenons pour finir à l’affirmation par le renard d’une égalité de valeur de la leçon et du fromage :

Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute.

Ceci s’entend, et la pensée est très bonne. Cependant il y aura encore bien peu d’enfants qui sachent comparer une leçon à un fromage, et qui ne préférassent le fromage à la leçon. Il faut donc leur faire entendre que ce propos n’est qu’une raillerie. Que de finesse pour des enfants !

Rousseau reconnaît la vérité et l’intérêt de la proposition « cette leçon vaut bien un fromage » (qui constitue comme une morale de « second ordre » : une morale sur la valeur de la leçon) comme il concédait la vérité de la proposition « tout flatteur vit aux dépens de celui qui l’écoute ». Dans les deux cas c’est la réception de la vérité par l’enfant que Rousseau met en question, dans les deux cas le fait que l’énonciation de la vérité participe à un acte d’humiliation contribue au brouillage de cette réception.

La leçon valait-elle le fromage ?

21 dimanche Août 2016

Posted by patertaciturnus in Lectures, Perplexités et ratiocinations

≈ 1 Commentaire

Étiquettes

flatterie, humiliation, Jean Starobinski, La Fontaine

J’étais à l’affut d’une occasion de citer la Phénoménologie de l’Esprit ; la lecture du Remède dans le mal de Jean Starobinski vient de me la fournir en me faisant prendre conscience que la morale de la plus célèbre des Fables de La Fontaine constituait une parfaite illustration de la formule de Hegel  :« Ce qui est bien connu est en général, pour cette raison qu’il est bien connu, non connu »[« Das Bekannte überhaupt ist darum, weil es bekannt ist, nicht erkannt »].

La moralité fameuse :

Apprenez que tout flatteur
Vit aux dépens de celui qui l’écoute

ne se borne pas à révéler l’intérêt économique (alimentaire) dissimulé dans la manœuvre initiale sous la forme d’une approbation tout esthétique. Elle ne se contente pas d’énoncer l’« infrastructure » matérielle qui a suscité la ruse éloquente du compliment. Elle ne se borne pas non plus à rétablir narquoisement l’équité de la transaction, en substituant à la louange mensongère la leçon véridique et profitable, laquelle « vaut bien un fromage ». Constatons qu’en avouant le caractère agressif de la flatterie, le renard triomphant rend plus profonde la blessure: il désabuse celui qu’il avait abusé, et, ce faisant, il augmente l’humiliation.

op. cit. p.80

Le contenu de l’énoncé de la morale me paraissait une telle banalité que je n’avais jamais réfléchi à ce que révélait les conditions de son énonciation, bref, à toute cette histoire de « leçon qui vaut bien un fromage »[1]. Il est, en effet, cruellement ironique de la part du renard de prétendre dédommager le corbeau du fromage perdu par la leçon qu’il lui donne. Donner une leçon c’est instruire d’une vérité, mais c’est aussi infliger une humiliation, et le renard joue sur ces deux sens : en prétendant  dédommager par l’instruction il inflige intentionnellement une humiliation qui est tout le contraire d’un dédommagement mais au contraire un renchérissement du coût  de l’interaction pour le corbeau. On peut en effet supposer que le fait que le corbeau soit « honteux et confus » n’est pas un effet secondaire de la révélation de la vérité involontairement produit par un renard soucieux d’équité mais qu’il est le véritable but de cette révélation. Dès lors une question – que je ne m’étais jamais posée avant de lire Starobinski – mérite examen  : pourquoi le renard ne se contente t-il pas de partir avec le fromage et inflige-t-il de surcroît une humiliation au corbeau ? [2] Une remarque que Starobinski fait un peu plus loin en commentant La Bruyère me semble éclairer cette question :

« Le flatteur n’est pas exempt de mépris pour ceux qu’il peut duper ; La Bruyère foisonne en remarques de cet ordre: « C’est avoir une très mauvaise opinion des hommes, et néanmoins les bien connaître, que de croire dans un grand poste leur imposer par des caresses étudiées, par de longs et stériles embrassements. » « Le flatteur n’a pas assez bonne opinion de soi ni des autres. » Le flatteur, dont le langage « porte aux nues », se sent humilié d’être contraint à « ramper » ; il se venge en tirant profit de la « faiblesse » des autres. »

Finalement la leçon donnée au corbeau a peut-être bien valeur de dédommagement, mais il ne s’agirait pas tant, pour le renard, de dédommager le corbeau de la perte de son fromage en l’instruisant de la vérité, que de se dédommager lui-même, en infligeant une humiliation au corbeau, de l’humiliation d’avoir eu à flatter.  Pourquoi, objectera-t-on, l’acquisition du fromage ne le dédommage-t-elle pas suffisamment ? A quoi l’on peut répondre par l’hypothèse que les blessures d’amour propre doivent compensées sur le terrain même de l’amour propre [3].

 [1] On notera que la thématique du « dédommagement » par la leçon est absente de la fable du corbeau et du renard chez Ésope, quoique le renard y détrompe aussi le corbeau. De même, Ésope ne parle pas du sentiment d’humiliation du corbeau détrompé. La concomitance de  ces deux ajouts de la part de  La Fontaine ne tient pas au hasard si on suit l’interprétation de Starobinski.

[2] On notera que faire la leçon à sa dupe, n’est pas une conduite qui va de soi pour un flatteur : 1) le flatteur n’a pas intérêt à détromper sa dupe lorsqu’il peut espérer continuer à lui soutirer des avantages à l’avenir 2) lorsque le flatté est puissant, le flatteur s’expose à des mesures de rétorsion en le détrompant. La situation de la fable ne remplit pas ces deux conditions habituelles.

[3] Une objection plus simple à cette interprétation consiste à contester que le renard se sente humilié d’avoir à flatter, (la tromperie n’est-elle pas dans sa nature?), dans ce cas, l’humiliation du corbeau relèverait de la cruauté gratuite.

Archives

  • août 2022 (8)
  • juillet 2022 (28)
  • juin 2022 (19)
  • mai 2022 (20)
  • avril 2022 (23)
  • mars 2022 (27)
  • février 2022 (29)
  • janvier 2022 (31)
  • décembre 2021 (25)
  • novembre 2021 (21)
  • octobre 2021 (26)
  • septembre 2021 (30)
  • août 2021 (24)
  • juillet 2021 (28)
  • juin 2021 (24)
  • mai 2021 (31)
  • avril 2021 (16)
  • mars 2021 (7)
  • février 2021 (6)
  • janvier 2021 (13)
  • décembre 2020 (11)
  • novembre 2020 (3)
  • octobre 2020 (3)
  • septembre 2020 (9)
  • août 2020 (18)
  • juillet 2020 (16)
  • juin 2020 (8)
  • mai 2020 (20)
  • avril 2020 (8)
  • mars 2020 (11)
  • février 2020 (18)
  • janvier 2020 (26)
  • décembre 2019 (21)
  • novembre 2019 (25)
  • octobre 2019 (26)
  • septembre 2019 (31)
  • août 2019 (27)
  • juillet 2019 (23)
  • juin 2019 (22)
  • mai 2019 (22)
  • avril 2019 (27)
  • mars 2019 (27)
  • février 2019 (24)
  • janvier 2019 (32)
  • décembre 2018 (13)
  • novembre 2018 (9)
  • octobre 2018 (12)
  • septembre 2018 (9)
  • août 2018 (13)
  • juillet 2018 (9)
  • juin 2018 (8)
  • mai 2018 (21)
  • avril 2018 (25)
  • mars 2018 (26)
  • février 2018 (22)
  • janvier 2018 (27)
  • décembre 2017 (24)
  • novembre 2017 (16)
  • octobre 2017 (19)
  • septembre 2017 (18)
  • août 2017 (21)
  • juillet 2017 (18)
  • juin 2017 (21)
  • mai 2017 (14)
  • avril 2017 (22)
  • mars 2017 (30)
  • février 2017 (12)
  • janvier 2017 (13)
  • décembre 2016 (14)
  • novembre 2016 (15)
  • octobre 2016 (22)
  • septembre 2016 (16)
  • août 2016 (24)
  • juillet 2016 (19)
  • juin 2016 (16)
  • mai 2016 (20)
  • avril 2016 (10)
  • mars 2016 (30)
  • février 2016 (28)
  • janvier 2016 (32)
  • décembre 2015 (27)
  • novembre 2015 (28)
  • octobre 2015 (31)
  • septembre 2015 (30)
  • août 2015 (33)
  • juillet 2015 (32)
  • juin 2015 (33)
  • mai 2015 (34)
  • avril 2015 (31)
  • mars 2015 (35)
  • février 2015 (32)
  • janvier 2015 (33)
  • décembre 2014 (37)
  • novembre 2014 (33)
  • octobre 2014 (33)
  • septembre 2014 (33)
  • août 2014 (33)
  • juillet 2014 (33)
  • juin 2014 (35)
  • mai 2014 (35)
  • avril 2014 (35)
  • mars 2014 (35)
  • février 2014 (30)
  • janvier 2014 (40)

Catégories

  • 7e art
  • Célébrations
  • Choses vues ou entendues
    • confession
    • Mon métier ma passion
  • Divers vers
  • Fantaisie
    • devinette
    • Philémon et Anatole
    • Taciturnus toujours au top
    • Tentatives de dialogues
  • Food for thought
    • Aphorisme du jour
    • Pessoa est grand
  • Insatiable quête de savoir
    • Il suffirait de quelques liens
  • Lectures
  • Mysticismes
  • Non classé
  • Paroles et musiques
    • Au chant de l'alouette
    • Berceuse du mardi
    • Bienvenue aux visiteurs
  • Père castor
  • Perplexités et ratiocinations
  • SIWOTI or elsewhere

Tags

Abel Bonnard alouette amitié amour art Auguste Comte Benjamin Fondane Bertrand Russell bonheur Cesare Pavese correspondance culture Dieu Djalâl ad-Dîn Rûmî Dostoievski Edmond Jabès Elias Canetti Emily Dickinson enseigner et apprendre esthétique Fernando Pessoa Friedrich von Schiller féminisme Gabriel Yacoub Goethe Hegel Hugo von Hofmannstahl humiliation Hâfez de Chiraz Ito Naga Jean-Jacques Rousseau Joseph Joubert Karen Blixen Karl Kraus Kierkegaard Kobayashi Issa Lichtenberg lune Malek Haddad Marina Tsvetaieva Marshall Sahlins mort Mário de Sá-Carneiro Nietzsche Nâzım Hikmet Omar Khayyâm Paul Eluard Paul Valéry perfection et imperfection Philippe Jaccottet philosophie Pier Paolo Pasolini Pierre Reverdy poésie profondeur racisme Ramón Gómez de la Serna Reiner Kunze religion rêve Simone Weil solitude souffrance Stefan George stoïcisme stupidité travail universalisme Urabe Kenkô utilitarisme vertu vie vérité Witold Gombrowicz éthique et esthétique

Créez un site Web ou un blog gratuitement sur WordPress.com.

Confidentialité & Cookies : Ce site utilise des cookies. En continuant à utiliser ce site, vous acceptez leur utilisation.
Pour en savoir davantage, y compris comment contrôler les cookies, voir : Politique relative aux cookies
  • Suivre Abonné
    • Pater Taciturnus
    • Rejoignez 64 autres abonnés
    • Vous disposez déjà dʼun compte WordPress ? Connectez-vous maintenant.
    • Pater Taciturnus
    • Personnaliser
    • Suivre Abonné
    • S’inscrire
    • Connexion
    • Signaler ce contenu
    • Voir le site dans le Lecteur
    • Gérer les abonnements
    • Réduire cette barre