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Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

Pater Taciturnus

Archives de Tag: Karl Jaspers

Boostez vos références philosophiques avec des gosses

22 samedi Juin 2019

Posted by patertaciturnus in Lectures, Mon métier ma passion

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génie pédagogique, Karl Jaspers, répétition

Corriger le bac c’est aussi découvrir que des collègues arrivent à subjuguer leurs élèves avec des textes dont on avait oublié l’existence.  Je me souvenais certes vaguement qu’au début de son Introduction à  la philosophie, Jaspers évoquait les questions des enfants, mais je n’avais pas été marqué par l’extrait ci-dessous. Le nombre de copies dans lesquelles j’en entends parler me porte cependant à croire qu’il a fait forte impression sur les élèves qui ont eu à l’étudier :

« Une petite fille fait une promenade ; à l’entrée d’une clairière, on lui raconte des histoires d’elfes qui y dansent la nuit. « Mais pourtant, ils n’existent pas… » On lui parle alors des choses réelles, on lui fait observer le mouvement du soleil, on discute la question de savoir si c’est le soleil qui se meut ou la terre qui tourne, on produit les raisons de croire à la forme sphérique de la terre et à son mouvement de rotation… « Mais ce n’est pas vrai, dit la fillette en frappant du pied le sol, la terre ne bouge pas. Je ne crois que ce que je vois. » On lui réplique : « Alors tu ne crois pas au bon Dieu, tu ne le vois pas non plus. » La petite semble interloquée, puis déclare résolument : « S’il n’existait pas, nous ne serions pas là. » Elle avait été saisie d’étonnement devant la réalité du monde : il n’existe pas par lui-même. Et elle comprenait la différence qu’il y a entre un objet faisant partie du monde et une question concernant l’être et notre situation dans le tout. »

Karl Jaspers, Introduction à la philosophie

Il se trouve que c’est le même collègue qui fait étudier ce texte et celui d’Amartya Sen dont j’ai cité hier la version originale (je trouve ces deux références peu courantes dans les mêmes copies). Je ne sais pas comment il s’y prend, mais ses élèves me citent ces textes à tout bout de champ. Le plus étonnant c’est que, corrigeant des copies du même établissement (et des mêmes séries) l’année dernière, j’avais déjà encaissé le bombardement de références aux enfants qui se disputent la flûte et à la petite fille qui croyait aux elfes (ce qui donne à ces journées de correction un air de variation sur le thème d’Un jour sans fin avec Jaspers et Sen dans le rôle de Sonny & Cher). Il faut croire que ce collègue subjugue tellement ses élèves avec ces références qu’ils sont prêts à les mobiliser quel que soit le sujet.

Lire les philosophes

07 dimanche Avr 2019

Posted by patertaciturnus in Lectures

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Karl Jaspers, lecture, philosophie

« Quand je lis, je veux d’abord comprendre ce que l’auteur a voulu dire. Cependant, il faut pour cela comprendre non seulement la langue, mais encore la matière. La compréhension dépend des connaissances que l’on a en cette matière.

Pour l’étude de la philosophie, cela entraîne des conséquences importantes.

Nous voulons nous servir de la compréhension du texte pour acquérir la connaissance de la matière. Aussi devons-nous penser en même temps à la matière et à ce que l’auteur a voulu dire. Si l’un des deux manque, la lecture ne sert à rien.

Lorsqu’en étudiant un texte, je pense moi-même à la matière, ma compréhension se transforme sans que je le veuille. C’est pourquoi une bonne compréhension exige deux choses : qu’on approfondisse la matière et qu’on revienne à une claire intelligence du sens visé par l’auteur. La première voie m’ouvre la philosophie, la seconde une connaissance historique.

La lecture exige d’abord une attitude fondamentale, née de la confiance et de la sympathie qu’on ressent pour l’auteur et son sujet : il faut lire d’abord une fois comme si tout dans le texte était vrai. C’est seule­ment quand je me suis laissé prendre complètement, que j’ai mimé cette pensée et que j’en émerge à nou­veau, qu’une critique légitime peut commencer.

La signification que l’étude de l’histoire de la philo­sophie et l’assimilation de la pensée du passé ont pour nous peut être développée à l’aide des trois exigences kantiennes : penser soi-même ; penser en se mettant à la place d’autrui ; penser en restant cohérent avec soi-même. Ces exigences sont des tâches infinies. Toute solution préconçue selon laquelle on saurait déjà, on pourrait faire d’avance ce qui importe, est une illusion : nous sommes toujours en route. L’Histoire nous aide progresser.

Penser par soi-même, cela ne se produit pas dans le vide. Ce que nous pensons nous-mêmes doit en fait nous être montré. L’autorité de la tradition éveille en nous les origines en qui nous avons une foi anticipée ; notre contact avec elles s’établit par les commence­ments comme par les résultats achevés des philosophies réalisées au cours de l’Histoire. Toute étude ultérieure présuppose cette confiance. Sans elle nous ne pren­drions pas la peine d’étudier Platon et Kant.

L’effort philosophique personnel se sert des figures historiques. En comprenant les textes, nous devenons nous-mêmes des philosophes. Mais cette assimilation, avec sa docilité confiante, n’est pas obéissance : en avançant du pas de l’autre, nous examinons ce qu’il dit et le confrontons avec ce que nous sommes. « L’obéissance » ici signifie que l’on se laisse conduire, qu’on croit d’abord que ce qui est dit est vrai ; nous ne devons pas tout de suite et à tout moment inter­venir avec des réflexions critiques et nous empêcher ainsi nous-mêmes de suivre notre guide. L’obéissance signifie ensuite le respect qui s’interdit toute critique à bon marché ; seule est admissible celle qui, après un travail personnel approfondi, permet d’approcher pas à pas du problème et de se trouver finalement de taille à le traiter. L’obéissance trouve sa limite ici : on n’admettra comme vrai que ce qui aura pu devenir une conviction personnelle par la réflexion. Aucun philosophe, même le plus grand, ne possède la vérité. Amicus Plato, magis amica veritas.

Nous atteignons la vérité en pensant par nous-mêmes, mais à condition de nous efforcer sans cesse de penser à la place d’autrui. Il faut découvrir ce qui est possible pour l’homme. En essayant sérieusement de repenser la pensée d’autrui, on élargit les possibilités de sa vérité propre, même si l’on se refuse à cette pensée étrangère. On n’apprend à la connaître qu’en s’y donnant complètement, avec le risque que cela comporte. Ce qui nous est lointain et étranger, ce qui est excessif, exceptionnel et même bizarre, nous attire afin que nous ne manquions pas la vérité en négligeant quelque élément originel par aveuglement. C’est pour­quoi l’apprenti philosophe ne s’en tient pas seulement à l’œuvre qu’il a choisie d’abord et faite sienne en l’étudiant à fond, mais il se tourne aussi vers l’histoire de la philosophie dans son ensemble afin de savoir ce qui a été pensé au cours du temps.

En se tournant vers l’histoire, on s’éparpille dans une diversité sans lien. L’exigence d’être en tout temps d’accord avec sa propre pensée s’oppose à la tentation que nous éprouvons à la vue de cette diversité, de nous abandonner trop longtemps à la curiosité et au plaisir d’un simple spectacle. Ce qu’on apprend de l’histoire doit devenir un stimulant ; cela doit ou bien nous rendre attentif et nous éveiller, ou bien nous mettre en question. Il ne faut pas que les choses se succèdent dans l’indifférence. Tout ce qui, au cours de l’histoire, n’est pas entrée en rapport mutuel et où en fait aucun échange ne s’est produit, doit s’affronter en nous. Les idées les plus étrangères les unes aux autres doivent entrer en relation.

Tout se rencontre dans le sujet qui comprend. Être d’accord avec soi-même signifie qu’on sauvegarde sa propre pensée en faisant converger vers l’unité tout ce qui est séparé, contradictoire, sans contact. L’his­toire universelle, assimilée de façon significative, s’or­ganise en une unité qui reste cependant toujours ouverte. Cette unité est une idée, elle échoue constam­ment dans les faits ; mais c’est elle qui stimule l’assimilation. »

Karl JASPERS, Remarques sur les lectures philosophiques, in  Introduction à la philosophie, p. 161 – 162

 

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