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Je n’accroche guère à la mystique du livre et de l’écriture de Jabès, et ses références à Derrida et Blanchot me laissent circonspect ; pourtant je suis favorablement impressionné par cette captation d’un texte de Starobinski. Il est vrai que c’est par son air d’exercice oulipien qu’elle me séduit, plus que par ce que Jabès dit ici de l’activité littéraire,.
Les amants
« A ce point, le dévouement devient sacrifice de façon asymptotique vers l’absolu de la mort. Ne vivre que pour l’être aimé ; c’est bientôt ne vivre que par l’être aimé ; avoir cessé de vivre pour soi-même et par soi-même. Profonde libération qui, en retour, confère à la vie elle-même une aisance, une allégresse et une intrépidité merveilleuses. …L’amante passionnée (…) devient ainsi une morte-vivante, maintenue en vie par une sorte de respiration artificielle qu’elle implore — une morte en puissance dont chaque instant dépend désormais de l’être aimé ; exprimer cet état, c’est répéter sans relâche (et de façon la moins politique) qu’on mourrait si l’être aimé se détournait ; c’est proclamer que la vie est le don conditionnel que l’on tient de lui… Sa défection, que dis-je, sa seule distraction vouerait au néant l’être qui s’est confié à lui. A l’extrémité du dévouement s’annoncent donc le sacrifice et la mort consentie, mais c’est là aussi, on le soupçonne, l’arme ultime du désir possessif, de l’avidité captatrice. Mme de Staël et ses héroïnes s’ingénient à faire du néant qu’elles affrontent, la monnaie d’échange qui leur permet de conserver le tout de l’être. » Jean Starobinski. (Suicide et mélancolie chez Mme de Staël, Colloque de Coppet.)
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J’y lis, en regard:
« A ce point, le dévouement devient sacrifice de façon asymptotique vers l’absolu de la mort. Ne vivre que pour (le livre); c’est bientôt ne vivre que par (le livre); avoir cessé de vivre pour soi-même et par soi-même. Profonde libération qui, en retour, confère à la vie elle-même une aisance, une allégresse et une intrépidité merveilleuses. … (L’écrivain) devient ainsi un mort-vivant maintenu en vie par une sorte de respiration artificielle qu’il implore — un mort en puissance dont chaque instant dépend désormais du (livre); exprimer cet état, c’est répéter sans relâche (et de façon la moins politique) qu’on mourrait si (le livre) se détournait ; c’est proclamer que la vie est le don conditionnel que l’on tient de lui. Sa défection, que dis-je, sa seule distraction vouerait au néant l’être qui s’est confié à lui. A l’extrémité du dévouement s’annoncent donc le sacrifice et la mort consentie, mais c’est là aussi, on le soupçonne, l’arme ultime du désir possessif, de l’avidité captatrice. (L’écrivain) s’ingénie à faire du néant qu’il affronte, la monnaie d’échange qui lui permet de conserver le tout du livre.
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Le livre des marges