« Il y a autre chose qui nous fait nous détourne avec terreur de la confiance que nous avons en nous-mêmes : c’est notre attitude de cohérence un respect pour nos paroles ou nos actes passés, car le regard des autres n’a comme repères que nos actes passés pour juger de notre propre orbite et nous répugnons à les décevoir.
Mais pourquoi faudrait-il que vous gardiez la tête sur les épaules ? Pourquoi traîner ce cadavre de la mémoire de peur de contredire ce que vous avez affirmé dans tel ou tel lieu public ? Supposez que vous soyez amené à vous contredire ? Et alors ? Il semble que ce soit une règle de la sagesse de ne jamais compter sur la seule mémoire, encore moins lorsqu’il s’agit d’actes de mémoire pure, mais de soumettre le passé au jugement du présent aux mille regards, et de vivre à chaque fois un jour nouveau. Dans votre métaphysique vous avez refusé d’accorder toute personnalité à la Divinité ; cependant, lorsque se produisent les pieux mouvements de l’âme, abandonnez-vous à ces élans de toutes vos forces et de tout votre cœur, bien qu’ils puissent revêtir Dieu de forme et de couleur. Tel Joseph abandonnant son manteau aux mains de la prostituée, abandonnez votre théorie et fuyez.
Cet esprit de cohérence stupide est le farfadet des esprits pusillanimes, vénéré par les hommes l’État, les philosophes et les théologiens de piètre envergure. Une grande âme n’a rien à faire du cet esprit de cohérence. Autant se préoccuper de son ombre sur le mur. Exprimez ce que vous ressentez aujourd’hui en paroles fortes et ce que demain pensera, exprimez-le également en paroles fortes, même si cela contredit ce que vous avez dit aujourd’hui. « Ah ! ainsi vous serez certains d’être incompris. » — Est-ce si mal d’être incompris ? Pythagore fut incompris ; de même Socrate, Jésus, Luther, Copernic, Galilée, Newton, ainsi que tout esprit pur et sage qui s’incarnât jamais. Être grand c’est être incompris. »
Emerson, La confiance en soi, Rivage Poche p. 112 – 114
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Le Moi pur ne peut être représenté que négativement ;en tant qu’opposé du Non-Moi dont le caractère est la diversité — par conséquent en tant qu’uniformité [Einerleiheit] complète et absolue ; il est toujours un et identique, et jamais un autre. La formule citée peut donc s’exprimer ainsi : l’homme doit être continuellement d’accord avec soi-même; il ne doit jamais se contredire. — C’est-à-dire que le Moi pur ne peut jamais entrer en contradiction avec soi-même, car il n’a en lui absolument aucune différence, étant au contraire continuellement un et identique : mais le Moi empirique, déterminable et déterminé par les choses extérieures peut se contredire; — et chaque fois qu’il se contredit, c’est un signe certain qu’il n’est pas déterminé d’ après la forme du Moi pur, par soi-même, mais par des choses extérieures. Et il ne doit pas être ainsi; car l’homme est sa propre fin ; il doit se déterminer soi-même, et ne jamais se laisser déterminer par quelque chose d’étranger; et il doit être ce qu’il est parce qu’il veut et doit vouloir l’être. Le Moi empirique doit être déterminé de la même manière qu’il pourrait être éternellement déterminé. »
J. G. Fichte, La destination du savant, Ie conférence, trad. J-L Vieillard-Baron, Vrin p. 45 – 46