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Je ne regarde presque plus de football à la télévision car je refuse, par principe, de payer pour cela, en revanche je confesse apprécier regarder les débats de l’Équipe du soir consacrés à des matchs que je n’ai pas vus. Au cas où je serais pris de honte et me reprocherais de ne pas plutôt écouter France Culture, je peux me justifier à mes propres yeux en faisant valoir que ce genre démission peut m’inspirer quant au développement des capacités dialectiques de mes élèves[1]. L’Équipe du soir met en effet en place un dispositif de disputatio sportive digne d’intérêt : sur une question posée par l’animateur de l’émission ( par exemple : X doit il être rappelé en équipe de France ? Qui de Y ou Z a le plus de responsabilité dans le but encaissé par son équipe ?) deux chroniqueurs disposent de 30 secondes pour argumenter l’un la thèse, l’autre l’antithèse. Le débat est ensuite doublement tranché par un vote du public et par le vote du « président ». Évidemment ce 3e temps est souvent décevant pour les adeptes du plan thèse – antithèse – synthèse, car savoir que 60% du public a trouvé le chroniqueur A plus convaincant ne nous dit pas ce qu’il en est de la vérité sur la question posée. Quant au « président » il a certes sur le public l’avantage de pouvoir motiver son arbitrage mais l’usage qu’il fait de cette possibilité ne contribue pas nécessairement à l’éclaircissement de la question. Pourtant il est parfois des moments de grâce où le président parvient à surmonter la contradiction en opérant une distinction[2] : c’est ce qui se produisit le vendredi 30 avril vers 23h 20 lorsque Djibril Cissé parvint à accorder les points de vue de Gregory Schneider et Eric Bilderman sur la question « L’OM a-t-il gagné un point ou perdu deux points dans la course à l’Europe ? » (regarder la vidéo entre 22’50 et 25’20). Subjectivement, la résolution de la difficulté que propose l’ex avant-centre de l’AJ Auxerre est déjà satisfaisante en ce qu’elle obtient l’approbation des deux contradicteurs à qui elle montre que leur contradiction n’était qu’apparente. Objectivement, il ne reste plus rien à demander aux amoureux de la clarté intellectuelle, si ce n’est, peut-être, une formalisation de la solution cisséenne en terme de probabilités conditionnelles.
Pour les lecteurs qui s’interrogeraient sur le titre de l’article, « sursomption » est le néologisme utilisé par certains traducteurs de Hegel pour rendre le concept d’Auhebung avec lequel Hegel pense le « dépassement » dialectique des contradictions.
« Par aufheben nous entendons d’abord la même chose que par hinwegräumen (abroger), negieren (nier), et nous disons en conséquence, par exemple, qu’une loi, une disposition, etc., sont aufgehoben (abrogées). Mais, en outre, aufheben signifie aussi la même chose que aufbewahren (conserver), et nous disons en ce sens, que quelque chose est bien wohl aufgehoben (bien conservé). Cette ambiguïté dans l’usage de la langue, suivant laquelle le même mot a une signification négative et une signification positive, on ne peut la regarder comme accidentelle et l’on ne peut absolument pas faire à la langue le reproche de prêter à confusion, mais on a à reconnaître ici l’esprit spéculatif de notre langue, qui va au-delà du simple « ou bien-ou bien » propre à l’entendement. »
Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, trad. Bernard Bourgeois, tome I, Vrin, 1970, p. 530
[1] Les lecteurs fidèles se souviennent peut-être que j’ai naguère souligné l’intérêt spéculatif des titres des articles que l’Équipe consacre au mercato.
[2] Pour être complet, il faut signaler qu’il arrive par fois aux débatteurs eux-mêmes de signaler que leur contradiction n’est qu’apparente car ils diffèrent dans l’interprétation d’une ambiguïté de la question. Mais d’une part les 30 secondes qui leur sont imparties ne leur laissent guère le temps d’expliquer ce point, et d’autre part ils ne sont guère incités à faire preuve de cette honnêteté intellectuelle puisque cela ne leur permettra pas de marquer un point en gagnant le débat.