• À propos

Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

Pater Taciturnus

Archives de Tag: deuil

Amour enterré

09 lundi Août 2021

Posted by patertaciturnus in Divers vers

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

amour, deuil, Max Jacob

AMOUR ENTERRÉ

Moi, patient sous le fouet de solitude amère,
je me dévêts de l’eau de ton amour, puits caché !
De ta petite oreille j’oublie les longs secrets,
ton sourire d’enfantelet, l’éphémère
qu’on ose pas baiser, tes paupières
aveuglées par mes lèvres, sources claires du destin,
froides, chaudes comme la lune en juin.
Imperturbable oubli, vers une autre penchée
de la même douceur pour le trouble d’un autre,
tu naîtras le matin pour un nouveau péché,
altérée des lèvres salées d’un homme.
Ton miroir est signé par moi et tu le donnes !
Tu me quittes avant que me quitte la vie !
Par moi ton âme était scellée et tu la donnes à la forêt
mais mon lierre s’enlace, où montaient mes suppliques
et tes pas ne pourront jamais que t’égarer…

Je cache hors de ta vue, douce comme la prière,
une vie comme une forte fleur de la mer.
Je serais si petit amant que de me plaindre
que le temps est moins prompt à désunir qu’à joindre ?
Vois ! à travers le monde les Hauts Dieux vont descendre.
La grâce du Seigneur est une ombre chargée.
Une épaule brillante échauffe mes vergers.
Saisi, débarque un ange stalactite
parfait ! il foule à ma mesure une beauté rapide.

Max Jacob, Derniers poèmes

Deuil

17 samedi Juil 2021

Posted by patertaciturnus in Lectures

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

deuil, Frédéric Worms, Sigmund Freud

« Dans une lettre à son ami psychiatre (fondateur de la psychiatrie phénoménologique) Ludwig Binswanger, dont il vient d’apprendre qu’il avait perdu sa fille, dix ans après que cela lui fut arrivé à lui-même, Freud va plus loin peut-être que dans tous ses autres textes sur le deuil.

Voici ce qu’il lui écrit, le 12 avril 1929, après avoir noté que l’écriture de son ami, dans les lignes où il lui apprenait son deuil, était devenue presque illisible et qu’il avait dû demander de l’aide à sa belle-soeur pour déchiffrer la « bouleversante nouvelle » :

On sait que le deuil aigu que cause une telle perte trouvera une fin, mais qu’on restera inconsolable, sans trouver jamais un substitut. Tout ce qui prendra cette place, même en l’occupant entièrement, restera toujours quelque chose d’autre. Et à vrai dire c’est bien ainsi. C’est le seul moyen que nous ayons de perpétuer un amour auquel nous ne voulons pas renoncer.

N’avait-il pas soutenu le contraire, dans Deuil et mélancolie, en opposant le deuil normal qui doit prendre fin (la « libido » s’investissant sur un autre objet après avoir douloureusement admis la perte définitive) au deuil « pathologique » (et donc « mélancolique » au sens clinique de ce terme) qui est « interminable » ? C’est bien le cas, en effet.

Mais si l’on relit de près la lettre à Binswanger, il s’agira moins d’une contradiction que d’une précision, plus importante encore, et de loin. Que dit Freud, en effet ? Non pas qu’il faille rester dans le « deuil aigu ». Au contraire, celui-ci, « on le sait », prendra fin. Le dan­ger reste la fixation aiguë sur ce qui, pour chacun, est inadmissible. Penser, repenser, ici, c’est admettre ce qui est d’abord impossible à admettre et au sens strict impen­sable : la perte définitive, le « jamais plus », le « à jamais », appliqué si cruellement à une relation qui nous était vitale au sens le plus strict du terme et nous fait littéralement éprouver — connaître — la réalité de la mort. Cette tâche, ce « travail » (expression freudienne qui a profondément marqué le siècle et parfois de façon ambiguë, perçue à tort comme normative et presque vio­lente) admettre cette réalité, est celle qui permet de vivre, de survivre d’abord, de revivre ensuite.

Ce que dit Freud ici est différent et tout aussi capital.
C’est que la fin de ce deuil aigu n’est pas incompatible avec la continuation d’une douleur « inconsolable » qu’il ne faut pas critiquer ni regretter parce qu’elle est (admirable formule) « le seul moyen de perpétuer un amour auquel nous ne voulons pas renoncer ».

Ainsi, il faut admettre les deux à la fois : la réalité de la perte, et la continuation de la souffrance, une souffrance qui marque la réalité de la perte, tout autant que de la relation qui a eu lieu ; dans notre vie qui continue, mais non pas comme si de rien n’était, en gardant ce qui en elle venait de la relation. Ni la perte ni la relation ne sont niées. Équilibre difficile, doulou­reux, mais qui est deux fois vital. De même la « libido » pourra se réinvestir, et elle en a besoin, mais elle ne pourra pas pour autant annuler son histoire, l’indivi­dualité passée de ce qui n’était pas seulement objet d’un désir, mais d’un amour. Il ne s’agit pas seulement d’une « place » à remplir : cela restera « quelque chose d’autre ».

Je ne suis pas seulement le sujet d’un désir poly­morphe et anonyme, une libido ou un « vouloir-vivre » qui ne constituerait aucune histoire individuelle. C’était lui, c’était moi. Et maintenant encore. Je pense à lui ou à elle, sans que cela ait empêché de détruire les autres pensées ; je pourrai renaître sans être obligé de m’effacer. »

Frédéric Worms, Penser à quelqu’un, Flammarion 2014, p. 158 – 160

Deuil interminable

28 dimanche Juil 2019

Posted by patertaciturnus in Divers vers

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

deuil, Philippe Jaccottet

Comme un homme qui se plairait dans la tristesse
plutôt que de changer de ville ou bien d’errer,
je m’entête à fouiller ces décombres, ces caisses,
ces gravats sous lesquels le corps est enterré

que formèrent nos corps quand ils étaient serrés
sur un lit de passage avec des cris de liesse.
(C’est dans ce temps que notre ciel s’est éclairé,
d’un astre sombre, et que j’eus bientôt mis en pièces…)

Ah ! lâcher pour de bon ferraille, plâtre et planches !
Non, comme un chien je flaire un parfum répandu
et gratte si profond qu’enfin j’aurai mon dû :

de tomber à mon tour en poussière bien blanche
et de n’être plus rien qu’ossements vermoulus
pour avoir trop cherché ce que j’avais perdu.

Philippe Jaccottet, L’effraie (1946 – 1950)

Astre perdu

21 mardi Juil 2015

Posted by patertaciturnus in Divers vers

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

deuil, Emily Dickinson

Each that we lose takes part of us ;
A crescent still abides,
Which like the moon, some turbid night,
Is summoned by the tides

Emily Dickinson

In memoriam

17 samedi Jan 2015

Posted by patertaciturnus in Divers vers

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

deuil, Philippe Jaccottet

Misère
comme une montagne sur nous écroulée.

Pour avoir fait pareille déchirure,
ce ne peut-être un rêve simplement qui se dissipe.

L’homme s’il n’était pas un nœud d’air,
faudrait-il, pour le dénouer, fer si tranchant?

Bourrés de larmes, tous, le front contre ce mur,
plutôt que son inconsistance,
n’est-ce pas la réalité de notre vie
qu’on nous apprend?

Instruits aux fouet

Philippe Jacottet, A la lumière de l’hiver

Celui des deux qui reste …

07 lundi Avr 2014

Posted by patertaciturnus in Divers vers

≈ Poster un commentaire

Étiquettes

couple, deuil, Reiner Kunze

J’ai déjà évoqué le poète allemand Reiner Kunze. Pour l’instant je ne connais de lui que le recueil intitulé Un jour sur cette terre dans la traduction française de Mireille Gansel (éditions Cheyne). Il y a dans ce recueil un thème qui revient de manière frappante et que le titre de cet article cherchait à suggérer.

*

auf dem friedhof von o.

für Elisabeth

Eine enge, als neideten die gräber
einander die erde

Keine bank, deren lehne dann dir oder mir
ein flügel werden könnte

1978

Protestantischer-Friedhof-in-Rom

Au cimetière de O.

pour Elisabeth

Une exiguïté comme si les tombes se jalousaient
la terre

Pas un seul banc dont le dossier pourrait alors
nous devenir une aile
à toi ou à moi

*

liebesgedicht nach dem start
oder
mit dir im selben flugzeug

Sieh den schatten auf der erde den winzigen schatten der
mit uns fliegt

So bleibt die gröβte unserer ängste
unter uns zurück

Nie ist die wahrscheinlichkeit geringer daβ der eine
viel früher als der andere stirbt

1980

Reiner Kunze 1978

Reiner Kunze 1978

Poème d’amour après le décollage
ou
avec toi dans le même avion

Vois l’ombre sur la terre l’ombre minuscule qui
vole avec nous

De même la plus grande de nos peurs nous la laissons
au dessous de nous

Jamais n’est plus infime la vraisemblance que l’un
meure bien avant l’autre

*

bittgedanke, dir zu füssen

Stirb früher als ich, um ein weniges
früher

Damit nicht du
den weg zum haus
allein zurückgehn muβt

1983

Reiner et Elisabeth Kunze

Reiner et Elisabeth Kunze

Pour toi, en hommage, cette demande en pensée

Meurs avant moi, juste un peu
avant

Afin que ce ne soit pas toi
qui aies à revenir seule
sur le chemin de la maison

*

spaziergang zu allen jahreszeiten

für E.

Noch arm in arm
entfernen wir uns voneinander

Bis eines wintertags
auf dem ärmel des einen
nur Schnee sein wird

1998

Promenade en toute saison

pour E.

Encore bras dessus bras dessous
nous nous éloignons l’un de l’autre

Jusqu’à ce qu’un jour d’hiver
sur la manche de l’un
il y aura seulement de la neige

*

Je ne me sens pas capable de commenter intelligemment ces poèmes, je ferai juste quelques remarques éparses.

A ceux qui feraient valoir qu’il est normal, l’âge venant d’être préoccupé par ce sujet, je ferai remarquer que Reiner Kunze est né en 1933 et que les deux premiers poèmes portant sur ce thème datent de 1978 et 1980, soit quarante cinq et quarante sept ans, ce qui est encore jeune …

On peut également préciser qu’il y a plusieurs autres poèmes dans le recueil qui évoquent des cimetières où la mort d’amis (si vous cherchiez une idée de cadeau pour des amis gothiques …).

Je me demande, un peu niaisement, si beaucoup de gens ont la même pensée quand ils prennent l’avion en couple que Reiner et Elisabeth … peut-être chers lecteurs ne prendrez-vous plus l’avion de la même manière maintenant que votre attention a été attirée sur ce point.

Quelle étonnante manière de dire son amour que de formuler le souhait qu’exprime le poème « bittgedanke, dir zu füssen »!Je serai bien en peine de dire de quel genre de qualités il faut faire preuve pour oser  formuler un tel souhait – pour de telles raisons, s’entend -.

Archives

  • janvier 2023 (10)
  • décembre 2022 (6)
  • novembre 2022 (7)
  • octobre 2022 (6)
  • septembre 2022 (15)
  • août 2022 (24)
  • juillet 2022 (28)
  • juin 2022 (19)
  • mai 2022 (20)
  • avril 2022 (23)
  • mars 2022 (27)
  • février 2022 (29)
  • janvier 2022 (31)
  • décembre 2021 (25)
  • novembre 2021 (21)
  • octobre 2021 (26)
  • septembre 2021 (30)
  • août 2021 (24)
  • juillet 2021 (28)
  • juin 2021 (24)
  • mai 2021 (31)
  • avril 2021 (16)
  • mars 2021 (7)
  • février 2021 (6)
  • janvier 2021 (13)
  • décembre 2020 (11)
  • novembre 2020 (3)
  • octobre 2020 (3)
  • septembre 2020 (9)
  • août 2020 (18)
  • juillet 2020 (16)
  • juin 2020 (8)
  • mai 2020 (20)
  • avril 2020 (8)
  • mars 2020 (11)
  • février 2020 (18)
  • janvier 2020 (26)
  • décembre 2019 (21)
  • novembre 2019 (25)
  • octobre 2019 (26)
  • septembre 2019 (31)
  • août 2019 (27)
  • juillet 2019 (23)
  • juin 2019 (22)
  • mai 2019 (22)
  • avril 2019 (27)
  • mars 2019 (27)
  • février 2019 (24)
  • janvier 2019 (32)
  • décembre 2018 (13)
  • novembre 2018 (9)
  • octobre 2018 (12)
  • septembre 2018 (9)
  • août 2018 (13)
  • juillet 2018 (9)
  • juin 2018 (8)
  • mai 2018 (21)
  • avril 2018 (25)
  • mars 2018 (26)
  • février 2018 (22)
  • janvier 2018 (27)
  • décembre 2017 (24)
  • novembre 2017 (16)
  • octobre 2017 (19)
  • septembre 2017 (18)
  • août 2017 (21)
  • juillet 2017 (18)
  • juin 2017 (21)
  • mai 2017 (14)
  • avril 2017 (22)
  • mars 2017 (30)
  • février 2017 (12)
  • janvier 2017 (13)
  • décembre 2016 (14)
  • novembre 2016 (15)
  • octobre 2016 (22)
  • septembre 2016 (16)
  • août 2016 (24)
  • juillet 2016 (19)
  • juin 2016 (16)
  • mai 2016 (20)
  • avril 2016 (10)
  • mars 2016 (30)
  • février 2016 (28)
  • janvier 2016 (32)
  • décembre 2015 (27)
  • novembre 2015 (28)
  • octobre 2015 (31)
  • septembre 2015 (30)
  • août 2015 (33)
  • juillet 2015 (32)
  • juin 2015 (33)
  • mai 2015 (34)
  • avril 2015 (31)
  • mars 2015 (35)
  • février 2015 (32)
  • janvier 2015 (33)
  • décembre 2014 (37)
  • novembre 2014 (33)
  • octobre 2014 (33)
  • septembre 2014 (33)
  • août 2014 (33)
  • juillet 2014 (33)
  • juin 2014 (35)
  • mai 2014 (35)
  • avril 2014 (35)
  • mars 2014 (35)
  • février 2014 (30)
  • janvier 2014 (40)

Catégories

  • 7e art
  • Célébrations
  • Choses vues ou entendues
    • confession
    • Mon métier ma passion
  • Divers vers
  • Fantaisie
    • devinette
    • Philémon et Anatole
    • Taciturnus toujours au top
    • Tentatives de dialogues
  • Food for thought
    • Aphorisme du jour
    • Pessoa est grand
  • Insatiable quête de savoir
    • Il suffirait de quelques liens
  • Lectures
  • Mysticismes
  • Non classé
  • Paroles et musiques
    • Au chant de l'alouette
    • Berceuse du mardi
    • Bienvenue aux visiteurs
  • Père castor
  • Perplexités et ratiocinations
  • SIWOTI or elsewhere

Tags

Abel Bonnard alouette amitié amour art Auguste Comte Benjamin Fondane Bertrand Russell bonheur Cesare Pavese correspondance culture Dieu Djalâl ad-Dîn Rûmî Dostoievski Edmond Jabès Elias Canetti Emily Dickinson enseigner et apprendre esthétique Fernando Pessoa Friedrich von Schiller féminisme Gabriel Yacoub Goethe Hegel Hugo von Hofmannstahl humiliation Hâfez de Chiraz Ito Naga Jean-Jacques Rousseau Joseph Joubert Karen Blixen Karl Kraus Kierkegaard Kobayashi Issa Lichtenberg lune Malek Haddad Marina Tsvetaieva Marshall Sahlins mort Mário de Sá-Carneiro Nietzsche Nâzım Hikmet Omar Khayyâm Paul Eluard Paul Valéry perfection et imperfection Philippe Jaccottet philosophie Pier Paolo Pasolini Pierre Reverdy poésie profondeur racisme Ramón Gómez de la Serna Reiner Kunze religion rêve Simone Weil solitude souffrance Stefan George stoïcisme stupidité travail universalisme Urabe Kenkô utilitarisme vertu vie vérité Witold Gombrowicz éthique et esthétique

Propulsé par WordPress.com.

Confidentialité & Cookies : Ce site utilise des cookies. En continuant à utiliser ce site, vous acceptez leur utilisation.
Pour en savoir davantage, y compris comment contrôler les cookies, voir : Politique relative aux cookies
  • Suivre Abonné∙e
    • Pater Taciturnus
    • Rejoignez 67 autres abonnés
    • Vous disposez déjà dʼun compte WordPress ? Connectez-vous maintenant.
    • Pater Taciturnus
    • Personnaliser
    • Suivre Abonné∙e
    • S’inscrire
    • Connexion
    • Signaler ce contenu
    • Voir le site dans le Lecteur
    • Gérer les abonnements
    • Réduire cette barre
 

Chargement des commentaires…