Décevoir autrui c’est le guérir d’un mal qu’il ne se supposait pas avoir, le libérer. « Tu resteras genoux à l’air sur le mur de ton doute. »
René Char, Eloge d’une soupçonnée
12 lundi Juil 2021
Posted Aphorisme du jour, Divers vers
in22 vendredi Déc 2017
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in16 mardi Juin 2015
Posted Fantaisie
inJ’imagine un immense lectorat à l’affut de la révélation anticipée des sujets de philosophie de la série ES et des séries technologiques. La déception sera à la hauteur de l’attente : je suis malheureusement dans l’incapacité de vous faire profiter des ces ultimes tuyaux car j’ai oublié les sujets chez ma grand-mère, au moment où j’allais les poster j’ai eu un problème informatique, mon chien a mangé les sujets. Il vous faudra donc attendre l’ouverture officielle des sujets …
En attendant je vous invite à méditer cette « question heideggerienne » :
Vaut-il mieux avoir Être et temps sous-la-main où à-portée-de-la-main?
23 lundi Mar 2015
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attentes, Daniel Dennett, déception, expression, stratégie intentionnelle
Cet article prolonge celui d’hier que je recommande de lire préalablement.
La situation de départ est décrite par trois éléments :
1) Le désir de A que B fasse X
2) L’ignorance de B quant à l’existence de ce désir de A le concernant
3) La disposition de B à satisfaire ce désir s’il en avait connaissance
J’ai expliqué hier, pourquoi il me paraît intéressant de comprendre les raisons qui peuvent expliquer que A n’exprime pas à B son désir. Pour procéder à l’inventaire de ces raisons de manière systématique, je me propose de distinguer différents cas en fonction de la compréhension que A a de la situation, car je présume que cette compréhension constitue la cadre dans lequel prennent sens ses raisons de ne pas dire à B ce qu’il attend de lui.
Relèvent de « l’hypothèse 1 », mentionnée hier, toutes les explications qui reposent sur l’idée que A ignore le premier élément de la situation : son propre désir. Ici, A n’exprime pas son désir parce qu’il en est incapable faute d’en avoir conscience.
Relèveront de « l’hypothèse 2 », toutes les explications qui supposent que A est conscient qu’il désire que B fasse X. Dans ce cadre, la distinction des cas s’opèrera en fonction de la compréhension que A a des deux autres éléments de la situation. Ce qui rassemble ces deux éléments et les distingue du premier c’est qu’ils concernent le contenu de l’esprit de B (ce qu’il sait / ce qu’il est disposé à vouloir faire) et non plus celui de l’esprit de A [1]. Par rapport à chacun de ces éléments, A peut occuper trois positions : connaître la vérité, être dans l’incertitude, être dans l’erreur. On obtient alors une combinatoire de 9 cas possibles, que je propose de repérer selon le tableau ci-dessous.
Je me contenterai pour aujourd’hui de quelques indications générales à propos de ce tableau.
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D’abord il me paraît intéressant de signaler le niveau de complexité qu’implique la description et l’analyse de la conduite de A. Je me propose pour cela de mobiliser des concepts définis par Daniel Dennett dans la Stratégie de l’interprète.
Voici comment Dennett définit les notions de stratégie intentionnelle et de système intentionnel :
Je commencerai par décrire la stratégie que j’appellerai la stratégie intentionnelle, ou l’adoption de la perspective intentionnelle. En première approximation, ma stratégie intentionnelle consiste à traiter l’objet dont vous voulez prédire le comportement comme un agent rationnel doté de croyances et de désirs et d’autres (états) mentaux manifestant ce que Brentano et d’autres appellent de l’intentionnalité [ c’est-à-dire que ces états mentaux sont à propos de quelque chose]. […] Je soutiendrai ensuite que n’importe quel objet — ou, comme je dirai, n’importe quel système — dont cette stratégie prédit bien le comportement est, au sens le plus plein du terme, un sujet doué de croyances. Ce que c’est qu’être un vrai sujet doué de croyances, c’est être un système intentionnel, un système dont on peut prédire le comportement de façon fiable et détaillée à travers la stratégie intentionnelle. (p.27)
On peut alors distinguer différents degrés de systèmes intentionnels :
« Un système intentionnel du premier ordre a des croyances et des désirs (etc.), mais n’a pas de croyances ni de désirs à propos de croyances et de désirs. Ainsi tout ce que nous attribuons à un système intentionnel du premier ordre a la forme logique de
(1) z croit que p
(2) y veut que q
où p et q sont des clauses qui ne contiennent elles-mêmes aucun idiome intentionnel. Un système intentionnel du deuxième ordre est plus sophistiqué ; il a des croyances et des désirs (et sans aucun doute d’autres états mentaux), au sujet de croyances et de désirs — à la fois ceux des autres et-les siens propres. Par exemple,
(3) x veut que y croie que x a faim
(4) x croit que y attend que x saute à gauche
(5) x craint que y découvre que x a une cache pour sa nourriture.
Un système intentionnel du troisième ordre est un système qui est capable d’états tels que
(6) x veut que y croie que x croie qu’il est seul
Un système intentionnel du quatrième ordre peut vouloir que vous compreniez qu’il vous demande de vous en aller. Jusqu’à quel degré pouvons-nous aller, nous autres humains ? En principe, sans aucun doute, indéfiniment loin, bien qu’en réalité je devine que vous vous demandez jusqu’à quel point il vous est difficile d’être sûr que vous comprenez si je veux dire que vous pouvez reconnaître que je peux croire que vous vouliez m’expliquer que la plupart d’entre nous ne pouvons dépasser le cinquième ou le sixième ordre, dans le meilleur des cas. (p. 316)
La stratégie intentionnelle que j’applique à l’analyse de la conduite de A implique de décrire son comportement en le situant au moins au niveau 4 :
Exemple : A croit que B sait que A désire que B veuille faire X … [2]
Bien que cela puisse paraître compliqué quand on doit l’exprimer verbalement par des phrases avec des propositions subordonnées emboitées les unes dans les autres, il me paraît digne de relever qu’en pratique nous n’avons pas besoin d’être des génies des relations humaines (et Dieu sait que je n’en suis pas un ) pour nous mouvoir couramment à ces niveaux de complexité dans nos relations avec les autres.
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Intéressons nous maintenant plus précisément au contenu du tableau. Il me semble qu’on peut distinguer trois ensembles de cas.
A) 3.1, 3.2, 3.3, 2.3, 1.3
Les croyances erronées sont figurées dans la 3e colonne et la 3e rangée, on peut constater qu’elles constituent des raisons pour A de ne pas dire à B ce qu’il espère de lui. En effet, si A croit que B sait déjà ce qu’il désire il n’a apparemment pas de raison de le lui dire : il parait inutile de lui dire ce qu’il sait déjà. De même si A croit que B ne désirera pas faire ce qu’il (A) aimerait, il considèrera le fait d’exprimer son désir comme une manière de s’exposer inutilement à une rebuffade [3]. Ainsi dans le cadre de la compréhension doublement erronée (3.3) exprimer son désir serait de la part de A doublement inutile.
B) 1.1
1.1 correspond au cas où A dispose d’une compréhension exacte de la situation (du moins concernant les deux éléments de l’esprit de B ici considérés). Cette connaissance semble donner à A une bonne raison de dire ce qu’il désire. Il sait que, s’il ne dit rien à B, la probabilité que B fasse X est faible : il lui faudra attendre que B comprenne de lui-même ce qu’il n’a pas encore compris. Il sait aussi qu’inversement, s’il fait connaître son désir à B, la probabilité que B fasse X est forte.
c) 1.2, 2.1, 2.2
Ce troisième ensemble de cas regroupe les formes de compréhension qui impliquent de l’incertitude mais pas d’erreur. A la différence du premier ensemble des cas, A a ici potentiellement quelque chose à gagner à faire connaître son désir à B, même si la probabilité de voir son désir satisfait n’en est pas accrue comme dans le cas précédent. D’ailleurs, à défaut d’assurer la satisfaction de son désir, A aurait au moins ici à gagner de sortir de l’incertitude.
Pour conclure : dans l’ensemble de cas A) si A ne s’exprime pas c’est qu’il n’a pas de raison de le faire, il ne voit pas ce qu’il pourrait y gagner. Dans les ensembles de cas B) et C), A aurait des raisons d’exprimer son désir et pourtant, comme on sait, il se peut qu’il ne le fasse pas (y compris dans le cas a priori le plus favorable 1.1). Il faut alors supposer qu’il a des raisons positives de ne pas le faire pour compenser ces raisons qu’il aurait de le faire.
*
[1] On comprendra aisément pourquoi dans le cadre de l’hypothèse 1, il n’y avait pas lieu d’opérer des distinction à partir des éléments 2) et 3) de la situation : si je ne sais pas que j’ai un certain désir, je ne risque pas de m’interroger sur la connaissance qu’autrui peut en avoir ou sur sa propension à le satisfaire.
[2] On notera que pour placer A au niveau 4, nous devons être situés au moins au niveau 5 puis que nous croyons que A croit que B sait etc …
[3] Je mets à part, d’une manière qui pourrait être contestée, le cas où A parlerait à B de son désir qu’il fasse X, pour essayer de le convaincre de le faire ; car dans ce cas la démarche de A suppose qu’il attribue une certaine indétermination à la disposition de B à satisfaire son désir. Je schématise peut-être excessivement la situation pour commencer et pour dégager des grandes lignes, je réintroduirai des complications par la suite au besoin.
22 dimanche Mar 2015
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J’aimerais réfléchir à la situation suivante :
A aimerait que B accomplisse une certaine action X. Si B savait que ce que A désire, il le ferait volontiers, mais B ne devine pas ce que désire A. Il suffirait que A dise à B ce qu’il désire pour débloquer la situation : A serait satisfait de ce qu’aurait fait B et B serait satisfait d’avoir fait plaisir à A. Pourtant, il arrive que A ne dise pas à B ce qu’il attend de lui … ainsi B ne fera pas X et A sera déçu. Dans le meilleur des cas, A passera à autre chose, mais comme on le sait, il n’est pas rare qu’il en veuille à B, qui peut-être se rendra compte de l’hostilité de A sans en comprendre la raison.
Cette situation est certainement familière à chacun bien qu’elle soit ici décrite du point de vue idéal d’un observateur qui aurait accès au contenu de l’esprit des protagonistes. Ces derniers n’ayant pas ce privilège, sont susceptibles de ne pas comprendre que c’est justement dans cette situation qu’ils se trouvent. On aura l’occasion d’y revenir.
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Si j’avais suffisamment de lecteurs pour que cela vaille la peine de prendre le temps d’apprendre à insérer un sondage dans un article, je vous demanderais si c’est à A ou à B que vous vous identifiez le plus spontanément. Je pourrais aussi de tester les stéréotypes de genre : spontanément quel sexe attribuez-vous à nos deux personnages ?
En fait ce qui m’intéresse le plus dans la configuration décrite ci-dessus c’est de comprendre les raisons qui nous conduisent à une situation insatisfaisante pour les deux alors qu’il suffisait apparemment de si peu pour que les deux soient satisfaits. Pour quelles raisons A ne dit-il pas à B ce qu’il désire ?
Cela fait un certain temps que j’ai mis en chantier cet article, mais, comme mes idées partent un peu dans tous les sens, j’ai décidé de ne pas attendre d’avoir tout mis en ordre et de tronçonner le sujet quitte à faire des correctifs après coup.
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Aujourd’hui je vais envisager un premier type d’explication possible (l’hypothèse 1.) : A n’ a pas dit à B ce qu’il désirait parce qu’il ne le savait pas lui même.
Cette explication suppose qu’on admette l’existence de désirs inconscients. La légitimité d’une telle supposition peut donner lieu à une controverse dans laquelle je n’ai pas l’intention de m’engager pour ne pas me perdre en préalables (de surcroît même s’il existe des cas qui ne peuvent s’expliquer que par des désirs inconscients, ceux qui s’expliquent par des raisons conscientes m’intéressent davantage).
Admettons que A ne sache pas lui-même ce qu’il attend de B, qu’en résulte-t-il pour la suite du scénario ? Dans cette hypothèse, si A en veut à B, il ne sait pas pourquoi ; si B lui demande ce qu’il lui reproche, A est dans l’incapacité de répondre, peut-être niera-t-il en vouloir à B faute de trouver le motif de le faire. On conçoit que dans cette hypothèse, la seule solution pour dénouer la situation, c’est qu’un tiers C, psychologue perspicace révèle à B le désir de A que lui-même ignore.