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amour propre, attentes, communication ostensive, expression, humiliation, respect
En terminant l’article d’hier je me suis rendu compte que j’avais été pris en défaut dans mon pathétique effort de classification et de mise en ordre : aux critères de classification présentés hier, j’ai oublié de joindre une distinction. Je vais, de ce pas, corriger cet oubli.
J’avais distingué trois éléments dont A pourrait ne pas vouloir informer B
I) Qu’il désire que B fasse X
II) Qu’il veut que B sache ce qu’il désire
III) Qu’il croit que B ignore ce qu’il désire
Or il y a une ambiguïté dans une formule telle que « A ne veut pas informer B de Y », on peut la comprendre d’au moins deux manières :
1. A ne veut pas que B sache Y, il veut que B reste dans l’ignorance
2. A ne veut pas être à l’origine du fait que B sache Y, il ne veut pas lui faire savoir.
La distinction entre 1. et 2. correspond à la distinction entre « cacher » et « ne pas montrer », entre « empêcher de savoir » et « ne pas aider à savoir ». Dans le deuxième cas, à la différence du premier, A peut vouloir que B sache Y, à condition qu’il trouve tout seul (ou du moins sans son aide).
Il me semble que cette distinction trouve son application dans le cas I) . Les raisons examinées hier reposaient sur l’idée que A ne veut pas que B sache ce qu’il désire. On peut maintenant examiner les cas où, ce que A ne veut pas, c’est être à l’origine du fait que B sache qu’il veut X.
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I) bis
a) Les motifs d’amour propre peuvent de nouveau intervenir ici. Pensons notamment aux cas où A considère que si « B l’aimait vraiment » ou « si B était un véritable ami », il devrait savoir ce que lui, A, désire. Dans ce cas on ne peut pas dire que A ne veut pas que B le sache, puisqu’il pense qu’il faudrait qu’il le sache ; mais il considère que ce n’est pas à lui (A) de lui dire, parce qu’il (B) devrait le savoir sans qu’il (A) ait à lui faire savoir.
b) On pourrait également envisager une reformulation des motifs fondés sur le souci de A de respecter la liberté de B. La nuance avec la situation envisagée hier correspondrait à la distinction entre « ne pas vouloir que l’autre se sente obligé » et « ne pas vouloir être à l’origine du fait qu’il se sente obligé ». Je suppose qu’il doit exister des personnes suffisamment subtiles et raffinées pour être sensibles à l’importance de cette distinction dans certains contextes. Je crains de ne pas en faire partie.
c) Dans certains contextes, c’est parce que la valeur du X qu’il désire que B fasse dépend des raisons que B a de le faire, que A ne veut pas faire savoir à B ce qu’il désire .
En effet, derrière une même formulation « A veut que B fasse X » peuvent se cacher différents types de relations entre B et X. Dans certains cas, par exemple de services tels que « tailler la haie du jardin » ou « accompagner à l’aéroport », « A veut que B fasse X » peut se reformuler ainsi : A veut que X soit fait, or B est le seul disponible ou le mieux placé pour le faire. Dans ce cas la relation entre B et X est contingente, on pourrait substituer une autre personne à B pour faire X sans que X perde de sa valeur pour A. Dans d’autres cas, en revanche, il est essentiel que X soit fait par B pour satisfaire A. Par exemple, on imagine difficilement une réplique comme celle-ci :
« Certes tu n’as pas pensé à notre anniversaire, mais ce n’est pas grave car ton meilleur ami / ta mère / le plombier, y a pensé pour toi … »
Il s’agit des cas ou X à une valeur en tant qu’expression de l’attitude de B envers A, ou de la nature (amicale, amoureuse, familiale …) de la relation entre A et B.
Dans certains cas les raisons qu’a B de faire X sont elles-mêmes un élément essentiel de la valeur de X pour A. Par exemple, il peut être essentiel aux yeux de A que B pense de lui-même à faire X, sans qu’A ait eu besoin de lui faire savoir qu’il aimerait qu’il le fasse. C’est pour cette raison, par exemple, que le comportement d’une personne qui appelle ses proches la veille de son anniversaire pour leur rappeler de lui souhaiter nous paraît pour le moins étrange.
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II)
Examinons les cas relevant de l’hypothèse suivante :
A ne veut pas que B sache qu’A veut que B sache que A veut que B fasse X.
Ce motif peut être caché par le motif I) : si A ne veut pas que B sache Y, on comprend qu’a fortiori il ne veuille pas que B croit qu’il veut qu’il le sache.
Ce motif peut être associé au motif I) bis : la raison pour laquelle A ne voudrait pas faire savoir Y à B, pourrait être qu’il ne veut pas que B sache qu’il veut qu’il sache Y, et qu’il ne voit pas comment lui faire savoir Y, sans lui faire savoir par la même occasion, qu’il veut qu’il sache Y. [vous avez-mal à la tête ? Ne vous inquiétez pas, je vais y revenir ! ].
Cependant le motif II) peut être bien distingué des motifs I) et I) bis. En effet il est concevable que
i) A veuille que B sache Y
ii) A fasse en sorte de faire savoir Y à B
iii) A ne veuille pas que B sache 1) qu’il voulait qu’il sache Y 2) qu’il lui a fait savoir Y
Pour quelle raison, A ne voudrait-il pas que B sache qu’il veut qu’il sache Y ? Ici encore, je pense qu’on peut invoquer l’amour propre de A ou des égards de A pour B. Mais, comme j’ai atteint au niveau précédent [ I) bis b)] le plafond de ma capacité de compréhension de la complexité des conceptions que A pourrait se faire de ce qui respecte la liberté de B, je vais me concentrer sur les motifs d’amour propre de A.
Pour faire comprendre pourquoi l’amour propre de A pourrait le pousser à ne pas vouloir que B sache qu’il (A) veut qu’il (B) sache ce qu’il (A) désire, faisons un détour par une situation un peu différente de notre situation initiale.
i) A désire que B fasse X mais il ne lui a pas dit.
ii) B sait que A désire qu’il fasse X, bien que A ne lui ait rien dit.
iii) B est prêt à faire X à condition que B lui demande de le faire.
Dans certains contexte iii) peut apparaitre comme le signe que B a le désir de voir A s’humilier devant lui. Il ne lui suffirait pas de savoir que A dépend de lui, il voudrait que A reconnaisse devant lui cette dépendance. On peut dès lors concevoir que, dans notre situation initiale, B puisse ressentir comme une humiliation de devoir faire savoir à B non seulement ce qu’il désire, mais qu’il désire qu’il le sache.
Dans ce type de cas, le problème qui se pose à A est celui de la communication ostensive. Il y a communication ostensive quand, en même temps que je vous fait savoir quelque chose, je vous fait savoir que je vous le fait savoir. C’est une forme de communication tout ce qu’il y a de plus courante, chez les humains du moins. Le problème pour A dans notre cas c’est qu’il aimerait faire savoir à B ce qu’il désire sans lui faire savoir qu’il veut qu’il le sache. La solution pour lui sera donc de recourir à de la communication non-ostensive. Il s’agit de faire savoir à B ce qu’il veut lui faire savoir, d’une manière qui ne permette pas de deviner que A lui fait savoir volontairement. Un procédé de communication non ostensif, peut consister à faire en sorte que B apprenne Y en croyant avoir intercepté accidentellement une communication qui ne lui était pas destiné (en fait A aurait fait exprès de laisser B intercepter la communication). Par exemple A peut avoir volontairement laissé traîner son journal intime ou laissé ouverte sa boîte mail. A peut aussi recourir à un entremetteur C qui ira informer B de ce que désire A su r le mode du « il ne veut pas que tu le saches mais … ». La limite de ce genre de procédé c’est que si A est suffisamment malin il peut comprendre non seulement ce qu’on veut lui faire comprendre, mais aussi le fait qu’on veut lui faire comprendre.
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III)
Pour achever notre parcours examinons ce denier motif pour lequel A ne dirait pas à B ce qu’il désire : A ne voudrait pas que B sache qu’A croit que B ignore ce qu’A désire
Le problème ici est le suivant : en disant à B ce qu’il désire il lui fait comprendre qu’il pense qu’il ne le savait pas déjà.
Les lecteurs attentifs auront reconnu là la variante d’un motif examiné dans le cas ou A ne sait pas si B sait ou non ce qu’il désire. Comme on l’avait vu, A pouvait craindre d’offenser B au cas où seraient remplies les conditions suivantes.
i) B savait déjà ce que A lui apprend
ii) Il aurait été blâmable aux yeux de B de ne pas savoir ce que A lui dit
Mais, dira-t-on, dans le cas qui nous occupe A n’a pas à craindre d’offenser B, puisqu’il sait que B ignore ce qu’il désire : il n’y aurait pas d’offense à lui attribuer une ignorance dont il fait effectivement preuve. Soit, mais à défaut d’offenser B, A est ici susceptible de lui faire honte : B peut se trouver blâmable d’avoir ignoré le désir de A. Ce qui complique les choses c’est que parfois A pense effectivement que B devrait avoir honte (c’est ce qu’exprime les formules du genre « s’il m’aimait vraiment il saurait … ») mais que pour autant il ne veut pas faire honte à B, ni a fortiori lui faire savoir qu’il lui fait honte.
Là encore pour A la solution réside dans la communication non-ostensive : faire comprendre à B ce qu’il ignore d’une manière qui lui permette de croire que A ne s’est pas douté de son ignorance.
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J’en resterai là pour l’inventaire des raisons que A peut avoir de ne pas dire à B ce qu’il désire. A moins que mes lecteurs n’attirent mon attention sur des configurations qui échapperaient à mon quadrillage, je vais laisser le sujet de côté pour un moment. J’y reviendrai peut-être pour développer deux point que je n’ai fait qu’effleurer
1) Quelles sont les conditions qui portent A à en vouloir à B de ne pas faire X alors même qu’il ne lui a pas dit qu’il le désirait ?
2) Comment A et B peuvent ils se sortir de ce merdier ?
Une dernière précision : ayant abondamment sodomisé les diptères lors de cette série d’articles je crains de ne pouvoir afficher sur ce blog le message qu’on trouve à la fin des génériques de film : « aucun animal n’a été maltraité lors de la réalisation ». Je tiens cependant à vous assurer que toutes les mouches étaient consentantes.
Mes respects à ceux qui auront tout lu, s’il y en a.