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Pater Taciturnus

~ "Ton péché originel c'est d'ouvrir la bouche. Tant que tu écoutes tu restes sans tache"

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Archives de Tag: Claude Romano

Marivaux vs Rousseau

09 dimanche Août 2020

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Claude Romano, Marivaux, sincérité

« Entendez-vous, Messieurs les véridiques, ne nous vantez point tant votre caractère, je n’en voudrais pas, moi ; vous n’êtes que des hypocrites aussi, avec cette haine vigoureuse dont vous faites profession contre certains défauts ; et des hypocrites peut-être plus haïssables que les autres : car sous ce beau prétexte d’antipathie vertueuse sur ce chapitre, vous ne trouvez personne à votre gré, vous satirisez tout le monde, aussi bien l’imposteur qui joue des vertus qu’il n’a pas, que l’honnête homme qui les a ; vous êtes ennemis déclarés de tous les honneurs d’autrui ; vous n’en voudriez que pour vous ; tout ce qui est loué et estimé vous déplaît : et je ne suis point votre dupe ; laissez les gens en paix, souffrez la vertu, pardonnez aux autres hommes leur vanité, elle est plus supportable que la vôtre, elle vit du moins avec celle de tout le monde ; les autres hommes ne sont que ridicules, et vous par-dessus le marché vous êtes méchants ; ils font rire, et vous, vous offensez ; ils ne cherchent que notre estime, et vous ne cherchez que nos affronts : est-il de personnage plus ennemi de la société que le vôtre ? »

Marivaux, L’indigent philosophe

Ce texte est cité par Claude Romano dans Être soi-même accompagné du commentaire suivant :

« Ce reproche pourrait  s’adresser à Rousseau si le premier  Discours n’était postérieur de plus de vingt ans à ce texte, et les Confessions de près de cinquante. »

Montaigne vs Rousseau

25 samedi Juil 2020

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Claude Romano, Jean-Jacques Rousseau, Montaigne

« À la différence de l’auteur des Confessions qui croit pouvoir déterminer lui-même s’il est sincère ou non par un acte d’auscultation interne (« je sens mon cœur »), Montaigne est parfaitement averti de ce que la mauvaise foi peut se dissimuler derrière la revendication la plus ingénue de véracité. En effet, la sincérité qui se veut telle et réclame d’être tenue pour telle partage avec la mauvaise foi un certain nombre de traits. Il est vital au menteur d’être cru pour pouvoir mener à bien son entreprise, et par conséquent il lui est indispensable de passer pour sincère. Mais n’en va-t-il pas de même de celui qui, non content d’être vérace, exige en outre d’être reconnu comme tel ? Le « sincère » qui veut se voir attribuer cette qualité use de la véracité elle-même comme d’un subterfuge : il l’amplifie, il la met en scène, il la surjoue pour amener autrui à y croire. On peut tromper en n’usant que de la vérité. Car à partir du moment où sa bonne foi poursuit un dessein additionnel – ne serait-ce que celui de passer pour telle aux yeux des autres – elle n’est déjà plus au service de la seule vérité et abrite en elle un germe d’insincérité. La franchise qui se veut telle, qui se revendique telle, ne se contente pas d’être ce qu’elle est, elle a aussi pour dessein de le paraître, c’est-à-dire de l’être dans l’opinion des autres, et, ce faisant, elle se mêle de fausseté et dérive vers le cabotinage. La présence d’un second dessein (passer pour sincère) aux côtés du premier (être sincère) entraîne sa ruine et aboutit inévitablement à l’ambivalence. Il devient alors impossible de déterminer si le faussaire de bonne foi aspire à passer pour sincère parce qu’il l’est, ou s’il ne l’est pas plutôt pour se voir attribuer cette qualité — ce qui détruit par là même sa bonne foi. Une telle sincérité se préoccupe trop des effets qu’elle produit pour être vraiment ce qu’elle est — ou plu­tôt, ce pour quoi elle veut se faire passer. Elle a un dessein trop évident, et dont la présence même contredit ce qu’elle avance. Les Confessions administrent amplement la preuve que plus on clame son intégrité, et plus on la rend douteuse aux yeux des autres.

Montaigne est conscient de cette duplicité qui hante toute revendication de bonne foi. C’est ce qui sépare absolument son exorde de l’incipit des Confessions. Il sait que la sincérité véritable est celle qui ne se préoccupe pas du tout d’elle-même, se rappro­chant ainsi de la simplicité. Mlle de Scudéry, peut-être sous l’in­fluence des Essais, le redira avec force : il y a une « vraie » et une « fausse » sincérité. « L’une [la fausse] songe toujours à paraître ce qu’elle n’est pas ; et l’autre ne pense pas même à paraître ce qu’elle est. La fausse sincérité s’étudie, se regarde, et se propor­tionne aux autres ; et la véritable, sans réfléchir sur autrui, ni sur soi, est toujours la même. » Mais cette sincérité véritable n’entre-t-elle pas alors fatalement en conflit avec un projet lit­téraire aussi sophistiqué que celui des Essais ? Est-elle même simplement compatible avec le genre de réflexivité qu’implique la rédaction d’une adresse ? En effet, les contradictions qui minent le projet de se peindre au naturel ne sont que trop évidentes : Montaigne affirme que les Essais pourraient demeurer sans lec­teur sans que cela ne leur cause aucun dommage, mais il n’en confie pas moins son manuscrit à un imprimeur ; il dit vouloir conserver sa simplicité entière, mais il sait que déclarer celle-ci est déjà contraire à la simplicité. Au lieu de chercher à aplanir ces difficultés, Montaigne les souligne dès son préambule, leur confé­rant le sceau de l’ironie et même de l’auto-ironie, toute proche de l’humour. Au lieu de se draper dans les atours de l’auteur sincère, il donne congé à son lecteur en lui recommandant de ne pas lire son livre : son projet d’autoportrait n’a rien de bien intéressant ; le sujet qu’il s’est donné n’est ni élevé ni original ; il n’est pas non plus exemplaire ; il est ordinaire, il est même trivial. »

Claude Romano, Être soi-même, p. 283 – 284

Métamorphoses d’une métaphore

12 dimanche Juil 2020

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Claude Romano, Epictète, métaphore

En vue de préparer mes cours de la spécialité Humanités Lettres Philosophie en terminale pour la rentrée prochaine je suis en train de lire Être soi-même de Claude Romano. Au cours du chapitre consacré à Cicéron l’auteur apporte d’intéressantes précisions sur l’analogie stoïcienne – que j’avais évoquée ici – entre notre rapport au destin et le rapport d’un acteur à l’auteur dramatique.

« La pensée de Cicéron ne s’aventure pas seulement ici aux frontières du stoïcisme, elle modifie de fond en comble le sens de l’image d’où elle était partie, celle de l’assomption d’un rôle par l’acteur. Le sage/comédien du stoïcisme traditionnel recevait son rôle tout prêt des mains du destin. Celui de Panétius-Cicéron le choisit sur la base de ses propres talents et dispositions pour l’assortir à sa nature individuelle. Dans l’image traditionnelle, il était capital que l’acteur ne décidât pas de son rôle, puisque le sens de la comparaison résidait dans la complète subordination de l’homme au destin et l’infime marge d’initiative qui lui était laissée : interpréter son rôle le mieux possible. Ce rôle était d’ailleurs un rôle générique (philosophe, marchand, mendiant) et la beauté de l’interprétation consistait pour lui à camper un type et non un individu. Déjà dans la première occurrence connue de cette analogie, chez le cynique Bion de Borysthène, le sage devait s’accommoder des circonstances dans lesquelles il était placé sans aucunement prétendre les modifier. Chez Ariston, en revanche, l’image est légèrement modifiée en relation avec sa conception des indifférents (adiaphora), mais elle continue néanmoins à faire signe dans la même direction : tous les rôles sont interchangeables pour le sage, dans la mesure où il n’existe aucune différence morale entre eux. En rejetant l’indifférentisme d’Ariston, le stoïcisme orthodoxe modifie à nouveau l’image, mais sans en altérer le sens fondamental et sans qu’il soit question encore de l’adoption d’un rôle individuel, ni a fortiori d’un quelconque choix de ce rôle. « Car ce qui t’appartient, s’exclame Épictète, c’est ceci : bien jouer le rôle qui t’a été donné. Mais choisir ce rôle appartient à un autre. »
L’évolution de cette image chez Panétius et Cicéron traduit, à n’en pas douter, un relâchement du lien fondamental unissant la sagesse à l’amor fati, ainsi qu’un affaiblissement de tout l’arrière-plan physique et théologique du stoïcisme. L’idée de perfection humaine passe du plan cosmique où elle se situait jusque-là au plan civil et politique. Si l’acteur choisit ses rôles, argumente Cicéron, pourquoi le sage (ou du moins celui qui aspire à la sagesse) ne le ferait-il pas ? « Ainsi donc, conclut-il, un acteur y sera attentif sur la scène [à proportionner son rôle à sa propre nature particulière], et un homme sage n’y sera pas attentif dans la vie ? » Pour l’acteur d’Ariston, tous les rôles étaient indifférents, et donc interchangeables. Pour celui du stoïcisme orthodoxe, seul importait de bien jouer le rôle qui nous était imparti par le destin. Pour celui de Cicéron, il s’agit de bien choisir son rôle sur la base d’une appréciation de ses propres talents et inclinations. L’idéal impersonnel de sagesse est devenu aspiration à une perfection individuelle : plus rien ou presque ne demeure de l’image d’origine. »

Claude Romano, Être soi-même, Gallimard 2019, p. 137 -138

 

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