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« C’est pour et par une liberté et seulement pour et par elle que mes possibles peuvent être limités et figés. Un obstacle matériel ne saurait figer mes possibilités, il est seulement l’occasion pour moi de me projeter vers d’autres possibles, il ne saurait leur conférer un dehors. Ce n’est pas la même chose de rester chez soi parce qu’il pleut ou parce qu’on vous a défendu de sortir. Dans le premier cas je me détermine moi-même à demeurer, par la considération des conséquences de mes actes. ; je dépasse l’obstacle « pluie » vers moi-même et j’en fais un instrument. Dans le second cas, ce sont mes possibilités même de sortir ou de demeurer qui sont présentées comme dépassées et figées et qu’une liberté prévoit et prévient à la fois. Ce n’est pas caprice si, souvent, nous faisons tout naturellement et sans mécontentement ce qui nous irriterait si un autre nous le commandait. C’est que l’ordre et la défense impliquent que nous fassions l’épreuve de la liberté d’autrui à travers notre propre esclavage. »
Jean-Paul SARTRE, L’être et le néant, (1943), Gallimard, coll. « Tel », p. 310
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« Que celui-là est fort et en santé, qui sait se plier à la volonté de l’autre
Il faut bien se le persuader : généralement, celui-là fait preuve de plus de force, qui soumet sa volonté à celle de son frère, que celui qui se montre opiniâtre à défendre et garder son sentiment. par le support et la patience à l’égard du prochain, le premier mérite de compter parmi les trempes saines et robustes ; le second, au contraire, se range parmi les faibles et, si l’on peut dire, les malades. C’est un homme à qui l’on doit prodiguer caresses et douceurs. Parfois même, il sera bon de prendre quelque relâche dans les choses nécessaires, afin qu’il demeure tranquille et en paix. Que l’on ne croie pas, du reste, ôter, ce faisant, à sa propre perfection. Au contraire, le bien de la longanimité et de la patience fait qu’on a profité beaucoup plus. C’est en effet, le précepte de l’Apôtre : « Vous qui êtes fort, supportez les faiblesses de ceux qui sont infirmes ». Il dit encore : « Portez les fardeaux les uns des autres, et vous accomplirez ainsi la loi du Christ ». Jamais le faible ne supportera le faible, ni le malade ne pourra endurer ou guérir le malade. mais celui-là peut apporter le remède au faible, qui n’est pas lui même soumis à la faiblesse. »
Jean Cassien, Première Collation avec Abba Joseph, §. 19
cité par J. Follon et J. McEvoy dans Sagesse de l’amitié II, Cerf, p. 170