J’ai su comment les visages se défont,
Comment on voit la terreur sous les paupières,
Comment les pages d’écriture au poinçon
Font ressortir sur les joues la douleur,
Comment les boucles noires ou cendrées
Ressemblent soudain à du métal blanc.
Le sourire s’éteint sur les lèvres dociles
Et la peur tremble dans un petit rire sec.
Si je prie, ce n’est pas pour moi seule,
Mais pour tous ceux qui ont avec moi attendu
Dans un froid féroce, ou sous la canicule,
Au pied du mur rouge, du mur aveugle.
Anna Akhmatova, Requiem, Epilogue, I
trad. Jean-Louis Backès
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Certes, un poème doit se suffire à lui-même et il ne devrait pas être nécessaire de connaître le contexte de sa composition pour l’apprécier, cependant il n’est pas inutile de savoir que, dans le recueil Requiem, Anna Akhmatova fait référence à la période de la Grande Terreur stalinienne, pendant laquelle elle faisait la queue devant la prison pour voir son fils.