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Pour compléter ma réponse à la remarque de Luccio dans les commentaires de cet article je vous propose un autre extrait du Journal de Gombrowicz qui éclaire son concept de « gueule » élaboré dès son roman Ferdydurke.
Affiche réalisée par Wiesław Walkuski pour le Festival Gombrowicz à Radom
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« L’homme que je propose est créé de l’extérieur, il est dans son essence même inauthentique puisqu’il n’est jamais lui-même, rien qu’une forme qui naît entre les hommes. Son « moi » lui est donc attribué dans la sphère de l' »interhumain ». C’est un éternel acteur, mais un acteur naturel, car son artifice lui est congénital, c’est même une des caractéristiques de son état d’homme ; être homme veut dire être acteur, être homme c’est simuler l’homme, « faire comme si » on était homme sans l’être en profondeur, être homme c’est réciter l’homme. Dans ces conditions, comment faut-il comprendre le combat de mon Ferdydurke contre la gueule et la grimace? Il ne s’agit point de conseiller à l’homme d’enlever son masque (quand derrière ce masque il n’a pas de visage); ce qu’on peut lui demander, c’est de prendre conscience de l’artifice de son état et de le confesser. Si je suis condamné à l’artifice, toute ma sincérité consistera à confesser que je n’ai justement pas accès à moi-même. S’il ne m’est jamais donné d’être moi-même, je ne peux sauver ma personnalité de la catastrophe que par ma volonté d’être authentique, un désir opiniâtre qui me fait proclamer envers et contre tous : « Je veux être moi-même », et qui n’est qu’une révolte tragique et désespérée contre ma déformation. Je ne puis être moi-même et pourtant je le veux, je le dois : c’est une des contradictions qu’on n’arrive jamais à résoudre ni à atténuer… D’ailleurs n’attendez pas de moi des remèdes contre des maladies incurables. Ferdydurke se borne à constater cette déchirure intérieure de l’homme — rien de plus. »
Witold Gombrowicz, Journal, Tome I, Folio p. 485 – 486