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« Dans de telles guerres, les collectivités engagées mettent en jeu leur existence entière, et les hommes acceptent de mourir avant l’heure. Comment et pourquoi l’acceptent-ils ? Dire qu’ils meurent pour leurs « intérêts » est évidemment absurde. Un  « intérêt » conduisant quelqu’un à accepter la mort est une contradiction dans les termes. Le premier « intérêt » et la condition de tous les autres est de survivre à tout prix. Qui s’est jamais fait mourir par intérêt, sauf peut-être un avare pathologique ? Et si cet avare se fait mourir, n’est-ce pas parce son « intérêt » n’avait jamais été que la figure de sa folie ?
Tout aussi dérisoire est la réponse – la seule que les marxistes aient jamais su donner – qui invoque la contrainte ou les « illusions ». Les classes dominantes peuvent avoir tout « intérêt » et aucun scrupule à déclencher les guerres les plus meurtrières. Mais il est clair qu’elles ne sauraient « contraindre » dix millions d’hommes armés à se faire tuer contre leur volonté. Et, devant une « théorie » qui affirme que, par deux fois en un quart de siècle, le prolétariat des principaux pays industriels a accepté de se faire massacrer uniquement en fonction d’« illusions », on ne peut que rire et pleurer à la fois, car il n’est pas question de comprendre. Constater aussi que la «conception matérialiste de l’histoire» s’avère conception illusionniste de l’histoire. Si les illusions déterminent à un tel degré la réalité, elles deviennent en effet la force réelle fondamentale. On se demande alors en quoi et par rapport à quoi elles seraient « illusions ». En tout cas, l’histoire de l’humanité devient l’histoire de ses illusions, et ce sont ces illusions qu’il faut, toutes affaires cessantes, étudier à fond – et non pas ces fariboles que sont l’évolution des forces productives, l’accumulation du capital ou l’augmentation du taux d’exploitation. »

Cornelius Castoriadis, Guerre et théories de la guerre, édition du Sandre p. 356 – 357

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