Je commençais à désespérer de la déchéance de ce blog au rang de sous-Topito, mais une découverte inattendue va me permettre de finir l’année en donnant un vernis de légitimité culturelle aux « tops ». Je viens en effet de découvrir qu’en 1960, en réponse à une sollicitation du quotidien Tagesblatt, Gombrowicz lui même s’était livré à l’exercice du top.

Top 5, élaboré par Gombrowicz,  des écrivains qui l’ont le plus influencé.

« 1. Dostoïevski. Il ne m’est pas proche personnellement. Mon monde, ma forme, ma position se trouvent ailleurs. Apparemment,
nous n’avons pas grand-chose en commun et pourtant je suis issu de lui (comme nous tous aujourd’hui) en raison de sa volonté d’atteindre l’extrême des potentialités de l’homme. Donc : Les Frères Karamazov.

2. Nietzsche. J’ai souvent été irrité par le ridicule de son surhomme. Je ne partage pas ses opinions. Et pourtant je lui dois,
comme à Dostoïevski, une acuité de vue poussée à l’extrême et aussi, je dois ajouter, un orgueil irrésistible. Et c’est très nécessaire à notre époque où l’inéluctable croissance démographique mène, contre toute inflation, à la dévaluation de l’homme. Donc : Le Gai Savoir.

3. Thomas Mann. Le seul écrivain contemporain dont j’aurais voulu baiser la main. Nul n’a exploré si profondément mes propres
méandres les plus secrets, nul autre n’a su mieux s’adapter à tout changement de mes humeurs. Il importe peu qu’à la lumière des
tendances contemporaines, il représente plutôt une magnifique affirmation de l’époque passée : ses anachronismes (même formels)
recèlent une organisation spirituelle qui dépasse de loin la pensée et le ton même de la littérature d’aujourd’hui. Mais je ne sais trop quoi choisir parmi ses ouvrages qui me semblent tous imparfaits. Disons donc : La Montagne magique.

4. Alfred Jarry, Ubu Roi. C’est là mon goût personnel, mon caprice, incompréhensible pour ceux qui n’ont pas lu mes livres que
l’on commence à publier en Allemagne. Je ne vais pas m’efforcer d’expliquer à quelqu’un qui ne connaît pas mon Ferdydurke pourquoi je choisis cette « oeuvre » écrite par un blanc-bec de dix-sept ans sous son pupitre d’écolier, livre enfantin, insolent, arrogant, imprégné de légèreté géniale, qui constitue une initiation utile aux mystères de la BÊTISE.

5. André Gide. Le Journal. C’est que moi aussi j’écris un Journal… et seul Gide a entrepris avec le sérieux nécessaire l’élaboration de cette forme si ample et si existentielle, qu’elle l’emportera sans doute sur le récit contemporain. Comme vous voyez : ni Proust, ni Joyce, ni Kafka, ni rien de ce qui se fait aujourd’hui. Je me réclame d’auteurs antérieurs car leur mesure de l’homme était plus haute. »

Witold Gombrowicz, in Le sain esprit de contradiction, Christian Bourgois éditeur

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