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« Ce qui importe, c’est qu’il existe, incontestablement, un tempérament manichéen, doué pour souffrir les tourments de son amour-propre blessé, mais capable en même temps de porter sur eux un jugement sévère ; il n’est pas exclu, par ailleurs, que ce tempérament n’éprouve un certain soulagement à étendre le principe du mal à l’existence en général, et il a certainement contribué, plus que les influences de l’Inde et de la Perse, à faire naître — et durer — au sein du christianisme, un certain type d’hérésies. Cela ne signifie pas, toutefois, qu’on comptait au nombre des hérétiques tous les individus dotés d’un tel tempérament : saint Augustin était le même homme lorsqu’il appartenait à l’Église manichéenne et, plus tard, lorsqu’il se soumit à l’orthodoxie chrétienne. Le trait commun à tous ces gens est leur méfiance envers la Nature, la nature humaine et le monde physique. En les mettant en avant, je me laisse tout simplement guider par l’expérience, car j’ai découvert successivement des écrivains qui présentaient de nombreux points communs. Ainsi : saint Augustin (les Confessions); Pascal (il est difficile de soupçonner les jansénistes de complaisance à l’égard de la Nature) ; Simone Weil (manifestement proche, dans beaucoup de ses pensées, des cathares ou des albigeois) ; William Blake (qualifié par certains, non sans raison, de gnostique) ; Léon Chestov (dont toute la philosophie repose sur une protestation contre les Lois de la Nature —bien que lui restât hostile à la gnose). J’use ici de raccourcis, non autorisés peut-être, mais tu voudras bien, lecteur, me les pardonner, car je crains de tomber dans l’érudition. »
Czeslaw Milosz, L’immoralité de l’art, p. 22